à‰thique et pratiques communicationnelles de l' à‰glise Catholique pour la pacification de l'espace public au Burkina Faso

3.3.2. L'outil Internet et les risques de déshumanisation

Internet induit des bouleversements dans le comportement humain. Ainsi, les enfants qui grandiront dans ce système de communication devront s'adapter comme leurs parents ont dû le faire, il y a quelques décennies avec l'avènement du téléphone. Ce sont donc des aspects transitoires à négocier. On ne trouvera pas dans Internet la même chaleur qu'à travers le téléphone ou par la plume. C'est forcément plus humain, l'écrit ! La preuve : c'est de façon presque instinctive qu'un grand nombre de personnes ont pris l'habitude d'entamer le dépouillement de leur courrier par les lettres écrites à la main.

Ramené aux dimensions de l'Eglise, il est à parier que les responsables de l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso n'en viendront pas de si tôt à l'idée de faire consulter les homélies sur un éventuel site. Une consultation de la messe en ligne ne produira jamais le même effet qu'une célébration eucharistique en grandeur nature. A la froideur et à la distance de l'Internet s'oppose de loin, la chaleur d'une messe dite à haute et intelligible voix, d'une assemblée chantée en choeur et donc aussi vivante qu'un lieu de fraternisation et de communion. L'impossibilité pour les fidèles de pouvoir échanger un signe de paix physique comme cela se fait à l'occasion de toute messe, révèle déjà un aspect des limites du virtuel dans ce domaine où l'homme, être de chair et d'esprit est irremplaçable. Bref, « il serait vain de penser que les communications sociales, si ouvertes qu'elles soient à l'Esprit, puissent suffire un jour à transmettre l'Evangile. Jamais, elles ne remplaceront, c'est évident, les mouvements d'AC* qui exigent et soutiennent les vrais engagements de vie, ni la Paroisse qui rassemble et nourrit la communauté chrétienne »^96(*)

La capacité de nuisance d'Internet semble bien illustrer à travers l'expression d'un égoïsme obstiné chez certains internautes chevronnés. En clair, cet outil fascinant finit par dompter au point de restreindre leur lien affectif vis-à-vis de la famille et de l'environnement. Devant cet égoïsme, il y a un risque que l'esprit de famille, de partage et de solidarité et la disposition d'écoute à l'égard de l'autre recommandés par l'Eglise passent au second plan s'ils ne sont pas simplement sacrifiés sur l'autel de l'individualisme et de l'exclusion. En définitive, il n'est donc pas évident que l'Eglise y trouve son compte sous tous ses rapports.

Il n'empêche que la réflexion reste ouverte et ne peut d'ailleurs en rester là si l'on réalise que l'Eglise d'aujourd'hui est plus urbaine que rurale et que trois chrétiens sur quatre dans le monde vivent en ville. Du coup, la question se pose de savoir : quel pourrait être à l'avenir, le lieu de rendez-vous, la plate-forme de discussion et de communion entre l'Eglise et cette chrétienté citadine ?

Et subséquemment, quelle communion, mais aussi quels outils de communion déployer pour rejoindre et fidéliser cette importante frange citadine de la famille chrétienne qui, sous certains cieux, n'a d'yeux et d'oreilles que pour le cyberspace. Toutes proportions gardées, dans un archidiocèse comme celui de Bobo-Dioulasso, le phénomène ne revêt pas une telle dimension. Mais il reste que dorénavant, plus aucun diocèse ne doit ignorer ces aspects futuristes de la question dans ses analyses prospectives.

L'éthique chrétienne de la communication définie plus haut à travers les valeurs de justice, de vérité et de dignité a amplement déteint sur la démarche de pacification de l'Eglise catholique dans sa contribution au processus de sortie de crise au Burkina Faso. L'opinion en faveur du triptyque « justice, vérité et réconciliation » n'est pas ex-nihilo ; la crise ayant plutôt offert à l'archidiocèse de Bobo-Dioulasso, l'occasion d'une application grandeur nature de sa pastorale de paix qui plonge des racines des ces mêmes valeurs de justice, de vérité, de dignité humaine et de réconciliation.

Autrement dit, l'éthique chrétienne de la communication dont on pouvait plaindre le caractère abstrait ou théorique a trouvé son ancrage politique en venant si opportunément et efficacement au secours d'une paix menacée et d'une démocratie mise en péril par la violence politique. Preuve, s'il en était encore besoin que le plus grand mérite des pratiques communicationnelles de l'Eglise catholique dans la gestion de cette crise, c'est d'avoir réussi à ménager le choux et la chèvre et d'avoir forgé une clé de réconciliation qui économise toute logique de dualisme entre l'orgueil d'un vainqueur et la rancoeur d'un vaincu. Bref, l'on retrouve aisément dans les pratiques communicationnelles de l'Eglise catholique une sorte d'hommage rendu à la perfectibilité de l'Homme dont elle nous apprend à ne point désespérer.

Mieux, en faisant l'effort sur-humain de dépasser le passé et de l'assumer ensemble en tout ce qu'il comporte de bon et de mauvais ; le Burkinabès apportent la preuve qu'en toute nation réside une réelle capacité de sursaut collectif pour vaincre la fatalité. Cette disposition d'esprit à puiser au profond de leur inspiration et de leur génie, les ressources d'une re-négociation de la vie en commun, constitue un indice prometteur pour le Burkina Faso mais aussi pour tous les peuples de cette région du continent que l'on souhaite voir s'investir davantage dans la valorisation de certaines formes traditionnelles de prévention et de règlement de conflit en tous genre.

En attendant, ce que les observateurs attendent de voir, c'est la capacité des Burkinabès à mettre à profit l'accalmie conférée par la dynamique du pardon et de la réconciliation pour renforcer la démocratie.

* #172; Mouvements d'action catholique

⁹⁶ C. BEAUVALET, pss ; R.P BOURDEAU, c.ss.r ; A. GARNIER ; Jules GRITTI, p.s.s ; G. KERGOURLAY ; Chanoine L. LOCHET ; Abbé Jean de VESVROTTE ; Antoine VALLET, f.s.c ; Jean D'YVOIRE. Dynamique chrétienne de la communication, Editions MAISON MAM 1966, p. 38