SECTION 2 LE DEBAT AUTOUR DU TANDEM STABILITE DES PRIX
CROISSANCE
L'influence de l'inflation sur la croissance
économique est appréhendée dans le cadre d'analyses
empiriques se référant aux modèles de croissance à
moyen et long terme. Afin de préciser les résultats quant aux
divers aspects de la relation entre l'inflation et la croissance
économique, diverses méthodes ont été
employées à l'intérieur d'un groupe de modèles.
Cette section se propose de mener une brève revue de l'ensemble des
modèles et outils mathématiques qui ont déjà
été utilisés jusqu'à ce jour pour analyser les
divers aspects de la relation qui lie l'inflation et la croissance
économique.
2-1) les analyses faisant intervenir les
modèles de croissance exogène et endogène
i) Analyses par le modèle de croissance
exogène
Les modèles de croissance exogène seront les
premiers à être employés pour analyser la relation entre
inflation et croissance économique. Le résultat est qu'un
accroissement de la monnaie ou de l'inflation entraîne un accroissement
de l'investissement, du capital et du produit (Tobin, 1965). Une extension de
ces modèles est l'ensemble des modèles néoclassiques de
type Cass-Koopman26.
26 Ce sont des modèles où le taux
d'épargne est endogenéisé par le biais de la maximisation
de l'utilité.
Il sera reproché à ces modèles que le
taux de croissance ne peut être affecté par le taux d'inflation
puisqu'il est exogène. C'est alors que les modèles de croissance
endogène vont être utilisés.
ii) Analyses par le modèle de croissance
endogène
Les modèles de croissance endogène
revêtent plusieurs formes. Il y aura par exemple les modèles
à capital unique, c'est-à-dire des modèles ne contenant
que le capital humain27 ou ne contenant que le capital
physique28.
D'autres modèles prennent en compte tout type de
capital, c'est le cas du modèle utilisé par Gomme (1993), Jones
et Manuelli (1995), Gillman et Kejak (2002). Gillman et Kejak (2002) ont
mené une belle revue de ces différents modèles de
croissance endogène. Il en ressort que, globalement, l'effet de
l'inflation sur la croissance économique est négatif. Toutefois,
l'ampleur de cet effet négatif peut être variable du fait d'un
certain nombre de facteurs tels que la présence ou non d'un effet
Tobin29.
2-2) Les autres analyses empiriques
i) Analyses avec les modèles d'équilibre
général
Un certain nombre d'auteurs vont utiliser les modèles
d'équilibre général, basés sur l'hypothèse
d'une croissance endogène de long terme. Ils intègrent le taux
d'inflation du modèle afin de voir les effets des externalités
sur la relation ou mieux la stabilité de la relation entre l'inflation
et la croissance économique. C'est le cas de Phaneuf (1994), Ambler et
Paquet (1996), Ambler et Cardia (1997). A l'issue de leur étude, ces
derniers recommandent l'utilisation de modèles plus structurels pour
l'analyse de la relation entre l'inflation et la croissance économique,
au regard des études qui ont précédés la leur et
des résultats qu'ils ont eux-mêmes obtenus.
27 Le capital humain est l'ensemble des connaissances
et talents acquis par les travailleurs par le biais de l'éducation,
l'apprentissage et l'expérience. Voir Stokey et Junior (1989) ; Gillman,
Kejak et Valentinyi (1999) ; Gylfason et Herbertson (2001)...
28 Voir Stockman (1981) ; Ireland (1994) ; Halsag
(1998) ; Lucas (2000)...
29 L'accroissement de l'inflation entraîne un
accroissement de l'investissement, du capital et du produit.
On peut aussi évoquer les travaux de Dotsey et Ireland
(1996) qui ont consisté à présenter un modèle
d'équilibre monétaire général dans lequel
l'inflation cause des distorsions dans plusieurs décisions marginales.
Ces distorsions étant faibles prises individuellement, c'est leur
association qui entraîne un coût en termes de bien-être. Les
résultats révèlent qu'un modèle d'équilibre
partiel sous-estime le coût de l'inflation.
ii) Autres analyses
macroéconométriques
Ces analyses ont aussi pour hypothèse que le taux de
croissance est endogène. Ce sont les spécifications qui
diffèrent. On trouve ainsi les modèles de série
temporelle, les modèles en coupe transversale et les modèles de
panel. Cela est l'apanage d'auteurs tels que Barro (1995,1996), Malik et
Chowdhury (2001). Ces modèles tentent de répondre à des
interrogations diverses. Il est question de déterminer le sens de la
causalité, préciser la nature linéaire ou non de la
relation, déterminer le seuil d'inflation, rechercher la courroie de
transmission des effets de l'inflation à la croissance
économique.
Une comparaison des modèles de série temporelle
sera menée par Marcellino (2005). Il conclut que le modèle
linéaire simple, quand il est bien spécifié, est meilleur
que d'autres modèles plus sophistiqués. Globalement l'effet de
l'inflation sur la croissance économique est négatif. Toutefois,
il existe selon les résultats des études qui y ont
été menées, des pays (Afrique du Sud [Nell, 2000]) ou
groupes de pays (pays appartenant au FMI) dans lesquels la relation est
positive.
Les modèles à données de panel seront
aussi utilisés dans les travaux d'Alexander (1997), Khan et Senhadji
(2001), Gillman et al. (2002), Drukker et al. (2005) et d'autres. Il en ressort
qu'une faible inflation a un effet positif sur la croissance, tandis qu'une
inflation élevé a un effet négatif sur la croissance
économique. En ce qui concerne le sens de la causalité, les
résultats sont divers. Les trois cas de figure peuvent se
présenter. C'est ainsi que dans une étude comportant soixante-dix
pays, Mallik et Chowdhury (2001) trouvent que 40% des pays ne présentent
aucune causalité entre inflation et croissance, 20% des pays
possèdent une causalité bidirectionnelle et dans les 40% restants
on retrouve des pays dont la causalité va de la croissance à
l'inflation et des pays dont la causalité va de l'inflation à la
croissance.
iii) Analyses avec le concept du
bien-être
Un groupe d'auteurs va utiliser le concept du bien-être
afin d'analyser les effets de l'inflation. Le premier est Bailey (1956). C'est
père du « welfare triangle » qui sera repris par d'autres
auteurs. On retrouve entre autres travaux, ceux de Bullard et Russel (2004) qui
utilisent un modèle d'équilibre général dans lequel
les changements permanents dans la politique monétaire entraînent
d'importantes conséquences pour les ménages en termes de
bien-être.
De même, Apergis et al. (2005) utilisent les
données de l'Union Européenne dans le but d'évaluer les
performances de deux règles de politiques économiques
alternatives sous un régime de ciblage d'inflation, à savoir : la
règle d'anticipation ou la règle d'ajustement
spontanée.
Craig et Rocheteau (2006) utilisent la méthodologie du
« welfare triangle » de Bailey (1956) et Lucas (2000) pour estimer le
coût de l'inflation en terme de bien-être, puis ils dérivent
une fonction de demande de monnaie du modèle de Lagos et Wright (2005)
avec les données des Etats-Unis sur la période 1900-2000 ; cela
constitue une nouvelle façon de mesurer les effets de l'inflation sur le
bien-être. Dans la même période, l'on peut évoquer
les travaux de Cysne, Rubens et Penha (2006) qui utilisent une approche «
inta-ménages » des coûts de l'inflation en termes de
bien-être.
|