4.4. Réflexion
Le facteur esthétique décrit par Kimura est ici
volontairement abandonné, dans le sens où, en
musicothérapie, on constate le même processus sans que la
recherche d'une beauté sonore soit au premier plan. Par ailleurs, il
pense à des personnes instruites dans le domaine de la musique, par
exemple des musiciens sachant lire des notes de musique, lorsqu'il prend pour
objet d'étude la musique et l'acte créateur. Or, au regard de la
partie clinique, l'on constate que des néophytes utilisent le même
processus de création dans le présent, d'écoute active et
d'attitude mentale d'anticipation pour improviser en musicothérapie.
Aussi comprend-on maintenant que, de même que la créativité
s'exerce, l'acte musical en lui-même se doit d'être
répété et travaillé pour évoluer. On ne
naît pas créatif, on le devient.
Néanmoins, il convient de retenir que
l'impulsivité et le non-conformisme favorisent également la
créativité. Elle devient alors spontanée et
intrinsèque à l'Homme, faisant émerger au Monde la forme
en lui. Les personnes présentant certains types d'handicaps psychiques
pourraient en bénéficier de manière non
contrôlée. Monsieur K. dont le jeu musical est
désinhibé, fait preuve de créativité musicale
spontanée, alors que monsieur N., davantage structuré
psychiquement éprouve une sensation de vide et d'incompréhension
face à un instrument de musique dont il ne connaît pas l'emploi,
aussi doit-il en passer par un apprentissage. Monsieur F. se situe entre les
deux messieurs précédemment nommés, le syndrome autistique
prédominant de sa forme de schizophrénie empêchant toute
spontanéité dans son rapport à l'autre.
Il ne convient donc pas de faire de
généralités quant au développement de la
créativité en musicothérapie, cependant on peut observer
que chacun d'entre eux est musicalement actif et que la
créativité apparaît sous différentes formes :
spontanée ou amenée.
Alors que l'acte de créer dans le présent
nécessite des capacités cognitives de mémorisation et
d'anticipation, il peut aussi survenir une création sonore
émanant du fond de la vie, du Soi. De même, il se peut que l'acte
créateur ne puisse naître au monde de manière
spontanée, mais qu'il faille travailler un lâcher prise pour qu'il
émerge.
Revenons à nos trois messieurs pour tenter de
comprendre où se situent la créativité et la
re-création de soi dans leur cas particulier.
En ce qui concerne monsieur K., la créativité en
musicothérapie se présente sous forme d'improvisation
spontanée, comme activité vitale noétique, chaotique et
sans structure rythmique. C'est le son et le discours verbal qui s'ensuit qui
l'amènent à une activité sonore noématique. La
création de sons permet alors un « jaillissement » de soi et
d'une forme en soi. L'activité musicale noétique peut être
travaillée et encore retravaillée, elle ne sonnera jamais de la
même manière et sera pourtant intrinsèquement identique,
sans modification quant à sa non-structure interne. La
créativité sonore est ici chaotique et sans sens pour l'auditeur.
Le patient quant à lui se situe dans une projection gestaltique de
lui-même, dans une re-création fulgurante et immédiate du
Soi.
La créativité de Monsieur F. se place
également dans une forme d'improvisation spontanée, dans un temps
noétique qui devient, au niveau d'un discours sonore, très
rapidement noématique dans l'interaction recherchée avec l'autre.
Le lien entre la phrase musicale précédente, la réponse de
l'autre et la future phrase musicale projettent monsieur F. dans un temps
noématique. La créativité sonore se fait alors discours
cohérent et dialoguant, composé de structures rythmiques et
mélodiques. Le Soi devient Sujet.
Monsieur N. ne peut devenir créatif que suite à
un processus d'apprentissage déjà mentionné lors des
précédents chapitres. L'imbrication entre le Soi et le Sujet est
ici plus complexe, monsieur N. subissant des hallucinations auditives, d'autres
perceptions sonores viennent entraver son cheminement musical.
Néanmoins, sa créativité l'amène à un
développement de soi que l'on peut entendre comme re-création de
soi dans le sens d'une meilleure compréhension, d'une certaine
acceptation et peut-être d'une modification de soi sur le long terme.
Mais revenons à l'exemple du musicien, lequel
découvre une réalité intérieure et
extérieure à lui. Le patient, par l'intermédiaire du son
explore aussi la compréhension de soi et l'ouverture aux autres qui
permettent une re-création de soi.
Dans la répétition, le son se modifie et se
renouvelle, créant une métamorphose de soi. Il s'agit d'un son
créé de manière interne (du fond de la vie) qui en se
spatialisant, se recrée en s'ouvrant au monde (principe de rencontre
avec le monde). Il s'agit d'une créativité dans la
spontanéité, d'une gestalt, d'une manière de faire advenir
les formes que l'on porte en nous.
La créativité sonore spontanée de
même que la créativité sonore amenée sont l'une
comme l'autre source de métamorphose, source de re-création de
soi.
La personne schizophrène souffre, quant à elle,
de ne pouvoir être un Soi dans une subjectivité. Kimura aborde
l'Entre comme lieu se situant entre le Soi et le Sujet, lieu dans lequel le Soi
erroné de la personne se serait créé. L'espace
musicothérapeutique peut-il rejoindre le Soi dans cet Entre ?
Si l'on observe attentivement le tableau récapitulatif de
l'aspec
conçu dans ce chapitre, on relève les items
suivants
l'autre, l'émergence de la créativité,
l'espace musical et le temps musical. On comprend qu'il existe un aspect
linéaire e
perception sonore de soi sont premiers, sans eux, il n'existe pas
de conscience l'autre, qui vient en troisième et qui musicalement
appartient à l'espace et au temps musical. Entre eux se faufile ensuite
l'émergence de la créativité. En suivant cette ligne de
pensée, il s'ensuit que la perception sonore de Soi serait la
conscience
conscience musicale correspondrait le Sujet et l'Entre
pourrait
lieu à partir duquel la créativité sonore se
métamorphose en créativité musicale en s'ouvrant au
monde.
De cette réflexion, il en résulte les tableaux
suivants
Processus musicothérapeutique
|
Processus phénoménologique
|
Conscience auditive :
~ la perception sonore de soi
|
Soi : intègre les domaines
· du Moi
· de la conscience
· de l'intériorité psychique
|
Aïda musical :
~ la créativité sonore (instantanée)
~ la créativité musicale (amenée)
~ l'improvisation
|
Aïda ou l'Entre
· le rapport au fond de la vie
· le rapport au monde
|
Conscience musicale :
~ la perception sonore des autres
~ l'espace musical et ses éléments
~ le temps musical et ses éléments
|
Sujet
· le temps comme temps présent
· le corps comme chair
· l'espace comme lieu
· l'autre comme altérité
|
|
|