Déroulement des séances
Au mois d'août 2009, Monsieur K. se présente
spontanément dans la salle de musicothérapie, un beau matin,
intrigué par le bruit qu'il en perçoit. Il s'intéresse
immédiatement au matériel de sonorisation que l'institution vient
d'acquérir et qui se trouve être momentanément
entreposé dans la salle. Il raconte son attrait pour la mécanique
et l'électronique, tout en faisant un lien avec le piano et sa
manufacture. La musicothérapeute lui propose de prendre rendez-vous afin
de pouvoir goûter au plaisir de découvrir les différentes
fonctions et les différents sons que l'on trouve sur un clavier
électronique. Il accepte volontiers et revient la semaine suivante au
jour et à l'heure proposés, encouragé par un
éducateur. Monsieur K. pianote sur toutes les touches, appuie sur chaque
bouton et s'amuse des différents sons qu'il crée. Il commente les
divers types d'instruments que le clavier reproduit et parle de sa vie,
notamment du décès de ses parents et de la peine qu'il en ressent
encore aujourd'hui. Il dit se sentir triste, fait la moue et rit
simultanément. La musicothérapeute lui propose alors
d'écouter
un peu de musique, et monsieur K. choisit, sans trop
d'hésitation, d'entendre une chanson de Michel Sardou (La maladie
d'amour). Il chante d'une jolie voix grave, un peu fluette et tremblante, avec
une intonation très exacte. Trente minutes se sont
écoulées, patient et musicothérapeute décident
conjointement de mettre fin à la séance. Monsieur K. dit
être content et vouloir revenir la semaine suivante. Il repart en
chantonnant.
Cette première séance donne le ton des
séances suivantes, qui se dérouleront de manière assez
semblable, ritualisée, posant un cadre rassurant. Au vu du sentiment de
persécution dont le résidant peut souffrir, la
musicothérapeute décide de maintenir des séances
individuelles. Celles-ci seront de type actif en utilisant notamment le
clavier, le piano, la voix chantée et de type réceptif en lui
permettant de choisir et d'écouter des chansons, de s'exprimer à
leur sujet et d'évoquer les images mentales et affectives qu'elles lui
inspirent. Des activités musicales différentes se
succédant lui permettent de maintenir un intérêt et de
l'attention tout au long de la séance ; aussi le temps qui lui est
imparti - trente minutes - semble bien indiqué.
Du mois d'août au mois de novembre 2009, un objectif est
posé, celui de permettre au patient de découvrir l'atelier de
musicothérapie et ses divers modes d'expression. Les moyens mis en place
sont les instruments proposés, l'écoute musicale et le chant. Les
critères d'évaluation consistent en une fréquentation
régulière de l'atelier par monsieur K. La synthèse de
cette période révèle que le patient fait preuve de
beaucoup d'intérêt ainsi que de certaines capacités
d'attention et de concentration. Cependant, une attitude fluctuante, une
ambivalence et des idées contradictoires sont parfois
déroutantes. Sans accompagnement et attention constante de la part de la
musicothérapeute, il explore succinctement le clavier et l'éteint
de manière brusque et inattendue. En revanche, il est très
respectueux du matériel utilisé, et dit se sentir en
sécurité. La musicothérapeute note peu d'expression de
sentiment de persécution, hormis lorsque quelqu'un fait irruption dans
la salle. Monsieur K. demande alors pourquoi on lui veut du mal, et se
rétracte après quelques minutes en s'interrogeant sur sa maladie
qui le fait souffrir et lui donne de mauvaises impressions.
Dans ces moments d'agitation, il répète souvent qu'il n'est pas
homosexuel, et il tente de quitter la séance en cours, en
prétextant qu'il doit y aller et en utilisant les mots suivants
: « Bon, ben j'y vais, mademoiselle Maude ». Néanmoins, il
semble toujours content de venir découvrir ou redécouvrir
l'atelier, et passe plusieurs fois par jour pour demander s'il est
autorisé à venir jouer cinq minutes
ou à écouter un peu de musique. Lorsque la
musicothérapeute ne peut l'accueillir, il repart lentement, à son
rythme, sans frustration ni vexation. Si elle le reçoit, il s'assied et
chante des airs qu'il apprécie et qu'il connaît relativement bien.
Les paroles lui font quelquefois défaut, mais à l'écoute
de la musique, lui reviennent souvent. Il semble alors se concentrer sur sa
prestation, demande de temps à autre le texte qu'il lit plus ou moins
bien, un microphone afin que sa voix porte bien, et oublie le monde
environnant. L'instant d'un chant, les voix et les sentiments de
persécution s'estompent. Il arrive que monsieur K. verbalise
spontanément à la suite d'une chanson, soit en reprenant le
thème du chant soit en parlant d'événements ou de
sentiments plus intimes. Il survient fréquemment qu'il pleure, et que
les extraits musicaux, notamment la musique d'orgue d'église, lui
rappellent sa maman auprès de qui il pense ne pas s'être toujours
montré très aimable et au sujet de laquelle il exprime un fort
sentiment de culpabilité. En conclusion de cette synthèse, la
musicothérapeute relève les forces et ressources du
résidant, en citant tout d'abord son plaisir à participer,
ensuite son intérêt pour la musique et finalement ses
capacités à exprimer ses sentiments. Les difficultés
remarquées sont un manque de repères spatiaux et temporels, une
forte ambivalence et des sentiments de persécution
générant beaucoup d'angoisse, avec des thèmes
récurrents tels que l'homosexualité ou la perte d'êtres
proches.
Du mois de novembre 2009 au mois d'août 2010, plusieurs
objectifs sont amenés : il s'agit tout d'abord de tenter d'instaurer
certains repères temporels en respectant le jour et l'heure des
séances. Il s'agit ensuite de permettre à monsieur K. d'explorer
d'autres types d'instruments, par exemple la batterie, l'accordéon ou un
xylophone, et de maintenir certaines fonctions cognitives telle la
mémoire par l'intermédiaire du chant et de solliciter un peu de
vivacité d'esprit lors de la lecture de textes. La synthèse de
cette période indique que monsieur K. se rend à l'atelier de
manière épisodique, pour des raisons d'oubli, de fortes pertes
d'équilibre liées à une grande fatigabilité, de
problème mineur de santé ou encore pour des raisons de
dissociation type ambitendance (il ouvre la porte pour rentrer, puis referme la
porte, renonçant... geste qu'il peut effectuer plusieurs fois en un
quart d'heure). Néanmoins, lorsqu'il le peut, il participe de
manière active et demande à chanter ou à jouer du clavier,
instrument pour lequel il voue une grande passion. Il découvre
l'accordéon, inspiré par le son trouvé au clavier
électronique, qu'il agite avec force et détermination, engendrant
un son de volume sonore très élevé. En
général, il tire et pousse une dizaine de fois le soufflet en
essayant
de déplacer les doigts de ses deux mains sur les
boutons, puis écoute l'accompagnement effectué par la
musicothérapeute qui tente de soutenir ses efforts et
d'agrémenter son exploration sonore dans le même état
d'esprit que lui. Il repose l'instrument au sol et sollicite une autre
activité. Il découvre également la batterie, sur laquelle
il tape avec beaucoup d'énergie pendant un très court laps de
temps. Il joue de la grosse caisse avec son pied et essaye chaque tambour et sa
sonorité particulière, sans oublier les cymbales. Il exprime
alors son manque d'enthousiasme pour cet instrument qui le fatigue
rapidement.
En revanche, son attrait pour le chant va grandissant, et
après avoir entendu certains résidants chanter en karaoké,
réclame à en faire de même. Il apprécie d'entendre
sa voix portée dans les airs par le microphone et son système
électronique. Monsieur K. se met alors en scène, laissant
apparaître un peu de théâtralisme sur un fond de
narcissisme. Selon la chanson dont le texte défile sur l'écran,
il lit rapidement et suit relativement aisément la musique
diffusée. Aussi se montre-t-il apte à effectuer plusieurs actions
cognitives simultanément. Le sourire affiché par la suite
témoigne du plaisir éprouvé à être sur le
devant de la scène quelques instants. Lorsqu'il parle des sentiments
qu'il éprouve en chantant, sa compréhension et son analyse du
texte et de son sens sont pertinents. Par exemple, le lien exprimé par
le patient entre la chanson Je vous ai bien eu de Michel Sardou et le
suicide est assez éloquent. Monsieur K. explique que malgré des
tentations passées, « ça n'est pas quelque chose à
faire ». Il rit et pleure simultanément, signe d'ambivalence des
sentiments. Cependant, il annonce souvent qu'il apprécie ses
séances de musique, et la musicothérapeute en
déduit qu'elles lui permettent de faire passer le temps un peu plus
vite, de se sentir vivre intérieurement, qu'elles l'amènent
à éprouver d'autres sentiments que la tristesse et suscitent
beaucoup de souvenir, parfois de la culpabilité et de la
mélancolie, du plaisir et pas mal d'humour, qu'il peut exprimer de
manière non verbale et avec des mots.
Lorsqu'il regagne son unité de vie en chantant, le
personnel accompagnant apprécie sa bonne humeur. Si le premier objectif
qui consiste à permettre au patient d'obtenir un repère temporel
n'est pas atteint (aux vues de ses fréquentes absences), les autres
objectifs, à savoir la découverte d'instruments et le maintien de
compétences cognitives, sont en bonne voie.
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