1.2. Méthodes d'enquête
Pour mener à bien notre recherche, deux méthodes
d'enquêtes complémentaires se sont rapidement imposées.
Ayant opté pour une approche qualitative, nous avons
procédé à des entretiens auprès des enfants,
complétés par l'étude des dossiers individuels de certains
enfants que conserve le centre.
L'approche qualitative s'est en effet imposée comme
étant la plus à même de nous aider à répondre
à notre problématique. En effet l'étude de la
carrière des enfants requiert un examen assez fin du parcours des
enfants, qui ne peut pas transparaître à l'aide de simples
questionnaires, études statistiques ou sondages. Il nous fallait
recueillir le propos des enfants, les entendre nous dire leurs histoires
personnelles, au delà de la simple mesure de quelques critères,
qui, comme le souligne Jean-Claude Kaufmann, « fixent le cadre mais
n'explique pas, alors que l'histoire de l'individu explique
»110.
L'entretien est donc la principale méthode
d'enquête. L'analyse de ces entretiens sera complétée par
l'étude des dossiers de certains enfants du centre. Il nous a
été possible de réaliser dix entretiens, dont neuf
auprès des enfants du centre. En effet, l'entretien n°5 (page 93)
ne concerne pas un enfant du centre, mais un jeune de Saint-Louis qui a bien
voulu participer à mon enquête et répondre à mes
questions sur son passé de talibé. Ces entretiens ont duré
entre 15 et 25 minutes par enfant. Les enfants interrogés ont
été choisis en lien et en accord avec l'équipe
éducative. Cette équipe m'a dans un premier temps
conseillé de m'adresser aux plus âgés parlant suffisamment
bien le français. Ce sont les entretiens n°1 (page 86) et n°2
(page 88). Par la suite, nous avons choisi parmi les enfants, ceux étant
susceptibles de raconter facilement leurs vécus, et en même temps,
ceux ayant un parcours comme enfant en situation de rue. Enfin, la
diversité des parcours était aussi un critère - moindre,
mais un critère tout de même - pour choisir les enfants. Ces
entretiens, au nombre de 7, ont nécessité l'aide d'un traducteur.
L'entretien n°8 (page 98) n'a pas été enregistré.
Malgré ma demande, l'enfant a insisté pour qu'aucun
enregistrement ne soit fait de notre échange. Les temps de traduction
pendant l'entretien ont permis une prise de note assez fidèle des propos
exprimés.
Lors de l'entretien, après avoir fait une
présentation de l'étude (voir début du guide d'entretien),
il est d'abord demandé à l'enfant de raconter son parcours dans
la rue. Par la suite, nous sommes revenus en détails sur les
différents thèmes du guide d'entretien (disponible en page 85).
Il y a d'abord les éléments touchant aux étapes de la
carrières de l'enfant (« Contexte avant l'arrivée »,
« Arrivée dans la rue », « Trajectoire », «
Sortie de la rue »). Ces thèmes et les questions qui en
découlent sont posés afin d'essayer de mettre à jour le
déroulement de la carrière de l'enfant, et de pouvoir ainsi
saisir les éléments intervenant dans l'évolution de cette
dernière. Nous souhaitons
110 Jean-Claude Kaufmann, L'entretien compréhensif
(2ème édition), Paris, Armand Colin, 2007, p. 41
aussi mettre en lumière, de manière plus
particulière, les différents contacts que l'enfant a pu avoir
dans la rue, que se soit avec ses pairs ou des adultes. Nous l'avons vu, le
groupe de pairs est un élément central dans le parcours des
enfants en situation de rue, et ce du point de vue de la socialisation et de la
dynamique identitaire notamment. Les relations avec les adultes sont
également porteuses d'influences potentielles sur les carrières
de ces enfants. Il était donc important de les questionner sur ce point.
Ensuite, il était important de connaître les activités de
l'enfant, et la place qui leur est accordée dans la journée ,
ainsi que le sens que ce dernier peut éventuellement leur donner. Enfin,
nous terminons l'entretien par une temps de parole libre (voir le guide
d'entretien), ayant selon nous plusieurs intérêts : si la plupart
des jeunes se livrent avec plus ou moins de difficultés sur leur
passé, cette question laisse néanmoins à l'enfant la
liberté, s'il le souhaite, de parler d'une chose de son choix sur son
passage dans la rue. Peut-être que cette question va permettre de faire
remonter des points importants, aux yeux de l'enfant ; elle lui laisse aussi
l'occasion de compléter son propos s'il pense ne pas avoir pu aller au
bout d'une idée lors des échanges précédents ;
aussi, cela lui permet de reprendre une idée, s'il juge que cette
dernière a été mal comprise ou mal
interprétée de notre part.
Lors de nos entretiens, nous avons été
confrontés à plusieurs difficultés. D'abord, les
conditions des entretiens n'étaient pas toujours faciles. En effet, si
ceux avec les grands ont pu se faire dans un lieu extérieur au centre et
au calme, la présence d'un traducteur, membre de l'équipe
éducative, lors des autres entretiens imposait que ces derniers aient
lieu au centre même. C'est d'abord les conditions sonores qui ont
été gênantes. En effet, les enregistrements sont parfois
émaillés de cris, de claquements de portes, etc. Par la suite,
nous avons essayé de remédier à ce problème en
plaçant le lieu de l'entretien (toujours autour d'une table comprenant
l'enfant, l'éducateur et nous-mêmes) dans un coin, et en limitant
autant que faire ce peut le passage d'autres personnes pendant l'entretien. La
seconde difficulté est la difficulté de certains enfants à
parler de leurs vécus. Certains ont un passé difficile, et il ne
leur est pas forcément facile d'y revenir, de s'en remémorer
certains détails douloureux. En ce sens, il nous a semblé que
parfois, la présence d'un éducateur pour la traduction, a permis
une certaine mise en confiance des enfants. Nous ajoutons aussi que
l'équipe éducative avait prévenu depuis quelques temps les
enfants de la raison de notre présence au centre. Avant de commencer
à faire notre enquête, nous nous rendions
régulièrement sur place, de manière à ce que les
enfants s'habituent à notre présence. Nous avons pris quelques
repas avec l'ensemble du centre, participé à quelques
activités informelles, et avons aussi proposé des
activités de soutiens scolaires à certains d'entre eux, et une
journée d'animation pour tout le centre. Selon nous, cette implication
volontaire, ce temps passé auprès d'eux à certains moments
de la vie du centre, a permis une
certaine libération de la parole de certains enfants,
auprès desquels nous avions tenté des discussions informelles sur
leur passé sans grands succès. Ces préalables n'ont
toutefois pas empêché la retenue (largement compréhensible)
de certains des enfants. Enfin, la dernière difficulté a
été la langue. Notre maîtrise trop limitée du wolof
ne nous a pas permis de poser des questions et de comprendre les
réponses apportées par les enfants dans cette langue. Pour les
entretiens avec traduction, la procédure était des plus basique :
1) nous posions notre question, ou série de questions en français
; 2) L'éducateur la(les) répétait en wolof à
l'enfant ; 3) Celui ci répondait en wolof ; 4) l'éducateur me
traduisait sa réponse ; et ainsi de suite. De ce fait, lors d'un
entretien, le temps passé à traduire a conduit approximativement
à doubler la durée totale. Cela laisse donc moins de temps «
efficace » dans cet échange, d'autant que le traducteur se
fatiguait rapidement. Avant les entretiens, nous avons expliqué notre
démarche, ce qui est recherché, les intérêts des
thèmes abordés et des questions posées, ainsi que leurs
rôles aux traducteurs. Cependant, il est arrivé lors des
entretiens que le traducteur sorte de son rôle et pose directement
d'autres questions « hors guide d'entretien » aux enfants. Aussi, il
nous semble évident que l'intervention d'un traducteur a eu une
influence sur la manière dont l'enfant a reçu mes questions,
(a-t-il suffisamment confiance en l'éducateur ? en nous? Sa
réponse va-t-elle avoir une influence sur sa vie au centre ?...), et
aussi dans la manière dont leurs propos m'ont été
rapportés en français. Il est cependant difficile de quantifier
cette influence.
N°
|
Durée
|
Détails sur l'entretien
|
Infos sur
les enfants/adolescents
|
1
|
21 min
|
Lieu : extérieur du centre
|
Ahmed, 18 ans
a passé 6 mois dans la rue
|
2
|
13 min
|
Lieu : extérieur du centre
|
Cheikh, 16 ans
a passé 1 mois dans la rue
|
3
|
26 min
|
Lieu : au centre Avec traduction
|
Hassan, 15 ans
|
4
|
17 min
|
Lieu : au centre Avec traduction
|
Djiby, 13 ans
|
5
|
20 min
|
N'est pas du centre
Lieu : extérieur du centre
|
Tarik, 20 ans
talibé pendant 10 ans
|
6
|
17 min
|
Lieu : au centre Avec traduction
|
Mohamed, 10 ans confié à des Baay Fall
|
7
|
18 min
|
Lieu : au centre Avec traduction
|
Papis, 10 ans
|
8
|
20 min
|
Lieu : au centre Avec traduction Pas d'enregistrement
|
Aly, 14 ans
|
9
|
23 min
|
Lieu : au centre Avec traduction
|
Mame, 13 ans
|
10
|
28 min
|
Lieu : au centre Avec traduction
|
Mamadou, 10 ans
|
Tableau 2: Aperçu des entretiens
réalisés
Nous avons cherché à compléter notre
enquête par l'intermédiaire d'une autre source : les dossiers
individuels des enfants. Ces dossiers sont ouverts et conservés au
centre. Leur contenu est assez aléatoire. Ils contiennent de
manière systématique une fiche signalétique sur l'enfant :
identité, parenté, résumé (parfois très
cours) du parcours de l'enfant. Ces fiches sont principalement basées
sur des entretiens individuels effectués avec les enfants par
l'équipe éducative. S'y trouve également d'autres
documents émanant d'institutions dans lesquelles se trouve ou s'est
trouvé l'enfant : bulletins scolaires, rapports de l'AEMO ou du Samu
Social, documents d'origine judiciaire, etc. Des rapports de psychologues venus
en stage dans la structure sont également présents dans certains
des dossiers. Nous n'avons pas été en mesure d'étudier
tous les dossiers disponibles, car ils étaient trop nombreux (il y a
tous les enfants depuis que le centre existe.) Aussi, nous n'avons pas
trouvé suffisamment d'informations dans les dossiers de ceux que nous
avons vu en entretien. Nous avons donc lu et pris des notes sur 19 dossiers.
Cinq d'entre eux concernaient des enfants que nous avons interrogé.
Nous étayerons notre analyse des résultats par
des témoignages issus d'observations et de discussions informelles, que
nous avons eu l'occasion de mener lors nos différents passages au
centre, ou lors de visites informelles d'autres daaras, ou de discussion avec
des personnes travaillant auprès de ces enfants. Ces observations ou ces
discussions, étant informelles, n'ont donc pas fait l'objet d'une
méthode spécifique, car elles sont soit le fruit du hasard, soit
le résultat de notre présence régulière au centre
et dans certains lieux que fréquentent les enfants en situation de
rue.
L'analyse des entretiens, en cherchant à comprendre les
carrières de ces enfants, complétée par les informations
fournies dans certains dossiers, ainsi que les quelques éléments
plus informels récoltés devraient nous permettre d'esquisser une
réponse aux questions qui guident notre recherche.
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