Déroulement des séances
Monsieur F. participe à des séances de
musicothérapie de type actif et réceptif depuis 2005. Etant
donné sa grande timidité et son manque de sens relationnel, la
musicothérapeute le reçoit en individuel durant les six premiers
mois de séances. Pendant ce temps, patient et musicothérapeute
apprennent à faire connaissance et par l'intermédiaire du piano,
ils créent des dialogues musicaux qui deviennent verbaux par la suite.
Ainsi cette séance pendant laquelle, à la suite d'une
improvisation pianistique, monsieur F. annonce que son grand-père
était violoniste, et beaucoup plus gentil que son père qui lui
faisait peur. Enfant, il était effrayé à l'idée de
ne pas réussir à l'école et de devoir en subir les
conséquences dans le cadre familial. Mis en confiance, il se
détend, parle de manière très discrète et polie de
sa vie, et exprime ses émotions passées et présentes. La
musicothérapeute, en accord avec l'éducateur
référant, prend alors la décision de lui proposer
d'intégrer un groupe de musicothérapie active.
Durant cette période de transition d'environ une
année, il poursuit ses séances individuelles et s'initie aux
séances collectives d'improvisation. Le rapport de confiance qui
s'était établi entre monsieur F. et la musicothérapeute
s'étiole de manière momentanée, et le patient tend
à se replier sur lui, perdant ses repères. En séance
collective, il s'isole en jouant une mélodie au clavier et ne tient pas
compte des temps d'arrêt musicaux des autres participants. De la
même manière, il ne prend pas part aux discussions
suscitées par les interactions au sein du groupe. Cependant, la
musicothérapeute note que son excellent sens de la musique et son
oreille particulièrement développée lui permettent de
créer un lien avec la production sonore groupale en reproduisant une
phrase mélodique entendue. Ainsi, il communique parfois et dialogue de
manière non verbale avec les autres participants. Les séances
individuelles d'improvisation au piano permettent à monsieur F.
d'acquérir davantage
de confiance en soi en imitant et en développant une
technique personnelle d'approche du clavier. Monsieur F. s'étant
coupé une partie de la première phalange du majeur de la main
droite, il affine sa dextérité en cherchant des mélodies
ou des intervalles à deux sons, utilisant tous les doigts de ses deux
mains de manière simultanée ou dissociée. Associant
technique et assurance, et avec beaucoup d'encouragement, il peut faire preuve
d'une grande créativité. Il s'initie également au
xylophone sur lequel il cherche, avec une mailloche, à reproduire des
mélodies entendues. A l'aide de deux baguettes, il survient qu'il
crée également sa propre ligne mélodique. Les sons
semblent alors peu organisés, les mailloches « volant » sur
les lames du xylophone.
En 2007, de nombreux changements ponctuent la vie «
musicale » et « sociale » de monsieur F. dans le cadre de
l'atelier. Les séances individuelles sont supprimées au
bénéfice du groupe. L'objectif consiste à lui permettre de
prendre davantage d'assurance et d'accepter de devenir pour quelques instants
le chef d'orchestre de l'ensemble. On relève de cette période
musicothérapeutique qu'il privilégie toujours le clavier et que
grâce à ses capacités d'écoute et de
mémorisation, il rejoint musicalement le groupe, bien que ses
difficultés de motricité fine l'empêchent parfois
d'atteindre le tempo musical de l'ensemble instrumental. Il ne s'impose pas
encore aux autres, et se montre discret derrière son clavier qui le
protège de tout contact. Néanmoins, il participe activement au
groupe en se fondant dans la production sonore de l'ensemble. Le patient ne
recherche plus de petites mélodies connues, mais s'adapte à ses
pairs et tient compte des autres. Il reste dans la « réalité
musicale » éphémère du groupe. Par contre, il
interprète parfois les intentions des personnes qui l'entourent et
s'impose des limites en fonction de ce qu'il croit avoir compris, perçu
ou entendu de l'autre. Cependant, cet état de fait se produit rarement,
et monsieur F. sait expliquer ce qu'il a ressenti lors de
l'événement, par exemple s'il a éprouvé de la
colère ou de la peine. Concernant l'animation du groupe, monsieur F.
accepte de diriger le groupe. Il ne se montre pas trop directif, et permet
à chacun de s'exprimer librement. En pointant du doigt une personne, il
l'invite à se produire musicalement, incitant parfois plusieurs
personnes à jouer ensemble, tel un chef d'orchestre dont la partition
naît de manière naturelle au bout de ses doigts. Il anime, donne
vie à chacun, avec un réel plaisir et davantage de
facilité que l'on ne peut s'y attendre. Les participants, outre les
improvisations libres et les divers jeux musicaux proposés, choisissent
d'apprendre à jouer des standards de la musique rock, tels que smoke
on the water du groupe Deep
Purple ou Highway to Hell du groupe AC/DC.
Après beaucoup de travail et de répétitions, la
mélodie principale devient reconnaissable et il s'agit ensuite pour
l'ensemble de se produire lors de certains événements importants
ponctuant la vie de l'institution, par exemple la kermesse ou le noël des
résidants. Les proches viennent partager un peu de bon temps avec les
patients et assister à leur production musicale. L'ensemble est
composé de résidants s'essayant à la batterie, à la
guitare, aux percussions et de monsieur F. au clavier. Lors des
premières représentations, inquiet du regard que les autres
peuvent porter sur lui, et conscient de la qualité sonore de l'ensemble,
monsieur F. prend un anxiolytique supplémentaire, confronté
à un facteur stressant qu'il ne peut gérer. Inquiète, la
musicothérapeute lui rappelle qu'il n'est pas obligé de
participer, mais monsieur F. y tient et l'ensemble présente publiquement
sa musique. Il dit en fin de journée être heureux que sa famille
ait pu reconnaître ses qualités de musicien et se sentir
soulagé et content d'avoir eu le cran de jouer devant eux. La
musicothérapeute remarque alors une amélioration quant à
ses capacités d'ouverture à l'autre.
De 2008 à 2009, elle relève que monsieur F., mis
en confiance par le clavier qu'il apprécie et qu'il connaît bien
désormais, laisse libre cours à son imagination et à ses
capacités d'écoute et se montre plus apte à suivre
rythmiquement la pulsation musicale de l'ensemble. Il continue de progresser
quant à l'expression de soi et à la gestion de ses
émotions, il sait prendre la parole au sein du groupe et
détailler son ressenti à la suite d'improvisation musicale
collective. De même, il peut prendre spontanément la parole et se
laisser aller à plaisanter amicalement avec ses pairs.
En milieu d'année 2009, monsieur F. subit deux crises
d'épilepsie suivies d'une embolie cérébrale. Malgré
des résultats neurologiques neutres, il s'avère que le patient
est davantage sensible aux remarques qui lui sont faites et interprète
de manière négative les actes et les pensées des autres.
Par mesure préventive et souhaitant se défendre, il se met en
colère et devient verbalement très agressif. Au sein du groupe,
un repli sur soi est déploré. Le stress, normalement sain, qui le
gagne lors de prestations publiques survient à nouveau de manière
négative. Il devient impatient et belliqueux, rebelle et impoli. A la
suite de ce type d'événement, il aime à exprimer ses
difficultés, ses craintes et angoisses qui le maintiennent dans un
état de mal-être général. Affronter les autres et
leur regard intrusif devient une épreuve ardue à surmonter, et il
éprouve le sentiment légitime de devoir se battre pour survivre.
Son comportement se modifie, il
redevient centré sur lui, s'isole, est
interprétatif et souffre de sentiments de persécution. D'un point
de vue instrumental, il s'énerve musicalement, tente de jouer plus fort
que les autres, arguant ne plus s'entendre. Il est fort probable que sa propre
production sonore soit partiellement masquée par des voix et qu'en
augmentant le volume sonore du clavier électronique, il tente de les
couvrir. Néanmoins, dans le cadre de la chorale fraîchement
créée par l'atelier de musicothérapie, il souhaite
participer à des animations musicales au sein de foyers pour personnes
âgées. De tendance solitaire et plutôt replié sur
soi, mais de contact agréable, faisant preuve d'un comportement
adéquat, il apparaît presque à son aise et son taux
d'anxiété ne nécessite par de prise supplémentaire
d'anxiolytique avant, pendant ou après l'activité
susmentionnée. L'attitude de monsieur F. s'améliore au fil des
séances et six à huit mois après son accident neurologique
et jusqu'à ce jour, il s'exprime à nouveau, prend part à
diverses conversations, parle de ce qu'il ressent et éprouve. Sur le
plan cognitif, il paraît intellectuellement plus curieux, explore et
s'approprie de nouveaux instruments, de type percussif tels la batterie et le
djembé, et de type mélodique tel le violon, symbole de son
enfance. Autre fait novateur, il affirme ses choix ainsi que ses goûts
musicaux et instrumentaux. Parfois, il tend encore à penser qu'il joue
mal, qu'il se trompe et que l'ensemble ne souhaite plus sa présence.
Néanmoins, monsieur F. est bien accueilli au sein du groupe et trouve sa
place de façon moins discrète, s'affirme dans les règles
de la bienséance, sans agressivité. Au sein de la chorale, il
chante très discrètement, le nez dans le texte. Semblant joyeux,
il participe à sa manière à rendre l'ambiance
générale plutôt sympathique, bienveillante, conviviale et
décontractée. Cependant, il survient que monsieur F. se plaigne
que la voix de la musicothérapeute se fasse plus sévère,
que ses yeux deviennent schizophrènes, et que son visage se
transforme de manière effrayante. Parfois conscient qu'elle ne lui veut
pas de mal, il tente de distinguer la réalité de ses propres
perceptions et manifestations. En vue d'apaiser sa souffrance, monsieur F.
applique une des deux stratégies suivantes: soit il tente de se
défendre et devient menaçant et verbalement agressif, soit il
reste très calme, presque mutique et foudroie du regard celle qui
s'avère être la source de sa souffrance. La
musicothérapeute lui rappelle qu'elle ne veut pas lui faire de mal, et
le patient peut alors exprimer son mal-être et raconter ses
hallucinations visuelles qui engendrent de fausses interprétations.
Apaisé, il poursuit les séances sans heurts.
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