Section 2 : Le regroupement familial : un principe
général du droit
Le Conseil d'État a fait du regroupement familial, un
principe général de droit. Ainsi, dans ses conclusions sur
l'affaire GISTI de 1978205, le commissaire du gouvernement
Dondoux a défendu l'idée selon laquelle le droit à mener
une vie familiale normale impliquait le droit de vivre en famille : « pour
que l'individu se développe il faut qu'il puisse créer une
famille et, pour que la famille, une fois constituée, puisse
elle-même se développer, il faut que rien n'entrave son
évolution et, notamment, qu'elle ne soit artificiellement
séparée »206. C'est pourquoi, il a incité
le Conseil d'État à reconnaître « qu'il existe, en
vertu du Préambule de 1946, un principe qui a trait à l'existence
même de la famille, et qui reconnaît à tout individu le
droit de mener, notamment en créant une famille et en vivant avec elle,
une existence et une vie familiale normales ». S'interrogeant ensuite sur
la portée du droit à une vie familiale normale garanti par la
Constitution française, il a admis que certains principes
proclamés par le Préambule de la Constitution de 1946
203 Cons. const. 15 décembre 2005, déc. n°
2005-528, JORF, 20 décembre 2005, p.19561 ;
204 Cons. constit. N° 2007-557 du 15 novembre 2007,
JORF 21 novembre 2007 p. 19001.
205 Cf. supra p.2
206 Dondoux, conclusions sur CE, 6 novembre 1978, Rec.
Lebon, pp. 493-507, spéc. p. 502.
ne concernaient que les nationaux207. Mais, il a
observé que l'essentiel des dispositions du Préambule avait une
portée générale208. En ce qui concerne le droit
à mener une vie familiale normale, le commissaire du gouvernement en a
déduit qu'il n'avait pas été réservé aux
seuls nationaux et qu'il visait toute personne.
Cette position a été suivie par le Conseil
d'État. Dans son arrêt du 8 décembre 1978, il a
affirmé qu'il « résulte des principes généraux
du droit et, notamment, du préambule de la Constitution du 27 octobre
1946 auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958, que les
étrangers résidant régulièrement en France ont,
comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale » avant
de préciser « que ce droit comporte, en particulier, la
faculté pour ces étrangers, de faire venir auprès d'eux
leur conjoint et enfants mineurs »209; Cette position avait
été retenue un an plus tôt par le Conseil d'État
alors saisi en qualité d'autorité consultative à propos du
projet de décret adopté le 10 novembre 1977 relatif aux
conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers
résidant régulièrement en France avaient le droit de mener
une vie familiale normale, ce droit comportant en particulier la faculté
de se faire rejoindre par leur conjoint et enfants mineurs. Partant, le Conseil
d'État en avait déduit que le gouvernement ne pouvait pas
interdire par voie de mesure générale l'occupation d'un emploi
par les membres des familles des ressortissants étrangers car une telle
règle était de nature à restreindre la portée du
droit au regroupement familial210
Par ailleurs, le Conseil d'État a estimé que le
refus d'accorder le visa par les autorités consulaires aux
bénéficiaires de la procédure de regroupement familial,
porte atteinte aux droits des requérants à mener une vie
familiale normale211. En revanche dans une autre de ses
décisions, le Conseil d'État a considéré qu'en
application de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme, il appartient à l'autorité administrative qui
envisage de procéder à l'éloignement d'un ressortissant
étranger en situation irrégulière d'apprécier si,
eu égard notamment à la durée et aux conditions de son
séjour en France, ainsi qu'à la nature et à
l'ancienneté de ses liens familiaux
207 Il a notamment visé les dispositions relatives
à la solidarité et à l'égalité des
Français devant les charges résultant des calamités
nationales.
208 A l'appui de cette affirmation, il a souligné que le
Préambule de la Constitution de 1946, « fidèle à une
tradition qui conduisait en son temps à déclarer solennellement
les droits de l'homme - pas seulement ceux du citoyen - proclame des principes
qui, quant à leurs bénéficiaires, dépassent en
général le cadre de nos frontières ».
209 CE, Ass. 8 décembre 1978, req. n° 10097, 10677 et
10979, GISTI et autres, Rec. Lebon, pp. 493-507, concl. Dondoux ;
AJDA 1979, pp. 38-39, chron. Générale de jurisprudence
administrative française, obs. J. DUTHEILLET de LAMOTHE et Y.
ROBINEAU.
210 CE, Ass. Avis, 27 octobre 1977, GISTI, cité
in M. LONG, P. WEIL, G. BRAIBANT, P. DELVOLVE et B. GENEVOIS, Les
grands arrêts de la jurisprudence administrative française, Sirey,
coll. Droit public, 9e éd., 1990, p. 693.
211 CE, 27 mars 2009, Benerab, req. n°286886, Gaz.
Pal., 19 septembre 2009, n° 262 p. 18.
sur le territoire français, l'atteinte que cette mesure
porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard
des buts en vue desquels cette décision serait prise. La circonstance
que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des
catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par
elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par
l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de
l'intéressé. Cette dernière peut, en revanche, tenir
compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure
d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne
pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul
bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas
respecté cette procédure212.
En somme, le Conseil d'État dans son rôle de
contrôler de l'administration, et en reconnaissant le droit au
regroupement familial sur le fondement de l'alinéa 10 du
Préambule de la Constitution de 1946, la haute juridiction
administrative213 indique clairement que ce droit est un attribut du
droit de mener une vie familiale dont la substance se retrouve dans le droit au
respect de la vie familiale, au sens de l'article 8 de la Convention
européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés
fondamentales.
212 CE, 28 décembre 2009, Mme Boudaa, req.
n° 308231, Gaz. Pal. 28 janvier 2010, n°28, p.12.
213 Les juridictions du fond admettent également que le
droit de mener une vie familiale normale comporte en particulier la
possibilité pour les étrangers résidant
régulièrement en France, de faire venir leur conjoint et leurs
enfants mineurs ( Voir not. : TA Versailles, 30 décembre 1996, req.
n° 96574, Mensah c. Préfet du Val d'Oise, Gaz. Pal. 1997,
2, panor. dr. adm., p. 183).
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