Nous ne manquons pas d'informations sur les conditions de vie
des enfants en situation de rue au Sénégal. En effet, de nombreux
rapports d'ONG, dénonçant la précarité de ces
enfants et traitant des talibés mendiants sont disponibles. Ces
études mettent largement l'accent sur les mauvaises conditions de vie et
de traitement de ces enfants. Cette subjectivité militante ne manque pas
d'intérêt, mais reste toutefois limitée à un certain
point de vue, car servant à servir une cause particulière,
à défendre des financements ou encore à interpeller la
population et les décideurs politiques. Ces études n'en sont pas
moins éclairantes dans les faits qu'elles relatent, une fois cette
précaution d'usage énoncée. Nous essayerons donc ici de
mettre en lumière les principaux aspects de ces conditions de vies, de
présenter les activités pratiquées par ces enfants, et
enfin le rôle (centrale) de la sociabilité dans la rue.
Comme dans beaucoup de situation à travers le monde,
la rue n'est pas forcement un lieu où il fait bon vivre, et les nombreux
rapports d'associations sont là pour le confirmer. Ces enfants sont en
effet exposés à de multiples dangers : la circulation, les
violences des autres enfants et adultes, à l'exploitation, à la
prostitution, la drogue, etc. Les lieux pour passer la nuit sont assez
variés. Certains se regroupent, par sécurité, pendant que
d'autre ne font confiance qu'à eux-même ou cherche à
bénéficier de la générosité des habitants.
Certains leurs offres en effet, en fonction des possibilités, une place
sur une natte, temporairement à l'habit du dehors. Dans ces conditions
précaires, certains vont trouver la mort, dans un accident de voiture,
des suites d'une maladie non soignée, sous les coups, etc. Même si
le regard social s'est habitué à leurs présences, ces
enfants soufrent de stigmatisation. « Le fait qu'ils soient vus ou
étiquetés par le reste de la population comme des enfants
déviants, errants dans la rue au lieu d'être dans leur famille,
consommant de la drogue et vivant de vols, trouble leurs rapports avec le reste
de la société. Selon les récits des enfants ils font
l'objet de méfiance ou d'indifférence, et de violence de la part
de ceux avec qui ils
84 HRW, « Sur le dos des enfants ». Mendicité
forcée et autres mauvais traitements à l'encontre des
talibés au Sénégal, New York, Human Rights Watch, 2010, p.
30
entrent en relation »85.
La pratique de la mendicité par les talibés
varie selon les exigences des marabouts. Certains ne demandent rien, mais ne
s'occupe pas de ses talibés en dehors des leçons coraniques, et
les talibés doivent mendier pour vivre, et d'autres réclament une
somme d'argent journalière à leurs apprentis. Il arrive que
l'activité de la mendicité prennent le pas sur les cours, et
deviennent l'activité principale des talibés. C'est ce que l'on
observe dans les cas extrêmes où les daaras sont
transformés par les marabouts en « véritables entreprises
»86. Toutefois, le temps passé à mendier (de
l'argent, de la nourriture, des vêtements, etc) serait en moyenne
supérieur chez les enfants non-talibés que chez les
talibés eux-mêmes87. Ces deux pratiques de la
mendicité (par les talibés d'un côté, et par les
autres enfants en situation de rue d'un autre côté) sont donc
légèrement différentes. Chez les uns, elle est une
obligatoire, car imposée par un autre (le marabout), et chez les autres,
elle est stratégie de survie, d'adaptation88. La pratique
même de la mendicité implique la maîtrise d'un certain
savoir (les lieux riches en opportunités, les personnes susceptibles de
donner, etc) et de techniques (modes opératoires variés,
compétences requises différentes) nécessitant un
apprentissage.
Le vol est également monnaie courante dans la rue, et
de part la diversité des opportunités et des modes d'actions, il
implique également une nécessité de connaissance et
d'apprentissage. En effet, « les exigences de la rue les [les enfants]
amènent à franchir le pas entre des activités sûres
mais peu profitables, et des activités plus risquées mais aussi
plus bénéfiques »89. Cette activité est
rarement l'oeuvre d'un enfant seul. Il s'effectue en groupe dans les lieux
porteurs d'opportunités, comme peuvent l'être des foules, des
bousculades, dans les transports en communs aux heures de pointes, où
dans des lieux plus isolés comme des parkings, où des maisons. Il
faut cependant aborder le vol en prenant en compte les conditions de recours
à ce dernier : la nécessité de survie. Et, s'il arrive que
le viol devienne « un mode de vie, où le but visé est le
prestige et la valorisation de soi »90, cette activité
reste exercée sous la contrainte, n'étant à l'origine
qu'une stratégie de survie parmi d'autres.
Au côté de ces deux activités, les
enfants en situation de rue sont également amenés à
exercer des petits boulots. C'est ainsi que l'on va les retrouver dans les
marchés, à proposer leurs aides pour porter les sacs, les
denrées des gens. Ils sont également porteurs de commissions. Il
est fréquent que des gens les envoient chercher quelque chose (faire une
course, aller donner un objet à quelqu'un,
85 Fatou Dramé, Nàndité . Enquête sur
les enfants des rues à Dakar , Samusocial Sénégal - UNICEF
Sénégal ,Dakar , 2010, p. 93
86 Voir Human Rights Watch, op cit, pp. 34-36
87 Unicef, Banque Mondiale et BIT, op cit, p. 41
88 Fatou Dramé, op cit, p. 154
89 Fatou Dramé, op cit, p. 157
90 Fatou Dramé, op cit, p. 164
rendre la monnaie à un autre, etc), et leurs donnent
en retour une petite somme d'argent. Les talibés vivent aussi du travail
de porteur dans les gares routières, où les gens arrivent et
partent avec leurs bagages. Les moments de chargement et de déchargement
sont alors des opportunités pour proposer leurs services. Les plus
grands se retrouveraient plus dans les petits commerces ambulants, dans la
restauration rapide ou encore dans la vente de drogues, laissant les autres
activités pour les plus jeunes et les nouveaux arrivant dans la rue. Le
commerce de rue n'est pas aisé pour ces enfants, car ils se heurtent au
manque de ressource et de sécurité.
Dans les rues de Dakar, le groupe va être une des
formes qui va aider à l'enfant de s'adapter aux conditions de vie. Les
modes de formation de ces groupes sont variés, et dépendent
beaucoup de l'attirance des enfants les uns envers les autres. En effet, la
tendance est de s'associer avec qui se ressemble. Cette ressemblance se jauge
notamment aux activités pratiquées et aux lieux
fréquentés, et donc, de manière générale,
c'est donc le comportement qui va être l'indicateur du potentiel. Dans
l'agencement au sein du groupe sont déterminé principalement en
fonction de l'age et l'expérience dans la rue. La solidarité est
omniprésente l'intérieur, mais aussi à l'extérieur
du groupe. C'est pourquoi le groupe est un refuge. Ce sont en effet les
impératifs de survie qu'implique la vie dans la rue qui poussent les
enfants à se regrouper. Mais cette nécessité
n'empêche toutefois pas les relations qui existent entre les membres d'un
groupe d'être électives. On voit alors se former des dyades ou des
petits sous-groupes par affinité.
Nous n'avons que peu d'éléments sur la sortie de
la rue des enfants au Sénégal. Cet aspect n'est pourtant pas
dénué d'intérêt. En effet, la compréhension
du parcours de sortie de la rue d'un enfant s'avère utile dès
lors que l'on travaille auprès de ces enfants, et que l'on espère
les sortir de leurs situations.