PREMIERE PARTIE :
MONNAIE ET CROISSANCE
ECONOMIQUE EN ZONE CEMAC
INTRODUCTION DE LA PREMIERE PARTIE
Principal instrument de la politique économique, la
politique monétaire est l'ensemble des modalités suivant
lesquelles les autorités monétaires emploient certains
instruments pour influencer les objectifs opérationnels et
intermédiaires de la politique économique à travers les
variables monétaires. La politique monétaire poursuit les
mêmes objectifs que la politique économique générale
qui sont : la stabilité des prix ; l'emploi ; l'équilibre
extérieur et la croissance économique. Cependant, si on lui
reconnaît une certaine efficacité en matière de lutte
contre l'inflation, l'existence et la nature d'un impact sur l'activité
économique et plus précisément sur la croissance
économique continuent d'alimenter les débats parmi les
économistes. Si pour certains économistes, les impulsions
monétaires sont déterminantes dans les variations de la
production, de l `emploi et des prix, pour d'autres par contre la monnaie n'a
aucun effet sur l'activité.
Cette partie, intitulée : « Monnaie et croissance
économique en zone CEMAC » se propose de revisiter le débat
sur l'existence ou non d'un effet de la monnaie sur l'activité (Chapitre
1) avant de valider ou non l'existence d'un effet de la monnaie sur
l'activité en zone CEMAC (Chapitre 2).
|
CHAPITRE I
MONNAIE ET CROISSANCE : UNE APPROCHE THEORIQUE
|
Introduction
On reconnaît d'emblée le problème de
l'influence de la monnaie sur l'activité en débat depuis
l'antiquité qui a agité et agite encore la communauté des
économistes. On peut ainsi reprendre cette célèbre
remarque de John Stuart Mills dans ses Principes de l'économie
politique (1848) « Il n'est pas dans l'économie d'une
société quelque chose de plus insignifiant que la monnaie ».
Cette idée d'une neutralité de la monnaie s'est
particulièrement affirmée dans l'économie libérale
classique voulant rompre avec la conception de monnaierichesse des
mercantilistes, elle proclame que la monnaie n'est qu'une « fiction
». L'école néo-classique à la suite de l'école
classique croit pouvoir assurer la prééminence des
mécanismes économiques naturels fondés sur le
marché. Nous retrouvons cette tradition de nos jours sous les formes
différentes de monétarismes, nuancées chez Friedman ou
radicale pour la Nouvelle Economie Classique (NEC). Mais cette position ne va
pas sans contradictions qu'une tradition parallèle depuis le
18e siècle soulignera avant qu'avec Keynes la monnaie ne soit
remise au centre d'une économie monétaire de production.
Afin de faire revivre ce vif débat, la première
section de ce chapitre présente l'opposition entre les traditions
neutralistes et l'approche intégrationniste de la monnaie, alors que la
deuxième s'attellera à ressortir le débat entre
économistes monétaristes et keynésiens.
SECTION 1 : DE l'APPROCHE DICHOTOMIQUE à
l'APPROCHE INTEGRATIONNISTE
Les controverses sur la nature de la monnaie se poursuivent
depuis des siècles. Pour les uns, la, monnaie est externe au monde de la
production. C'est une marchandise particulière dont l'offre est
exogène (approche dichotomique). Pour les autres, elle est la
contrepartie du crédit qui est indispensable à la production,
elle est donc interne (approche intégrationniste). Son offre est
endogène. L'enjeu n'est pas que de pure théorie parce que la
monnaie est un levier de l'action collective pour réguler la
macroéconomie. Afin de mieux comprendre ce débat, il convient de
revenir sur les fondements des thèses neutralistes de la monnaie avant
de voir les critiques qui leur ont souvent été
formulées.
1-1) L'analyse neutraliste ou dichotomique des
classiques et des néoclassiques
Les premiers économistes analysent l'économie en
la divisant en deux sphères distinctes, à savoir : la
sphère réelle dont l'intérêt réside dans la
détermination du volume de la production nationale et de la
quantité de transactions à financer par le stock
monétaire, d'une part, et la sphère monétaire dont
l'analyse concerne la monnaie et le niveau général des prix,
d'autre part. ainsi, la première sphère est celle de la mesure de
la croissance économique tandis que la deuxième est celle de
l'évaluation du taux de variation de la monnaie et du niveau
général des prix. A priori, les pré-classiques, les
classiques et les néoclassiques soutiennent donc une absence de lien
entre la croissance et l'offre de monnaie.
Les traditions neutralistes et quantitativistes vont
être essentiellement confrontées au délicat problème
de la demande de monnaie : pourquoi la monnaie externe est-elle acceptée
par des sujets économiques qui obéissent à la loi de la
valeur sans pour autant faire partie des marchandises qui ont une valeur, sinon
ce ne serait pas une monnaie externe.
Smith (1776) propose une réponse une solution
quantitativiste pour la monnaie métallique (même si comme toujours
chez lui certains passage peuvent induire une autre piste) ; l'or et l'argent
ne font pas partie de la richesse des nations et n'ont pas de valeur
intrinsèque. La monnaie trouve sa valeur dans la quantité des
autres biens ce qui suppose que
la vitesse de circulation de la monnaie est constante. Comme
l'or-monnaie n'a pas d'utilité directe, n'étant qu'un
intermédiaire de la circulation, l'élasticité de la
quantité d'or par rapport à son prix est égale à
l'unité, ce qui suppose ainsi qu'il n'y a pas de thésaurisation,
la monnaie n'a aucune incidence sur l'activité économique. Voici
chez Smith clairement exprimé le coeur de la théorie
quantitativiste traditionnelle déjà partiellement formulée
précédemment avec Jean Bodin au 16e siècle ou
Locke à la fin du 17e.
Ricardo va donner une forme plus achevée à ce
quantitativisme classique en développant une théorie de la
neutralité de la monnaie dans le régime du papier monnaie
inconvertible : l'institut d'émission peut imposer à
l'économie l'offre de monnaie qu'il décide d'émettre mais
il ne peut pas en contrôler la valeur c'est à dire le pouvoir
d'achat sur les marchandises. Ce pouvoir d'achat vient de la demande de monnaie
pour la circulation qui n'est pas construite comme celle des autres biens mais
qui ne peut être définie qu'une fois connu le système des
prix relatifs d'équilibre de tous les autres biens. Par
conséquent la monnaie est neutre parce que sa demande n'est pas
construite comme celle des autres biens.
On peut qualifier ce quantitativisme ancien de «
neutralité triviale » (Aglietta, 2003), car le marché de la
monnaie est juxtaposé aux autres marchés sans effet sur eux.
Irvin Fisher (1911) va formuler une équation qui
exprime à merveille cette neutralité triviale :
M.V=P.T
Dans cette équation Fisher établit une relation
causale de la quantité de monnaie en circulation (M) et le niveau
général des prix (P), la vitesse de circulation de la monnaie (V)
étant supposée constante ; où (T) est le volume de
transactions.
Fisher écrit plaisamment : « Un volume
supérieur de monnaie achetant le même volume de marchandises, il
faut que les prix montent. C'est exactement comme du beurre qu'on étale
sur du pain : si on met plus de beurre, il faut que la couche soit plus
épaisse ». Mais un problème se pose quant à la
formation de l'équilibre sur le marché de la monnaie : comment va
-t-elle retrouver son équilibre sous régime
d'inconvertibilité puisqu'il n'ya plus la force de la monnaie
métallique ? Le pouvoir d'achat de la monnaie reste
indéterminé si on quitte le monde de l'indexation sur l'or
défendu par Ricardo et la Currency school pour le monde
réel qui s'impose dès le 19e siècle d'une
monnaie scripturale induite par le développement économique.
La théorie quantitative de la monnaie affirme donc que
la monnaie n'a pas d'effet sur l'activité économique, il existe
une séparation stricte ou dichotomie entre sphère
réelle
(consommation, investissement, emploi, production) et
sphère monétaire et l'inflation est un phénomène
monétaire. Le fonctionnement distinct de la sphère
monétaire et de la sphère réelle fait perdre tout
intérêt à une politique voulant jouer sur la masse
monétaire pour favoriser la production et l'emploi. La seule
conséquence constatée serait une augmentation
générale des prix. La politique monétaire est donc
incapable d'influencer l'activité économique.
|