Monsieur N.
Le cheminement qui amène monsieur N. à
l'improvisation et à la créativité a déjà
été mentionné lors de la description du déroulement
des séances de musicothérapie. Il s'avère que les items
des points ci-dessous apparaissent, d'un point de vue clinique, dans l'ordre
suivant : 1. Apprentissage d'une technique instrumentale. 2. Meilleure
assurance et estime de soi. 3. Lâcher prise. 4. Improvisation. 5.
Créativité. L'improvisation a nécessité un
apprentissage pour développer une technique menant à un
lâcher prise. On observe que la musicothérapeute a initié
un travail pédago-musicothérapeutique valorisant afin de
permettre l'émergence du Soi, en vue de poursuivre les séances
par un travail collectif utilisant l'improvisation comme mode d'expression des
sentiments.
4.2.3. Espace musical et temps musical
La musique consiste en une organisation de sons dans le temps.
Elle est intemporelle, dit-on communément, mais intrinsèquement
organisée et rythmée. Un air plaisant (une organisation savante
de sons) verra le temps filer sans jamais ternir et nombre de compositeurs
vivent encore par l'intermédiaire de leur musique, inlassablement
interprétée, écoutée, recréée. En
musicothérapie, une production sonore, une improvisation demeure
éphémère. Bien qu'elle puisse être
enregistrée, « l'action musicale » passe et on ne la revit
jamais deux fois ; tout au plus, peut-elle être « subie » si on
la réécoute. A l'espace modifié correspond l'espace
sonore, qui peut s'organiser de deux manières : soit à la
verticale, et il s'agit de la mélodie, soit à l'horizontale, et
c'est ce que l'on nomme l'harmonie. La mélodie se résume à
plusieurs sons posés à la suite les uns des autres, par exemple
Au clair de la lune joué à la flûte. L'harmonie
consiste en une superposition de sons joués simultanément, tel
que l'accompagnement au piano de Au clair de la lune. Evidemment que
l'une n'empêche pas l'autre, et qu'inversement elles se complètent
: Au clair de la lune joué à la flûte avec un
accompagnement au piano. Quant à lui, le son est composé de
plusieurs paramètres, les quatre principaux étant : la hauteur,
le timbre, l'intensité et la durée. Cette dernière
correspond à la structuration du son dans le temps, elle appartient par
conséquent au temps musical, la durée d'un son étant
elle-même composée de structures rythmiques (division du temps).
En général, on distingue également une vitesse
d'exécution d'une structure rythmique propre à chaque individu,
ressenti d'une vitesse que l'on désigne par pulsation interne, d'une
pulsation induite par l'extérieur, le tempo, proposé en musique
par un compositeur, et imposé par une dynamique de groupe en
musicothérapie.
a) Monsieur K.
L'espace : ainsi que signifié à maintes
reprises, monsieur K. choisit le clavier et le piano pour s'exprimer
musicalement. Il est sensible au son, et apprécie notamment celui de
l'orgue pour l'aspect grandiose de sa spatialisation. De même, sa voix
chantée lui convient lorsqu'elle est encore davantage spatialisée
par un microphone. Il apprécie également que l'on puisse entendre
sa prestation de loin et en augmente encore le volume sonore. Sa voix
parlée est chevrotante, douce et basse, mais lorsqu'il joue du
piano, il se cantonne aux sons aigus et lorsqu'il chante, il
porte sa voix encore plus haut et plus loin dans les airs, créant un
autre son, comme pour compenser une fragilité naturelle. On
relève également que le volume sonore engendré par
l'accordéon est élevé lorsque monsieur K. en fait
usage.
Le temps : décrit comme étant un patient
calme, on relève que dans le cadre musicothérapeutique, monsieur
K. explore brièvement le piano sur lequel il tapote et joue de
l'accordéon en ouvrant et en fermant le soufflet avec force et
vélocité. Il se peut que cette pulsation interne soit le reflet
d'une anxiété et d'un stress ressentis. On remarque qu'un son
produit lors d'improvisation ne dure jamais très longtemps, et qu'il
s'avère sans structure rythmique et d'une pulsation interne rapide.
L'improvisation ellemême est si succincte que seul un chaos rythmique
semble régner. Ce processus fait appel à sa
créativité, à son Soi musical qui s'avère confus
dans l'espace et dans le temps. En revanche, lorsque monsieur K. chante, il
respecte le tempo donné par la musique et se trouve être en
rythme. Tout paraît alors à sa place, la mémoire du texte,
la voix présentant une bonne intonation, le tempo respecté. Alors
qu'en improvisation, on ne relève aucune structure faisant appel
à un sens commun, (l'auditoire est perdu et ne comprend rien à
l'expression de l'être musical de monsieur K.), on note qu'en chant, il
n'y a que structure et ordre. Dans la première situation, c'est la
musique qui est ellemême thérapeutique en temps qu'expression de
soi sans contrainte extérieure, alors que dans la seconde situation,
c'est le cadre normatif et structurant qui devient thérapeutique en
permettant une expression musicale de soi organisée et cohérente
pour tous.
b) Monsieur F.
L'espace : le son du piano semble le toucher
particulièrement. Il en joue de manière mélodique, en
déplaçant son doigt d'une touche à l'autre, et de
manière harmonique, en recherchant à produire deux sons
simultanés. Son excellente capacité d'écoute et de
reconnaissance des sons lui permet d'améliorer ses relations aux autres
en dialoguant avec eux. Il ne paraît pas être en recherche
particulière de sons graves ou aigus mais semble viser à donner
un sens musical à une suite de notes jouées. Il joue du piano au
milieu du clavier et s'exprime dans des nuances feutrées. Sa voix
chantée possède une
assez grande tessiture lui permettant d'entonner des chansons
destinées aussi bien à des voix de ténors qu'à des
voix de baryton. Naturellement, monsieur F. parle et chante doucement, de la
même manière qu'il s'initie au piano. Il découvre le
violon, dont les sons aigus lui permettent de se remémorer son
grand-père. Le son fait ici office de mémoire, de moyen d'entrer
en relation avec l'autre et de procédé pour donner un sens
à des notes en créant une ligne mélodique.
Le temps : il semblerait que monsieur F. dialogue avec
la musicothérapeute lors des premières séances. Un
dialogue musical ne nécessite pas une perception commune d'une pulsation
interne ou d'un tempo, inversement, il favorise l'émergence et
l'expression d'un discours personnel en lien avec celui d'autrui. En effet, une
phrase musicale (son et rythme) naît et le créateur attend une
réponse, un écho à son discours. La pulsation interne, le
tempo, la structure rythmique qui se présentent peuvent-être
repris ou non par l'autre, selon ce qu'il est : conciliant ou rebelle, imitatif
ou créatif, introverti ou extraverti, etc. Par contre, au sein d'une
collectivité, la contrainte d'une pulsation rythmique commune existe,
c'est le tempo, ainsi que déjà explicité auparavant. On
note que lorsque monsieur F. intègre un groupe, il présente des
difficultés à rejoindre le tempo et ne tient pas compte des
silences et des temps d'arrêt. Il s'isole et ne perçoit que sa
propre ligne rythmique. Au fil du temps, il semble acquérir cette notion
du temps commune au groupe, et s'en sert pour entrer en contact avec les autres
participants. Il s'avère alors capable de reproduire des structures
rythmiques assez élaborées, à condition de les avoir
entendues au préalable plusieurs fois et de s'être exercé
par imitation.
c) Monsieur N.
L'espace : il choisit une petite guitare, avec peu de
résonnance, pour initier ses séances aux sons doux et exotiques
du ukulélé. Il en joue immédiatement de manière
harmonique et développe par la suite l'aspect mélodique et sonore
ainsi que rythmique de son jeu musical. On remarque que lorsqu'il ressent
atteindre ses limites, lors d'une période difficile, il décide de
changer d'instrument, et que mis à part cet événement,
on
ne relève rien quant à une perception de l'espace
qui serait altérée par des périodes d'hallucinations
auditives.
Le temps : on remarque qu'une pulsation interne rapide
marque une certaine nervosité. Ses mains et ses jambes tremblent, il est
replié sur lui et souffre de l'image qu'il pense donner de
lui-même lors de représentations publiques. Son initiation au
rythme musical se fait par l'intermédiaire du djembé avec lequel
il développe des structures rythmiques lui permettant d'accompagner la
chorale. Il insuffle un tempo à l'ensemble vocal, lequel s'anime au son
du djembé. Au fur et à mesure d'essai et d'accompagnement
rythmique, monsieur M. progresse et prend confiance en lui.
4.2.4. Tableau récapitulatif
Il semble intéressant de collecter globalement et de
manière différente les informations révélées
précédemment. Le tableau ci-dessous reflète les principaux
éléments mentionnés. Il s'agit de l'âge du patient,
important quant à ses possibilités de progression, du type de
schizophrénie afin de s'en remémorer les principaux syndromes, de
la médication plus ou moins lourde, engendrant en sus des
symptômes de la maladie des effets secondaires, du type d'hallucinations
touchant les sens, ainsi que des éléments musicaux relevés
lors des paragraphes ci-dessus : perception sonore de soi et d'autrui,
improvisation, avec un lien entre le créativité et
l'émergence de l'improvisation, l'espace musical et le temps musical en
musicothérapie.
Tableau récapitulatif des séances de
musicothérapie
|
Monsieur K.
|
Monsieur F.
|
Année de naissance
|
1950
|
1964
|
Type de schizophrénie
|
Résiduelle
|
Hébéphrénique ou
désorganisée
|
Médication
|
conséquente
|
conséquente
|
Type d'hallucinations
|
Auditives non avérées mais mentionnées par
le patient Observées en séance
|
Auditives et visuelles avérées et
mentionnées par le patient Observées en séance
|
Perception sonore de soi
|
oui
|
oui
|
Perception sonore d'autrui
|
Pas immédiatement
|
Par alternance
|
Improvisation et émergence de la
créativité
|
Formes
|
Spontanée et de forme chaotique
|
Spontanée sous forme de
dialogue
|
Type de séance
|
En individuel
|
En individuel et en groupe
|
Evolution
|
Aucune
|
En cours
|
Cela
révèle
un (e) :
|
Expression de
soiExpression de ses sentiments
|
Moyen d'entrer en relation Ouverture à l'autre
|
Espace musical
|
Instruments principaux
|
Claviers et voix
|
Piano et voix
|
Spatialisation
|
oui
|
oui
|
Hauteur
|
Sons aigüs
|
Sons médiums
|
Intensité
|
Forte < Fortissimo
|
Mezzo Forte < Forte
Forte > Piano
|
Mélodie
|
Voix : ouiInstruments : non
|
Voix : ouiInstruments : oui
|
Harmonie
|
non
|
oui
|
Temps musical
|
Pulsation interne
|
Excessivement rapide
|
Normale
|
Tempo
|
Non
|
Oui, après un travail
|
Structures rythmiques
|
Simple
|
Elaborées à la suite d'exercices et par
imitation
|
66
Monsieur N.
1976
Paranoïde
relativement légère
Auditives avérées mais non mentionnées par
le patient Observées en séance
oui
oui
À la suite d'un apprentissage
En groupe
En cours
Affirmation de
soiDéveloppement de la
créativité
Ukulélé et djembé
oui
Toute la palette
Pianissimo < Forte
oui, en second
oui, en premier
Rapide
Oui, de manière innée
Elaborées de manière relativement naturelle
|