Le droit de l'homme à l'alimentation en République du Bénin( Télécharger le fichier original )par Innocentia Gertruide APOVO Université d'Abomey- Calavi (Bénin) - DEA 2009 |
INTRODUCTION« Du simple fait d'être née, toute personne a droit à l'alimentation. Pourtant, toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim ou de ses suites immédiates. En 1996, 820 millions de personnes souffraient de la faim dans le monde. Elles étaient 852 millions en 2004-2005, 923 millions au début de l'année 2008 et elles sont aujourd'hui un milliard. Cela se passe sur une planète qui regorge de richesses1(*) ». Ce sont là quelques chiffres de la honte, des chiffres qui choquent et qui appellent à la conscience de tous. L'activité de promotion et de protection internationale des Droits de l'Homme (D.H) a progressivement pris, sous l'égide de l'Organisation des Nations Unies (ONU), une envergure systémique au lendemain du second conflit mondial2(*). A ce jour, le système de la protection des D.H, comporte au-delà du système universel régenté par l'ONU3(*), des mécanismes constitutionnels nationaux4(*), et plusieurs systèmes régionaux5(*) plus ou moins élaborés. Ce rouage fonctionne essentiellement sur la base d'un ensemble de normes et d'institutions garantissant la dignité, les libertés fondamentales de l'Homme et une diversité de droits civils, politiques (D.C.P), économiques, sociaux, culturels (DESC) et autres6(*), de nature individuelle et/ou collective7(*). Parmi ceux-ci, l'un des plus fondamentaux nous semble être le droit à l'alimentation, qui est l'objet de la présente étude. Le droit de l'homme à l'alimentation est un droit fondamental qui nécessite à cet effet une attention particulière tant au niveau national qu'au niveau international. Il est reconnu directement ou indirectement par tous les Etats du monde. Mais, la faim, qu'elle soit due à la guerre, à la sécheresse ou à la pauvreté, continue d'être la source de souffrances atroces. Pour bien cerner le sujet, il importe d'expliciter certains concepts. L'expression `'droit de l'homme'' a un contenu multiforme, aussi fréquemment usité que rarement élucidé. Le vocabulaire juridique définit les droits de l'homme comme « des facultés et prérogatives considérées comme appartenant naturellement à tout être humain dont le droit public s'attache à imposer à l'Etat le respect et la protection en conformité avec certains textes de portée universelle »8(*). Le Professeur Philippe Gérard définit les droits de l'homme comme « un ensemble de droits subjectifs fondamentaux qui appartiennent à tous les individus en tant qu'être humain et qui s'imposent aux autorités publiques dans la mesure où celles -ci sont tenues, non seulement de respecter ces droits, mais aussi d'assurer leur jouissance effective par des dispositions adéquates9(*). » Pour les nécessités de la présente étude, les droits de l'homme seront entendus comme les prérogatives et facultés assurant sans discrimination la liberté et la dignité de la personne humaine et bénéficiant de garanties normatives et institutionnelles. Quant au droit à l'alimentation, Jean Ziegler10(*) s'est évertué à le définir comme « le droit d'avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d'achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur, et qui assure une vie physique et psychique, individuelle et collective, libre d'angoisse, satisfaisante et digne ». Vincent Pierre-Marie quant à lui, définit le droit à l'alimentation comme « l'ensemble des règles juridiques qui régissent la production, le traitement, le transport, le commerce et la consommation des denrées alimentaires brutes ou transformées11(*)». De ces définitions, le droit de l'homme à l'alimentation peut être considéré comme une prérogative accordée à la personne humaine, et dont il doit pleinement jouir soit directement soit indirectement et sans discrimination dans le respect de la dignité humaine. Le droit à l'alimentation en effet, a officiellement fait son émergence dans l'esprit de la communauté internationale le 10 décembre 1948, avec l'adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (D.U.D.H), dont l'article 25 stipule que: «1) Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, les soins médicaux, le logement , l'habillement (...)». Le droit à l'alimentation, depuis lors, a été consacré dans plusieurs instruments internationaux de nature diverse12(*). Son caractère contraignant général a été stipulé, pour la première fois, par l'article 11, paragraphe 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PI.DESC)13(*) qui stipule que: «Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence (...)». La force obligatoire de ce droit a, en outre, été spécifiquement réaffirmée à l'égard de certaines catégories de personnes tels que les enfants14(*), les femmes15(*), les victimes des conflits armés16(*), les peuples autochtones17(*)...etc. Ce caractère contraignant du droit à l'alimentation a été renforcé par certains engagements étatiques. Le plus important est celui du Sommet Mondial de l'Alimentation (S.M.A) de 1996, où les Chefs d'Etats et de gouvernement présents (dont celui du Bénin), ont affirmé leur volonté de réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim et de la malnutrition d'ici l'an 2015. Il s'agit d'un objectif noble et c'est pour apporter notre modeste contribution à sa réalisation que nous avons orienté notre réflexion sur le thème « Le droit de l'Homme à l'alimentation en République du Bénin ». Le Bénin, Etat apprécié pour sa démocratie et sa stabilité politique, reste un pays pauvre où bon nombre de citoyens moyens vivent avec un revenu de 350 dollars US environ 175.000FCFA par an ce qui donne un revenu journalier inférieur à 1 dollar US18(*) ou 550 FCFA. En conséquence, les populations des contrées les plus reculées du Bénin vivent en dessous de ces montants ; ils ont difficilement accès à l'eau potable et à la nourriture. Pourquoi y a-t-il toutes ces difficultés alimentaires quand on sait que les ressources planétaires actuelles permettent de nourrir le double de la population mondiale19(*) ? Quelle est la portée du droit à l'alimentation au Bénin? Comment peut-on reconnaître qu'une personne jouit pleinement de ce droit? Existe-t-il de garanties pour son effectivité ? Pourquoi son effectivité est-elle problématique ? Quelles dispositions faut-il prendre pour que tous, sans discrimination en jouisse effectivement? Pour répondre à ces interrogations, nous proposons une étude critique du thème, assortie de perspectives en vue de son amélioration. Notre étude s'appuiera sur les données concernant les systèmes universels et régionaux de protection des droits de l'homme et s'inspirera des expériences et des progrès réalisés par certains Etats tout en s'évertuant à apporter une originalité constructive. Le droit à l'alimentation est consacré par une multitude d'instruments et est protégé par une panoplie d'institutions. Mais à ce jour, son effectivité reste préoccupante. Nous étudierons à cet effet d'une part, la volonté manifeste de protection du droit à l'alimentation (première partie) et d'autre part, les conditions favorables à l'effectivité dudit droit (deuxième partie). * 1- Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l'alimentation depuis avril 2008 ; un an après, il a dressé un bilan de la situation de la crise alimentaire dans le monde. www.FAO.org * 2- Avant cette période en effet, la protection des droits de la personne humaine a été organisée au sein des Etats avec certaines institutions comme la protection diplomatique, l'intervention humanitaire, la puissance protectrice et certains textes internes ayant eu une renommée historique et extraterritoriale parce que s'adressant abstraitement à tout homme. C'est le cas par exemple de la « Magna Carta» du 15 juin 1215, de la «Pétition of Right» du 26 juin 1628, de «l'Habeas Corpus» de 1679, de la «Bill of Right» du 13 février 1689 en Angleterre, de la Déclaration Française des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789. 0n considérera que l'origine du système actuel remonte à 1948 avec l'adoption de la D.U.D.H. * 3- Rouget Didier, Le guide de la protection internationale des droits de l'Homme, Grenoble, éd. La pensée sauvage, 2000. p. 25 et ss. * 4- Morin Jacques Yves, Libertés et droits fondamentaux dans les constitutions des Etats ayant le Français en partage, Bruxelles, Bruylant, p. 53 * 5- La doctrine et les spécialistes s'accordent à reconnaître l'existence du système africain de protection des D.H et des peuples, du système inter américain et du système européen des D.H. L'attention doit être également attirée sur les systèmes arabe et asiatique naissants. * 6- Selon une tendance doctrinale récente, il y aurait quatre générations de D.H : les D.C.P, les DESC, les D.H dits de solidarité et les D.H bioéthiques. V°, Bénard Georges, Vers des droits de l'homme de la quatrième dimension, in Les droits de l'Homme à l'aube du XXIe siècle, liber Amicorum Karel Vasak, Bruxelles, Bruylant, 1999, p. 75-114. * 7- Voir Conseil de l'Europe, «Les droits de l'Homme: droits collectifs ou droits individuels: (actes du colloque de Strasbourg des 13 et 14 mars 1979», Paris, L.G .D.J 1980, p. 12 et ss; cité par David HARRIS, Donna GOMIEN, Léo ZWAAK, Convention Européenne des droits de l'homme et la Charte sociale européenne: droit et pratique, Editions du Conseil de l'Europe, 1997, p. 97. * 8- CORNU Gérard, Le vocabulaire juridique, Edition PUF, Paris, 2001, P. 329 * 9- Philippe Gérard, cours 2007 de DEA en droit de la personne et de la démocratie * 10- Jean Ziegler a été, jusqu'au 30 avril 2008, Rapporteur spécial de la Commission des D.H de l'ONU pour le droit à l'alimentation. Voir son rapport de 2003 sur la situation du droit à l'alimentation dans le monde, para 5. * 11- Vincent Pierre-Marie, Le droit de l'alimentation, PUF, Paris, Que sais-je ?, 1996, p. 14. * 12- Cf. Tomasevski Katarina, The right to food : guide d'une centaine d'instruments ayant ou non une force obligatoire. Voir aussi http://www.fao.org/LegaVrtf/inti/intl-e.htm. * 13- Le PI.DESC a été adopté par l'Assemblée Générale de l'ONU (A.G.N.U) dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966. Entré en vigueur le 3 janvier 1976, le PI.DESC est l'instrument de référence en matière de garantie internationale du droit à une nourriture suffisante. Il a été ratifié par le Bénin le 12 mars 1992. * 14- Cf. art. 24. let. c) et 27.3 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant (C.D.E) du 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990 et ratifiée par tous les 192 Etats membres de l'ONU. * 15- Voir le considérant 8 du préambule de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW) du 18 décembre 1979 et ses articles 12 para. 2 et 14 let. g) ; cette convention est entrée en vigueur le 3 septembre 1981 et lie à ce jour, 170 Etats. * 16- Voir les Conventions I (art. 32, in fine), III (18 et 72), IV (20, 26, 46, 51) de Genève du 12 août 1949 ainsi que leurs 2 protocoles additionnels du 8 juin 1977 largement ratifiés (Prot. I art. 54; prot. II art. 14 et 17). * 17- Commission des D.H des N.U, « Le droit à l'alimentation », rapport présenté par M. Ziegler Jean, 12 septembre 2005, para. 17-34. * 18- faim et pauvreté, FAO, 2002, www.fao.org * 19- Voir FAO, « L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 2004 », www.fao.org. La FAO nous apprend que la terre pourrait, au stade actuelle du développement de ses forces productives agricoles, nourrir normalement " 12 milliards d'êtres humains, c'est-à-dire fournir a chaque individu une nourriture équivalant a 2.700 calories par jour. Or nous ne sommes qu'un peu plus de 6 milliards sur cette planète » disait Ziegler Jean. |
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