2.2.2. La perte du contact vital avec la
réalité ou le délire
Minkowski est le premier à décrire la perte ou
plus exactement la rupture du contact vital avec la réalité,
position qui prive le sujet d'une dynamique adéquate avec le monde et la
réalité et qui le prive du sens du monde.
Tatossian, en reprenant cette approche Minkowskienne,
perçoit 2 pôles distincts lors de l'aliénation
schizophrénique. En ce qui concerne le premier pôle, il s'agit de
la compréhension qui « coupe les ponts » avec le sentiment de
la situation et ainsi privée de ce sentiment, qui est son support
naturel, elle devient compréhension sans sentiment de la situation,
source du rationnalisme morbide. C'est ce qu'il nomme absence de
l'évidence naturelle ainsi que du sens commun, et qui aboutit à
des actes sans sens, en court circuit, inadaptés à la situation.
Quant au second pôle, la compréhension est totalement
absorbée dans le sentiment altéré de la situation, qui
correspond d'un point de vue clinique à l'indifférence
schizophrénique, aliénation non réflexive. Le Soi ne
disposerait plus d'un espace de compréhension avec le monde, et ne
pourrait y installer ne serait-ce qu'un essai d'ordre. L'harmonie entre le
milieu dans lequel il vit (l'ambiance), et dont découlent les
événements et le Moi, est rompue, les vibrations entre eux ne
sont plus à l'unisson et il s'instaure un décalage entre la
marche du monde et sa propre vie. C'est entre ces deux pôles que se
placent les formes délirantes de schizophrénie, entre
déréliction et projet ou entre sentiment de la situation et
compréhension de la situation.
de percevoir ce vécu non-naturel avant même la
constatation de symptômes cliniques, et de poser un diagnostic par
intuition. (Kimura, 2000).
« Un schizophrène peut m'être
sympathique comme personne, mais néanmoins du fond du coeur, je prends
mes distances et ressens toujours l'existence d'une barrière
empêchant un accord intérieur avec lui » (Binswanger
cité par Kimura, 2000, p.139).
Binswanger nomme cette situation de vécu non-naturel
dissolution de la cohérence naturelle du vécu, que
Blankenburg reconnaît comme perte de l'évidence
naturelle.
Lors du processus créatif, il y a transformation du
rapport du Soi au Monde, le Soi habituel étant mis hors-jeu par un appel
à un autre Soi, à un autre projet, à une autre
organisation transcendantale. Or, chez la personne schizophrène, la
transformation du Soi est irréversible et totalement passive. «
Chez le poète, la transformation n'est pas donnée comme un
événement purement subi mais comme une tâche : elle est
aufgegeben, donnée à réaliser et non vorgegeben,
donnée-par-avance. » (Tatossian, 2000, p.171). Le poète
garde les capacités d'élaborer et d'assimiler son vécu et
de le restituer, de le communiquer. Cette spontanéité et cette
dynamique est présente chez l'homme sain, alors que les liens entre la
spontanéité et la réceptivité, l'activité et
la passivité sont rompus chez la personne schizophrène. De
même si l'on sait prendre la part du possible dans le réel, la
personne délirante affranchit cette capacité jusqu'au point
où, pour des raisons qui lui sont intrinsèques, elle
recrée une réalité de ce qui devient pour elle une
nécessaire possibilité.
L'être schizophrène se trouve parasité et
paralysé par le délire, aussi bien dans ses choix et orientations
que dans son mode et projet de vie. Ainsi, ses rapports à l'espace et au
temps en sont abîmés et rendus difficilement accessibles.
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