I.1.3 Etudes empiriques
Des travaux empiriques ont traité de la question du
travail des enfants. Ils montrent, en général, que ce
phénomène est lié au niveau de pauvreté, à
l'éducation ainsi qu'aux normes sociales. Plus
généralement, ces travaux traitent des déterminants du
travail des enfants.
Les études de Yacouba Diallo et Koko Siaka
Koné (2001).
Dans une étude résultant d'une enquête
niveau de vie (ENV) auprès des ménages, effectuée en
Côte d'Ivoire au cours de l'année 1995, Diallo et Koné
examinent la relation entre le bienêtre du ménage et les
activités des enfants. Ils privilégient, dans leur
démarche analytique, les échelles d'équivalence dans le
calcul des seuils de pauvreté16. De plus, le nombre
relativement faible d'enfants travailleurs allant à l'école dans
l'échantillon d'étude limitera l'utilisation
16 Alors que la plupart des travaux
empiriques (Ray, 1998 ; Basu, 1999) se focalisent sur le niveau de vie moyen
des ménages ou les revenus de ceux-ci.
d'un probit bivarié qui aurait permis de tester la
probabilité pour les enfants de travailler et / ou d'aller à
l'école. Leur choix méthodologique s'est donc porté sur un
modèle multinomial, la variable dépendante étant le
logarithme des chances de choix. Dans ce modèle, les choix expriment
respectivement les statuts de travailleurs, d'inactifs (ni travail, ni
école) et d'élèves, la normalisation étant
effectuée par rapport à ce dernier statut. Les décisions
concernant ces différents statuts ont été soumises
à une même série de variables exogènes. Celles-ci
sont rassemblées en quatre groupes : les caractéristiques propres
aux enfants, le contexte familial des individus, les caractéristiques
spécifiques au chef de ménage et le lieu de résidence.
Les résultats de cette étude sont pour le moins
frappants. Les conclusions des estimations économétriques
concordent, pour l'ensemble du pays, avec celles du modèle
théorique de Basu et Van tel que défini plus haut,
particulièrement en ce qui concerne le rôle joué par le
facteur pauvreté. Toutefois, ces conclusions sont formellement
contredites lorsque l'on procède à une analyse suivant le genre.
Cette analyse révèle que les dépenses ou la
pauvreté des ménages ne constituent pas une variable
discriminante de l'insertion des jeunes filles dans les activités
socioéconomiques. En plus, l'emploi précoce (des enfants) s'est
révélé être un phénomène complexe dont
la dimension pauvreté des ménages est loin d'être la
composante la plus importante.
Diallo et Koné suggèrent, de ce fait, que les
politiques de lutte contre le travail des enfants prennent plus en
considération le capital social et les normes culturelles.
Les travaux de Jean Pierre Lachaud sur le Burkina Faso
(2004)
Dans une étude menée en 2004 par Lachaud au
Burkina Faso, à travers des données issues des enquêtes
prioritaires auprès des ménages (1998 et 2003), et mettant en
évidence l'ampleur du phénomène du travail des
enfants17 de même que l'impact de la pauvreté sur ce
phénomène, le choix méthodologique porta sur deux
approches complémentaires :
La première approche vise à tester
l'interdépendance des choix de scolarisation et de travail des enfants.
Pour ce faire, Lachaud postule que l'école a pour effet de soustraire
les enfants à de nombreuses activités, ce qui permet,
poursuit-il, d'appréhender pourquoi les enfants travaillent plutôt
que d'aller à l'école. Il utilise un modèle probit
bivarié. L'une des deux variables dépendantes indiquent si
l'enfant fait partie ou non de la population active, et l'autre spécifie
la fréquentation scolaire ou non. Pour ce type de modèle, Lachaud
a dû tenir compte de l'existence de possibles distributions
corrélées entre ces deux équations de choix.
17 Lachaud se questionnera, ex-post, sur
l'opportunité d'une législation trop sévère
à l'encontre du travail. des enfants, en l'absence de mécanismes
de réduction de la variabilité des gains des
ménages.
Le principal résultat de cette étude est que les
privations monétaires augmentent la probabilité pour un enfant de
travailler18 et réduisent la probabilité de
scolarisation. De plus, Lachaud met en évidence une relation inverse
entre la fréquentation scolaire des enfants et leur participation au
marché du travail. Par ailleurs, cette étude a aussi permis de
confirmer l'argument de "la gestion du risque". En effet, Lachaud montre que la
fluctuation du niveau de vie (mesurée par la variance des
dépenses en termes de pauvreté transitoire) augmente la
probabilité de travail des enfants tout en réduisant les chances
de scolarisation de ceux-ci, comparativement aux ménages situés
au-dessus de la ligne de pauvreté, alors que la
vulnérabilité des familles pauvres (vérifiée par
une faiblesse chronique des dépenses) n'affecte pas la propension des
enfants à travailler, de méme que, dans certains cas, leur
scolarisation, relativement aux familles plus aisées.
Afin d'approfondir l'analyse en termes de choix
interdépendants et de se prêter à une évaluation
comparative, Lachaud adoptera en complément, une approche
économétrique spatio-temporelle, les données dont il
dispose se prêtant à une évaluation pour chacune des 45
provinces du Burkina Faso sur les deux périodes de l'enquête (1998
et 2003). Pour corriger les problèmes liés dans ce type de
modélisation, aux effets d'interactions spatiales
(autocorrélations spatiales) et d'instabilités structurelles
(hétérogénéité spatiale) des données
de l'étude, il met en oeuvre dans un premier temps, un modèle
spatial autorégressif mixte avec
hétéroscédasticité, traduisant les changements
structurels dans le temps et dans l'espace. Ensuite, il estime les
déterminants du taux de participation des enfants au marché du
travail selon les différentes provinces. Le principal résultat
qu'il obtient de cette analyse spatiale est le suivant : indépendamment
du groupe d'age, la variation régionale de la pauvreté durable
est sans effet sur la prévalence du travail des enfants, contrairement
à celle de la pauvreté transitoire.
~Synthèse
Cette revue théorique et empirique ainsi
présentée, permet de tirer des enseignements qui guideront la
conduite de l'étude. Généralement, l'analyse empirique
explore un ensemble de déterminants du travail des enfants, en mettant
l'accent sur :
[a] les facteurs de l'offre de travail des enfants :
les normes (sociales, culturelles et juridiques), les politiques publiques, le
marché des capitaux, la pauvreté des ménages, la faiblesse
du système éducatif, la taille et la structure des ménages
;
18 Lachaud montrera donc que
l'hypothèse de l'« axiome de luxe ~ semble relativement robuste
dans le cas du Burkina Faso.
[b] et les facteurs de la demande de travail des
enfants : les coûts de production et la compétitivité
des entreprises, l'"informalisation" croissante de l'économie, le niveau
de développement technologique, le statut économique du chef de
ménage.
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