QUELLES MENACES PESENT SUR LA
STABILITE DU SENEGAL ?
PREMIERE PARTIE :
Avant l'alternance de mars 2000, le Sénégal a
connu des élections et des grèves scolaires et universitaires qui
ont déjà dégénéré en de violentes
confrontations entre partis politiques opposés et entre
élèves ou étudiantsparfois les deux en même temps-
et forces de l'ordre. Ce fut le cas en 1988,
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en 1993 et en 1995. Pour celles de 1987 /1998 et de 1994/1995,
la durée de la grève avait amené les autorités
à décréter respectivement une année scolaire
blanche et une année universitaire invalide dans l'enseignement public.
Par ailleurs, les troubles de 1988, avaient poussé le Président
Abdou Diouf, après un meeting de campagne à Thiès,
où il avait essuyé des jets de pierres, à traiter la
jeunesse locale de « malsaine ». La contestation qui a suivi le vote
et précédé la proclamation officielle des
résultats, avait donné lieu, à Dakar, à de
violentes manifestations. Les émeutiers se sont attaqués à
tout ce qui représentait l'Etat (bâtiment public, voitures
immatriculées service officiel, centres d'état civil) et les
auteurs de ce que la presse à nommé le « lundi noir »
s'en sont pris aux maisons et aux militants du parti au pouvoir, le parti
socialiste (PS).
Cette situation a contraint les pouvoirs publics à
décréter l'Etat d'urgence le 29 février 1988 pour
éviter que la violence urbaine n'atteignît un point de non retour
et mît en péril la stabilité de l'Etat. De méme, en
1993 la situation était devenue plus préoccupante lorsque,
quelques heures seulement après la proclamation des résultats des
présidentielles le 13 mars, des manifestants avaient saccagé
plusieurs résidences de dignitaires du parti socialiste. Toutefois, le
pire allait être atteint lorsque le 15 mars de la même
année, le Vice-président de la Cour constitutionnelle,
Maître Babacar SEYE, qui avait été mis en avant
après la démission du Président, était
assassiné. Soupçonné d'avoir été le donneur
d'ordre de ce meurtre, Abdoulaye Wade que les journalistes avaient
surnommé « le Président de la rue publique » fut
arrêté et conduit en prison. Ce rappel a pour objet de dire que le
phénomène dont je parle ici, n'est pas nouveau. Cependant, s'il
n'est pas nouveau, il a vu l'apparition de nouveaux acteurs et de nouveaux
motifs de contestation.
Aussi, s'il reste admis, encore aujourd'hui, que le
Sénégal, en dépit des violents épisodes ci-dessus
évoqués, est, en Afrique subsaharienne, considéré
comme un pays où règne la stabilité politique et
démocratique, et où les particularismes ethniques et religieux ne
semblent pas un frein à l'unité nationale, on doit se demander si
cette assertion n'est pas devenue, à
certains égards, une véritable
représentation. Car, depuis 2000, les rivalités de pouvoir qui
ont vu le jour et qui se sont multipliées sont entrain «
d'écorner », chaque jour un peu plus, l'image du modèle
sociopolitique sénégalais en faisant planer sur le pays des
menaces de déstabilisation durable de son équilibre social et
politique. Je ne serai, sans doute, pas exhaustif dans
l'énumération et l'analyse de ces rivalités et des risques
et menaces qu'ils peuvent engendrer, mais les exemples ci-après me
semblent significatifs.
A - les mouvements de protestation sociale : les
pouvoirs de la rue ?
A - 1 : Les émeutes de la faim
Tableau 1 : EVOLUTION DES PRIX DE QUELQUES
PRODUITS EN 2000, 2004 ET 2007
PRODUITS
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PRIX (f cfa) EN 2000
|
PRIX(f cfa) EN 2004
|
PRIX (f cfa) EN 2007
|
Riz (1 kg)
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140 (0,21 €)
|
-
|
240 (0,36 €) 310 (0,47 €) en 2008
|
Tomate concentrée (1 kg)
|
635 (0,96 €)
|
-
|
1 100 (1,67 €)
|
Tomate
concentrée (2,5 kg)
|
1 200 (1,82 €)
|
-
|
2 600 (3,96 €)
+100 %
|
Huile (litre)
|
520 (0,79 €)
|
-
|
750 (1,14 €)
|
Sucre en morceaux (1 kg)
|
450 (0,68 €)
|
600 (0,91 €)
|
650 (0,99 €)
|
Viande de mouton (1 kg)
|
1 200 (1,82 €)
|
-
|
2580 (3,93 €)
+100 %
|
Farine (1 kg)
|
175 (0,26 €)
|
300 (0,45 €)
|
350 (0,53 €)
+100 %
|
Bouteille de gaz (6 kg)
|
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1 495 (2,27 €)
|
3 109 (4,73 €)
|
Bouteille de gaz (12 kg)
|
|
3 615 (5,51 €)
|
7 165 (10,92 €)
|
Sources : L'observateur du mercredi 16 mai 2007
Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), les prix moyens
annuels des denrées produites et celles importées ont connu une
tendance à la hausse au cours du premier semestre 2008. Les prix des
céréales non transformées ont augmenté (22 %),
ainsi que le riz (60%) le boeuf (22%), le lait (39,2%), les huiles (21%), les
produits alimentaires non classées (12%) et
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les transports (10%). Les prix des lubrifiants et des
carburants sont en hausse (15,7%). S'agissant des combustibles liquides,
l'indice des prix à la consommation a connu une augmentation 16,7%, et
de 6,2% (PAM, 2008) pour les combustibles solides. En 2007 déjà,
l'indice des prix avait connu une hausse fulgurante, passant de 1,4 en 2006
à 7, 3. Ces différentes hausses ont eu un impact important sur
les coûts du transport. Le tarif du ticket Dakar-Tambacounda, par
exemple, est passé de 7 000 à 10 800 F Cfa (de 10,67 à
16,45 €).
Le brutal renchérissement du coût des produits de
première nécessité, notamment du riz qui constitue
l'aliment de base des Sénégalais dont le prix du sac de 50
kilogrammes est passé de 9 500 à 17 000 F Cfa (de 14 à 25
euros) à Dakar alors qu'il est vendu à 20 000 F Cfa (30 euros)
dans les autres régions du pays (Tambacounda), a subitement
montré la grande faiblesse du pouvoir d'achat du
gorgorlou7. C'est une augmentation de plus de 50 %. Selon
la FAO, après une hausse de 37 % en 2006-2007, la facture des
importations des pays pauvres devraient augmenter de l'ordre de 56 %. Si on y
ajoute le fait que le Sénégal est classé depuis 2000 dans
la catégorie des pays les moins avancés (PMA), alors on mesure la
profondeur de cette crise. Face au dénuement des pouvoir publics qui
peinent à prendre des mesures qui permettraient d'atténuer, un
tant soit peu, le contrecoup de la hausse des prix des denrées de
première consommation, les populations s'organisent pour manifester leur
mécontentement.
C'est le cas le 31 mars 2008 lorsque, malgré le refus
du préfet de Dakar d'autoriser la manifestation, les populations sont
venues de tous les coins de la capitale, répondant à l'appel de
l'Association des consommateurs
7 - quelqu'un qui compte sur la débrouille quotidienne
pour trouver les moyens de satisfaire à ses besoins dont principalement
se nourrir, se vêtir
sénégalais (Ascosen). Sur les tee-shirts
arborés par les manifestants on pouvait lire : « on a faim ».
Des leaders de l'opposition comme Ousmane Tanor Dieng (PS), Talla Sylla
(Djeuf dieul) et Ali Haïdar (écologiste) ont
également profité massivement de cette tribune pour, aux
côtés des
populations, exprimer l'incapacité de l'Etat ou
même sa désinvolture face à cette crise. Car en parlant de
cette crise, le Président Wade, après avoir violement pris
à partie la FAO, l'accusant d'être à l'origine de cette
situation, avait promis aux Sénégalais près de 600 000
tonnes de riz offertes par l'Inde. Or les consommateurs n'ont jamais vu venir
de ce riz sur les marchés. Cette manifestation a été
violemment réprimée par les forces de l'ordre. Plus d'une
vingtaine de personnes, dont Momar Ndao et Jean Pierre Dieng responsable
respectifs de l'Association des consommateurs du Sénégal
(Ascosen) et de l'Union nationale des consommateurs du Sénégal
(UNCS), ont été interpellés. Considérés
comme les principaux organisateurs de la marche de protestation, ces deux
responsables ont été détenus dans les locaux de la
Divisions des investigations criminelles (DIC) où ils ont
été interrogés jusqu'à une heure tardive de la
soirée. Ils ont été ensuite convoqués à la
barre du tribunal des flagrants délits de Dakar, accusés d'avoir
défié les autorités en passant outre l'interdiction
d'organiser un rassemblement illicite et de détruire des biens publics.
Six mois de prison avec sursis ont été requis contre eux. On leur
a finalement infligé, le 16 avril, une peine d'un mois de prison avec
sursis.
Pourtant, une fois la manifestation dispersée, des
agents de la DIC ont fait irruption dans les locaux d'une chaîne de
télévision privée laquelle diffusait, pour la
première fois au Sénégal, des images de la manifestation
en direct, pour d'abord exiger l'arrêt de la diffusion et ensuite pour
saisir toutes les cassettes et les copies de ces images. Ce qui a
été fait malgré les protestations des journalistes qui
arguaient de la liberté de la presse et du besoin d'informer les
populations. Cette attitude des autorités laisse penser qu'elles ne
voulaient pas de traces de cette marche ou encore qu'elles voulaient traiter
l'information à leur façon.
Mais quelles qu'aient été leurs intentions, les
pouvoirs publics ont montré leurs difficultés à affronter
de façon sereine les manifestations de mécontentement ou de
protestation des populations. Car, après avoir fait violement
réprimer la manifestation par la police, et accuser, encore une fois,
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l'opposition d'être derrière ces mouvements et de
tromper les Sénégalais sur la hausse des prix, qui n'est pas
spécifique au Sénégal, le gouvernement
Source : SudQuotidien du 3 et du 10 avril 2008,
photos de la manifestation du 31 mars 2008 contre le renchérissement des
prix des denrées de première consommation
semble privilégier la voie de la répression et
de la confrontation à celle de l'apaisement et du dialogue. Pour Momar
Ndao, il aurait été très avisé d'appeler les
différents responsables des associations de consommateurs à des
négociations pour au moins mettre en oeuvre une stratégie de
communication qui permette d'informer les populations sur les hausses des
prix.
Au total, même, les pouvoirs publics sont conscients que
cette situation qui touche plusieurs pays en Afrique et au-delà n'est
pas propre au Sénégal. Mais qu'elle procède d'une
conjoncture mondiale et révèle la dépendance alimentaire
dont souffre le pays. Aussi, ils ne sont pas prêts à laisser la
mobilisation des populations se muer en une quelconque forme de contestation et
de manifestations de rue. Les autorités tiennent à montrer que
malgré les difficultés que connaissent les populations pour
subvenir convenablement à leurs besoins élémentaires,
elles seules détiennent le pouvoir et à ce titre, toute
défiance sera sévèrement réprimée. C'est
dans ce sens qu'il faut comprendre autant l'interdiction de la marche que la
répression qui l'a dispersée.
Si la rue a servi aux populations comme espace pour exprimer
leurs difficultés face au renchérissement des coûts des
produits de première nécessité (riz, huile sucre...), elle
l'a d'autant été lorsqu'elles s'estiment victimes d'une injustice
à grande échelle sur la distribution et les tarifications de
l'électricité. Mais la nouveauté, se sont les acteurs qui
ont préparé et mené cette protestation.
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