Les défis de la protection de l'eau et le droit international de l'environnement( Télécharger le fichier original )par Dossa Hyppolite DANSOU Université de Limoges - Master droit Internaional et comparé de l'environnement 2008 |
Paragraphe 2 : Au plan socio économiqueLes utilisateurs des ressources en eau ne semblent pas se soucier de l'importance de sa préservation oubliant la nécessité d'en faire faire une ressource durable. Dès lors l'on assiste à des gaspillages de tous ordres (A) avec le risque que l'eau perde progressivement sa valeur écologique pour devenir un bien purement marchand. (B) A. un contexte socio économique empreint d'utilisation abusive et de gaspillage Aujourd'hui, un tiers de l'Humanité vit dans une situation dite de stress hydrique. Paradoxalement, à l'échelle de la planète, l'eau semble ne pas manquer : environ 40 millions de mètres cubes d'eau douce s'écoulent chaque année sur les terres émergées. Une telle quantité annuelle d'eau, partagée entre les 6 milliards d'individus vivant sur Terre, devraient fournir 6 600 m3 d'eau douce à chacun. Toutefois, si ces réserves sont globalement suffisantes pour répondre à l'ensemble des besoins de la planète, elles sont malheureusement réparties de façon très inégale à la surface du globe : neuf pays (le Brésil, la Russie, les États-Unis, le Canada, la Chine, l'Indonésie, l'Inde, la Colombie et le Pérou) seulement se partagent 60 % des réserves mondiales d'eau douce) D'un pays à l'autre, les situations peuvent donc être très dissemblables. Ainsi, l'Asie, qui concentre près de 60 % de la population mondiale, ne dispose que de 30 % des ressources mondiales disponibles en eau douce. Le manque d'eau est structurel dans le vaste triangle qui s'étend de la Tunisie au Soudan et du Soudan au Pakistan, c'est-à-dire dans plus de vingt pays d'Afrique du Nord et du Proche-Orient : chaque habitant y dispose en moyenne de moins de 1 000 m3 d'eau douce par an, une situation dite de « pénurie chronique ». Le gaspillage d'eau domestique croît avec le niveau de vie des populations du fait des nombreux équipements qui apparaissent dans les foyers facilitant l'usage de l'eau. On le constate d'abord dans le temps : les Européens consomment aujourd'hui huit fois plus d'eau douce que leurs grands-parents pour leur usage quotidien. On le constate aussi d'un pays à l'autre : un habitant de Sydney par exemple consomme en moyenne plus de 1000 litres d'eau potable par jour, un Américain de 300 à 400 litres, et un Européen de 100 à 200 litres, alors que dans certains pays en développement, la consommation moyenne par habitant ne dépasse pas quelques litres par jour ! Selon le rapport d'octobre 2002 de l'Institut international de recherche sur l'alimentation (IFPRI), d'ici 2025 l'Humanité risque une pénurie d'eau et donc des problèmes dramatiques de santé et de production agricole si le gaspillage et la mauvaise gestion de cette ressource naturelle se poursuivent. Sylvie Paquerot9(*) estime que la solution à ce problème passe par la construction de petits barrages plutôt que de constructions pharaoniques et par l'utilisation de technologies plus adaptées au milieu au bénéfice des populations locales. Par ailleurs, lorsque l'on a de trop grands barrages, les problèmes d'évaporation entraînent d'importants gaspillages (en Egypte, un autre type de construction aurait permis d'économiser jusqu'à 12% des eaux du Nil !). B. Un risque d'occultation de la fonction écologique de l'eau «L'eau n'est pas un bien marchand comme les autres mais un patrimoine qu'il faut protéger, défendre et traiter comme tel.»10(*) Malheureusement les acteurs de l'eau ne semblent pas toujours prendre à coeur ce Considérant 1 de la directive-cadre sur l'eau. L'eau tend de plus en plus à devenir un thème de discussion et de négociation dans le droit commercial international Depuis dix ans, un certain glissement s'est opéré et l'eau s'est ainsi retrouvée dans les conventions, les traités commerciaux internationaux (OMC et ALENA essentiellement). L'OMC, dans ses descriptions de biens « marchandisables », n'exclut pas l'eau. Les règles de l'OMC peuvent donc potentiellement s'appliquer à l'eau. Par ailleurs, à Doha11(*), l'accord de commerce, en son article 31, stipule que la libéralisation des services d'eau doit être entamée. Conséquence : l'Europe a par exemple demandé au Canada de procéder à la libéralisation de ses services d'eau (service entièrement public dans ce pays) ! Le stade le plus avancé de libéralisation transparaît dans l'ALENA, modèle qui devrait être étendu à la Zone de libre-échange américaine (ZLEA). Mais en matière de ressources en eau, trois aspects inquiétants sont à relever12(*) : · le principe du traitement proportionnel, disposition unique en son genre, inscrite donc dans l'Alena, signifie qu'une fois commencée, l'exportation de l'eau du Canada, par exemple vers les États-Unis, toute restriction que le gouvernement canadien voudrait y apporter devrait être assortie de restrictions identiques au plan intérieur. En d'autres termes, une fois que l'exportation d'eau vers un pays partie à l'Accord entreprise, le pays bénéficiaire se trouverait en droit de réclamer, pratiquement à perpétuité, la fraction correspondante des eaux canadiennes (art. 315). Dans l'éventualité de l'extension de telles clauses à la ZLEA, le gouvernement canadien, comme ceux de tous les autres pays des Amériques, perdrait même le droit de décider de ne pas exporter son eau vers un pays qui, comme les États-Unis, la dilapide. Dans les faits, une fois entrée dans le commerce, l'eau est soustraite au principe de la "souveraineté permanente sur les ressources naturelles". Avec la ZLEA, tous les peuples des Amériques seraient tenus légalement de perpétuer un usage non soutenable des ressources en eau du continent, et d'accepter leur répartition de manière non pas équitable, mais marchande, en fonction de la loi de l'offre et de la demande. Les plus riches obtiendraient ainsi le droit de gaspiller l'eau pendant que les plus pauvres en seraient cruellement privés. La marchandisation de l'eau soulève les passions étant donné qu'on peut dire de façon basique que si l'eau devient un bien commercial, elle ira, non pas là où le besoin existe réellement, mais là où se trouve l'argent, par exemple en Californie, pour remplir les 60 000 piscines existantes. L'eau est un enjeu symbolique de lutte très important, les militants considèrent qu'en marchandisant l'eau, c'est la vie qui le sera également · l'obligation de traitement
national : en vertu du chapitre XI de l'accord de commerce, les
investisseurs, désormais dotés du statut de sujets de droit
international jusque-là réservé aux États, peuvent
poursuivre directement les gouvernements. Ainsi, lorsque l'un d'entre eux
s'estime victime d'une discrimination, il peut entamer des poursuites contre
les pouvoirs publics. C'est ce que prévoyait également l'Accord
multilatéral sur l'investissement (AMI) élaboré dans le
cadre de l'Organisation de coopération et de développement
économiques (OCDE), et abandonné en 1998. · si une entreprise "exporte" de l'eau, toutes les autres pourront le faire. Au Canada, par exemple, des provinces ont régulièrement des velléités en ce sens obligeant le gouvernement fédéral à intervenir (moratoire sur l'exportation d'eau pour éviter que l'eau ne devienne un bien commercial). La fonction marchande de l'eau prend ainsi le pas sur sa valeur écologique au point de l'éclipser. Et quand on connaît les diverses guerres qu'alimentent les questions d'approvisionnement en pétrole, il y a de quoi craindre le pire pour l'humanité si l'eau perdait toute sa valeur de bien écologique. Les enjeux actuels auxquels fait face le droit de l'eau, sont énormes ; toutefois, nos connaissances sur l'environnement et sa détérioration évoluant aussi sans cesse, les diverses mesures de gestion de l'eau tout en visant le présent, doivent être mises à l'abri des changements inhérents au droit de l'environnement. Quels sont alors les défis avenirs de la protection de l'eau ? * 9 Sylvie Paquerot, Chercheuse en droit
international, Membre du Comité promoteur Contrat mondial de l'eau
|