2.2.3. Les notions de temps et d'espace modifiés
Janet étudie le temps, non pas celui de la physique,
mesurable et quantifiable, mais faisant référence à ce que
l'on ressent au plus profond de soi et qui caractérise le sentiment que,
du point de vue du langage usuel, « le temps passe vite » ou que
« l'ennui s'installe ». Selon Janet, les conduites temporelles sont
postérieures aux conduites spatiales, l'être vivant ayant appris
tout d'abord à exécuter des mouvements
afin de se mouvoir dans l'espace et en vue d'apprivoiser la
distance. Cet acte primitif ne connaissait aucune hiérarchie temporelle,
il s'agissait d'un acte purement spatial, sans organisation concevant un
commencement, une fin, une durée. Selon Minkowski, (1966), ce type
d'organisation interne se retrouve lors de certaines pathologies telles que
manifestations épileptiques ou raptus (coups de folie)
mélancoliques.
Différents principes sociaux obligent ensuite les
êtres vivants à organiser progressivement leurs conduites dans le
temps. L'espace étant la forme la plus simple à laquelle nous
sommes obligés de nous adapter, par extrapolation, elle se
réfère à des notions plus complexes tel le fait de
vieillir et de mourir, et qui ne peuvent être modifiées par un
simple déplacement. Ces notions exigent des conduites différentes
: les conduites temporelles viendront se superposer aux conduites spatiales et
serviront de régulateurs d'actions.
Dès lors, les conduites temporelles peuvent être
ordonnées de la manière suivante : 1. La durée. 2. La
mémoire élémentaire (devenir soi). 3. L'organisation du
temps.
La durée naît de la persévération
dans le temps d'un acte, par exemple un animal qui fait une découverte.
A l'acte explosif et éphémère de la découverte, il
ajoute l'effort de continuation et exécute ainsi le pas initial à
vaincre les difficultés que le temps véhicule.
L'homme prend conscience de ces conduites temporelles et les
intellectualise, laissant apparaître la notion de durée. Avec elle
naît la compréhension des notions de changements et de
stabilité, introduisant dans l'éternel changement l'idée
de stabilité. Cette idée contribue à former les concepts
d'objet et de sujet, d'intérieur et d'extérieur, et permet la
valorisation de la personne par l'intermédiaire de la reconnaissance
d'un caractère qui lui est propre : la permanence d'un caractère
qui force à chercher une conduite appropriée à chaque
personne particulière. Alors, on peut être amené à
comprendre que l'amoindrissement de l'effort produit par une personne puisse
être lié à son rapport au temps. Là est peut
être l'origine du sentiment de vide dont souffrent les personnes
schizophrènes pour lesquelles le temps n'existe plus. Elles
n'éprouvent aucune sensation d'ennui, le temps n'existant pas. Il leur
devient alors impossible d'harmoniser leur temps interne et externe, et de
faire preuve de persévérance dans la vie quotidienne.
L'altération du temps vécu selon Tatossian
relève, en ce qui concerne les personnes schizophrènes, non pas
du temps éprouvé mais du rythme même du déroulement
vital, l'échéance-du-vivre. La stagnation du temps vécu,
la sensation de vide et l'inhibition forment le « syndrome du temps
figé », qui n'est pas la spécificité de la
schizophrénie mais qui peut apparaître au sein de la
schizophrénie et que l'on retrouve lors de mélancolie, de
délire chronique et de névrose obsessionnelle.
Le Japonais Bin Kimura s'attache également plus au
temps vécu noétique qu'à la conscience du temps
noématique. Le temps conscient n'est jamais que passé ou futur.
Selon Kimura, dès que nous prenons conscience du temps, il
apparaît sous forme spatialisée comme linéaire, allant du
plus lointain passé au futur le plus éloigné, en passant
par le passé et le futur proches. Ce temps spatialisé est un
temps noématique, révélant des images intérieures,
à l'inverse de l'émergence du temps dans le présent qui
est d'ordre noétique. Cette émergence n'est pas nourrie d'images,
elle n'est pas vécue en tant que telle, et pourtant on ne peut concevoir
une idée du temps sans en tenir compte (Kimura, 2000).
« L'homologie entre le noématique de la musique
avec le temps noétique nous permet de comprendre que la musique est un
« art du temps » (Kimura, 2000, p.36).
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