3 Le décrochage scolaire : sujet de
contrôle et d'insécurité
« Le niveau de diplôme requis pour occuper un
emploi s'est aujourd'hui élevé, et les perspectives
socioprofessionnelles des élèves qui quittent le système
scolaire sans diplôme se sont considérablement réduites.
Par ailleurs, la déscolarisation est considérée quasiment
comme un problème relevant de l'ordre, sinon de la
sécurité publique : sans encadrement, que deviennent les jeunes
hors école ? Sont-ils en risque de délinquance, exposés
à des trafics divers, errant dans la rue sans protection ? Et leurs
parents seraient-ils complices et donc punissables de l'inassiduité ou
du retrait scolaire de leurs enfants ? Ainsi la scène de la
déscolarisation se déplace de l'école vers la cité,
les jeunes absentéistes et déscolarisés faisant partie des
«classes dangereuses», appelant un contrôle
accru19.»
Carla Nagels (Criminologue) et Andrea Rea (Sociologue) ont
soulevé, dans leur ouvrage «Jeunes à
perpètes»20, un phénomène qu'on pourrait
qualifier d'inquiétant. En effet, autrefois étiquetée de
«groupe ayant du potentiel dans lequel il faut investir», la jeunesse
d'aujourd'hui, est selon les auteurs, désignée comme un
«groupe à problèmes».
Dans leur recherche et dans un premier temps, les auteurs
considèrent la jeunesse comme un groupe social dans ses rapports avec
les autres groupes sociaux et s'intéressent aux institutions dans
lesquelles la jeunesse évolue : l'école et les institutions de
protection de la jeunesse. Dans un second temps, ils démontrent
l'existence des différences de classes au sein de ce groupe social. On
trouve en grande partie dans l'ouvrage, le discours politique autour de cette
jeunesse. En outre, celui-ci tourne autour de binômes comme
intégration et exclusion, droits et devoirs ou encore prévention
et répression. À partir des années 90, « la
jeunesse n'est plus perçue comme un groupe social à part
entière. Elle devient un ensemble d'individus qui sont porteurs de
droits et devoirs. Mais surtout, les jeunes sont sujets à risques
(risque de non-intégration, de décrochage scolaire, de
chômage, de délinquance) et font donc l'objet de politiques
publiques de plus en plus ciblées21i « Le travail social
s'inscrit aujourd'hui dans un cadre balisé par des politiques qui
s'inspirent des diverses logiques dont le point de convergence est de
déplacer la précarité sous surveillance, en faisant
remplir aux intervenants sociaux un rôle de contrôle de moins en
moins déguisés, et en multipliant les
19Esterle, M. (septembre 2004). La
déscolarisation, une nouvelle forme de déviance juvénile
? Questions Pénales, Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit
et les Institutions Pénales, CNRS, bulletin d'information, XVII.4.
20Nagels, C. & Rea, A. (2007). Jeunes à
perpète. Génération à problèmes ou
problème de génération ? Bruxelles : Ed.
Académia Bruyland.
21Nagels, C. (2003). Op cit., p. 6.
confusions de genres - entre approches répressive
et préventive22.» Ces politiques publiques en
matière de jeunesse reposent sur l'égalité des chances
(décret 91) qui prend en considération la problématique du
bénéficiaire de manière personnalisée.
L'idée est de donner une chance aux enfants socialement moins
avantagés et moins bien dotés afin qu'ils
bénéficient des mêmes opportunités que les enfants
avantagés et cela justifie qu'on leur consacre davantage de moyens.
« L'image de la jeunesse délinquante et violente, qu'il faut
responsabiliser davantage, cohabite ainsi avec l'image d'une jeunesse
victimisée, qu'il s'agit de protéger23.»
Ainsi, le décret de 1991 relatif à l'Aide à la jeunesse
constitue une extension du contrôle social vers un glissement de la
notion de mineurs dangereux à celle de mineurs en danger. On constate
également que la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de
la jeunesse développe des mesures protectionnelles à
l'égard du mineur délinquant plutôt que des mesures
répressives. La loi se traduit par la prise en charge des mineurs ayant
commis un fait qualifié infraction et, d'autre part, la
réparation du dommage causé par ce fait.
Aussi, Carla Nagels & Andrea Rea (2007) abordent
l'émergence d'un nouveau contrat socialsécuritaire où
notre société reste empreinte de l'État Social
orienté vers le sécuritaire. Le thème fait partie du
programme politique et permet une visibilité maximale. Les auteurs
décrivent que les politiques publiques liées à ces
matières sont critiquées et se résument, dans les faits,
à «des fabriques de l'immobilité». « En 1993,
le ministère de l'Intérieur, en collaboration avec les
régions Wallonne et Bruxelloise, a superposé à ce
réseau existant un système de «prévention»
sociale de la délinquance dont la gestion et le contrôle sont
dévolus aux autorités politiques locales (les communes
liées par contrat/financement à ces deux instances). Les communes
développent donc sur leur territoire des actions dites sociales
impliquant dans leur volonté de centralisation, une unicité de
points de vue et de logique au sein de chaque entité. Ce
phénomène entraîne, à l'échelle locale, un
véritable déficit de pluralisme. Les grandes finalités
avancées pour les Contrats de Sécurité sont de garantir la
sécurité des citoyens (par rapport à des groupes
désignés potentiellement dangereux) et de rétablir la
confiance de la population (la masse des électeurs) dans les
autorités. Même si les travailleurs de terrain aménagent
ces finalités en fonction de leurs intentions éducatives, ils
sont cependant tenus de se cantonner dans les limites autorisées par
l'employeur communal omnipotent. Tant en fonction de leurs finalités que
de leur rattachement structurel, les CS apparaissent plus comme un facteur de
contrôle et de normativité sociale que de
22Agence Alter (mai 2004). Lutte contre le
sentiment d'insécurité à la lutte du sentiment
d'impunité (p. 19). Alter Echos, Alter Educ.
23Ibid.
démocratisation de la société et
d'épanouissement de l'individu24i En effet, les
dispositifs des CS s'inscrivent dans une logique contractuelle et de
financement par projet à durée déterminée. Les
opérateurs doivent répondre aux exigences du Service Public
Fédéral de l'Intérieur en fonction du plan
stratégique qui définit une dizaine de phénomènes.
Les travailleurs sociaux doivent pour ce faire construire de manière
empirique leurs actions tout en respectant le « réseau » de
partenaires sociaux. Les projets et leurs actions peuvent changer du jour au
lendemain et ce, en fonction des desideratas du sommet stratégique.
Chaque changement nécessite une période d'adaptation, de
restructuration. Ce dernier modifie ainsi, les objectifs et les
priorités demandées au travail social25. Si on
additionne à ce constat un turnover important du personnel (contrats
précaires : plan Rosetta, contractuelle..), alors, que doit-on penser de
l'efficacité sur le terrain d'un point de vue préventif ? Quelle
crédibilité le dispositif du Contrat de Sécurité
a-t-il aux yeux des partenaires sociaux et des bénéficiaires ?
Tant d'efforts et d'investissements financiers et personnels pour, in
fine, se réorienter en fonction des intérêts à
la fois du ministère de l'Intérieur et du gestionnaire local (le
bourgmestre de la ville). H.O. Hubert (1999)26, soulève que :
« sans doute l'enjeu actuel est-il d'imaginer des formes d'action
publique proches du citoyen et adaptées aux réalités
locales, mais pas au détriment d'une stabilité offerte et
garantie aux travailleurs sociaux. Soutenir les précaires lorsque
soi-même, on se heurte à la fois à la
précarité du public, à sa propre précarité,
ainsi qu'une précarité institutionnelle, cela ne ressemble-t-il
plus à de l'acrobatie sans filet qu'à du travail social ? »
De plus, Y. Cartuyvels (1994) relève l'inquiétude des
travailleurs de l'Aide à la jeunesse relative à
l'émergence d'une autre politique de la jeunesse concernée par
les Contrats de Sécurité dont la philosophie est axée sur
le court terme et le spectaculaire, la technique et le « management
», l'intégration du social-judiciaire-policier. Selon l'auteur,
« la mutation actuelle de l'État social se traduit par une
redistribution horizontale des compétences de l'État social vers
une politique axée sur le partenariat local entre acteurs privés
et publics27.» Dans ce
contexte, il faut être attentif à ne pas tomber dans des discours
pro- sécuritaires en stigmatisant les jeunes en décrochage
scolaire comme des délinquants et, de ce fait, les désigner comme
dangereux.
241res Assises de l'Aide à la jeunesse. Vous avez
dit : « Aider la jeunesse » : Propositions perspectives (p. 92).
Communauté française de Belgique, ministère de la Culture
et des Affaires sociales de la C.F Direction d'administration de l'Aide
à la jeunesse. Bruxelles.
25Hubert, H.-O. (1999). L'Etat face à
l'insécurité : Dérives politiques des années 90
(p. 170). Bruxelles : Labor. 26Ibid.
27Cartuyvels, Y. (1994). Convention portant sur la
réalisation d'un projet pilote : Evaluation d'un contrat de
sécurité dans une commune type ( Scharbeeck) avec examen sur
l'impact sur le secteur de l'Aide à la jeunesse, Rapport
d'activité, Facultés Universitaires Saint-Louis, p. 8.
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