INTRODUCTION
Nous souhaitons initier ce travail de théorie par
l'hypothèse suivante : y a-t-il possibilité d'un espace de
re-création de soi pour les personnes schizophrènes dans
l'approche de la créativité en musicothérapie ? L'harmonie
et le rythme musical peuvent-ils servir d'ancrage à des patients dont
l'harmonie de la vie et le rythme interne s'avèrent chavirés lors
de violentes tempêtes ou servent-ils simplement (ou déjà,
ai-je envie de dire) de soutien pendant des périodes de douces accalmies
? Ces questions nous taraudent dans la pratique quotidienne de notre
métier, aussi désirons-nous les aborder sans compromis, en
approchant le courant de pensée phénoménologique afin
d'atteindre la personne dans son essence même en considérant son
rapport au monde, à autrui, à la temporalité, mais aussi
son rapport au fondement vital (Etre ou Sein) et au principe
d'individualité et d'identité (étant ou
Dasein).
Notre méthodologie s'entend de la manière
suivante. Il nous semble essentiel de traiter premièrement et
succinctement de la clinique psychiatrique et de la classification des
principaux tableaux de la schizophrénie, d'affiner notre vision de la
maladie à la lumière de la psychopathologie
phénoménologique, d'étudier au plus près la
créativité sous ses diverses formes, de développer notre
méthodologie musicothérapeutique afin d'aborder ensuite notre
clinique musicothérapeutique, de l'analyser sous un regard
phénoménologique et de tenter de répondre à notre
hypothèse introductive.
La schizophrénie s'apparente à un orchestre sans
chef (Henry Ey), aussi, arborons-nous suffisamment d'outils adéquats
pour harmoniser et rythmer, aider à la création musicale et par
là-même à la re-création de soi ? Si la musique est
souvent utilisée pour imager la nature même de la
schizophrénie, elle est aussi adoptée en
phénoménologie pour décrire et expliciter certains
paramètres d'approche dans la compréhension du vécu de la
personne schizophrène. Pour exemple, on peut se reporter à
l'Entre du Japonais Bin Kimura et son chapitre consacré au
noétique et au noématique de la musique (Kimura, 2000, p.32-38),
dans lequel il tente de comprendre le rapport entre le fond de la vie et celui
qui se rapporte au monde, soit entre le Sein et le Dasein
(Etre et étant) de Martin Heidegger (1ère
édition 1976).
Dans son application concrète et sonore, cherchons
à comprendre si la musique et ses paramètres rejoignent la
personne schizophrène dans son morcellement et dans sa perte du contact
vital avec la réalité, s'ils l'aident à se
recréer.
Au début du XXème siècle, Hans Prinzhorn,
notamment, a abondamment développé le sujet de l'expression de la
folie par l'intermédiaire de l'art thérapie : du dessin, de la
peinture et de la sculpture. Il aborde les notions de jeux orientés vers
une Gestaltung visuelle et plastique (Prinzhorn, 1922).
Il serait intéressant de définir une
Gestaltung auditive et musicale en musicothérapie comme point
de départ d'une éthique musicothérapeutique en pratique
psychiatrique.
Il serait facile et tentant d'étendre le sujet à
ses ramifications, cependant, nous nous bornerons à chercher une
re-création de soi par la créativité musicale,
peut-être naissante dans « l'Entre » de Kimura.
De même que pour qu'il y ait de la lumière, il
faut qu'il y ait de l'obscurité, faut-il du chaos pour qu'il y ait de
l'harmonie? Et pour que la création advienne, ne faut-il pas se
recréer ?
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