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Le décrochage scolaire: du contrôle social aux logiques de solidarité entre les différents intervenants

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par Antonio Rizzo
Université catholique de Louvain - Master en sciences de l'éducation 2010
  

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Première partie : Construction de l'objet de recherche

Chapitre 1 : Le décrochage scolaire ou la fabrication d'un nouveau problème social ?

1 Introduction

C'est au niveau macro social que notre analyse se situe dans notre premier chapitre. Nous tenterons, à partir de plusieurs questions, de construire notre vision sociopolitique de la «fabrication» d'un nouveau problème public : le décrochage scolaire. Cela implique les questions suivantes : (1) par quel référentiel politique les travailleurs sociaux sont-ils déterminés ? (2) Comment le décrochage scolaire s'est-il construit ? (3) Aujourd'hui, comment est considéré le décrochage scolaire ? (4) Quelles critiques et conclusions en tirer ? L'objectif de ce chapitre est de permettre au lecteur d'avoir une vision macro-sociale relative à la problématique du décrochage scolaire.

2 Le décrochage scolaire : sujet politique, économique et social

« La notion d'État social actif sous-tend les réorientations récentes de la politique sociale belge et européenne. Elle est fille de la crise de l'État providence et du défi de la globalisation financière2i Depuis quelques années, le concept de l'État providence fait place à celui de l'État social actif. Le social d'aujourd'hui consisterait à amener le citoyen « passif - allocataire » (celui qui profite du système social) vers un statut de citoyen « actif » Selon Abraham Franssen (2002), les ressources des financements traditionnels de la sécurité sociale sont alimentées par les cotisations des actifs et ne cessent de se réduire. L'augmentation du « taux » de dépendance entre actifs et inactifs est due pour moitié au chômage et l'autre à la pension. En effet, nous sommes passés en 1970 de deux actifs pour un allocataire à un actif pour un allocataire en 2000, et cela, à cause du chômage et du vieillissement de la population. À l'époque de l'État providence et des « trente glorieuses », la

2Cassiers, I. (novembre 2005). De l'Etat Providence à l'Etat social actif : Quelles mutations sous jacentes ? (p. 1) Regards économiques, IRES, n°36.

légitimité de ce référentiel était « basée sur la réalisation tangible pour ses citoyens d'une forme de lien social reposant sur des garanties de conditions de vie économiques et sociales décentes, dont l'efficacité était à mesurer en termes de degré de réalisation de ces conditions3.» L'absence de chômage ainsi que les gains de productivité sont des éléments qui ont favorisé la paix sociale. En outre, c'est dans ce contexte que l'État providence fut apprécié à la quasi-unanimité. Par la suite, tous les projets opérants commencèrent à s'épuiser et on en est arrivé à se demander ce qu'on allait faire de l'intervention publique. Les politiques économiques et sociales de l'Occident ont connu des limites. En effet, la crise (choc pétrolier) des années 70 s'installait partout en Europe et générait un chômage de masse auquel l'État était dans l'incapacité de répondre. Ce bouleversement socio-économique remit en question la légitimité de l'État providence. On peut dire que la crise se situait à trois niveaux : (1) le financement, (2) l'efficacité et (3) la légitimité de l'action publique où on retrouve « l'impuissance de l'État social traditionnel à assurer aux allocataires sociaux une réelle protection. Les modes classiques d'intervention de l'État social, intervenant ex post et par une compensation financière, se révèlent insuffisants - voire producteurs d'effets pervers - pour faire face à " l'apparition structurelle de nouveaux facteurs de risques" que constitue principalement le faible niveau de qualification des personnes4Par conséquent, la proposition de l'État social traditionnel se limite à une allocation sans proposer une réelle alternative. C'est dans ce contexte que l'État social actif va asseoir sa légitimité. Ainsi, en 1999, le Ministre Vandenbroucke partait d'un constat « d'asphyxie » des états sociaux et proposait de stopper la poursuite d'un « État providence appelé à mourir5.» Par ailleurs, celuici souligne que : « l'État social actif est proactif, il investit dans les personnes, il travaille sur mesure et il donne davantage de responsabilités à tous les acteurs. Par conséquent, l'État social actif est un État de personnes actives qui se fixe pour objectif la participation active de tous et la protection sociale6Au Conseil Européen de Lisbonne (2000), « la mise en place d'un État social actif et dynamique » est présentée comme « une transformation nécessaire pour devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde7.» Compte tenu de la persistance du chômage et du vieillissement de la population, la

3Hubert, H.O. & Schaut, C. (1999). L'Etat face à l'insécurité : Dérives politiques des années 90 (p. 155). Bruxelles : Labor.

4Franssen, A. (mars 2002). Thèse de doctorat, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve. La fabrique du sujet : Transformations normatives, crises identitaires et attentes de reconnaissance (p. 15).

5Extraits des actes du colloque, « Deuxième congrès international des formateurs en travail social et des professionnels de l'intervention sociale, Namur, Belgique, 03 au 7 juillet 2007.

6Franssen, A. (mars 2002). Thèse de doctorat, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve. La fabrique du sujet : Transformations normatives, crises identitaires et attentes de reconnaissance (p. 1).

7Cassiers, I. (novembre 2005). De l'Etat Providence à l'Etat social actif : Quelles mutations sous jacentes ? (p. 1)

promotion de l'emploi doit devenir l'objectif principal de la politique sociale. La conversion de l'État providence résiderait dans des mesures permettant d'atteindre l'objectif d'un taux d'emploi de 70% de la population en âge de travailler à l'horizon de 2010. La stratégie européenne pour l'emploi prône trois priorités d'action: attirer et retenir davantage de personnes sur le marché de l'emploi; améliorer la capacité d'adaptation des travailleurs et des entreprises; accroître l'investissement dans le capital humain sous la forme d'une éducation et de compétences améliorées. « Chômeurs, délinquants, élèves en décrochage scolaire et autres font désormais l'objet de processus d'insertion dont l'apparente diversité présente cependant des traits communs: un projet individualisé concrétisé dans un contrat dont l'objectif est l'autonomisation des personnes8

Janosz et Le Blanc (1996) soulignent que « le décrochage scolaire, phénomène devenu aujourd'hui un problème social, inquiète de plus en plus l'opinion publique, les parents, les éducateurs et tous ceux qui sont préoccupés par le sort de la jeunesse.» Cependant, Glasman (2000) relève que le phénomène de décrochage scolaire n'est pas nouveau (200 000 abandons par an dans les années 70). Auparavant, l'abandon des études était vécu comme moins grave car l'école n'était pas perçue comme une nécessité pour l'insertion professionnelle. Aujourd'hui, le nombre de sorties sans diplômes a diminué (80 000 par an) mais inclut des décrocheurs. Le Conseil de l'Éducation et de la Formation (2008) met en évidence, en Communauté française de Belgique, la problématique du décrochage scolaire tant sur un plan individuel que collectif : « En plus d'être souvent perçu comme un échec personnel synonyme d'incapacité à remplir les exigences sociales fondamentales, le décrochage scolaire a aussi d'énormes conséquences sur le plan économique. En effet, ce phénomène se traduit par la multiplication de jeunes sans qualification ayant un accès difficile au marché de l'emploi. Ceci entraîne non seulement des augmentations des prestations de chômage et des frais qui y sont reliés, mais aussi une incapacité pour les entreprises de recruter de la main-d'oeuvre qualifiée. En outre, les décrocheurs se retrouvent souvent avec des emplois précaires et souspayés. (...) Les pays européens ont pris conscience que ses répercussions dépassent largement le seul domaine de l'éducation. Les conséquences du décrochage scolaire sont en effet très nombreuses et elles affectent autant le jeune sur le plan individuel, que la collectivité dans son ensemble.»

Autrefois, au temps de l'État providence, le décrochage scolaire n'était pas considéré comme

Regards économiques, IRES, n°36.

8Franssen, A. (mars 2002). Thèse de doctorat, Université Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve. La fabrique du sujet : Transformations normatives, crises identitaires et attentes de reconnaissance (p. 10).

un problème public. En effet, « le décrocheur » n'était pas pointé du doigt comme aujourd'hui. Nous avons tous en mémoire un membre de notre entourage qui, pour des raisons personnelles, « décrochait » du système scolaire pour intégrer le marché du travail : « sans vouloir faire de provocation, on peut considérer l'abandon de scolarité dans ce contexte non comme un problème, mais comme une solution pour préserver une forme scolaire. Celle-ci est fondée sur la primauté d'un savoir abstrait et académique, une conception du travail scolaire comme disposition allant de soi, une représentation élitiste de l'épreuve scolaire, impliquant une élimination progressive de ceux qui ne font pas partie de l'élite9

Dans ce contexte, l'épreuve scolaire implique, d'une part, une « élimination » progressive de ceux qui ne font pas partie de l'élite et de l'autre, une intégration, dans le marché du travail le plus dévalorisé, des non diplômés, considérés comme une main-d'oeuvre peu qualifiée ; ceci tout en permettant au monde scolaire de reproduire son fonctionnement. Dans la même période, de nombreux étudiants quittent le système éducatif sans qualification. Le système ségrégatif et sélectif de l'école en est la cause. « Ainsi, il est évident que dans une société où les résultats scolaires pèsent lourds sur l'avenir, le droit à l'instruction et à la réussite de tous soient des revendications politiques majeures et légitimes. Cependant, le mythe de l'égalité des chances allait se heurter violemment à la division sociale du travail de notre société pour commencer à produire l'inégalité : le système scolaire institue des filières de relégation, trie à l'inscription, sélectionne dans la constitution des groupes classes, oriente et désoriente, exclut et marginalise10L'élimination de près de la moitié d'une classe d'âge du cursus scolaire sans diplôme n'est pas un problème public. S'il en est un, c'est en termes d'inégalité et d'injustice pour les enfants issus des classes populaires. « La sociologie critique dénonce au cours des années 1970 la reproduction par l'école des inégalités sociales préexistantes, mais plus encore le fait qu'elle légitime les inégalités en traitant de manière égale des enfants a priori inégaux11.» De plus, « la scolarité obligatoire a été prolongée jusque 18 ans (loi du 29 juin 1983) dans un contexte de crise économique où la scolarisation apparaissait comme une solution face au chômage des jeunes et aux besoins technologiques de l'économie mondialisée.» « Parallèlement, la formule de la formation en alternance combinant formation scolaire et en entreprise se développe et s'institutionnalise au cours des années 199012Aujourd'hui, notre société a évolué et, au vu des statistiques concernant le

9Bernard, J.Y. (2007). La construction du décrochage scolaire comme problème public (p. 3). Colloque international, Atelier 2/ politiques publiques, institutions, acteurs, Nantes-13, 14 et 15 juin.

10L'observatoire, (2000). Numéro 28, p.13.

11Draelants, H. & Dupriez, V. & Maroy, C. (2003). Le système scolaire (p. 48). Dossiers du CRISP 59. 12Op. cit., p. 28.

taux de chômage, l'actuel constat est clair : la grande majorité des non diplômés du secondaire et des diplômés du professionnel éprouve de grandes difficultés à trouver un emploi. Ainsi, « la tendance à l'allongement de la scolarité, qui s'est manifestée bien avant que la loi ait rendu l'enseignement obligatoire jusqu'à 18 ans, a eu pour effet de gonfler les effectifs de l'école secondaire. La forme d'enseignement qui a le plus profité de cette évolution est le professionnel qui, de 1976 à 1986, a vu sa popularité croître de 44 %. On doit malheureusement constater que la proportion des diplômés du professionnel n'a fait que croître dans les statistiques du chômage. En d'autres termes, les groupes socialement les plus fragiles qui ont supporté un investissement culturel et scolaire important n'ont pas gagné pour autant l'accès à l'emploi. Les pertes massives de postes de travail manuel expliquent pour une large part l'affaiblissement de la position relative des détenteurs d'un titre professionnel13. » De plus, d'après un rapport de l'OCDE (2007) : « en Belgique, les jeunes qui sortent aujourd'hui de l'école sont moins nombreux dans la population d'âge actif qu'au début des années 70. Le taux de chômage des jeunes reste élevé et a eu tendance à augmenter ces dernières années. Il est passé de 15% en 2000 à 20% en 2005, la moyenne de l'OCDE étant de 13% en 2005. En outre, 12% des jeunes de 15-24 ans sont à la fois sans emploi et en dehors du système éducatif. » Une des recommandations de l'OCDE pour l'emploi est de rechercher un équilibre entre sécurité et flexibilité. Nous retrouvons dans le Pacte de solidarité entre les générations le renforcement des aides en ciblant les jeunes qui courent le plus de risque d'exclusion sociale : « la disparité marquée par les taux de chômage des jeunes diplômés et non diplômés justifie d'orienter les dispositifs publics d'aide vers des actions ciblées sur les jeunes qui cumulent des désavantages plutôt que de mettre en oeuvre des mesures « tout public» en deçà d'un âge arbitraire14. »

« Au vu de la spécificité que constituent les jeunes sans qualification, l'urgence de l'insertion sociale est souvent retenue comme une priorité, et la tendance dans les États membres est alors de privilégier les formations centrées immédiatement sur un emploi. Certaines mesures offrent aux jeunes et aux adultes sans qualification une seconde chance d'obtenir des qualifications. D'autres mettent l'accent sur la prévention dans le cadre de la scolarité afin d'éviter un maximum les décrochages scolaires avant qu'ils ne se produisent, plutôt que de développer des solutions de rattrapage15i Il existe des stratégies et des dispositifs de

13Charlier, J.E. (Octobre 1991). Deuxième congrès La Wallonie au Futur 1991 - Le Défi de l'Education.Institut Destrée - En ligne http://www.institut-destree.eu.Coordonnées - Statistiques, consulté en mars 2008.

14Des emplois pour les jeunes -Belgique, février 2007, résumé et principales recommandations, p. 7.

15Joly, S. (2005). Dossier documentaire: Ruptures chez les jeunes (p. 14). En ligne http://poleressources95.org, consulté en janvier 2009.

remédiation face à la déscolarisation et à l'absence de qualification des jeunes qui ne répondent pas aux normes de l'État (réussir et rentrer dans un dispositif d'insertion) : « la Communauté française de Belgique et les Royaume-Uni insistent également dans leurs réponses sur la prépondérance des structures de prévention dans l'enseignement obligatoire. Dans le primaire, il s'agit surtout de prévenir, de soutenir les élèves en difficulté, d'améliorer le lien entre l'école et la famille et d'aménager la transition primaire-secondaire. Dans le secondaire, il s'agit d'orienter les élèves en difficulté vers des filières de prise en charge spécifique. Des filières dont le contenu est distinct des filières `'normales» et dont la polarité formation professionnelle est forte ou encore des filières dans lesquelles la pédagogie est différente16. » Si nous nous référons aux dispositifs de remédiation dans l'Union européenne : « les résultats de l'étude « Poursuivre sa formation» financée par le programme européen Socrates en 2001-2003, font apparaître que ce qui est majoritairement proposé aux élèves en situation de décrochage scolaire est un parcours d'insertion théorique et linéaire (décrit cidessous dans le schéma)17i Dans les faits, ce parcours n'est pas nécessairement mis en oeuvre :

Reconstruire la volonté

d'apprendre

Retourner dans le système scolaire

Obtenir des diplômes légaux

Mettre à niveau les connaissances

Acquérir une formation socio - professionnelle

Accéder au monde du travail

Insertion socio-éducative

 

Insertion socio-professionnelle

Parcours d'insertion

 
 
 
 
 
 
 

Par l'insertion des jeunes dans le marché de l'emploi, la réussite scolaire est devenue un enjeu social important et, par conséquent, le décrochage non seulement une préoccupation pédagogique mais également un enjeu politique : « les libéraux progressistes voyaient dans l'obligation scolaire un instrument d'émancipation économique, sociale et politique pour les classes populaires, ainsi qu'un moyen d'intégrer ces travailleurs dans la société18i

16Joly, S. (2005). Dossier documentaire: Ruptures chez les jeunes (p. 15). En ligne http://poleressources95.org, consulté en janvier 2009.

17Op. cit., p. 15.

18Draelants, H. & Dupriez, V. & Maroy, C. (2003). Le système scolaire (p. 27). Dossiers du CRISP 59.

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984