I-2-6-LES OBSTACLES QUE RENCONTRE LA MICROFINANCE EN
AFRIQUE
Dans de nombreux pays d'Afrique de l'Ouest, suite à la
faillite généralisée des banques de développement
à la fin des années 80, l'émergence de la microfinance
constitue une alternative de plus en plus reconnue pour répondre
à la demande de services financiers d'une majorité de la
population exclue de l'accès au secteur bancaire en raison de ses
faibles revenus et du manque de garantie. Ainsi, le programme PASMEC de la
Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest(BCEAO) recense, en
décembre 1997, 188 systèmes financiers
décentralisés qui touchent plus de un million quatre cent mille
personnes. La BM identifie quant à elle sept milles organisations de
microfinance dans le monde qui octroient des prêts à sept millions
d'emprunteurs pour un montant global de huit milliards de crédit et une
épargne collectée de l'ordre de dix-neuf
milliards.23
Malgré ces chiffres encourageant, cependant, en
Afrique, la microfinance rencontre certains problèmes notamment le poids
de la religion islamique. En effet, une étude à été
menée par l'IRAM en Janvier 2001 et publiée sous le titre :
<< Islam et microfinance en Afrique subsaharienne :
éléments pour une étude comparée ». Selon
cette étude, << suivant les pays et, parfois, suivant les
régions ou départements, les rapports entre islam, ses
représentants et ses pratiques locales et le nouveau secteur
émergent de la microfinance sont plus ou moins dynamiques. «
Parfois, ils permettent de véritables synergies susceptibles de
participer à la lutte contre la pauvreté, mais dans d'autres
situations, ils suscitent des conflits locaux. »24
Cette étude avait pour but de réaliser, dans un
certain nombre de cas représentatifs de la situation en Afrique
subsaharienne un état des lieux de
23 IRAM Coll.,Islam et microfinance en Afrique
Subsaharienne : Eléments pour une étude comparée, IRAM,
Paris, Janvier 2001. P.1
24 IRAM Coll.,Islam et microfinance en Afrique
Subsaharienne : Eléments pour une étude comparée, IRAM,
Paris, Janvier 2001, p.2
relations entre islam et microfinance, une analyse des causes
à l'origine de cette situation et des propositions d'amélioration
possible, à partir des pratiques observées sur le terrain.
Dans la religion musulmane, le Coran et la Sunnah (tradition)
fixent le rapport à l'argent. A partir de plusieurs sourates, le
commerce de l'argent et toutes les formes d'usures qui en découlent font
l'objet d'interdits religieux. Le « riba » (l'interdit » est
condamné et la seule rémunération du capital
accepté doit se faire par partage du bénéfice des
activités financées. Cet interdit, basé sur une justice
rédistributive, conduit à s'opposer à la
thésaurisation et au profit de l'usure. Pourtant, dans la sunnah,
certains « hadiths » reconnaissent le rôle du prêt et le
recommandent comme un « acte de piété ». Plusieurs
types de prêts sont préconisés : mudaraba (prêt
participatif), musharaka (prise de participation), murabaha (crédit
bail), etc. on remarque donc que le rapport à l'argent est fixé
par la religion. De ce fait, le thème fait l'objet de nombreuses
réflexions et d'action, en particulier avec la création de
banques islamiques dans différents pays de la sous région
où d'autres initiatives. « C'est ainsi qu'à Bamako ; un
collectif d'une cinquantaine d'Imams affiliés à une des grandes
mosquées du centre commercial développe depuis une quinzaine
d'années un groupement financier d'épargne et de crédit
très souple (1000 mille CFA par mois), autonome (un capital de plusieurs
dizaines de millions de FCFA) et très rigoureux selon la
législation islamique en la matière (interdiction du riba et de
l'usure) »25
Après ces constats, l'étude a étendu
cette situation à la microfinance. Les auteurs de cette étude
notent d'abord que cette rapide description fait apparaître deux
éléments essentiels de la problématique :
- L'interdiction du « riba » et de l'usure par
l'islam recoupe largement le constat de départ de la microfinance, cette
dernière s'efforçant de construire une alternative pérenne
aux besoins de financements permanents des catégories de
25 H. Magassa du Sernès Bamako
personnes les plus pauvres exclues des systèmes bancaires,
ce qui dans les conditions de l'Afrique subsaharienne représente plus de
80% des populations.
- L'extension observée de certaines situations locales, de
cet interdit à la microfinance peut s'interpréter par une double
méconnaissance :
* Méconnaissance par certains responsables religieux
des fondements du calcul du taux d'intérêt de la microfinance qui,
dans la plupart des cas, n'est pas destiné à
rémunérer un capital mais à couvrir des coüts
d'intermédiation et un risque élevé lié au contexte
incertain des emprunteurs
* Méconnaissance, par les dirigeants de réseaux
de microfinance, des bases de règles religieuses et qui leur
permettraient d'expliquer les contraintes de gestion et d'adapter leurs
pratiques avec des modalités compatibles avec les règles
religieuses (explication des taux d'intérêt).
Ensuite, ils remarquent que la « doctrine islamique
» condamnant l'usure peut mener certains responsables religieux, et
notamment certains imams, à critiquer par extension les réseaux
de microfinance et leurs pratiques d'épargne et de crédit. Cette
situation a pu être observée dans certaines localités de
Guinée, du Niger et du Benin où des imams se sont opposés
à l'installation de réseaux de microfinance, ont condamné
leurs services financiers d'épargne et de crédit,
découragé l'adhésion des pratiquants, et, dans certains
cas extrêmes, ont même pu susciter des oppositions au remboursement
des prêts, menaçant ainsi la viabilité des systèmes
de microfinance. Au-delà de la double méconnaissance à
l'origine de ce type de conflit et précédemment signalée,
d'autres causes peuvent être relevées ponctuellement sur le
terrain, comme la participation des certains imams à l'usure. A cet
effet l'étude cite : « Ainsi en Guinée, des causes de
non adhésion de type religieux, comme le refus du taux
d'intérêt paraissent également en milieu musulman
(malinké sur Dabola et en forêt, peul en haute Guinée et au
Fouta-Djalon). Elles sont exprimées par 11% d'un échantillon de
personnes interrogées en 1996 et réapparaissent dans certaines
monographies récentes. Ceci peut laisser à penser qu'il existe,
du point de vue du discours
religieux, une confusion entre usure et règles du
crédit rural, confusion parfois entretenue par des imams pratiquant
eux-mêmes l'usure » (monographie CRG)26
L'étude rapporte également les propos d'un agent
de la microfinance au Niger à propos de l'influence des chefs religieux
à propos de la conduite à tenir face au phénomène
de la micrifinance. « Généralement, au Niger, pour de
nombreux praticiens de l'islam, leur perception de la question est celle qu'a
le chef religieux et cela en rapport avec le degré de charisme dont
jouit ce chef au sein de la population. Ainsi, dans le cadre du réseau
Crédit Rural du Niger, il n'est pas rare de voir certains chefs
religieux coopératifs au démarrage dans leur localité
d'une activité de microfinance. Leur sentiment de pouvoir
contrôler le système, conforte leur engagement dans la
mobilisation de la population. C'est le cas enregistré en 1997 dans un
village de l'implantation de Bonkoukou, actuel Filingué, où il a
fallut le démarrage des premières opérations d'octroi,
pour que le chef spirituel qui assume aussi les fonctions de chef du village,
se rend à l'évidence de l'incontournable gestion collective du
dispositif et qu'en tant que chef, la priorité ne lui sera pas
accordée dans l'accès au crédit. Ce qui a amené ce
chef, qui s'est auparavant mobilisé pour suivre toutes les étapes
de l'animation sur le crédit à se désengager du processus
en entrainant avec lui, l'ensemble de la population. Dans de pareils cas, il y
a lieu de bien discerner ce qui relève d'une position religieuse
collective de ce qui relève plutôt de l'illustration degré
de respect vis-à-vis d'un chef, que personne n'ose outrager au point
d'accepter ce que lui à rejeter, pour des raisons apparemment plus
personnelles, que véritablement religieuses. Dans une autre banque
villageoise de Filingué, une tentative a été faite en
1999, par certains islamistes, mais sans effet, afin de dissuader des
emprunteurs à quitter le système qu'ils qualifient de
péché du fait qu'il faut verser des intérêts sur les
crédits. Cette banque fait
26 Condé K.et Kéita K., 1999 : Etude
socio-anthropologique sur le fonctionnement interne du crédit rural de
Guinée, CRG, p 67
partie de celles jugées aujourd'hui de
performantes. Dans un village proche de Niamey, Kokari, un autre réseau
de micro finance s'est vu son contrat de location de bureau abritant son
réseau, résilié par le propriétaire du local du
seul fait que Kokari prélève des intérêts sur les
crédits qu'il accorde. Les arguments développés par
l'opérateur, autour de la nécessité de couvrir avec des
intérêts les charges liées à cette
intermédiation financière, n'ont pas convaincu le
propriétaire de la maison, qui a préféré
retiré le local pour le louer à un huissier. A l'opposé,
une autre banque villageoise, banque exclusivement féminine, jouit de
l'appui total de l'épouse d'un des plus grands chefs religieux de la
sous-région. Le local abritant la banque villageoise est même
construit dans la cour du chef religieux. Grace à l'appui du couple, la
banque fonctionne toujours sans retard et l'épouse du « cheikh
»marque toujours son intérêt pour une
prospérité de la banque. Les membres du comité de gestion
de cette banque, malgré la foi islamique notoire qui les nourrit, font
très bien la relation entre le niveau de leur indemnisation et le
produit généré par l'activité de la banque.
»27
L'étude a enfin proposé une série de
propositions de solutions afin de surmonter ce « carcan religieux »
vis-à-vis de la microfinance. Ainsi, une collaboration harmonieuse entre
pratiques islamiques et activités de la microfinance peut être
possible si les réseaux de microfinance proposent des produits
adaptés (plan épargne-crédits pèlerinage par
exemple), ou quand les excédents de gestion des caisses locales peuvent
être réinvestis dans des investissements communautaires comme
l'entretien de la mosquée (crédit rural de Guinée ou du
Niger par exemple). « Lors des réunions périodiques
d'affectation de l'excédent d'exploitation des banques villageoises du
Crédit Rural du Niger, les adhérents accordent
généralement la priorité à des investissements de
type réfection et équipement de la mosquée du village
»28.
27 Harouna M., cité par IRAM Coll. in Islam
et microfinance en Afrique Subsaharienne : Eléments pour une
étude comparée, IRAM, Paris, Janvier 2001. P.4
28 Harouna M., id.
Ces synergies peuvent, dans certains cas, être
renforcées par un dialogue plus institutionnalisé entre
institutions de microfinance ou associations professionnelles au niveau
national et ligues islamiques, comme cela semble s'esquisser dans le cas de la
Guinée notamment.
Outre les difficultés dues aux croyances religieuses,
les institutions de microfinance sont aussi confrontées aux
problèmes d'investissement. La recherche menée par le CGAP en
2004 révèle encore des différences en matière de
structures de financement entre l'Afrique et les autres
régions29. Selon cette étude, en 2003, les
investisseurs étrangers dans le domaine de microfinance ont investi 62
millions d'USD en dette, capitaux propres et garanties dans 104 institutions de
microfinance et coopératives africaines. Les IMF africaines
représentent 21% des bénéficiaires d'investissements
étragers (104 des 505 IMF mondiales) mais seulement 6% du montant total
investi en dollars par les institutions financières internationales et
les fonds d'investissement privés (62 millions d'USD sur 1.1 milliard
d'USD). A titre de comparaison, les IMF et les coopératives des
régions d'Europe de l'Est et d'Asie centrale ont reçu
respectivement 7 et 10 fois plus d'investissements étrangers que les IMF
africaines. On se rend donc compte que les IMF africaines soufrent d'un manque
d'investissement auprès des bailleurs de fonds étrangers.
La forte expansion et la prolifération d'interventions
ayant peu ou pas d'avenir, conjuguée à la faiblesse des
capacités de supervision, de prévention et de contrôle du
secteur dans un grand nombre de pays constitue un risque systémique dont
l'ampleur croît avec celle de la microfinance. Proposant des solutions
à ces différents problèmes, Pierre FORESTIER pense que
« la préoccupation principale paraît être la
maîtrise d'un accroissement substantiel des risques portés par le
secteur »30. L'auteur analyse cette maîtrise dans
quatre
29 Gautam Ivatury et Julie Abrams (CGAP),
Débouchés pour les fonds d'investissement en microfinance, KfW
Financial sector development. Symposium Microfinance Investment Funds, Berlin,
novembre 2004.
30 P.FORESTIER, Les enjeux de la microfinance :Quel
rôle pour le financement rural et agricole ? in Horizons Bancaires,
N°326, Octobre 2005, p.12
directions : la première concerne << la
nécessité d'un développement plus structuré ».
En ce sens, il est important que le financement des IMF passe de l'étape
de l'expérimentation et de la multiplication des initiatives à un
fonctionnement plus structuré et plus solide de la microfinance.
<< Une telle politique doit notamment prendre en compte la combinaison
caractéristique du secteur, conjonction d'un fonctionnement privé
et d'une implication publique particulièrement importante ». Cette
politique doit traiter du rôle des différents acteurs et,
particulièrement, de la puissance publique (au sens large). Une refonte
des conditions de ce partenariat entre le public et le privé est donc
impérative. La seconde orientation concerne <<
l'opportunité d'engager une diversification sécurisée des
services offerts et dans certains cas de la clientèle ». Au
démarrage, cette diversification dangereuse semble désormais
possible pour des institutions viables et stabilisées sur leurs
marchés. Elle est de ce fait, << naturellement »
engagée pour certaines pour mieux répondre aux besoins de leur
clientèle. Elle correspond d'abord au développement de nouveaux
services d'épargne (logement, scolarité,...) et de produits de
crédits (augmentation des montants et allongement du terme) mieux
adaptés au financement de petits investissements. C'est dans ce cas que
la microfinance pourra offrir des services aux plus démunis et donc
exclus du système financier classique. Aussi, cette diversification
pourra toucher d'autres services constitués en un réseau puissant
et rentable pour accroitre leur portée. Toutefois, cette diversification
comporte des dangers importants. Il s'agit bien entendu de la capacité
de maîtrise d'une nouvelle activité. Celle-ci doit en particulier
respecter un rythme de croissance compatible avec celui de sa
professionnalisation et de la croissance globale de l'institution. La
troisième direction pour une prospérité avenir de la
microfinance en Afrique concerne << la possibilité
d'améliorer l'impact économique et sociale de la microfinance
». Pour accroitre ce double impact, la diversification de services
recèle un potentiel considérable. Cependant, << la
question est de savoir si cette diversification constituera une
simple extension de méthodes et principes
utilisées avec succès pour la gestion de microcrédits ou
si elle constituera en une nouvelle étape de développement
méthodologique permettant d'assurer une meilleure adaptation de services
aux objets financés et non seulement aux capacités de
l'emprunteur. >>31. Cette approche devrait donner des
possibilités d'accroitre la clientèle de la microfinance en
permettant la supervision d'un nouveau service à toutes les
étapes de la conception jusqu'à son administration sur de
nouveaux marchés ou auprès d'une nouvelle clientèle. Elle
doit aussi permettre une « segmentation >> des conditions de
financements offerts(en particulier des taux de crédits) selon les
objets financés. En effet, « les conditions de taux
élevés pratiquées à juste titre dans une
première phase de construction des institutions limitent de fait
l'intérêts des services offerts et leur impact. >>. La
quatrième direction enfin, concerne « une refonte des outils et des
partenariats >>. Dans cette partie, les questions soulevées sont
de trois ordres :
- L'obtention de ressources longues de refinancement à
des coûts compatibles avec l'exploitation de l'institution et la nature
de ces produits. Cette
question ne concerne d'ailleurs pas uniquement dans les pays
où, la disponibilitéen ressources longues est souvent
onéreuse du fait de leur rareté ;
- La consolidation des ressources stables. Ce point devient
crucial à l'institution à mesure que sa taille augmente. Cela
impacte particulièrement sa structure financière et de
coûts. Or les normes de fonds propres usuellement employées dans
le secteur bancaire semblent inadaptées aux risques du secteur et
à son organisation. Elles devraient donc être significativement
relevées. Par ailleurs, les ressources stables, dans la mesure où
leur rémunération est faible, peuvent avoir un effet de levier
important sur l'accroissement de l'impact ou de la qualité des services
offerts (baisse des taux d'intérêt des crédits moyens,
croissance accélérée du secteur ou prise de risque accrue
auprès de certains clients) ;
31 P. FORESTIER, id.
- La diversification des partenaires des institutions de
microfinance, et en
particulier, l'accroissement de l'intervention des investisseurs
privés.
En définitive, l'analyse de P.FORESTIER sur les enjeux
de la microfinance confirme qu'il existe des besoins divers d'accompagnement
des institutions et d'apport de financements concessionnels. Elle confirme en
corollaire, l'intérêt de la poursuite d'une intervention de la
puissance publique et de l'aide internationale au-delà de la phase de la
création de l'institution. En revanche, elle oblige à repenser
son positionnement, ses outils (diversité des besoins en termes de
stabilité, durée et concessionalité) et ses objectifs.
Le domaine de la microfinance comme nous le constatons
à la suite de notre revue documentaire est largement exploré. De
son origine et son évolution à ses objectifs et ses
méthodes d'intervention, beaucoup d'auteurs et spécialistes ont
écrit à propos du phénomène de la microfinance.
Cependant, les résultats réels sur le terrain sont très
peu vulgarisés. C'est ce qui explique la démarcation de notre
thème pour expliquer objectivement et donc scientifiquement l'influence
des services de la microfinance sur la vie quotidienne des populations
bénéficiaires.
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