Quand les lettres masquent les maux( Télécharger le fichier original )par Jean-François LEMOIGNE Institut de formation en soins infirmiers de Laxou - Diplôme d'infirmier d'état 2011 |
INTRODUCTIONLe langage, ce moyen de communiquer entre nous, d?échanger des opinions, ou encore d?avouer nos sentiments, est, a priori, l?un des éléments principaux qui distingue l?homme de l?animal. Cependant, nous savons tous que le langage humain peut revêtir plusieurs aspects : tantôt, il est familier, tantôt il est dit « châtié », tantôt il est professionnel, et tantôt, il peut même être qualifié d?«identitaire ». D?ailleurs, qui, à l?époque où nous vivons, tout age confondu, n?a jamais entendu ou utilisé, pour s?exprimer, des sigles, des acronymes, ou des abréviations ? En effet, ceux-ci occupent désormais une place prépondérante dans notre façon de communiquer, et ce, dans tous les domaines de notre existence. Que ce soit dans le monde du travail ou dans notre vie privée, ils sont devenus monnaie courante : SNCF, RATP, FNAC, PC, DVD, SMS, FIAT, HLM, SMIC, RSA... pour ne citer que ceux-là. Les adolescents, également, utilisent parfois une façon de communiquer qui peut parfois sembler déroutante pour des personnes plus âgées; ainsi, on entend ou on lit des sigles comme, par exemple, « lol », « mdr », « ptdr », des termes qui sont devenus, dorénavant, inévitables dans les textos ou les e-mails (grâce ou à cause de la technologie moderne, selon les points de vue). Si bien que nous finissons par les utiliser, sans nous soucier du sens caché des lettres, ni d?où ils peuvent tirer leurs origines, ni des difficultés qu?ils peuvent parfois engendrer. Notamment lorsque ceux-ci deviennent source d?ambiguïté ou d?incompréhension. Le milieu médical, lui non plus, n?a pas échappé à ce moyen d?expression ; alors que de nombreux sigles médicaux et abréviations peuvent être source d'erreurs, dans la mesure où ils peuvent recouvrir plusieurs significations, on constate, aujourd'hui, que ceux-ci continuent pourtant d?être utilisés dans les milieux médical et paramédical. A ce sujet, une publication datée de septembre 20072 a révélé qu'un minimum de 5% des erreurs médicales déclarées auraient pour origine l'emploi de ces abréviations. Pour illustrer ceci, prenons le cas d?une personne de sexe masculin qui va se faire hospitaliser pour une I.V.G. Qui, à ce moment précis, fera le lien avec une insuffisance (cardiaque) ventriculaire gauche (dans la mesure où l?on possède déjà quelques notions médicales), avant de penser à une interruption volontaire de grossesse ? Ce qui, bien sür, serait dénué de sens, en parlant d?un homme. De même, que veut dire par exemple, l?acronyme SIDA (Syndrome d?immunodéficience acquise), malheureusement connu en France, pour des étrangers qui parleraient, quant à eux, du AIDS (Acquired immune deficiency syndrome) ? C?est ce qui m?a poussé à aborder ce thème, dans la mesure où un(e) infirmièr(e), ou tout autre professionnel de santé, nouvellement arrivé(e) dans un service, pourrait éprouver des difficultés de compréhension, et se voir perdre du temps, quant à la prise en charge du/des patient(s) concernés. N?aurait-il/elle pas l?impression de se retrouver dans un pays étranger ? Et que penser des erreurs qui pourraient être commises, suite à une mauvaise interprétation? Alors, à une époque où la rigueur est de plus en plus prisée, et l?erreur médicale jugée comme inacceptable par nos concitoyens, qu?est-ce qui peut justifier le fait que les soignants continuent d?utiliser un tel langage ? Est-ce réellement dû à un manque de rigueur ? Est-ce l?influence du groupe de travail sur les individus ? Ce langage prend-il sa source au sein d?une identité professionnelle ? Autant de questions auxquelles j?ai tenté de répondre à travers ce travail de fin d?études. 2 Helen Mc GURRIN - Message - Représentant de la communauté. Hôpital d'Ottawa.2003.p.1 I. SITUATION DE DEPART ET CHEMINEMENT JUSQU'A LA QUESTION D'ETUDEL'intérêt que je porte à ces observations est né d'une situation que j'ai connue au cours de mon premier stage en chirurgie (notamment à propos des difficultés de compréhension rencontrées), situation dont je vais parler maintenant: « Tu es en deuxième année. Tant mieux, tu sais donc gérer un retour de bloc ». Tels ont été les mots de l'infirmière qui, le premier jour de mon premier stage en chirurgie, m?a confié le dossier d'un patient qui venait d'être opéré. Puis, juste avant de quitter l'étage où j'étais affecté, celle-ci me dit « Si tu as besoin, tu appelles quelqu'un, et surtout, tu n'oublies pas le CCMS!!! ». Avant même que je puisse lui poser une question, elle était déjà partie, en compagnie d'une autre collègue. Il ne restait plus qu'une aide-soignante, diplômée depuis peu, et moi-même, pour prendre en charge les patients du secteur. Du haut de mon statut d'étudiant, j?ai donc commencé à lire les observations concernant l'intervention et les prescriptions postopératoires. Sur une des feuilles, je pouvais lire, «AEG+BIS», «NVPO», avec d'autres notes comme «PP 16 - 22 - 04 - 10». En regardant l'âge du patient (28 ans), je me suis dit rapidement qu' ?AEG» voulait certainement dire autre chose qu' «Altération de l'Etat Général». Effectivement!!!! J'ai appris par la suite qu'on parlait ici d' «Arthroscopie de l'Epaule Gauche». Puis, plus tard, on m'a expliqué le sens des autres données: «BIS» signifiait «Bloc Inter-scalénique3», «NVPO» voulait dire «Nausées, Vomissements Postopératoires» et «PP 16 - 22 - 04 - 10» était une prescription pour administrer au patient du PERFALGAN et du PROFENID, par voie intraveineuse, ce même jour, à 16h00, à 22h00, puis le lendemain, à 04h00, et à 10h00. Quant au fameux «CCMS», il s'agissait d'un moyen mnémotechnique pour évaluer le membre opéré, par rapport à sa couleur, sa chaleur, sa mobilité, et sa sensibilité. J'ai été satisfait de pouvoir donner enfin un sens à ces sigles, mais déçu, une fois encore, d'avoir dû attendre le retour des infirmières, pour commencer une bonne prise en charge. En effet, au cours de mes stages précédents, j?avais déjà été confronté à ce type d?écrits qui m?avaient, à l?époque, posé des problèmes de compréhension. Mais cela a vraiment été la première fois que je me suis retrouvé devant un document contenant autant de termes inexploitables à mes yeux. Au regard de cette situation, des premières questions me sont venues rapidement. Aurais-je eu plus de facilité si j'avais étudié le module de traumatologie auparavant? Cet enseignement n'était prévu que quelques mois plus tard. Pourquoi utilisait-on autant de sigles incompréhensibles et obligeant à fournir un effort intellectuel pour en trouver le sens? Et est-ce qu'une infirmière diplômée, mais étrangère au service, aurait eu les mêmes difficultés de compréhension? Par la suite, ma question de départ a découlé sous la forme « Les abréviations et les acronymes, utilisés par les infirmier(e)s, doivent-ils être considérés comme un moyen de gagner du temps ou plutôt comme un obstacle à la prise en charge du patient? ». Afin d'approfondir ma réflexion et d'y apporter de nouveaux éclairages, j?ai commencé en cherchant des articles et des revues qui parlaient de ce phénomène. Je suis alors parvenu à trouver deux articles (une dépêche intitulée «Sigles médicaux, attention danger»4, et un compte-rendu de réunion d'Helen Mc GURRIN5, représentante communautaire, au Canada, sur l'amélioration de la qualité des soins infirmiers). Le premier article parlait du fait que l'utilisation des acronymes restait dangereuse car ceux-ci semblaient constituer un gain de temps, mais se les interdire représentait également un moyen de protéger les patients. Quant au deuxième, l'idée qui s'en dégageait était que chaque profession possédait sa propre terminologie et ses habitudes, et qu'à la longue, il était possible de s'approprier le sens de ces différents sigles. Par la suite, j?ai pu rencontrer deux infirmières (la
première exerçant en chirurgie, et la seconde 3 Technique d?analgésie utilisée avant une intervention chirurgicale. 4 APM International - Sigles médicaux: attention danger!, in TIC santé.com - Journal APM de l'informatique. Dépêche n°182 / 12 février 2009.p.1 5 Op. Cit. p.1 3 d'affiner mes recherches. Selon elles, l'usage des acronymes et des abréviations restait très présent, au cours des transmissions infirmières. Elles ont reconnu également le danger lié à l'ambiguïté de certains, et qu'il était alors nécessaire de demander des précisions. Cela pouvait représenter une perte de temps dans la prise en charge du patient, mais cela ne les empêchait pas pour autant d'employer ces «raccourcis», que ce soit en écrivant dans les dossiers, ou lors de transmissions orales. Il leur était même arrivé de découvrir des abréviations et des sigles inventés par un(e) collègue, et qui n'était parlants que pour ce(tte) dernier(- ière). Après l'analyse et la synthèse de ces lectures, ainsi que celle de l'entretien exploratoire, j'ai donc décidé de retenir la dangerosité des abréviations et des acronymes, lorsque leur utilisation devient excessive et non contrôlée, ce qui peut alors constituer un facteur de risque pour le patient. Je souhaite également parler du fait que le vocabulaire infirmier s'appuie sur des habitudes de langage, qui, comme dans toutes les professions, peuvent s'acquérir, au fil du temps. C'est pour ces raisons que j'ai tenu à reformuler ma question d'étude de la façon suivante : "Alors que l'on exige toujours plus de rigueur, qu'est-ce qui fait que, dans les services de soins, les infirmièr(e)s continuent d'employer des acronymes et/ou des abréviations, source d'ambiguïté, et comportant un risque potentiel d'erreur ?" En ce qui concerne cette question d'étude, j?ai décidé de proposer deux hypothèses : - les infirmier(e)s continuent d?utiliser cette façon de s?exprimer car ils/elles pensent que le risque est moindre, dans la mesure où chaque membre de leur équipe est censé connaître, voire « maîtriser ce langage » qui les distingue d?une personne étrangère au service. - certains infirmier(e)s, dans le but de s?intégrer dans une équipe, s?approprient le langage qui y est employé. Cela constitue une sorte de « mimétisme » qui permet à ces soignants une adaptation plus rapide, tout en gardant le souci de ne pas perturber les habitudes de l?équipe. |
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