CHAPITRE 2
LA PSYCHOPATHOLOGIE PHÉNOMÉNOLOGIQUE DE
LA SCHIZOPHRÉNIE
Afin de bien comprendre le malade, il convient
d'étudier minutieusement ses mécanismes de fonctionnement : son
rapport à lui-même, son rapport au monde et leurs interactions
réciproques. Quoi de mieux que la psychopathologie, selon notre choix,
à la lueur de la phénoménologie, pour s'y atteler ? En
ayant principalement pour soutien les théories de Minkowski, de
Tatossian et de Kimura, tentons d'approcher le vécu
schizophrénique et sa réalité.
2. 1. Définitions
La phénoménologie, au sein de ses recherches
philosophiques, se devait d'approcher la maladie psychique, notamment les
psychoses, et d'évoluer vers la phénoménologie
psychiatrique. La philosophie ne pouvait faire abstraction de ce qui touche la
nature humaine dans ce qu'elle a de plus ontologique, l'étude de
l'être en tant qu'être, et oublier ses différentes
réalités et connexions au reste du monde.
2.1.1. La phénoménologie philosophique
Kant est le premier philosophe à séparer la
chose en soi (noumène) du phénomène,
régi par les notions d'espace, de temps et de causalité (Kant,
1781). Schopenhauer, en précurseur de la pensée
phénoménologique, recherche l'essence même du
phénomène en tant que le monde est ma représentation,
concepts de réalité et de représentation, distinguant
la volonté (essence véritable) de la représentation
(soumise à l'apparence) (Schopenhauer, 1844). En d'autres termes, il
différencie le monde tel qu'il est en soi du monde tel que nous le
connaissons au moyen de nos sens et de notre intelligence (le monde réel
et le monde des apparences) (Gex, 1960). En 1764, la
phénoménologie selon Fichte devient la doctrine de l'apparition,
soit la connaissance du savoir par le savoir : le savoir absolu qui ne
représente pas le savoir de l'objet mais qui fait qu'un savoir est un
savoir. Il faut comprendre que le savoir absolu est
l'apparition et l'extériorisation du principe et du fondement du savoir.
Pour Hegel, en 1807, il s'agit de l'exploration des phénomènes,
c'est-à-dire de ce qui se présente consciemment à nous
afin de comprendre l'esprit métaphysique qui se manifeste dans les
phénomènes.
« La phénoménologie, appelée aussi
science de l'essence ou science eidétique, est
destinée à fournir le moyen de découvrir... des termes
idéaux [de la nature de l'idée] et fixes, juxtaposés,
indépendants du flux de l'expérience, sans se soucier de leur
genèse... ; son principe est de prendre simplement les choses qui
s'offrent originairement à l'intuition telles qu'elles se donnent : or
l'intuition du monde la plus naïve et la plus habituelle nous donne,
mélangés ensemble, un flux d'événements, et des
termes fixes qui tantôt apparaissent, tantôt disparaissent, mais en
restant immuables : le bleu, le rouge, le son, l'acte de juger, etc. ...
»
« ... il ne s'agit ici de rien de semblable à ce
qu'on appelle des idées générales ou abstraites,
formées par combinaison et rapprochement, mais d'essences immuables
à la manière des Idées platoniciennes, qui sont connues
par une intuition particulière, l'intuition des essences (Wesenschau) ;
cette intuition est a priori et indépendante de
l'expérience : mais elle ne peut être dégagée que
par cette analyse phénoménologique, qui tient à peu
près, dans la pensée de Husserl, la place de la dialectique
platonicienne. » (Bréhier, 1928, p.1114)
La phénoménologie de Husserl repose sur
l'intentionnalité et sur la particularité de la conscience qui
est d'avoir toujours conscience de quelque chose. Husserl nous montre comment
les choses telles qu'elles sont en elles-mêmes peuvent être
atteintes par la connaissance et comment et en quel sens ces choses sont. Pour
ce faire, il décrit trois étapes successives : 1.
L'époché qui représente l'acte de retrait et de mise en
suspens permettant une observation désintéressée du monde.
2. La réduction phénoménologique qui permet le passage de
la simple donnée naturelle à son sens comme
phénomène. 3. La constitution qui est la redécouverte du
monde comme horizon de sens, comme unité de sens, mais une unité
que je constitue moi-même en tant que conscience ouverte sur le monde
(article paris-philo, 2010). Actuellement, la phénoménologie
husserlienne ainsi que celle de ses héritiers est
considérée comme la mère de la
phénoménologie contemporaine. « L'être psychique,
l'être en tant que phénomène, n'est pas, par principe, une
unité expérimentée dans une multiplicité de
perceptions distinctes,
quoique appartenant au même sujet. Autrement dit, dans
la sphère psychique, il n'y a pas de différence entre
apparaître et être, ...» (Levinas, 1989, p.52).
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