SIGLES ET ABREVIATIONS
AMARC : association mondiale des radios communautaires
CNUCED : conférence des nations unies sur le commerce et
le
développement
DSRP : document de stratégie de réduction de la
pauvreté
ENA : école nationale d'administration
FNUAP : fond des nations unies pour la population JICA :
coopération japonaise
OMS : organisation mondiale de la santé
RADDHO : rassemblement africain pour la défense des droits
de l'homme RGPH : recensement général de la population et de
l'habitat
RSF : reporter sans frontière
RTS : radio télévision du Sénégal
UCAD : université Cheikh Anta Diop de Dakar UED : union
des étudiants de Dakar SENELEC : société nationale
d'électricité
SGO : sabodola gold opération
WARD : west african radio democracy
7
9
INTRODUCTION
Le pacifique changement de régime et le renouvellement
des acteurs politiques survenus à la faveur de la victoire de
l'opposition lors des élections présidentielles du 19 mars 2000
avaient suscité un immense espoir pour une grande majorité du
peuple sénégalais. L'espoir de lendemains qui chantent, où
les dérives politiciennes du régime socialiste devraient
disparaître au profit de la bonne gouvernance politique et d'un mieux
être socio économique ne semblaient plus inaccessibles. D'autant
qu'après la dévaluation du 12 janvier 1994 qui fit perdre
à la monnaie régionale, franc CFA, 50% de sa valeur par rapport
au Franc français, le pays a connu une croissance économique
soutenue qui est passée de 2,9% à 5% entre 1995 et 2000. Aussi,
les Sénégalais s'attendaient à ce que, grace à une
gestion politique saine et à la répartition équitable des
dividendes de la croissance, leurs conditions de vie soient sensiblement
améliorées.
Le nouveau Président, Maître Abdoulaye Wade,
juriste, économiste et professeur d'Université qui plus est,
s'était évertué pendant les différentes campagnes
électorales auxquelles il a participé, à promettre, entre
autres, le kilogramme de riz à 60 Francs Cfa (environ 0,09 euro), le
plein-emploi à une population majoritairement jeune et une rupture
d'avec les pratiques politiques du régime socialiste, avait eu le temps,
du moins croyait-on au Sénégal, d'analyser et de comprendre
« l'homo senegalensis », pour emprunter le mot du professeur
Malick Ndiaye, ses aspirations et ses ambitions, son mal-vivre et la
précarité de sa condition sociale et économique mais aussi
son rejet de la mal gouvernance.
Mais, après un mandat de cinq ans, les résultats
atteints sont loin et semblent s'éloigner de plus en plus de l'immense
espoir et des attentes placées dans l'alternance. Tout porte à
croire que les sentiments les mieux partagés par les populations sont le
désenchantement et une grande désillusion. La pauvreté
continue de faire des ravages et la mal gouvernance reste érigée
en principe de gestion de l'Etat. De telle sorte que, certains analystes et
observateurs de la scène sociale et politique sénégalaise
comme
10
Abdoul Latif Coulibaly en soient au point de craindre que la
gestion politique du pays et la dégradation des conditions sociales
n'engendrent des troubles sociaux. Pourtant, ni la pauvreté ni la mal
gouvernance ne sont nouveaux au Sénégal.
En effet, si cet Etat apparaissait comme une oasis de
démocratie dans un Continent en proie à de multiples troubles, ce
n'était pas tant que les pratiques démocratiques y étaient
exemptes de toute critique, mais plutôt parce que ses premiers dirigeants
avaient réussi à fédérer les populations autour de
ce que Senghor appelait une « commune volonté de vivre ensemble
». Cependant dans la gestion quotidienne de l'Etat nombre de manquements
aux principes de la démocratie étaient relevés. Comme le
soutient Antoine Tine : « Léopold Sédar Senghor, qui
pourtant donnait l'image d'un homme politique modéré, humaniste
et démocrate et d'un intellectuel ouvert au dialogue, exerça le
pouvoir politique d'une façon autoritaire. Le régime senghorien
reposait sur un exécutif fort, un parti de masse
hégémonique, l'UPS, un Etat jacobin et le soutien maraboutique.
(...) on peut dire que le Sénégal vivait alors une période
autoritaire, où la politique était essentiellement à base
de clientélisme, de patronage et d'achat des allégeances. Le
système parlementaire fut remplacé par un régime
présidentialiste, fortement personnalisé, patrimonialisé
et centralisé, dans lequel l'opposition politique était soit
tolérée et cooptée soit réprimée...
»2. Senghor avait une idée bien précise du
rôle que devaient jouer les partis de l'opposition, en particulier en
cette période de construction de l'Etat et de la Nation
sénégalais. En effet, il estimait que ceux-ci « ne pouvaient
être tolérés que s'ils expriment des critiques
constructives et cherchent à atteindre le méme but que le parti
au pouvoir, c'est-à-dire empêcher que les divers groupes sociaux
ne se cristallisent en classes destinées à s'affronter... »
(Hesseling, 1985). Confrontée à la confiscation et à la
centralisation du pouvoir - Senghor voulant rester seul « maître
à bord » - l'opposition était obligée
d'évoluer dans
2- Antoine TINE dans « Léopold Senghor et Cheikh
Anta Diop face au panafricanisme : deux intellectuels, même combat mais
conflit des idéologies » in Intellectuels, nationalisme et
idéal panafricain. Perspective historique pp. 129-157. Dakar : CODESRIA,
2005.
12
la clandestinité car ne pouvant s'exprimer ni librement
ni publiquement du fait de brimades et de violences dont elle était
victime. Héritier de la pensée politique senghorienne, Abdou
Diouf a instauré officiellement le multipartisme. Toutefois, il lui a
été reproché, entre autres, pendant les vingt
années qu'il a passé à la tête du
Sénégal, des processus électoraux tronqués, des
opposants emprisonnés une gestion gabegique des deniers publiques et des
ressources de l'Etat alors que le pays était en proie à un
marasme économique grandissant.
Toutefois, l'économie du pays n'a jamais
été réellement florissante, loin s'en faut. La seule
période d'embellie économique liée à l'euphorie des
années post-indépendance et à une conjoncture favorable
pour les monocultures de rente héritées de la période
coloniale (arachides) et les phosphates, n'a été que de courte
durée. Car « l'Etat providence », comme son nom l'indique, qui
subventionnait tous les secteurs productifs, mettait en oeuvre de grands
projets d'investissement, des mesures et des facilités sociales, n'avait
pas fait illusion pendant longtemps. Dès le début des
années 1970, la dégradation des écosystèmes sous
l'effet de la sécheresse et d'une forte pression démographique
sur les ressources naturelles a entraîné une
désarticulation des systèmes agro-pastoraux, aggravant du coup
l'insuffisance de la production, la baisse drastique des quantités des
produits d'exportation et des revenus des paysans, et l'incapacité
croissante de l'Etat à satisfaire les besoins primaires.
L'essoufflement de l'« Etat providence » se
traduisit par une dégradation progressive de la trésorerie et des
finances publiques. C'est pourquoi à la fin des années 1970, ne
pouvant plus faire face aux charges publiques courantes, l'Etat avait fait
appel aux Institutions financières internationales, la Banque mondiale
(BM) et le Fond monétaire international (FMI) pour financer les
déficits de son économie. La mise en oeuvre des politiques de
stabilisation suivie des Plans d'ajustement structurels dès 1979
obligeaient l'Etat à se désengager progressivement des secteurs
productifs et à lancer leur privatisation. Mais, outre le
désengagement de l'Etat, l'inexistence d'un secteur privé capable
de se substituer à lui pour conduire
le développement socioéconomique du
Sénégal avait renforcé les contraintes financières
et aggravé la dégradation des conditions de vie des populations.
Le pays connut ainsi une longue période d'austérité,
traduite dans les faits par la suppression des subventions aux
différents secteurs productifs et l'augmentation des prix des
denrées de première nécessité. Ainsi, la
pauvreté a continué à sévir au
Sénégal comme le montre Momar Coumba Diop dans une étude
menée dans la région de Dakar et sa banlieue et publiée en
1997 « seuls 16,7 % des ménages ont accès à l'eau
courante, 23 % au réseau électrique. A Dakar, 24,7 % des
ménages ont le privilège d'un assainissement convenable, 36 %
bénéficient d'un téléviseur, 28,6 % d'un
réfrigérateur, 11,8 % d'une voiture »3.
Liées à la construction de l'Etat du
Sénégal contemporain, la pauvreté et la mal gouvernance
ont, toutefois depuis 2000, après l'accession du régime
libéral au pouvoir, pris de l'ampleur. En effet, face au
renchérissement du coût de la vie, la pauvreté et la
paupérisation des masses populaires se sont fortement exacerbées
en même temps que se sont multipliés les manquements à
l'orthodoxie démocratique et à la transparence dans la gestion
des affaires publiques. Toumany Mendy dit à ce propos :
l'«alternance semble de plus en plus perçue par la grande
majorité des Sénégalais comme un désastre total :
clientélisme politique inquiétant, politisation des institutions
judiciaires (...), scandales financiers, crises de fonctionnement des
entreprises nationales, dysfonctionnements administratifs liés aux
incessants remaniements ministériels, conflits politiques et
idéologiques (...) » (Toumany Mendy, 2006). Aussi, face à ce
que les observateurs appellent l'incapacité des nouvelles
autorités publiques à proposer une alternative au niveau social,
économique et politique et à impulser le changement pour lequel
le peuple s'était massivement mobilisé en 2000, une grande
déception et une grande désillusion semblent être à
l'origine d'un fort mécontentement social. De sorte que, le 23
décembre 2008, un collectif de partis politiques a signé une
déclaration appelant au départ du régime du
président Abdoulaye Wade, dans laquelle il invitait
4-- Momar Coumba Diop et al, « La lutte contre la
pauvreté à Dakar ; programme de gestion urbaine », Dakar,
1995.
tous les segments du peuple, les forces politiques,
citoyennes, démocratiques et sociales, pour la constitution de
Comités citoyens de résistance (CCR) dans les quartiers, les
villages, les lieux de travail, partout. On pouvait lire dans cette
déclaration: « Nous avons tous un intérêt commun
à nous souder autour de la lutte contre la vie chère, pour
l'emploi, le pouvoir d'achat, la réduction du train de vie de
l'état, l'allocation efficiente des ressources du pays au profit des
plus démunis, la défense du service public de l'éducation
et de la santé. (...) L'élaboration d'une nouvelle constitution
démocratique et l'instauration d'un authentique Etat républicain
(...) pour faire échec aux visées et manoeuvres du pouvoir,
lourdes de tous les dangers pour notre pays...»6. Autrement
dit, l'effritement généralisé des valeurs éthiques
et morales et la banalisation des institutions ajoutés au
dénuement croissant des populations qui, en dépit d'une
croissance économique soutenue, peinent à s'assurer une
alimentation équilibrée, à se loger convenablement,
à avoir un accès facile aux soins et à l'éducation,
sont autant de phénomènes qui peuvent, semble-t-il, engendrer le
chaos.
Dans tous les cas, la multiplication des manifestations
sociales et politiques qui se sont presque toutes soldées par des
affrontements avec les forces de l'ordre et les élections locales qui se
sont déroulées le 22 mars 2009 ont servi de baromètre pour
apprécier la profondeur du mécontentement social et mesurer les
risques de troubles. Le Président de la République a
été accueilli presque partout par des brassards rouges (signes du
mécontentement social), des hués et même des jets de
pierres. En outre, des cortèges ont été attaqués,
des voitures incendiées, bref comme titrait un journal de la place le
mercredi 4 mars 2009 : « Sénégal-violences
électorales : le règne de la terreur prend forme
»7. En outre, la perte des élections locales par la
coalition présidentielle a, semble-t-il, montré le rejet par les
populations du mode de gestion des affaires publiques, et la non prise en
charge par les autorités publiques des priorités du peuple qui se
résument à la paix sociale et à la
prospérité économique. Car, au niveau de la
géopolitique interne, en dehors de la dégradation continue des
conditions de
5 - Sud Quotidien du vendredi 26 Décembre 2008 6-
Nalla fall in Pressafrik, Mercredi 4 mars 2009
14
vie des Sénégalais, les fronts où les
luttes de pouvoir donnent lieu à la mise en oeuvre de stratégies
qui ne tiennent le plus souvent compte que des intérêts du moment
des différents acteurs se sont fortement multipliés. Tandis qu'au
niveau externe, les tenaces représentations qui font du
Sénégal « le modèle » de démocratie en
Afrique, empêchent de penser la réalité de
l'évolution ou plutôt de la dégradation de la
référence sociopolitique qu'il a longtemps été.
Ainsi posés, les termes de cette étude
résument sa problématique en deux principales interrogations :
1. En quoi les conflits de pouvoir et les relations tendues
entre les autorités politiques, à la tête du pays depuis
2000, et certaines composantes de la Nation (de l'opposition politique à
la jeunesse) pour le gain et le contrôle de la légitimité
populaire et territoriale constituent-elles une sérieuse menace pour la
stabilité du pays ?
En d'autres termes, en s'aliénant, la
société civile, l'opposition, la majorité des organes de
presse, la jeunesse (élèves, étudiants,
chômeurs...), les paysans et la quasi-totalité des régions
périphériques à la capitale du fait d'une gestion
solitaire et patrimoniale du pouvoir où la concertation et le dialogue
ne sont pas les bienvenus, la majorité présidentielle n'est-elle
pas en train de créer elle-même des conditions favorables à
la déstabilisation sociopolitique du Sénégal ? De plus,
vue l'importance, la richesse et les capacités de mobilisation des
confréries dans ce pays, est-ce que le fait de privilégier une
confrérie au détriment des autres, une politique mise en oeuvre
par le régime libéral n'est pas un terreau fertile d'où
peuvent surgir dissensions, querelles voire affrontements ?
2. Est-ce que l'absence d'une véritable prise en
charge de la lutte contre la pauvreté, pour le relèvement du
niveau de vie de la grande majorité des Sénégalais et la
réduction des inégalités sociales au détriment de
l'enrichissement et de la satisfaction des intérêts d'une
minorité qui gouverne et de ses soutiens peut engendrer le chaos
sociopolitique ?
16
Autrement dit, en se rendant compte de plus en plus que les
hommes politiques qu'ils ont contribué à faire élire,
croyant en leur capacité d'impulser le sopi (changement) en
particulier au niveau social, semblent plus préoccupés par leurs
intérêts personnels que par la résolution de la crise
économique que connaît le pays ou à tout le moins, la
réduction de ces méfaits, les Sénégalais sont-ils
prêts à les démettre du pouvoir de façon violente et
non démocratique ?
Il apparaît clairement que l'essentiel de ce
mémoire constituera d'une part à chercher à
élucider les différentes rivalités de pouvoir
engendrées par les agissements politiques et/ou politiciens des
autorités publiques au centre desquelles se trouve le Président
Abdoulaye Wade et les impacts de la pauvreté sur les populations et
d'autre part à déterminer les risques et les menaces qu'ils
peuvent susciter.
Vue sous cet angle, cette problématique amène
à envisager l'analyse géopolitique à deux
différentes échelles parfaitement imbriquées : nationale
et locale (régions). La première permettra d'aborder cette
étude en tenant compte de l'ensemble du territoire national et de
l'ensemble des acteurs qui y sont concernés par les rivalités et
les conflits de pouvoir cristallisés par la multiplication des
manifestations sociales susceptibles d'engendrer des troubles sociaux et/ou
politiques qui pourraient bouleverser durablement, ou pas, la stabilité
du Sénégal. En revanche l'échelle locale elle, permettra
de faire la comparaison entre le petit territoire (550 km2) de la capitale
Dakar qui a la particularité de concentrer les principaux centres
administratifs (palais présidentiel, ministères, ambassades,
organisations internationales...), les principaux pôles
économiques du pays (port, aéroport, industries...), d'avoir le
plus fort taux d'urbanisation (52,6 %) et enfin d'être la plus
peuplée de toutes les régions (2 167 793 hts, en 2007, soit une
densité de plus de 4 000 hts/km2) et la vaste région de
Tambacounda, qui couvrait jusqu'au dernier découpage administratif
(2008) qui l'a amputé d'un département, une superficie de 59 602
km2, soit 30 % du territoire national. Elle a, en dépit de
ses nombreuses potentialités (forêts luxuriantes, terre arables
étendues, or, fer, marbre...) le plus faible taux d'urbanisation du
pays (seulement 2,6 %) et abrite seulement 612 288 hts (soit
10 hts/km2). Cette comparaison qui se focalisera sur les disparités au
niveau du système sanitaire, sur la dépendance alimentaire
(agriculture) et sur les mesures mises en oeuvre par les autorités
publiques dans ces territoires. Elle permettra de cerner les
inégalités entre une région fortement urbanisée et
une autre marquée par sa ruralité. L'objectif final étant
de déterminer les menaces que peuvent engendrer les
inégalités sociales et spatiales, les conflits dans et pour les
territoires dans deux régions aux extrémités de
l'échelle sociale sur la stabilité du pays.
MANIFESTATIONS ET TROUBLES SOCIAUX :
|