II.3.2-Technique d'exploitation de l'esthétique
d'Artaud
C'est l'exposé des principes permettant de faire du
théâtre une fonction précise et efficace, un moyen
d'illusion vraie, un exutoire des tares, obsessions et chimères.
Il veut faire du théâtre un art vivant de remise
en cause du monde et de l'homme, un retour permanent à l'idée de
la métaphysique. C'est une manière en somme de transgresser les
limites ordinaires de l'art et de la parole pour réaliser magiquement
une sorte de création totale.
Les principes de sa technique reposent sur tout ce qui concourt
à la réalisation d'une représentation
théâtrale.
- le caractère du spectacle
Artaud exige un spectacle physique, fascinant, magique,
déconcertant.
Un spectacle composé de cris, de plaintes,
d'apparitions surprises, de coups de théâtre de toutes sortes, de
la beauté des costumes prise à certaines modèles rituels
avec un resplendissement de la lumière. Il faut une beauté
incantatoire des voix, une harmonie musicale avec des notes rares, des rythmes
physiques
des mouvements avec le crescendo et le decrescendo. Le spectacle
exige l'apparition d'objets neufs tels les masques, les mannequins de plusieurs
tailles.
- la mise en scène
C'est le point de départ absolu de toute création
théâtrale.
La mise en scène artaudienne exige, le fondu de la
vieille dualité entre l'auteur et le metteur en scène,
remplacée par une sorte de créateur unique
considéré comme un démiurge.
La vraie mise en scène selon Artaud, doit être
métaphysique car il faut dépasser l'aspect matériel des
choses. Elle se doit d'être un langage dans l'espace et en mouvements.
- le langage de la scène
Le théâtre artaudien fait recours à un
langage noté et chiffré comme une musique car il est absolument
prouvé que le langage des mots n'est pas le meilleur possible.
Il faut un langage par signes dont l'objectif est ce qui
frappe immédiatement le mieux. Il faut substituer au langage
articulé un langage différent de nature et dont les
possibilités expressives équivaudront au langage des mots. Car
pour Artaud, « les mots ne veulent pas tout dire et que par nature et
à cause de leur caractère déterminé, fixé
une fois pour toute, arrêtent et paralysent la pensée au lieu d'en
permettre et d'en favoriser le développement
»11.
Le langage doit d'abord satisfaire les sens et être
indépendant de la parole qui n'est pas à être
supprimée.
La parole doit acquérir une nouvelle nature
basée sur son intonation : faculté qu'ont les mots de
créer eux aussi une musique suivant la façon dont ils sont
prononcés.
11 ARTAUD (Antonin).- Op. Cit., p 172
Faire la métaphysique du langage articulé, c'est
amener le langage, dans le théâtre artaudien, à exprimer ce
qu'il n'exprime pas d'habitude.
Le langage doit être poétique car « les
idées claires sont au théâtre comme partout ailleurs des
idées mortes et terminées »12.
- les instruments de musique
Les instruments de musique doivent être composés
d'objets de décor, d'instruments anciens ou d'appareils nouveaux pour
créer des vibrations inaccoutumées ou des bruits lancinants et
insupportables.
- la lumière-les éclairages
La lumière et les éclairages consistent à
rechercher les effets lumineux vibratoires pour produire les qualités de
sons particulières. On doit concevoir la lumière en
élément de ténuité, de densité,
d'opacité en vue de produire le chaud, le froid, la colère, la
peur, la joie, la tristesse etc.
- le costume
Il faut éviter les costumes modernes.
- les objets
Les objets doivent être composés de masques
énormes, d'accessoires, de mannequins aux proportions
singulières.
- le décor
Il est en général inutile. Les costumes, les
objets insolites, les mannequins géants, instruments de musique,
personnages hiéroglyphiques suffisent à le créer.
12 ARTAUD (Antonin).- Op. Cit., p.61
- les oeuvres
Il faut éviter les pièces écrites,
c'est-à-dire basées sur l'écriture et la parole pour le
montage des spectacles.
Et même si cela s'avère nécessaire, la partie
écrite et parlée le sera dans un sens nouveau.
- l'acteur
C'est la pièce maîtresse du théâtre
de la cruauté. C'est le pivot du spectacle car il oeuvre pour le
déterminisme de l'action et sa dynamique.
Le corps de l'acteur est un instrument
privilégié sans doute, mais inopérant à lui seul.
Il est privilégié car il ébranle l'espace matériel
à la fois par le geste, par le son, par la danse et par le cri.
L'acteur dans le théâtre de la
cruauté doit être comparé à un athlète
physique qui se doit d'appuyer son corps sur son souffle pour creuser sa
personnalité. Cette question de souffle est primordiale car elle met
l'acteur en rapport avec le jeu extérieur.
- l'interprétation
Elle est nécessaire pour l'aboutissement d'un
spectacle. Elle conditionne l'allure, le caractère, la dimension du
spectacle par son personnage entièrement typé à
l'extrême ou aucun geste n'est inutile.
- la cruautéElle est
indispensable pour amener directement le spectateur aux idées
métaphysiques.
II.3.3- Lecture matérialiste du
théâtre de la cruautéLe matérialisme
est le fondement de la doctrine de Karl Marx, le
marxisme. C'est une doctrine selon laquelle rien n'existe en
dehors de la matière, y compris l'esprit qui est lui-même
matière. Les matérialistes considèrent la matière
comme la base de toute théorie, à l'opposé de
l'idéalisme qui est lui, un instrument spéculatif au service de
la bourgeoisie.
Ainsi, la lecture matérialiste que nous faisons de
l'esthétique artaudienne tient du fait de son discours, par son objet,
mais aussi de l'intention avouée de rendre impossible la survie de la
culture spirituelle occidentale.
Car selon Artaud, la conscience européenne souffre par
ce théâtre trop psychologique, d'une désunion, par la
surestimation de la raison. C'est pourquoi il faudra réinventer le
théâtre en lui imposant une forme spirituelle de la
matière. Cette métaphysique totale qui célèbre
l'interdépendance de l'esprit et de la matière semble être
pour Artaud à l'origine de toute activité théâtrale
et partant de la vie.
En ce sens que cette démarche de conciliation de
l'esprit et du corps empruntée à l'Orient va bien au-delà
de la conception marxiste du matérialisme qu'il qualifie d'historique,
d'insuffisant et d'étroit.
C'est pourquoi sa vision marxiste se fait dans l'intention
déclarée de fonder un théâtre
matérialiste.
Matérialiste par la conception et par la
réalisation, pour démasquer une tentative d'arrêt de la
pensée et du langage.
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