D - les programmes mis en oeuvre pour lutter contre la
pauvreté : une discrimination spatiale qui renforce les
inégalités sociales ?
D - 1 : les programmes agricoles
D - 1 - 1 : le plan REVA
Ce plan a pour objectif, d'après les textes
publiés par le ministère de l'agriculture, de l'hydraulique
rurale et de la sécurité alimentaire, « de fixer les
populations notamment les jeunes et les femmes dans leurs terroirs en
particulier les émigrés ou rapatriés, d'augmenter
significativement la production agricole notamment celle horticole et de
répondre aux objectifs de lutte contre la pauvreté, (...)
à réduire puis à éradiquer la pauvreté et
les inégalités en particulier dans les zones rurales ».
108
Tableau 7 : POLES DU PLAN REVA DANS LA REGION DE
TAMBACOUNDA
Type
|
Pôle d'excellenc e
|
Ferme villageois e
moderne
|
Agropastoral e
|
Agro- piscicol e
|
Biocarburan t
|
Département
|
Tambacound a
|
2
|
12
|
4
|
11
|
5
|
Bakel
|
1
|
12
|
5
|
8
|
2
|
Kédougou
|
1
|
11
|
4
|
10
|
6
|
Région
|
4
|
35
|
13
|
29
|
13
|
Source : Situation sociale et économique de la
région de Tambacounda ANDS 2006
Toutefois, les écueils constatés dans sa conception
et sa mise en oeuvre constituent de véritables facteurs limitant quant
à sa portée. Iis'agissait de créer des fermes
agricoles dans différents départements du
pays. La région Tambacounda bénéficie de
plusieurs fermes (94) alors qu'elle reste confrontée à
d'énormes problèmes d'accès à l'eau dus à la
profondeur de la nappe (au moins 70 mètres) et à la faiblesse des
moyens d'exhaure. Certes il est vrai que dans un premier temps la mise en
oeuvre de ce programme a permis à des jeunes et à des femmes de
la région jusque là désoeuvrés ou ne comptant que
sur le récoltes hivernales pour subvenir à leurs besoins, de
trouver une activité génératrice de revenus en dehors des
trois mois de la saison des pluies. Mais, les produits sur lesquels ces fermes
mettent l'accent (le melon et les pastèques), méme s'ils sont
prisés par la population, restent des produits à très
faible valeur ajoutée (pastèque entre 0,03 et 1,5
€/pièce) dont l'exportation est très fortement
limitée par des critères d'exigences de qualité auxquels
ses petits producteurs ne peuvent répondre et qui sont très loin
dans la hiérarchie des priorités alimentaires. Du coup
l'engouement suscité par la mise en oeuvre de ce programme s'est
très vite confronté à la réalité de la
faiblesse des revenus obtenus. Au total, le plan Reva ne participe pour l'heure
ni à l'atteinte de l'objectif de l'autosuffisance alimentaire ni
à celui de permettre aux populations de trouver des revenus additionnels
susceptibles de les aider à faire face aux méfaits de la
pauvreté.
Tableau 8 : PAUVRETE REGIONALE ET STRUCTURE DE REVENUS
DES
MENAGES
Région
|
Part des revenus agricoles
|
Part
des salaires
|
Part des transferts
|
Part des autres revenus
|
Taux de pauvreté global
|
Taux de pauvreté urbaine
|
Taux de pauvreté rurale
|
Dakar
|
0,92
|
30,86
|
35,26
|
32,96
|
20,12
|
19,20
|
58,30
|
Tambacounda
|
27,82
|
3,37
|
32,21
|
36,60
|
69,18
|
36,90
|
71,80
|
Sources : Profil de pauvreté au Sénégal :
une approche monétaire, Fatou Cissé, Août 2003
D - 1 - 2 : La Goana (grande offensive agricole pour la
nourriture et l'abondance)
Le Président de la République du
Sénégal, Maître Abdoulaye Wade, a lancé le 18 Avril
2008, soit moins d'un mois après les émeutes de la faim, la GOANA
ou « Grande offensive agricole pour la nourriture et l'abondance ».
Elle vise à pallier les insuffisances du plan Reva et à atteindre
enfin l'autosuffisance alimentaire à très court terme
c'est-à-dire dès l'hivernage 2008/09. Il fixe ainsi des objectifs
quantitatifs de production de 500 000 tonnes de riz, 2 000 000 de tonnes de
maïs, 3 000 000 de tonnes de manioc, 2 000 000 de tonnes pour les autres
céréales, 400 millions de litres de lait et 43 500 tonnes de
viande51 sur toute l'étendue du territoire national. Pour le
Président Wade, le succès de ce programme réside pour
l'essentiel dans les pluies artificielles et sur une mobilisation
exceptionnelle de tous les acteurs de la filière. Le coût de la
GOANA a été estimé autour de 344 milliards de francs Cfa
(environ 524 425 418 €) pour la seule campagne agricole 2008\2009 dont
seuls 32 milliards (48 183 759 €) soit moins de 10 % seraient disponibles
sur le budget consolidé d'investissement. Ces coüts ne prennent pas
en compte la production de lait et de viande, ni les coûts des pluies
artificielles et aucune piste claire, n'est dégagée pour combler
le gap de 314 milliards.
Les populations des régions rurales comme Tambacounda
espéraient cette fois le renouvellement de leurs matériels
agricoles et la mise en place d'un encadrement approprié qui permettrait
de produire plus mais surtout
51 - Sources : Ouestafnews, Conseil National de Concertation
et de Coopération des Ruraux,
110
d'améliorer la compétitivité de leurs
produits et ainsi prétendre à l'exportation. Ce qui devrait
contribuer fortement à l'amélioration de leurs revenus et donc
à la lutte contre la pauvreté. Mais ce qui s'est
réellement passé c'est que les autorités publiques ont
choisi de distribuer des milliers d'hectares de terre à ceux que les
paysans réunis autour du Cadre national de concertation des ruraux
(CNCR) appellent « les paysans du dimanche » et à des
investisseurs étrangers. Ainsi, dans la région de Matam
située au nord de celle de Tambacounda, plus de 1000 hectares ont
été octroyés à l'ancien Premier ministre Hadjibou
Soumaré et au ministre Adama Sall. Cent Hectares ont été
attribués à la députée Aida Mbodj. A
Kédougou, ancien département de Tambacounda la situation est
encore plus grave. En effet, huit mille hectares dont une grande partie
appartient aux terres de la réserve naturelle du Parc du Niokolo Koba
ont été attribués à un homme d'affaires espagnol.
De même, à Dakar, dans la communauté rurale de Sangalcam,
plusieurs hommes politiques appartenant à la coalition
présidentielle se sont vus accorder des terres.
En définitive, la Goana qui avait pour ambition
d'offrir aux paysans en particulier des moyens de lutter efficacement contre la
pauvreté, s'est muée progressivement en un conflit foncier entre
ces derniers et les autorités publiques. En effet, les ressortissants
des différents territoires où des terres ont été
attribuées à des dignitaires et soutiens du régime en
place s'opposent à ce qu'ils appellent une campagne de spoliation des
pauvres et se disent « prêts à tout afin de préserver
le legs de leurs aïeux ». Les responsables de la communauté
rurale de Mbane (Matam) où plus de 200 000 hectares ont
été distribués sont allés plus loin. Dans un
communiqué ils déclarent être prêts à opposer
: « une désobéissance civile sans précédent
dans l'histoire de notre pays, jusqu'à l'avènement d'un nouveau
régime, en l'occurrence : refus de payer les taxes dans les
loumas (marchés hebdomadaires), refus de payer les
impôts, (...), interdiction de tenue de réunions dans la Maison
communautaire de Mbane, Refus de travailler avec le nouveau sous-préfet,
etc.. »
Face à cette situation, de plus en plus de voix
s'élèvent pour mettre en garde contre les dérives que peut
engendrer ce que la presse nomme (( la boulimie foncière du
régime wadien ». Pour certains, la Goana peut-être le fertile
terreau de nouvelles révoltes qui peuvent aboutir à une guerre
civile comme en Côte d'Ivoire, tandis que pour d'autres comme Omar Faye
de Leeral Askan wi (éclairer le peuple en wolof) cette forme de
privatisation du territoire national risque de développer partout le
((syndrome de la Casamance» où l'octroi de terres à des
migrants venus du centre et du nord du Sénégal est à
l'origine d'un sanglant conflit qui dure depuis près de trente ans et
qui mettra les générations à venir dans un
perpétuel environnement de conflit.
Ainsi, malgré les grandes ambitions des
autorités publiques, le Sénégal continue non seulement
d'importer massivement des céréales, du riz et du blé en
particulier, mais aussi et surtout, de rester très sensible à la
moindre fluctuation des cours de ces produits sur les marchés
internationaux. Une situation qui a sans doute conduit les autorités
à adopter d'autres types de programmes pour aider les populations
à faire face à leurs difficiles conditions de vie
|