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Droit de la condition des étrangers les limites du droit applicable au regroupement familial

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par Dominique Arnaud Christ DINGHAT
Université Bourgogne - Master 2 2010
  

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INTRODUCTION

« L'Allemagne est faite pour y voyager, l'Italie pour y séjourner, l'Angleterre pour y penser, la France pour y vivre »1. Cette pensée de Jean le Rond d'Alembert est-elle encore vraie aujourd'hui ? La France est-elle toujours cette terre propice à l'épanouissement de l'homme dans son individualité et dans sa vie familiale?

Manifestation de la souveraineté de l'État, le droit des étrangers est relativement récent2 Adoptée par le gouvernement provisoire, l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 19453 a été le premier texte qui a défini une véritable politique d'immigration. A partir de 1945, l'immigration étrangère en France reste encore marginale. Le 2 novembre 1945 a lieu le vote de l'ordonnance sur l'entrée et le séjour des étrangers en France, avec la création de l'O.N.I (Office National d'Immigration), à qui il est notamment confié la tâche d'introduire les familles de travailleurs4, et permet à l'État d'avoir le monopole de l'introduction de la main d'oeuvre étrangère. Trois cartes de séjour sont instaurées (1,3 et 10 ans) ; l'immigration des familles est souhaitée dans une optique démographique, l'accès à la nationalité est libéralisée par une ordonnance du 18 octobre 1945. La France s'efforça d'accueillir les familles des travailleurs auxquels elle avait fait appel : dès 1947, une circulaire du Ministre de la Santé et de la Population5 insistait sur l'importance de l'immigration des familles des travailleurs étrangers pour la réussite des opérations d'introduction en France de la main d'oeuvre et de l'intégration de celle-ci dans l'ensemble du corps social français.

Pourtant, malgré les nombreuses interventions réglementaires en matière de condition des étrangers, le regroupement familial ne fait l'objet d'aucune disposition particulière, et le Ministère de la Population est donc libre de fixer les conditions de la venue de la famille de l'immigré. En revanche, à cette époque, l'immigration familiale est toutefois l'un des impératifs les plus pressants de la politique à l'égard des étrangers ; en effet l'intégration de l'enfant apparaît comme la condition majeure de la réussite de la politique d'immigration, qui accorde dès cette époque une place prépondérante aux facteurs d'intégration. La France semble avoir préféré une immigration de

1 Cité par P. GRANT in thèse : La protection de la vie familiale et de la vie privée en droit des étrangers, coll. Genevoise, 2000, p. 2

2 Pour une présentation de l'évolution de la politique migratoire en France, voir not. : F. JULIEN-LAFERRIERE, Droit des étrangers, PUF, coll. Droit fondamental.

3 Ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et portant création de l'Office National d'Immigration, JORF, 4 novembre 1945, p. 7225.

4 Cf. art. 1er du Décret n°46-550 du 26 mars 1946 .

5 Cf. JO 1947, p. 1230

peuplement à une immigration de main-d'oeuvre, même si cette option sera plus ou moins remise en cause au gré des fluctuations de la conjoncture économique.

Cette volonté d'intégration se concrétise en 1976, lors qu'est adopté un décret6 qui énonce de façon libérale les conditions que doivent remplir les membres de la famille d'un travailleur étranger pour entrer et séjourner en France. Très rapidement le gouvernement français semble regretter cette politique en faveur de l'immigration familiale et essaie d'en atténuer certains effets. A cette fin, il adopte en 1977 un décret interdisant le regroupement des membres de la famille aspirant à accéder au marché du travail .

Le recours pour excès de pouvoir qui frappe ce décret, donne l'occasion au Conseil d'État7 de reconnaître l'existence d'un principe général du droit comportant la « faculté pour les étrangers de faire venir auprès d'eux leur conjoint et leurs enfants mineurs8 » : il annule ainsi le décret du 10 novembre 1977. A une époque marquée par la crise économique et par la volonté de restreindre le plus possible l'immigration, cette décision fait de la France un « modèle en matière de regroupement familial »9

Depuis cette date, les différentes lois adoptées en matière migratoire contiennent des règles qui concernent directement les étrangers qui justifient d'une vie familiale, qu'il s'agisse des règles relatives à l'entrée et au séjour des étrangers ou de celles ayant trait à la protection contre l'éloignement. Depuis la codification des règles énoncées dans l'ordonnance du 2 novembre 194510, la politique de l'immigration est désormais traduite au plan juridique dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui regroupe l'ensemble des dispositions législatives et réglementaires qui régissent cette matière.

L'analyse des règles françaises relatives au droit des étrangers présente un intérêt particulier dans la mesure où le régime de la police des étrangers est un exemple emblématique du phénomène de l'inflation législative. Le recours à des principes intangibles, tels les droits et libertés fondamentaux de l'homme, s'avère salvateur, car il est de nature à assurer une plus grande stabilité du droit des étrangers.

6 Décret du 29 avril 1976

7 Cf. arrêt GISTI du 5 décembre 1978, les grands arrêts de droit administratif, 9ème éd., n°110, concl. Dondoux, AJDA 1979 p.3

8 Conclusions Dondoux précitées.

9 Cf F. JAULT, Thèse, le regroupement familial en droit comparé français et allemand, p. 7

10 Ordonnance n° 2004-1248 du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, JORF, 25 novembre 2004, p. 19924.

En France, en matière de droit des étrangers, les réformes se succèdent au rythme des changements de majorités parlementaires11, voire parfois des alternances de ministres appartenant à la même majorité gouvernementale12. Il a d'ailleurs été proposé un nouvel adage susceptible de compléter et d'actualiser les Institutes coutumières de Loisel : « Si change la majorité, change le droit des étrangers »13

Les promoteurs de ces lois invoquent la priorité et la nécessité de réformer le droit des étrangers. Mais, à force de légiférer dans l'urgence et par complaisance au profit de tel ou tel électorat ou groupe de pression, il n'est pas certain que la démocratie ressorte grandie de ce nouveau mode législatif reposant sur un « rafistolage » permanent des textes. La succession effrénée des réformes du statut des étrangers n'est pas le meilleur gage d'une politique normative cohérente. Quelles que soient les attentes supposées des citoyens en ce domaine, un droit plus stable serait bienvenu afin de donner plus de crédit à la sécurité juridique des étrangers.

Le droit des étrangers peut être défini comme l'ensemble des règles de police qui régissent les conditions d'entrée, de séjour et d'éloignement des étrangers sur le territoire français. Il définit le

11 Loi n° 80-9 du 10 janvier 1980 relative à la prévention de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'office national de l'immigration, (dite Loi Bonnet), JORF, 11 janvier 1980, p. 71; - Loi n° 81- 973 du 29 octobre 1981 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (dite Loi Questiaux), JORF, 30 octobre 1981, p. 2970 ; Loi n° 84-622 du 17 juillet 1984 portant modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et du Code du travail et relative aux étrangers séjournant en France et aux titres uniques de séjour et de travail, JORF, 19 juillet 1984, p. 2324 ; Loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (dite Loi Pasqua), JORF, 12 septembre 1986, p. 11035 ; - Loi n° 89-548 du 2 août 1989 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (dite Loi Joxe), JORF, 8 août 1989, p. 9952 ; Loi n° 90-34 du 10 janvier 1990 modifiant l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, JORF, 12 janvier 1990 ; Loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991 renforçant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l'organisation de l'entrée et le séjour irréguliers d'étrangers en France, JORF, 1er janvier 1992, p.15 ; Loi n° 92-190 du 26 février 1992 portant modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, JORF, 29 février 1992, p.3094 ; Loi n° 93-1027 du 24 août 1993 portant modification de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, JORF, 29 août 1993, p. 12196 et la Loi n° 93-1417 du 30 décembre 1993 portant diverses modifications relatives à la maîtrise de l'immigration et modifiant le Code civil, JORF, 1er janvier 1994, p.11 ; Loi n° 97-396 du 24 avril 1997 portant diverses dispositions relatives à l'immigration (dite Loi Debré), JORF, 25 avril 1997, p. 6268 ; Loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, JORF, 12 mai 1998, p. 7087 ; Loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, JORF, 27 novembre 2003, p. 20136 ; Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, JORF, 25 juillet 2006, p. 11047 ; Loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile, JORF, 21 novembre 2007, p. 18993.

12 Depuis 2003, cinq lois intéressant la politique migratoire ont été adoptées : la loi n°2003-1119 du 26 novembre 2003, relative à l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, la loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006, relative à l'immigration et à l'intégration, la loi n° 2006-1376 du 14 novembre 2006 relative au contrôle de validité des mariages et la loi n° 2007-1631 du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile. Elles ont respectivement été défendues par Messieurs Sarkozy, De Villepin, Sarkozy, Clément et Hortefeux.

13 H. FULCHIRON, Réforme du droit des étrangers, Litec, coll. Carré droit, novembre 1999, p. 1.

contrôle des entrées et de l'établissement sur le territoire français, organise la protection du marché national du travail et assure la sauvegarde de l'ordre public. Rationae personae, le droit des étrangers a un champ d'application restreint puisqu'il vise les personnes qui n'ont pas la nationalité française. La qualité d'étranger se définit au prisme du critère juridique de la nationalité. Est considéré comme étranger, tout individu qui n'a pas la nationalité française, qu'il ait une nationalité étrangère ou qu'il n'ait pas de nationalité14. Cette notion ne doit pas être confondue avec celle d'immigré qui repose sur un critère factuel : le lieu de naissance15. Est immigrée, toute personne, née dans un État tiers, qui décide de s'établir en France, indépendamment de sa nationalité. Partant, stricto sensu, les personnes nées en France d'ascendants d'immigrés ne peuvent être regardées comme étant des immigrés. En revanche, elles peuvent être considérées comme des personnes d'origine étrangère dont la plupart ont la nationalité française. Les personnes qui sont nées à l'étranger et qui se sont installés en France sont des étrangers, au sens de l'article L. 111-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors qu'elles n'ont pas la nationalité française. Le droit des étrangers intéresse donc toutes les personnes qui ne peuvent prouver qu'elles possèdent la nationalité française, quel que soit leur lieu de naissance.

Définie en considération des nécessités sociales et économiques, la politique d'immigration est également sensible à l'opinion publique. Au cours des périodes de prospérité économique et d'expansion industrielle, les besoins de main-d'oeuvre expliquent les courants d'immigration. A toute époque, pour pallier la pénurie de main-d'oeuvre dans certains secteurs économiques, il a été fait appel à des étrangers. Par exemple, sous la IIIe République, aucun contrôle n'était exigé des étrangers s'installant en France pour exercer une profession. Il leur était seulement demandé de déclarer leur présence à la mairie de leur résidence. Le recours à la main-d'oeuvre étrangère s'imposa également au lendemain de la Première Guerre mondiale et à la Libération en 1945. Pour faire face aux conséquences économiques de ces combats, qui ont fait nombre de morts ou d'invalides dans la population active, et pour permettre la reconstruction de la France, les autorités françaises ont favorisé l'immigration16. En revanche, les périodes de crise économique, au cours desquelles l'hostilité de l'opinion se fait plus prégnante, conduisent les autorités publiques à adopter des dispositions visant à ralentir l'afflux d'étrangers sur le territoire. Par exemple, pour affronter la crise de 1929, des mesures restrictives ont été votées. La loi du 10

14 Cf. article L. 111-1 du CESEDA

15 Sur la distinction entre ces différents termes, voir not. : F. JULIEN-LAFERRIERE, droit des étrangers, pp. 14-16.

16 Avec le vote de l'ordonnance du 2 novembre qui devait permettre de combler le vide démographique en accueillant des familles étrangères.

août 1932 a durci les conditions d'entrée sur le territoire français et a interdit la régularisation des étrangers clandestins. Afin de protéger la main-d'oeuvre nationale, elle a également autorisé le gouvernement à prendre des décrets fixant des quotas par profession17. De même, le choc pétrolier de 1973 a incité le Gouvernement à suspendre l'immigration des travailleurs et des membres de leur famille, à qui a été opposée la situation de l'emploi, en juillet 1974. Depuis cette date, la maîtrise de l'immigration est devenue un enjeu politique majeur, dont la succession des législation , depuis la loi Bonnet du 10 janvier 1980 jusqu'à la loi Hortefeux du 20 novembre 2007, est révélatrice. Le contexte économique, social et démographique détermine donc largement la venue en France d'étrangers.

Les bouleversements politiques conduisent également à l'apparition d'une immigration politique. Terre d'asile, la France accueille les étrangers fuyant leur pays. Ce fut notamment le cas à la suite de la Révolution russe, des persécutions antisémites et des répressions nazies, de la victoire franquiste en Espagne, ou, plus tard de la situation au Liban et dans les pays d'Amérique latine ou du Sud-Est asiatique. De même, à la suite de l'indépendance de l'Algérie, en application des Accords d'Evian qui prévoyaient la libre circulation entre l'Algérie et la France pour les ressortissants de ces deux pays, des Algériens qui avaient soutenu l'action de la France ont été accueillis en France18.

De ces courants d'immigration, qu'ils soient économiques ou politiques, peut découler un mouvement d'immigration familiale puisque tout étranger établi sur le territoire français peut espérer pouvoir vivre avec les membres de sa famille. Le droit au respect de la vie familiale se trouve donc au coeur de la mise en oeuvre des choix politiques adoptés en matière d'immigration pour motif familial.

L'immigration familiale implique une approche globale de la politique d'immigration dans la mesure où elle intéresse non seulement la politique des flux de nouveaux migrants, mais également la politique d'insertion d'une part de l'étranger régulièrement établi sur le territoire français et, d'autre part, des membres de la famille qui souhaitent le rejoindre. Au prisme de la politique menée en matière d'immigration familiale, peut donc être mesurée la cohérence de la politique d'immigration dans sa globalité. D'ailleurs, depuis le choc pétrolier de 1973, la question de l'immigration familiale est au coeur de l'évolution de la politique migratoire. Elle en est devenue l'un

17 V. D. LOCHAK, Étrangers : de quel droit ? PUF, 1985, p. 139 et s.

18 L'afflux des Algériens a conduit les autorités françaises a renégocié les Accords d'Evian. Les discussions ont abouti à l'adoption de l'Accord franco-algérien du 27 décembre 1968, JORF, 22 mars 1969, p. 2901.

des enjeux essentiels depuis 2003, date à laquelle a été clairement affirmée l'intention de privilégier l'immigration « choisie »19 et de limiter l'immigration subie dont l'immigration familiale est une manifestation.

L'immigration familiale est une immigration de droit20, puisque les membres de la famille d'un étranger régulièrement établi ou d'un Français sont admis sur le territoire français en raison de leur appartenance à l'une des catégories objectives définies par la législation relatives à l'entrée et au séjour ou bien de la protection due au titre du droit au respect de leur vie familiale. Elle est qualifiée d'immigration subie dans la mesure où l'État ne fait pas le choix d'accueillir l'étranger en raison de ses qualités, de ses compétences, de ses mérites ou d'un besoin particulier pour la France.

La volonté gouvernementale de privilégier une immigration choisie, c'est-à dire une immigration sélective favorisant l'immigration de travail, et de limiter l'immigration familiale explique les restrictions apportées au régime d'entrée et de séjour en France pour motif familial, qu'il s'agisse de l'admission en France au titre du regroupement familial ou de l'accès à un statut stable à raison de l'existence d'un lien familial. La réaction des pouvoirs publics français à la persistance de la pression migratoire vers l'Europe n'est pas isolée. Dans la plupart des pays d'immigration européens, la volonté de limiter la migration d'établissement est affirmée alors que l'accueil d'une immigration temporaire, répondant aux besoins structurels du marché du travail, est souhaité. Dans cette perspective, les États adoptent des mesures destinées à restreindre l'immigration familiale, faisant abstraction au fait que l'immigration du travail peut impliquer de nouveaux flux migratoires liés à l'immigration familiale, le travailleur étranger pouvant légitimement revendiquer le droit d'être rejoint par les membres de sa famille.

De manière habituelle, l'immigration familiale est associée au regroupement familial. On peut la définir comme un droit pour un étranger régulièrement établi sur le territoire français de se faire rejoindre par son conjoint et ses enfants mineurs de moins de dix-huit ans21. Aussi, l'immigration familiale intéresse l'ensemble des flux migratoires pour motif familial dont le

19 A cette fin, le Gouvernement a décidé de rouvrir l'immigration de travail notamment pour pourvoir les besoins de main-d'oeuvre avérés dans certains secteurs d'activités ou dans des zones géographiques caractérisées par des difficultés de recrutement et d'attirer les talents en facilitant la venue des meilleurs étudiants et des étrangers hautement qualifiés.

20 Cf. art.8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance » et art 63 bis du Traité de l'Union européenne qui affirme en substance que l'Union développe une politique migratoire visant à assurer un traitement équitable des ressortissants des pays tiers même aux fins du regroupement familial.

21 Cf. art. L. 411-1 du CESEDA.

regroupement familial n'est qu'un élément. Doivent également être pris en considération, la venue des membres de la famille d'un réfugié ou d'un apatride ainsi que les hypothèses d'admission en France fondée sur l'intensité des liens personnels et familiaux. Ainsi, l'immigration familiale, à la différence du regroupement familial, peut être définie, comme tout déplacement, individuel ou collectif, pour motif familial, en vue de constituer, de réunir ou de maintenir une cellule familiale dans le pays d'accueil ou sur le territoire d'un État dont l'un des membres de la famille a la nationalité. Elle représente le volume22 d'entrée d'étrangers le plus important en France.

Parmi les entrées à caractère permanent en France23, c'est à dire celle qui concerne les étrangers recevant une première carte de séjour d'une durée de validité d'au moins un an, l'immigration familiale est le premier vecteur d'immigration24. Comparativement, l'immigration de travail à caractère permanent demeure marginale. Les entrées en France au titre des migrations familiales sont mesurées en France au regard de trois catégories de personnes25 : les étrangers admis en France dans le cadre de la procédure de regroupement familial, les étrangers qui rejoignent en France un membre de leur famille de nationalité française et les étrangers qui ont des liens personnels et familiaux avec la France et pour lesquels le refus de les autoriser à séjourner sur le territoire français porterait à leur droit au respect de la vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus. Outre ces trois catégories, le flux migratoire des familles de réfugiés et d'apatrides26 et des conjoints de scientifiques est également pris en compte dans les statistiques réalisées par les services de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations. Après une évolution relativement importante du nombre d'admission sur le territoire français pour motif familial jusqu'en 2003, depuis cinq ans, ce flux migratoire est stable27. Les membres de la famille de français représentent la catégorie la plus importante des étrangers qui immigrent pour motif familial. Le regroupement familial est le deuxième motif d'immigration familiale28.

22 Cf. sixième rapport sur l'immigration, la documentation française p.58.

23 Les entrées à caractère permanent intéressent principalement les migrations du travail, les migrations familiales, l'entrée des visiteurs et des réfugiés. Sont par ailleurs prises en compte les entrées à caractère temporaire comme les étudiants, les stagiaires, les bénéficiaires d'une autorisation provisoire de travail ou les travailleurs saisonniers.

24 Sur les 83550, 93000, 107550, 124800, 136 400 et 140.100 entrées à caractère permanent 53.850 (64,4%), 64.250 (69,1%), 73.250 (68,1%), 89.550 (71,7%), 100.150 (73,4%) et 102.650 (73,3%) concernent des migrations pour motif familial respectivement en 1999, 2000, 2001, 2002, 2003 et 2004;

25 Cette classification est adoptée par la Direction de la population et des migrations.

26 Les membres de la famille de réfugiés et d'apatrides admis en France étaient respectivement de 943, 1.100, 1.399, 1.450, 1205 et 1.585 en 1999, 2000, 2001, 2002, 2003 et 2004.

27 Selon les statistiques de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations, 102 619 étrangers sont entrés en France pour motif familial en 2004 contre 100 105, 88 835, 72 611 et 63 609 respectivement en 2003, 2002, 2001 et 2000.

28 Aux fins du regroupement familial , sont entrés en France 81177 étrangers, Cf. Le sixième rapport sur

Dans l'exercice de sa souveraineté, l'État français a le pouvoir de décider librement les conditions d'entrée et de séjour des étrangers sur son territoire. Toutefois, aujourd'hui, la politique d'immigration subit l'influence d'instruments internationaux, notamment en matière de droits de l'homme. Le droit au respect de la vie familiale est l'un des droits fondamentaux qui a prise sur la politique migratoire des États. Le droit au respect de la vie familiale est traditionnellement étudié sous ses deux composantes, d'une part, le droit de fonder une famille et, d'autre part, le droit de tout individu de ne pas subir d'ingérences dans sa vie familiale. Il convient dès lors, de mesurer l'emprise du droit au respect de la vie familiale, entendu comme un mode de protection contre les ingérences, sur la mise en oeuvre de la politique migratoire familiale. Le droit au respect de la vie familiale est proclamé dans plusieurs instruments internationaux et régionaux.

Outre la consécration de la famille en tant qu'élément fondamental de la société et des États29, les textes internationaux relatifs aux droits de l'homme garantissent le droit individuel de toute personne au respect de sa vie familiale

« Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes ». L'article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l'Assemblée générale des Nations Unies, protège donc toute personne contre les atteintes portées à sa famille, quel que soit son auteur. L'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 rappelle ce droit en proclamant d'une part que « nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales à son honneur et réputation »30, et d'autre part , que « toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes »31.

Trois articles de la Convention de New York de 1989 relative aux droits de l'enfant intéressent également la protection de l'unité familiale et soulignent les fonctions protectrices de la famille pour l'enfant32. Ces instruments internationaux des droits de l'homme ne visent pas de manière spécifique

l'immigration, La documentation française p.58.

29 En termes identiques, la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 (article 16, paragraphe 3) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (art. 23§1) énoncent que la « famille est l'élément naturel fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'État ». Rappr. De l'art. 10§1, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 : Les États parties reconnaissent qu'une « protection et une assistance aussi larges que possible doivent être accordées à la famille, qui est l'élément naturel et fondamental de la société, en particulier pour sa formation et aussi longtemps quelle a la responsabilité de l'entretien et de l'éducation d'enfants à charge [...] ».

30 Cf. art. 17 § 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.

31 Cf § 2 de l'art. 17 précité.

32 Cf art. 8§1, art. 9 l'art. 10 §1 de la Convention de New York de 1989

Art. 8§1 « Les États parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant , de préserver son identité y compris sa

le sort des étrangers mais, en prenant l'engagement de respecter les droits et libertés garantis par ces textes, les États s'obligent à ne pas leur porter atteinte, quels que soient la nationalité ou l'origine du bénéficiaire du droit ou de liberté en cause.

Par ailleurs, certains instruments internationaux intéressent en particulier la vie des étrangers. La protection de la vie familiale des travailleurs migrants est prise en compte dans plusieurs textes internationaux. Ainsi, la Convention 143 de l'Organisation internationale du Travail sur les travailleurs migrants du 24 juin 1975 prévoit que tout État partie doit prendre toutes mesures nécessaires pour « faciliter le regroupement familial de tous les travailleurs migrants résidant légalement sur son territoire ». Le regroupement familial apparaît donc clairement comme un élément essentiel du droit au respect de la vie familiale des étrangers33.

Au plan régional, plusieurs sources peuvent être répertoriées. Aux termes de l'article 19, paragraphe 6, de la Charte sociale européenne du 18 octobre 196134, en vue d'assurer l'exercice effectif du droit des travailleurs migrants et de leurs familles à la protection et à l'assistance, les États s'engagent « à faciliter autant que possible le regroupement de la famille du travailleur migrant autorisé à s'établir lui même sur le territoire »35. De même, l'article 12 de la Convention européenne du 24 novembre 197736 relative au statut juridique du travailleur migrant prévoit que le conjoint et les enfants mineurs non mariés, qui sont à sa charge, sont autorisés à rejoindre le travailleur salarié migrant, ressortissant d'un État partie à la Convention, déjà résidant sur le territoire d'une partie contractante, à condition que ce dernier dispose d'un logement considéré comme normal pour les travailleurs nationaux dans la région où il est employé. En outre, les États peuvent subordonner le regroupement familial à la condition que le travailleur migrant dispose de ressources suffisantes et

nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu'ils sont reconnus par la loi sans ingérence illégale »

Art 9 « Les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré à moins que les autorités compétentes ne décident sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l'enfant, ou lorsqu'ils vivent séparément et qu'une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l'enfant »

Art. 10 §1 « Conformément à l'obligation incombant aux États parties en vertu du paragraphe 1 de l'article 9, toute demande faite par un enfant ou ses parents en vue d'entrer dans un État partie ou de le quitter aux fins de réunification familiale, est considérée par les États parties dans un esprit positif, avec humanité et diligence. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d'une telle demande n'entraine pas de conséquences fâcheuses pour les auteurs de la demande et les membres de leur famille »

33 Cf art. 13 § 1 de la Convention sur les travailleurs migrants

34 Ratifiée par la France par une loi du 23 décembre 1972, cette charte a été publié par décret du 4 octobre 1974.

35 Aux fins de cette disposition, les termes »famille du travailleur » visent au moins le conjoint du travailleur et ses enfants non mariés mineurs qui sont à sa charge (Charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996 : le texte révisé est entré en vigueur le 1er juillet 1999 et la France l'a ratifié par un décret du 4 février 2000).

36 Adoptée par le comité des ministres du Conseil de l'Europe, elle est entrée en vigueur le 1er mai 1983 et ouvert

stables pour subvenir aux besoins de sa famille.

Ces instruments ont pour but de préserver des ingérences excessives des autorités publiques. La liberté ou le droit de tout individu de vivre avec les membres de sa famille et invitent les États à prendre les mesures adéquates pour préserver ou assurer l'unité familiale. Rares sont les textes qui contiennent des dispositions ayant trait au droit des étrangers.

En droit communautaire, le droit des étrangers n'entre pas non plus directement dans le champ d'application du Traité de Rome, texte fondateur de la Communauté européenne. Les questions ayant trait à l'asile et à l'immigration ne sont devenues des préoccupations communautaires qu'à partir de 1992, date à laquelle a été adoptée la Traité de Maastricht. Au regard de la libre circulation des travailleurs, le droit au respect de la vie familiale est intimement lié à la construction de l'Union européenne. Pour qu'il puisse s'exercer dans des conditions objectives de liberté et de dignité, le droit à la libre circulation exige d'une part, que soit assurée, en fait et en droit, l'égalité de traitement et, d'autre part, « que soient éliminés les obstacles qui s'opposent à la mobilité des travailleurs notamment en ce qui concerne le droit pour le travailleur de se faire rejoindre par sa famille, et les conditions d'intégration de cette famille dans le milieu du pays d'accueil »37. Cet objectif a été consacré dans la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres. Dans la mesure où, par ricochet, la libre circulation des citoyens européens risquait d'être mise en péril si l'unité familiale n'était pas préservée, le droit communautaire dérivé en a tiré les conséquences en prévoyant une protection de la vie familiale. Par ailleurs, la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 participe également à la construction d'un statut communautaire de l'étranger en harmonisant les règles relatives au regroupement familial en vue d'assurer la protection de l'unité de la vie familiale. En ce domaine, le droit communautaire est pionnier puisque, jusqu'alors, nul texte international ou régional ne garantissait en termes clairs et précis le droit des étrangers à vivre en famille38. S'agissant de cette harmonisation des règles applicables au regroupement familial en Europe, la signature du Pacte européen sur l'immigration et l'asile en 2008 en est une illustration.

37 Préambule du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil du 15 octobre 1968 relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté (cons.5), JOCE L. 257, 19 octobre 1968, p. 2.

38 Sur la question de l'influence du droit communautaire sur la situation des migrants, V., J-Y. CARLIER, la condition
des personnes dans l'Union européenne,
Précis de la Faculté de droit de L'université de Louvain, Larcier, 2007.

Nombre de textes39 contenant des règles relatives au droit au respect de la vie familiale de tout individu, démontre le caractère primordial de ce droit. Mais, il convient dès lors de s'interroger sur leur application par les autorités françaises. Celles-ci, dans l'exercice de sa souveraineté, peuvent en effet restreindre ce droit à la vie familiale, notamment le droit au regroupement familial qui retiendra notre attention. Il importe d'examiner dans quelle mesure l'encadrement du droit au regroupement familial peut porter atteinte à cette liberté fondamentale qui est, le droit au respect de la vie familiale. Et de s'interroger sur la place du juge dans les relations entre l'État et les étrangers s'agissant notamment du regroupement familial .

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Dès lors, nous envisagerons la question de l'encadrement législatif du regroupement familial en droit français ( première partie), avant, d'examiner dans quelle mesure le juge intervient pour la bonne application des règles applicables au regroupement familial, et donc pour veiller à l'effectivité du droit au respect de la vie familiale (deuxième partie).

39 Avec notamment la Charte des droits fondamentaux et la Convention internationale sur les droits de l'enfant.

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