Le processus électoral au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Mbassi BEDJOKO Université Catholique d'Afrique Centrale - Master droit de l'Homme et Action Humanitaire 2004 |
SECTION 2. L'EPINEUX PROBLEME DES INSCRIPTIONS ET DE LA DISTRIBUTION DES CARTES ELECTORALESPour de nombreuses raisons, des entraves à l'exercice du droit de vote peuvent être occasionnées au moment des inscriptions sur les listes électorales. Elles peuvent aussi se produire à partir de la distribution des cartes électorales.
Paragraphe 1. La limitation à l'exercice du droit de vote imposée par l'inscription sur les listes électoralesLes limites à l'exercice du droit de vote à travers les inscriptions sur les listes électorales sont à mettre au passif, d'une part, du caractère discriminatoire desdites inscriptions, d'autre part, du non respect de l'esprit de la loi. A. Le caractère discriminatoire des inscriptions.Les inscriptions sur les listes électorales peuvent rencontrer deux sortes de limitations : des restrictions légales et des restrictions illégales. La première catégorie ne nous intéresse pas dans la mesure où on la retrouve dans la plupart des législations électorales de par le monde. La seconde catégorie retient l'attention car, elle est le fait des comportements volontaires malveillants des personnes chargées de la conduire. Elle est fondée non seulement sur des considération partisanes mais aussi et sur des considérations tribales88(*). C'est en principe aux Commissions mixtes, que revient la responsabilité de la révision des listes électorales. Malheureusement pour des raisons que nous avons évoquées plus haut, et devant la démission des autres membres qui forment cette Commission, les autorités administratives se sont retrouvées entrain d'accomplir, seules, l'essentiel des tâches. L'accomplissent-elles normalement ? C'est-à-dire, en toute neutralité et impartialité ? Depuis 1992, les autorités administratives n'ont cessé de perdre la confiance d'une frange importante des citoyens, accusées qu'elles sont, de favoriser des inscriptions discriminatoires. Cette accusation, considérée en l'état, peut paraître comme une des plus graves dans une jeune démocratie. L'analyse des événements électoraux dans le pays montre cependant que le nombre des personnes inscrites sur les listes électorales diminue d'une année électorale à une autre . Cette diminution a atteint son niveau le plus élevé au cours des dernières élections avec seulement environ cinq millions d'inscrits sur une population évaluée à plus de quinze millions d'habitants et un taux de participation inférieur à 40%. Il n'y a donc aucune difficulté à admettre que des problèmes subsistent en cette matière pour laquelle les autorités administratives portent une lourde responsabilité. Le premier soupçon qui pèse sur ces autorités est dû au fait qu'elles conduisent seules les opérations de révision des listes électorales. Deux situations peuvent alors se présenter, soit que le défaut d'inscription est involontaire, soit qu'il est intentionnel. Le second soupçon est, lui, justifié par le fait que les autorités administratives ont pris l'habitude de confier les inscriptions aux chefs traditionnels. En le faisant, elles hypothèquent l'impartialité et la neutralité qui doivent entourer cette opération. Les chefs en question ne sont pas toujours neutres et impartiaux, non pas parce qu'ils sont auxiliaires de l'Administration, mais parce qu'ils sont très nombreux qui se réclament du parti au pouvoir. De plus, ils doivent leur désignation à l'autorité administrative qui peut pour des raisons diverses, précipiter leur chute. Aussi assiste t-on aux inscriptions sélectives sur les listes électorales ? L'expression consacrée à Douala89(*) est « l'inscription à tête chercheuse ». Elle consiste, d'une part, à confier les inscriptions à des individus bien déterminés pour lesquels l'appartenance au parti que l'autorité administrative entend favoriser, ne fait pas de doute. Ceux-ci se chargent alors de relever dans leur entourage, en particulier les Comités de bases, les noms de leurs militants qu'ils déposent à la sous-préfecture en vue de l'établissement des cartes électorales ; d'autre part, à identifier au préalable les bureaux de vote dans lesquels le parti que l'autorité administrative entend favoriser a obtenu de mauvais résultats au cours de précédentes élections. Ce sont à ces endroits précisément que l'inscription est plus rigoureuse. On peut comprendre d'ailleurs pourquoi le 30 juin 2002, une confusion a régné entre l'opération de révision et celle de refonte. Les autorités ont fait recours aux deux types d'opérations, la révision dans les bureaux de vote où leur parti favoris avait un bon score en 1997 et la refonte là où les résultats étaient mauvais. La troisième technique a consisté à demander individuellement aux responsables des partis politiques membres de la Commission, compte tenu des courts délais avant la fermeture des inscriptions, de produire les listes de leurs militants en vue de l'inscription de ces derniers. Cette technique, fondée sur la mauvaise foi des autorités s'est révélée particulièrement efficace. Elle constitue la forme la plus achevée des techniques restrictives illégales d'inscription sur les listes électorales car plusieurs personnes recensées dans ces conditions se sont retrouvées sans leur carte le jour du scrutin. Sur ces observations, les personnes interrogées, sur la question relative aux inscriptions ont affirmé majoritairement, soit 74,35% contre 23,07% que les inscriptions au Cameroun sont essentiellement discriminatoires (Cf. graphique, p. 73). Graphique n°4 illustrant la discrimination dans les inscriptions sur les listes selon les enquêtés (Source : graphique établi par l'auteur) Il convient cependant de noter que les actes posés par les autorités administratives les engagent personnellement; ils ne s'inscrivent pas nécessairement dans l'optique de favoriser uniquement le parti au pouvoir ou les partis d'opposition. De nombreux exemples montrent que chaque autorité a avec elle un parti qu'elle soutient dans le silence et la discrétion. Autant certaines sont accusées d'avoir un parti pris pour le Rdpc au pouvoir, autant d'autres le sont pour leur intelligence avec l'opposition. Mais quel que soit le côté où se trouve la réalité, la vérité est que certaines autorités administratives limitent l'exercice du droit de vote des citoyens en procédant aux inscriptions discriminatoires sur base tribale, c'est-à-dire, à partir du nom on peut, non seulement rattacher un individu à une région, à une tribu mais surtout à un parti politique. On entendra par exemple : le parti "des béti " parlant du Rdpc, le parti "des Bassa", pour qualifier l'Upc, le parti "des anglophones" pour désigner le Sdf, "des nordistes", des Bamoun pour singulariser respectivement l'Undp, l'Udc, etc. Il suffit donc que le nom de celui qui sollicite l'inscription renvoie à l'une de ces réalités pour que son sort soit décidé. Il pourra selon le cas après inscription, sur un papier volant, obtenir ou non sa carte électorales. Tout ceci est aggravé par le non respect de l'esprit de la loi. * 88 Parmi les personnes interrogées 58,06% pensent que cette discrimination a une justification partisane tandis que 25% accusent le tribalisme. * 89 Et même à Yaoundé ou ailleurs dans le pays. |
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