2.2.3.2. La formation des normes et des attitudes
Au cours d'une expérience devenue
célèbre, Sherif (1936, cité par Blanchet et Trognon, 1994)
soumet individuellement puis collectivement de sujet à l'effet
autocinétique. La tâche de ces sujets consiste à
évaluer l'ampleur perçue du déplacement d'un point
lumineux. Dans ces conditions expérimentales les sujets ne disposant pas
d'un cadre perceptif de référence (sujets naïfs), sont
contraints d'élaborer leur propre cadre de référence. Les
résultats de cette expérience peuvent être succinctement
résumés de manière suivante :
- individuellement chaque sujet élabore une norme de
référence à partir de laquelle il évalue l'ampleur
des déplacements du point lumineux ;
- collectivement et en raison des communications qu'ils
établissent et des échanges sur leurs estimations individuelles,
les sujets créent une norme de référence commune
(différente de celle élaborée individuellement) et
conservent cette norme, même en dehors de la situation de groupe ;
- la norme collective intégrée par l'individu va
constituer un facteur important de détermination ou de modification de
ses réactions ou attitudes face à une situation nouvelle. Les
travaux de Sherif (op.cit.) ont mis en évidence l'effet de l'influence
du groupe sur la formation et la modification des attitudes individuelles dans
les situations ou l'individu ne dispose pas de référence
préalable.
Sherif conduit d'autres expériences montrant notamment
la manière dont s'exerce l'influence sociale sur les individus. Il en
résulte que le degré de l'influence peut être
différent selon les sujets et que si ceux-ci prennent conscience
progressivement au cours des expériences de la formation de la norme du
groupe, ils ne sont pas toujours conscients de l'influence qui s'exerce sur eux
de la part d'autres membres du groupe. Tout cela signifie que :
- si les attitudes sont des prédispositions à
réagir à des objets, à des situations, ou à des
personnes, ces prédispositions peuvent être modifiées,
expérimentalement et sous l'influence de l'environnement ;
- la formation des attitudes tout comme celle des normes n'est
pas toujours consciente.
Notons que dans le cas d'une situation expérimentale
comme celle que nous venons de décrire, l'individu est totalement
privé de cadre de référence, alors que dans des situations
habituelles il se sert de références préétablies
pour agir, ou évaluer une situation.
Les cadres de référence sont fournis par
l'environnement immédiat ou plus lointain du sujet et plus
fondamentalement par les groupes sociaux auxquels il appartient ou aspire
à appartenir. Dans le premier cas de figure, le groupe est
qualifié de groupe d'appartenance, dans le second de groupe
référence (Tapia & Roussay, 1991).
Divers études ont montré, en effet, que le
rejet, par exemple, par des personnes économiquement ou socialement
défavorisées de leur groupe d'appartenance, les conduit à
s'identifier à d'autres groupes (socialement plus prestigieux) et
adopter des attitudes en conformité avec les normes de ces groupes. Par
ailleurs, l'adoption d'attitudes peut résulter soit d'une
référence positive, soit d'une référence
négative à des groupes sociaux. Dans le premier cas, les
attitudes auront pour finalité de rapprocher, physiquement,
idéologiquement, intellectuellement l'individu du groupe
référence et dans le second cas elles auront pour
finalité de l'en éloigner. (Tapia & Roussay, op.cit.). Il
faut enfin mentionner une autre fonction du groupe
référence, celle de permettre de porter des jugements
(positifs ou négatifs) sur soi-même ou sur son groupe
d'appartenance.
Il convient de souligner que dans le premier cas (recherche
de la reconnaissance par un groupe plus prestigieux), le groupe de
référence joue un rôle actif, c'est-à-dire que ses
membres peuvent accorder ou refuser cette reconnaissance, alors que dans le
second cas (élaboration de jugements sur son groupe ou sur
soi-même) le groupe de référence ne constitue qu'un simple
point de repère.
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