2.2. Trois processus de la schizophrénie sous
l'angle de la psychopathologie phénoménologique
Afin d'étudier au plus près les situations
cliniques qui seront exposées lors du prochain chapitre, il convient de
s'intéresser, de manière méthodologique, à
l'expérience schizophrénique :
1. primo au niveau ce qui modifie la perception humaine de sa
propre réalité et condition d'être
2. secundo quant à ce qui détermine et crée
le délire
3. tertio aux spécificités liées au temps
vécu et à l'espace.
2.2.1. L'être-soi, l'être-au-monde et
l'être-avec-autrui
En 1950, lors du tout premier congrès international de
psychiatrie, Binswanger propose une nouvelle approche de la
compréhension et du suivi des personnes souffrant de maladies mentales.
Il se fonde sur le passé et le vécu de ses patients pour tenter
d'expliquer les troubles de la conscience de leur propre perception
d'individualité et d'identité. Il s'agit de l'être-soi, de
l'être-au-monde et de l'être-avec-autrui qui déterminent :
la qualité et la compréhension de sa propre perception d'Etre, la
qualité et la compréhension de sa participation au monde et la
qualité et la compréhension de ses relations à autrui.
Pour rappel, lors du processus de schizophrénie, la relation à
soi et la relation au monde sont altérées. L'ambivalence dont
fait preuve la personne schizophrène l'amène à une
confusion de l'identité. Ressentir deux émotions contradictoires
de manière simultanée, émettre une opinion et son
contraire à la fois, sont sources de violentes souffrances psychiques.
La personnalité, afin de se protéger, opère alors un repli
sur soi (syndrome autistique) pour tenter de maintenir son unité
égologique. La coupure avec le monde extérieur amène
à se concentrer davantage sur l'expérience intérieure,
laquelle prend par la suite toute la place et se confond avec le monde
réel. La personne schizophrène, vivant dans l'introspection,
s'éloigne de l'extérieur, devenu incompréhensible, et se
sépare affectivement de son entourage, lequel se voit contraint de faire
face à des changements d'attitude.
Lors de l'expérience schizophrénique, la
perception du monde extérieur se modifie et les choses ne revêtent
plus la même valeur qu'auparavant. On remarque alors une labilité
émotionnelle, une ambivalence affective qui tend à
dérouter l'entourage. Une froideur affective rend tout contact encore
plus complexe, et une discordance entre les mots et les mimiques, par exemple,
impressionne et inquiète les autres (l'annonce du décès
d'un proche en affichant un sourire radieux). Ce processus aboutit à des
dissociations des sphères émotionnelle, cognitive et
comportementale. Ces modifications sont généralement
accompagnées d'hallucinations visuelles ou auditives. Les sens sont
exacerbés, et l'agitation motrice et cognitive qui peut en
résulter est impressionnante. Le désordre est tel que l'on ne
peut y retrouver la moindre trace d'une structure.
En art thérapie, on relève que les patients en
état de crise exécutent des griffonnages
désordonnés et non figuratifs et divers symboles en guise
d'écriture ou simplement d'expression (Prinzhorn, 1922).
Il convient aussi de parler des notions de Soi et de
subjectivité. Selon Tatossian, la subjectivité est ce qui permet
le Sujet. Elle intègre les notions de temps, d'espace, du corps et de
l'autre. Elle constitue le temps comme présent vivant, l'espace comme
lieu commun, le corps comme chair et l'autre en tant qu'altérité
mais la subjectivité n'est jamais donnée par avance et se
construit en permanence pour permettre la constitution du Soi et du Sujet. Le
Sujet, quant à lui, intègre les domaines du Moi, de la
conscience, de l'intériorité psychique dans lesquels la
subjectivité s'exprime et s'aliène. Un des paramètres de
la condition humaine consiste à être Soi tout en restant une
subjectivité. La problématique de la personne schizophrène
consiste à être une subjectivité sans Soi car les
disproportions anthropologiques de la temporalité, la spatialité,
la corporéité de la mondanéité et
l'altérité de la subjectivité ne permettent plus la
construction du Soi (Pringuey, 2009).
A la base de l'oeuvre de Jaspers, on trouve la dichotomie
sujet/objet, Psyché/Soma, Moi/Monde. Il est question d'un homme
intérieur placé dans un monde objectif, indépendant de lui
et dont il ignore tout. La dichotomie ainsi décrite par Jaspers fait
appel à la notion d'un psychisme clos sur lui-même et
isolé. Dans cette conception, le Monde se construit en fonction de la
propre perception et des représentations que le sujet se fait de
l'extérieur.
De manière différente, l'être-au-monde
(Dasein) selon Heidegger consiste en la relation que la personne entretient
avec le Monde comme notion non pas de Monde réel (Descartes) mais comme
rencontre avec l'Etre (Sein) en général, et donc l'être en
soimême de l'être-au-monde. Il ne s'agit pas de
révéler la concordance ou non avec la réalité
extérieure, mais de nommer la manière dont l'homme peut
rencontrer ce qu'il rencontre. La vérité et la
réalité d'un monde se confondent : c'est l'incorrigibilité
délirante (Blankenburg cité par Tatossian, 2002, p.178).
Ainsi, le Monde ne se définit pas par le « quoi » mais par le
« comment » de la rencontre.
exemple la pudeur, se transforme en honte sous le regard des
autres, et Autrui devient alors juge ou persécuteur.
Le sujet, en régression narcissique profonde, va mettre
en place des mécanismes de défense. Pour éprouver la
non-familiarité du Monde, il convient que la notion du familier soit
encore un peu préservée. « Quand l'aliénation
augmente, un passage de l'étrangeté à l'hostilité
se produit ; à la place de la dépersonnalisation, s'installe le
délire » (Minkowski, 1966).
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