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Politique, pauvreté et stabilité. le Sénégal peut-il basculer dans des violences sociales

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par Vivien MANEL
Institut français de géopolitique - Université Paris 8 - Master I géopolitique 2008
  

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QUELLES MENACES PESENT SUR LA

STABILITE DU SENEGAL ?

PREMIERE PARTIE :

Avant l'alternance de mars 2000, le Sénégal a connu des élections et des grèves scolaires et universitaires qui ont déjà dégénéré en de violentes confrontations entre partis politiques opposés et entre élèves ou étudiantsparfois les deux en même temps- et forces de l'ordre. Ce fut le cas en 1988,

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en 1993 et en 1995. Pour celles de 1987 /1998 et de 1994/1995, la durée de la grève avait amené les autorités à décréter respectivement une année scolaire blanche et une année universitaire invalide dans l'enseignement public. Par ailleurs, les troubles de 1988, avaient poussé le Président Abdou Diouf, après un meeting de campagne à Thiès, où il avait essuyé des jets de pierres, à traiter la jeunesse locale de « malsaine ». La contestation qui a suivi le vote et précédé la proclamation officielle des résultats, avait donné lieu, à Dakar, à de violentes manifestations. Les émeutiers se sont attaqués à tout ce qui représentait l'Etat (bâtiment public, voitures immatriculées service officiel, centres d'état civil) et les auteurs de ce que la presse à nommé le « lundi noir » s'en sont pris aux maisons et aux militants du parti au pouvoir, le parti socialiste (PS).

Cette situation a contraint les pouvoirs publics à décréter l'Etat d'urgence le 29 février 1988 pour éviter que la violence urbaine n'atteignît un point de non retour et mît en péril la stabilité de l'Etat. De méme, en 1993 la situation était devenue plus préoccupante lorsque, quelques heures seulement après la proclamation des résultats des présidentielles le 13 mars, des manifestants avaient saccagé plusieurs résidences de dignitaires du parti socialiste. Toutefois, le pire allait être atteint lorsque le 15 mars de la même année, le Vice-président de la Cour constitutionnelle, Maître Babacar SEYE, qui avait été mis en avant après la démission du Président, était assassiné. Soupçonné d'avoir été le donneur d'ordre de ce meurtre, Abdoulaye Wade que les journalistes avaient surnommé « le Président de la rue publique » fut arrêté et conduit en prison. Ce rappel a pour objet de dire que le phénomène dont je parle ici, n'est pas nouveau. Cependant, s'il n'est pas nouveau, il a vu l'apparition de nouveaux acteurs et de nouveaux motifs de contestation.

Aussi, s'il reste admis, encore aujourd'hui, que le Sénégal, en dépit des violents épisodes ci-dessus évoqués, est, en Afrique subsaharienne, considéré comme un pays où règne la stabilité politique et démocratique, et où les particularismes ethniques et religieux ne semblent pas un frein à l'unité nationale, on doit se demander si cette assertion n'est pas devenue, à

certains égards, une véritable représentation. Car, depuis 2000, les rivalités de pouvoir qui ont vu le jour et qui se sont multipliées sont entrain « d'écorner », chaque jour un peu plus, l'image du modèle sociopolitique sénégalais en faisant planer sur le pays des menaces de déstabilisation durable de son équilibre social et politique. Je ne serai, sans doute, pas exhaustif dans l'énumération et l'analyse de ces rivalités et des risques et menaces qu'ils peuvent engendrer, mais les exemples ci-après me semblent significatifs.

A - les mouvements de protestation sociale : les pouvoirs de la rue ?

A - 1 : Les émeutes de la faim

Tableau 1 : EVOLUTION DES PRIX DE QUELQUES PRODUITS EN 2000,
2004 ET 2007

PRODUITS

PRIX (f cfa) EN 2000

PRIX(f cfa) EN 2004

PRIX (f cfa) EN 2007

Riz (1 kg)

140 (0,21 €)

-

240 (0,36 €) 310
(0,47 €) en 2008

Tomate concentrée (1 kg)

635 (0,96 €)

-

1 100 (1,67 €)

Tomate

concentrée (2,5 kg)

1 200 (1,82 €)

-

2 600 (3,96 €)

+100 %

Huile (litre)

520 (0,79 €)

-

750 (1,14 €)

Sucre en morceaux (1 kg)

450 (0,68 €)

600 (0,91 €)

650 (0,99 €)

Viande de mouton (1 kg)

1 200 (1,82 €)

-

2580 (3,93 €)

+100 %

Farine (1 kg)

175 (0,26 €)

300 (0,45 €)

350 (0,53 €)

+100 %

Bouteille de gaz (6 kg)

 

1 495 (2,27 €)

3 109 (4,73 €)

Bouteille de gaz (12 kg)

 

3 615 (5,51 €)

7 165 (10,92 €)

Sources : L'observateur du mercredi 16 mai 2007

Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), les prix moyens annuels des denrées produites et celles importées ont connu une tendance à la hausse au cours du premier semestre 2008. Les prix des céréales non transformées ont augmenté (22 %), ainsi que le riz (60%) le boeuf (22%), le lait (39,2%), les huiles (21%), les produits alimentaires non classées (12%) et

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les transports (10%). Les prix des lubrifiants et des carburants sont en hausse (15,7%). S'agissant des combustibles liquides, l'indice des prix à la consommation a connu une augmentation 16,7%, et de 6,2% (PAM, 2008) pour les combustibles solides. En 2007 déjà, l'indice des prix avait connu une hausse fulgurante, passant de 1,4 en 2006 à 7, 3. Ces différentes hausses ont eu un impact important sur les coûts du transport. Le tarif du ticket Dakar-Tambacounda, par exemple, est passé de 7 000 à 10 800 F Cfa (de 10,67 à 16,45 €).

Le brutal renchérissement du coût des produits de première nécessité, notamment du riz qui constitue l'aliment de base des Sénégalais dont le prix du sac de 50 kilogrammes est passé de 9 500 à 17 000 F Cfa (de 14 à 25 euros) à Dakar alors qu'il est vendu à 20 000 F Cfa (30 euros) dans les autres régions du pays (Tambacounda), a subitement montré la grande faiblesse du pouvoir d'achat du gorgorlou7. C'est une augmentation de plus de 50 %. Selon la FAO, après une hausse de 37 % en 2006-2007, la facture des importations des pays pauvres devraient augmenter de l'ordre de 56 %. Si on y ajoute le fait que le Sénégal est classé depuis 2000 dans la catégorie des pays les moins avancés (PMA), alors on mesure la profondeur de cette crise. Face au dénuement des pouvoir publics qui peinent à prendre des mesures qui permettraient d'atténuer, un tant soit peu, le contrecoup de la hausse des prix des denrées de première consommation, les populations s'organisent pour manifester leur mécontentement.

C'est le cas le 31 mars 2008 lorsque, malgré le refus du préfet de Dakar d'autoriser la manifestation, les populations sont venues de tous les coins de la capitale, répondant à l'appel de l'Association des consommateurs

7 - quelqu'un qui compte sur la débrouille quotidienne pour trouver les moyens de satisfaire à ses besoins dont principalement se nourrir, se vêtir

sénégalais (Ascosen). Sur les tee-shirts arborés par les manifestants on pouvait lire : « on a faim ». Des leaders de l'opposition comme Ousmane Tanor Dieng (PS), Talla Sylla (Djeuf dieul) et Ali Haïdar (écologiste) ont également profité massivement de cette tribune pour, aux côtés des

populations, exprimer l'incapacité de l'Etat ou même sa désinvolture face à cette crise. Car en parlant de cette crise, le Président Wade, après avoir violement pris à partie la FAO, l'accusant d'être à l'origine de cette situation, avait promis aux Sénégalais près de 600 000 tonnes de riz offertes par l'Inde. Or les consommateurs n'ont jamais vu venir de ce riz sur les marchés. Cette manifestation a été violemment réprimée par les forces de l'ordre. Plus d'une vingtaine de personnes, dont Momar Ndao et Jean Pierre Dieng responsable respectifs de l'Association des consommateurs du Sénégal (Ascosen) et de l'Union nationale des consommateurs du Sénégal (UNCS), ont été interpellés. Considérés comme les principaux organisateurs de la marche de protestation, ces deux responsables ont été détenus dans les locaux de la Divisions des investigations criminelles (DIC) où ils ont été interrogés jusqu'à une heure tardive de la soirée. Ils ont été ensuite convoqués à la barre du tribunal des flagrants délits de Dakar, accusés d'avoir défié les autorités en passant outre l'interdiction d'organiser un rassemblement illicite et de détruire des biens publics. Six mois de prison avec sursis ont été requis contre eux. On leur a finalement infligé, le 16 avril, une peine d'un mois de prison avec sursis.

Pourtant, une fois la manifestation dispersée, des agents de la DIC ont fait irruption dans les locaux d'une chaîne de télévision privée laquelle diffusait, pour la première fois au Sénégal, des images de la manifestation en direct, pour d'abord exiger l'arrêt de la diffusion et ensuite pour saisir toutes les cassettes et les copies de ces images. Ce qui a été fait malgré les protestations des journalistes qui arguaient de la liberté de la presse et du besoin d'informer les populations. Cette attitude des autorités laisse penser qu'elles ne voulaient pas de traces de cette marche ou encore qu'elles voulaient traiter l'information à leur façon.

Mais quelles qu'aient été leurs intentions, les pouvoirs publics ont montré leurs difficultés à affronter de façon sereine les manifestations de mécontentement ou de protestation des populations. Car, après avoir fait violement réprimer la manifestation par la police, et accuser, encore une fois,

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l'opposition d'être derrière ces mouvements et de tromper les Sénégalais sur la hausse des prix, qui n'est pas spécifique au Sénégal, le gouvernement

Source : SudQuotidien du 3 et du 10 avril 2008, photos de la manifestation du 31 mars 2008 contre le renchérissement des prix des denrées de première consommation

semble privilégier la voie de la répression et de la confrontation à celle de l'apaisement et du dialogue. Pour Momar Ndao, il aurait été très avisé d'appeler les différents responsables des associations de consommateurs à des négociations pour au moins mettre en oeuvre une stratégie de communication qui permette d'informer les populations sur les hausses des prix.

Au total, même, les pouvoirs publics sont conscients que cette situation qui touche plusieurs pays en Afrique et au-delà n'est pas propre au Sénégal. Mais qu'elle procède d'une conjoncture mondiale et révèle la dépendance alimentaire dont souffre le pays. Aussi, ils ne sont pas prêts à laisser la mobilisation des populations se muer en une quelconque forme de contestation et de manifestations de rue. Les autorités tiennent à montrer que malgré les difficultés que connaissent les populations pour subvenir convenablement à leurs besoins élémentaires, elles seules détiennent le pouvoir et à ce titre, toute défiance sera sévèrement réprimée. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre autant l'interdiction de la marche que la répression qui l'a dispersée.

Si la rue a servi aux populations comme espace pour exprimer leurs difficultés face au renchérissement des coûts des produits de première nécessité (riz, huile sucre...), elle l'a d'autant été lorsqu'elles s'estiment victimes d'une injustice à grande échelle sur la distribution et les tarifications de l'électricité. Mais la nouveauté, se sont les acteurs qui ont préparé et mené cette protestation.

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"Il faut répondre au mal par la rectitude, au bien par le bien."   Confucius