1-2) La critique de l'approche dichotomique ou
l'approche intégrationniste de Keynes
La théorie quantitative de la monnaie (TQM) va faire
face à de vives critiques liées entre autres à
l'indétermination supposée ou réelle du pouvoir d'achat de
la monnaie.
Ainsi la banking school remarquait que si les droits
sur la production exprimés dans les effets de commerce sont de «
vrais droits », leur escompte par les banques ne peut être excessive
puisque la monnaie ainsi créée finance des marchandises produites
ou en cours de production. La monnaie bancaire est alors automatiquement
proportionnée à la valeur de la production. Mais on constate que
la monnaie émise peut correspondre à de « faux droits
», des droits inflationnistes : ainsi, la monnaie bancaire sans
contrôle central peut être à la source de véritables
cycles économiques avec des phases inflationnistes et
déflationnistes.
L'école suédoise va chercher à rendre
compte de ce phénomène : Knut Wicksell (Interest and
prices, 1898) souligne que dans un régime monétaire de
pure économie de crédit (monnaie exclusivement scripturale
reposant sur l'endettement bancaire préalable), taux
d'intérêt monétaire et taux d'intérêt naturel
peuvent facilement diverger en inflation et déflation successives
initiant ainsi une théorie monétaire des cycles comme l'a reprise
Myrdal dans son analyse des déséquilibres monétaires. La
monnaie devient endogène et a un effet réel. Cantillon dès
1755 soulignait qu'un accroissement de la masse monétaire (pouvant
provenir d'une accélération de la vitesse de circulation ou d'une
balance commerciale bénéficiaire) peut avoir un effet sur les
prix relatifs et induire en conséquence une modification du montant et
de la structure de production. Cet « effet Cantillon » est la base
même de l'analyse contemporaine de Hayeck : l'émission
monétaire excessive en rendant le crédit plus facile peut
allonger le processus de production ; les investissements se
développent, aboutissent à un déséquilibre entre le
marché des biens de production et celui des biens de consommation, ce
qui sera source de crise. On voit que le libéralisme autrichien tranche
avec le quantitativisme standard en soulignant que la monnaie a une influence
non seulement à court terme mais aussi
à long terme ; la monnaie est active mais elle est
nocive. La conception d'une monnaie totalement endogène ne peut pas se
développer complètement autant chez Wicksell que chez Hayeck car
elle a du mal à s'accorder avec un équilibre indépendant
de marché. Il faudra abandonner l'hypothèse d'une information
optimale fournie par le système des prix pour que puisse se concevoir
une monnaie endogène et active.
La théorie keynésienne est le pas décisif
vers l'analyse intégrée. En effet, il revient à Keynes
d'avoir mis en évidence que les économies modernes sont
marquées par l'incertitude dans leur principe même de
fonctionnement. Ainsi, si on peut supposer la fonction de consommation stable
et prévisible, il n'en va pas de même de la fonction
d'investissement : les décisions d'investissement sont prises sur la
base d'anticipation de ce que seront les ventes futures ; or ces anticipations
ne sont pas fondamentalement probabilisables. Il y a donc instabilité au
coeur du système expliquant la généralité des
déséquilibres et le caractère et le caractère
exceptionnel de l'équilibre. Les décisions de produire des
entreprises y sont séparées de leurs marchés : il y a donc
indétermination fondamentale sur l'avenir qui entraîne une norme
d'incomplétude et d'asymétrie de l'information qui permet de
renouveler le débat sur la monnaie. Cela s'exprime dans deux aspects
majeurs. D'une part le système bancaire joue un rôle
irremplaçable en initiant le circuit puisqu'il y a séparation des
projets de production et vente des produits. L'investissement produisant
l'épargne et non l'inverse ; nous sommes donc bien dans la lignée
du banking principle et cela nous mène à
l'économie d'endettement et au diviseur de crédit de
l'école moderne de la banque. C'est en ce sens qu'on peut parler d'une
économie monétaire de production. D'autre part, la
préférence pour la liquidité se fonde sur la
nécessité de se prémunir contre l'incertitude
intrinsèque au système, contre l'incomplétude de nos
informations. Pour Keynes, nous désirons de la monnaie pour trois
raisons : motif de transaction « i.e. le besoin de monnaie pour la
réalisation courante des échanges personnels et professionnels
». D'où une distinction entre motif de revenu (ménages) et
motif d'entreprise (firmes) ; motif de précaution « i.e. le
désir de sécurité en ce qui concerne l'équivalent
futur en argent d'une certaine proportion de ses ressources totales » ;
motif de spéculation « i.e. le désir de profiter d'une
connaissance meilleure que celle du marché de ce que réserve
l'avenir ».
La demande de monnaie L1 (L pour
Liquidity) pour motif de précaution ou de transaction
dépend du revenu Y :
L1 = uY avec u > 0
La demande de monnaie pour motif de spéculation
L2 « dépend principalement de la relation entre le taux
d'intérêt courant et l'état de la prévision »,
elle s'écrit :
L2 = vi + L0 avec v < 0 pour deux raisons
: plus le taux d'intérêt est faible et moins nous avons
intérêt à placer l'argent ; plus le taux
d'intérêt baisse « plus la probabilité que son
mouvement se retourne à la hausse augmente, ce qui incite à
détenir son épargne sous forme d'encaisses monétaires
plutôt que de prendre le risque croissant d'essuyer des moins-values sur
les obligations, dont les cours sont en train d'atteindre les sommets...
»
Pour Keynes l'offre de monnaie Mo est exogène et
dépend de la politique monétaire menée. L'équilibre
sur ce marché s'écrit :
Mo = L1(Y) +
L2(i)
En introduisant une incertitude radicale, Keynes permet de
refonder la monnaie sur sa dimension proprement fiduciaire. Devant
l'impossibilité des marchés à assurer une transmission
inter temporelle sûre, la monnaie va se substituer à d'impossibles
relations contractuelles. A la place d'un contrat, transparent et
instantané, entre agents rationnels, la monnaie fournie une relation
abstraite fondée sur des anticipations. On reconnaît une lecture
de Keynes qui privilégie la formation des conventions entre les agents
pour rendre possible activité et échanges économiques en
régimes d'incertitude. Ce résultat a deux séries de
conséquences majeures : premièrement, il fonde la
possibilité de la politique économique en faisant de l'injection
monétaire dans l'économie. Deuxièmement, l'analyse
keynésienne nous permet non seulement de « déneutraliser
» la monnaie, mais aussi de l'endogenéiser.
Pour Keynes, la monnaie est donc active, elle doit
répondre aux besoins de l'économie réelle. Quand la
demande d'investissement est élevée, et que l'épargne est
insuffisante, la monnaie doit prendre le relais ; elle constitue une avance sur
la production qui sera récupérée ex-post. En guise de
règle de politique monétaire, Keynes préconise
l'augmentation de l'offre de monnaie par la Banque Centrale, ce qui va faire
baisser les taux d'intérêt. Les agents pourront alors emprunter
plus facilement et ainsi encourager la consommation et l'investissement.
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