4.3. L'Entre comme espace de re-création de soi
en musicothérapie
Un dernier point doit encore être examiné avant
de tenter de répondre à l'hypothèse introductive. Bin
Kimura dans sa théorie de l'Entre ou Aïda (2000) fait une approche
phénoménologie de la schizophrénie, entre autre à
partir d'un exemple concernant la musique, et dans lequel il image sa
conception d'un lieu où la « création erronée »
du Soi de la personne schizophrène s'effectuerait. Ce lieu se situerait
« Entre » le Soi et le Sujet (subjectivité) et serait
pathologique chez la personne schizophrène. Bin Kimura prend comme
principe l'acte musical en vue de dévoiler le lien entre le sujet en
tant que rapport au fond de la vie et le sujet comme principe de rencontre avec
le monde. Chez la personne schizophrène, le lien est rompu, l'autre
étant soi et soi étant l'autre. Aussi, tentons d'utiliser le
concept de noématique et de noétique de la musique pour
comprendre si la création musicale en musicothérapie peut
approcher cet « aïda » pathologique pour permettre une
re-création de soi ?
4.3.1. Noétique et Noématique de la
musique
De manière résumée, les points suivants
sont intéressants quant au lien que l'on peut y faire avec la
créativité musicale en musicothérapie. Selon Kimura,
l'acte musical consiste en au moins trois moments :
1. L'acte de créer dans le présent : qui
comprend le son et la structure rythmique dans l'ici et maintenant et qui veut
que lorsque l'on arrête de jouer ou de chanter, tout s'interrompt.
2. L'écoute active : qui veut garder à l'esprit le
dernier son joué, et les précédents afin de créer
une unité entre eux et un lien avec les futurs sons naissants.
3. L'attitude mentale d'anticipation : qui permet d'imaginer et
de créer les sons futurs et de relier l'ensemble à
lui-même.
Ces trois moments sont intrinsèquement liés et ne
peuvent être séparés les uns des autres lors de
l'exécution musicale. Ensemble, ils sont garants d'une cohésion.
L'écoute et l'attitude mentale d'anticipation appartiennent tous deux
au présent et au futur, alors
que l'acte de créer dans le présent
s'avère très différent des deux autres moments. Il est
aussi vital que de manger, se reproduire ou dormir, et se relie au fond de la
vie. « On peut reconnaître dans le chant ou la danse un
jaillissement de la vie sous sa forme primitive et originelle »
(Kimura, 2000, p.34). En principe, les deux autres moments soutiennent le
premier, mais il peut arriver qu'il soit le seul perçu et que l'harmonie
générale du jeu en soit abimée.
Le premier moment est d'ordre noétique, il s'agit d'une
activité vitale et immédiate dont l'acte est rendu conscient dans
le présent. Le deuxième et le troisième moment, de part
leur impact sur la mémoire comme musique déjà jouée
ainsi que sur l'imagination comme musique anticipée sont d'ordre
noématique, rapport entre le passé et le futur. Il faut savoir
que le temps conscient n'est jamais que passé ou futur, il ne peut pas
être conscient comme tel. Ainsi l'activité noétique
(passée ou future) n'est consciente que projetée dans le
noématique, c'est à dire dans le temps présent.
Le musicien lorsqu'il joue, ne produit pas un simple
assemblage de sons physiques, l'activité musicale sous-tend une
activité vitale noétique et le jeu se rapporte au fond de la vie,
sans quoi les sons et les silences d'ordre noématique ne seraient que
stimulation auditive dans leur forme globale (Gestalt). Dans son jeu, le
musicien découvre une réalité extérieure à
lui-même mais aussi au fond vital de son activité musicale qui est
intérieure.
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