4.2.2. Délire et improvisation
Dans sa structure particulière de dissociation et de
perte de repères, d'exploration de sensations et de
phénomènes singuliers, l'analogie que l'on peut établir
entre délire et improvisation est aisée. L'improvisation consiste
en une expression de soi, sans structure temporelle ou spatiale
préétablie, donnant libre cours à l'émergence de
sentiments, à l'imagination, à la créativité par
l'intermédiaire d'explorations sonores. La perte du contact vital avec
la réalité dans la création d'une autre
réalité peut correspondre à l'improvisation en
musicothérapie, même si, à la différence de la perte
de contact, l'improvisation n'est pas subie mais « donnée à
réaliser ». L'improvisation requiert de la
créativité, et la créativité, comme
précédemment explicité, nécessite un certain
lâcher-prise, une forme de désinhibition pour pouvoir
s'exprimer.
a) Monsieur K.
En ce qui concerne la musicothérapie active,
l'utilisation du clavier et du piano qu'il affectionne particulièrement,
il se situe toujours dans le ton de l'improvisation libre. Il ne semble pas se
soucier de l'aspect esthétique de sa production, étant
suffisamment décomplexé pour tapoter sur le clavier du piano ou
de l'accordéon sans chercher à reproduire un air connu. Il chante
d'une voix grave et tremblante, mais dont l'intonation est exacte, ce qui
laisse à penser qu'il possède une bonne oreille musicale. Par
conséquent, ce n'est pas par manque de connaissance dans le domaine de
la musique ou pour une absence de sens musical que monsieur K. improvise avec
facilité, mais bel et bien grâce à un lâcher-prise et
à une certaine décontraction vis-à-vis d'un type bien
défini d'instrument, en l'occurrence les claviers. En ce qui concerne la
voix chantée, il entonne des airs connus et dit ne pas pouvoir
improviser, d'une part conscient qu'une certaine technicité puisse lui
faire défaut et d'autre part se situant davantage dans une recherche de
plaisir à partager avec d'éventuels auditeurs.
Monsieur F.
Au regard de la partie clinique, il s'avère qu'il
cherche souvent à jouer des airs communs à tous tel Au clair
de la lune, mais qu'il est cependant apte à improviser de
manière spontanée et esthétique des airs qui lui sont
propres. Le développement du sens de l'écoute et du sens de
l'autre, notamment amenés lors du passage des séances
individuelles aux séances collectives, l'ont guidé à
pouvoir reconnaître et à pouvoir appuyer sur les bonnes touches
afin de jouer « sa propre musique » tout en accompagnant et tout en
respectant les autres. On note que par l'intermédiaire de jeux musicaux
tel que celui du « chef d'orchestre », monsieur F. permet à
chacun de s'exprimer librement tout en organisant les sons divers et
variés, originaux et spontanés qui naissent d'un ensemble
créatif, appliquant ainsi sa propre méthode d'approche du
clavier, tantôt par des airs connus, tantôt par des airs
improvisés. On relève également le fait que pendant la
période qui suit son accident cérébral, il tient à
chanter dans la chorale au sein de laquelle il se sent en
sécurité et utile aux autres (prestation dans une maison pour
personnes âgées). Par contre, dans le cadre des séances
d'improvisation collective, il souffre d'hallucinations auditives qu'il tente
de faire taire.
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