I.1.2 Les modèles contemporains sur le travail des
enfants
a. Les modèles de négociation
Les analyses théoriques contemporaines ont d'abord
été effectuées dans le cadre d'une modélisation des
comportements des ménages. L'objectif était d'expliquer les
décisions familiales simultanées de consommation et de travail
des enfants, mais aussi de scolarisation et de fécondité. Le
modèle néo-classique unitaire (d'équilibre unique) de
Rosenzweig et Evenson (1977) élaboré à cet effet, tentera
d'expliquer les liens qui prévalent entre la participation des adultes
au marché du travail, la scolarisation et le travail des enfants. De
plus, et dans le prolongement de ces travaux initialement menés, une
place grandissante sera accordée aux interrelations
décisionnelles et aux processus de négociations entre les parents
et les enfants d'une part, et entre les parents et les employeurs, d'autre
part. Les modèles dits, "de négociation",
développés dans cette optique, prendront ainsi en
considération le fait que le ménage ne soit pas
nécessairement géré par un "dictateur bienveillant" et
distingueront des champs d'analyse intra et extra ménage, du point de
vue des tractations qui interviennent entre les acteurs, telles que
définies précédemment. Dans le premier cas, où les
parents font preuve d'altruisme (négociation intra-ménage), ils
montrent que l'offre de travail des enfants dépend des salaires des
adultes et du nombre d'enfants se trouvant sur le marché du travail
(Basu, 1999). Par contre, dans le second cas (négociation
extra-ménage), si le salaire des adultes est également en
relation avec celui des enfants (Gupta, 1998), les parents ne se
préoccupent pas du bien-être de leurs enfants.
b. Les modèles d'équilibres multiples avec
altruisme
L'existence d'équilibres multiples (lorsque les enfants
sont des travailleurs potentiels) sur le marché du travail est une
éventualité sous-estimée par les approches
précédentes. Cette limite conduira Basu et Van (1998) à
proposer un modèle intégrant explicitement les questions de
pauvreté, sur fond de deux hypothèses :
l'"axiome de luxe" et l' "axiome de substitution".
Le premier axiome stipule que la participation des enfants au marché
du travail ne prévaut que si le ménage a un niveau de vie
inférieur à un seuil critique. Ainsi, dans un ménage
pauvre, un
enfant ne pourra être libéré de certains
travaux pour fréquenter l'école que dans la mesure
oüle ménage auquel il appartient est à
méme d'assurer sa subsistance sans son apport. En
d'autres termes, il apparait que le loisir des enfants, leur
scolarisation et plus généralement, leur "non-travail" sont des
biens de luxe dans le panier de consommation du ménage pauvre : il ne
pourrait pas se permettre de consommer de tels biens. Dans cette analyse, le
travail des enfants devient un mal nécessaire. Le statut des enfants
évolue en fonction de la variation du revenu familial. Ils sont
tantôt sur le marché du travail, et tantôt leur temps est
consacré au loisir et / ou à l'éducation. D'autre part,
l'"axiome de substitution" indique l'équivalence, à un facteur de
correction près, entre le travail des adultes et celui des enfants, ce
qui renforce l'éventualité d'un recours au travail des enfants.
Par conséquent, la participation des enfants au marché de
l'emploi dépend du niveau de pauvreté des ménages auxquels
ils appartiennent. En guise de formalisation, Basu et Van vont spécifier
une courbe d'offre de travail décroissante du salaire des parents,
comportant éventuellement deux équilibres stables. Un "bon
équilibre", caractéristique d'une situation dans laquelle les
salaires sont élevés et les enfants ne travaillent pas ; et un
"mauvais équilibre" traduisant à l'inverse du premier,
l'existence de gains faibles et d'une forte prévalence des enfants
actifs. En outre, ils démontrent que lorsque ce dernier équilibre
prévaut, l'interdiction du travail des enfants peut conduire, toutes
choses égales par ailleurs, à la restauration du "bon
équilibre".
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