IV- LES DISSONANCES ET LES CONTRASTES
Une dissonance est le caractère de ce qui choque l'oreille
et qui semble peu harmonieux.
Le contraste, est une opposition très marquée entre
deux choses.
Artaud emploie les dissonances et les contrastes pour mettre
en exergue un décalage visuel ou sonore, la transposition, voire
l'inversion des données du réel.
La pratique des dissonances et des contrastes pousse à
l'extrême la sensibilité du public.
Par ailleurs, nous remarquons que l'esthétique d'Artaud
revêt une fonction métaphorique.
Or toute métaphore est un procédé qui
consiste à utiliser un mot concret pour exprimer une idée
abstraite. La métaphore recèle donc un écart, un
décalage, une distance entre ces deux termes.
Par conséquent, les dissonances et les contrastes sont une
conséquence inéluctable au théâtre artaudien.
Dans la mise en scène de La Puissance de Um,
l'effet de contraste et de dissonance sera remplacé par la
métaphore.
Cette métaphore prendra une allure poétique pour
l'expression de la beauté de ce spectacle.
V- UN SPECTACLE CHIFFRE
L'emploi du vocable « chiffré » est
contradictoire dans la mesure où Artaud l'a employé, jadis, pour
peindre la décadence du théâtre occidental. Il l'utilise
maintenant pour qualifier le théâtre qu'il prétend
instaurer.
Alors, comment le conçoit-il ?
Le mot « chiffré » est tantôt
synonyme de figé, inerte, impuissant et tantôt
synonyme de rigoureux, maîtrisé,
efficace.
Depuis qu'il a renoncé au culte du hasard, et a
découvert le théâtre balinais, Artaud cherche le salut du
théâtre dans la rigueur et dans la science.
Chiffrer le spectacle dans une éventuelle
mise en scène de La Puissance de Um, revient à travailler
l'acteur, sa voix, et les objets de manière rigoureuse, subtile pour
avoir un spectacle extraordinaire.
La musique, et la gestuelle du corps de l'acteur doivent
s'accorder pour créer un langage mystérieux fourni par l'esprit
créateur de metteur en scène.
VI- L'APPEL AUX MYTHES
Un mythe est « un récit fabuleux qui cherche
à expliquer l'origine de l'homme et du monde. C'est en d'autres
termes « une invention dénuée de toute
réalité »40.
Le théâtre de la cruauté fait appel aux
mythes car ceux-ci contiennent un principe métaphysique. Il s'ensuit que
le rite est étroitement lié au mythe. C'est l'expression
concrète du mythe comme l'affirmerait Claude Lévi-Strauss dans
Anthropologie structurale.
C'est dire que le cérémonial rituel doit être
fixé avec rigueur pour lui insuffler un pouvoir dynamique.
40 Larousse Dictionnaire Super Major.- Op Cit., p
706
La Puissance de Um est une pièce rituelle ; donc
elle regorge de mythes. Ces mythes, dans une éventuelle mise en
scène doivent prendre forme au niveau de la phase des
transes-psychodrames (page 34 à 37) pour créer le
mystère.
La mise en scène de l'oeuvre de Werewere-Liking ne peut
être montée selon le principe d'Artaud dans tout son
caractère. Car la disposition scénique et certaines
méthodes d'Artaud ne seront pas prises en compte.
Cependant, seule l'expressivité du corps, des objets, des
voix dans le sens du beau pourra satisfaire le public dans tous ses sens.
CHAPITRE III : ESQUISE DE MISE EN SCENE DE
LA PUISSANCE DE UM
Ngond Libii sort du milieu de la scène. Une calebasse
à la main. Elle s'arrête au milieu de la scène, malaxe la
calebasse et sous l'effet de la musique, tourne sur elle-même puis
entonne un chant funèbre.
Pendant ce temps, des pleurs se font entendre dans les
coulisses.
Lorsqu'elle arrive au milieu de la scène, les deux
hommes, le vieillard et Ntep Ntep sortent et se disposent en ligne horizontale.
Ils occupent toute l'espace scénique dans une gestuelle de corps pour
l'expression de la douleur que ressent Ngond Libii. Ensuite se mettent à
la gratter en guise de signes accusateurs.
Ngond Libii se retourne, s'avance vers le milieu, lève la
calebasse et sous le rythme de la musique, pousse un cri chanté.
L'assemblée aussi sur l'effet de la musique et du chant,
lève les mains en direction de la calebasse. Cela de manière
synchronisée avec Ngond Libii. Toutes les répliques de Ngond
Libii sont dites en jouant avec cet accessoire.
Le vieillard, à l'aide des cendres, et des poudres en sa
possession dit sa première réplique dans une mystique du corps
vers le côté jardin.
Au côté cour, Homme 1 dans un ton poétique
transpose le public vers un monde étrange. Son élan
poétique est dit sous un ton grave, haletant, gorgé d'amertumes
et d'espoir.
Ngond Libii se déplace vers le vieillard puis dans un
regard circulaire, essaie de clamer son innocence à chaque membre de
l'assemblée, sur un ton alarmé.
Puis elle reprend de plus belle en accusant le vieillard. Tous
les regards alors se fixent, sous l'effet de la musique, vers celui-ci.
Mais il ne se laisse pas intimidé. Il renvoie à son
tour la balle à Ngond Libii en l'accusant.
Une confusion naît dans l'esprit de l'assemblée. Le
suspense grandit avec la musique.
L'homme 1 et le vieillard, touchés dans leur amour
propre face aux agissements de leur semblables sont indignés. Tous deux
font appel, sous un ton poétique, à la vérité qui
viendra tout trancher. Ntep Ntep le fils, par son attitude suspect sort de son
carcan et dénonce sa mère qu'il taxe de véritable
assassin. Il s'agenouille et ordonne à l'assemblée de porter en
la mémoire du défunt père, une minute de silence. Attitude
que désapprouvent les autres.
Au seuil de la succession, l'on se demande qui allait être
heureux successeur. Pour cela, ils avisent l'ancien qui n'hésite pas
à s'imposer de force.
Ntep Ntep, qui sort maintenant de sa léthargie, se
dévoile en sortant une poudre empoisonnée qu'il insuffle au
visage de l'ancien qui meurt sur le regard inoffensif du vieillard.
Tous dans l'étonnement forme une figure immobile pour
finir en beauté. La musique alors monte, monte pour mourir avec la
fermeture du rideau.
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