Internet à Touba: approche géographique des usages du réseau dans les cybercafés de la ville( Télécharger le fichier original )par Paul Marie Benoit Mamadou DIOUF Université Cheikh Anta Diop de Dakar - Maitrise 2009 |
II- Internet, le fait religieux et les mutations urbainesComment apprécier le fait religieux dans ces différents types d'usages ? Ces usages ont-ils un quelconque rapport avec certaines formes de mutations en cours à Touba ? Ce sont là les principales questions auxquelles nous tentons d'apporter des éléments de réponses dans ce point de notre travail. 1. Internet et le fait religieuxL'ode composée par Cheikh Ahmadou Bamba entre 1887 et 1895, Matlaboul Fawzeinie, laisse apparaître en filigrane l'importance de du fait religieux dans la ville de Touba. L'idéal véhiculé à travers ce khassida (entièrement dédié à Touba) est celui d'une localité se présentant comme un haut lieu de culte, de prière, de recueillement et qui n'est destiné qu'à ceux là qui aspirent à Dieu, les mourides. C'est donc dire que cette ville devait être, dans l'esprit de son fondateur, le cadre idéal pour adorer et servir Dieu et son Envoyé Mohamed (PSL) conformément aux recommandations et interdits de ceux-ci. Internet crée de nouveaux moyens pour des communautés religieuses d'offrir une vitrine au monde. En effet, la visibilité mondiale et les facilités de communications qu'il offre font que cette TIC est de plus en plus utilisé pour propager à l'échelle planétaire des messages religieux. Les sites web mis sur pied par des dahiras mourides ou par d'autres associations musulmanes sénégalaises ou résident à l'étranger permettent ainsi d'avoir accès à de nombreuses informations relatives aux enseignements du Saint Coran ou à l'oeuvre de Cheikh Ahmadou Bamba. Dans les sites web mourides par exemple, il est possible d'écouter ou de lire des khassidas ou des récits de la vie de Bamba, de visualiser des vidéos de magals ou de `'thiant'', d'écouter les déclarations du khalife général, de découvrir « la ville sainte de Touba » (son plan, ses quartiers, ses « lois », ses principaux lieux de cultes,)... . D'autres sites permettent de mieux maîtriser les rudiments de la religion islamique en proposant des traductions, en plusieurs langues, de versets coraniques ou des interprétations du message islamique, des cybers fatwa,... Par ailleurs de plus en plus de guides religieux mourides se sont fait concevoir des sites web, sans doute parce qu'ils sont conscients des nombreuses facilités qu'ils leur offrent surtout pour mieux communiquer avec des fidèles qui s'approprient progressivement cette TIC. Le fait religieux est donc présent sur Internet. Dès lors, il peut largement exercer influence sur les usages qui sont fait de ce réseau dans une ville où il est l'une des marques caractéristiques. L'utilisation du contenu de ces sites par les internautes de Touba peut leur permettre d'en savoir mieux et plus sur les recommandations de leurs guides religieux, de leur religion ou de leur confrérie. Mais est ce que ces internautes utilisent réellement ces sites pour cette fin ? L'analyse des principaux usages d'Internet faite dans le point précédent offre tout un ensemble d'éléments de réponses à cette question. Pour ce qui est des informations recherchées sur Internet, celles relatives à la religion (l'islam, le mouridisme, son fondateur ou un membre de sa famille) arrivent en troisième position, derrière les informations relatives aux actualités et aux études et travail. Mais elles devancent quand même celles portant sur le sport, la musique ou le cinéma. Concernant les fichiers transférés, on s'aperçoit qu'il y en a certes certains dont le contenu est en rapport avec le mouridisme (khassidas, vidéos de magals ou de « thiant », photos de Bamba ou de figures emblématiques du mouridisme), mais ce sont les musiques, les clips vidéo et les films qui dominent largement. Enfin pour ce qui est de l'écoute et du visionnage de contenus audiovisuels, on observe encore une fois que ce sont les musiques et les vidéos diverses qui prennent largement le pas sur les khassidas et les vidéos de la confrérie mouride. Le fait religieux est effectivement donc présent dans les usages d'Internet, mais il y occupe place relativement faible. Les internautes de la ville de Touba interrogés, ou du moins la majorité d'entre eux, lui accordent donc peu d'importance dans les utilisations particulières qu'ils font du réseau Internet dans les cybercafés. Ce qui amène à dire qu'ils se servent peu ou pas du tout de cette TIC pour mieux s'imprégner des enseignements de leur confrérie ou de leur religion. Mais ce constat est-il suffisant à lui seul pour déduire qu'il y a un désintéressement de ces « toubiens » au fait religieux, caractéristique majeure de leur localité ? A ce stade de notre travail, il est difficile pour nous d'avancer une quelconque réponse à cette question. Ce que l'on peut dire c'est qu'Internet n'est pas le seul et unique lieu dont disposent ces populations pour s'adonner à l'apprentissage des prescriptions de leur religion ou de leur confrérie. En effet, la ville comporte un ensemble d'endroits qui sont tout aussi propice qu'Internet (sinon même plus parce qu'étant concret) pour en savoir mieux et plus sur la religion musulmane ou sur l'oeuvre de ses figures emblématiques. Les dahiras en sont un exemple précis. Ces associations permettent à des adeptes mourides « de se retrouver à intervalle régulier pour chanter ou réciter les poèmes du fondateur de la voie, discuter entre disciples pour s'encourager et renouveler la foi, recevoir les ordres et recommandations du corps maraboutique »51(*), le tout autour du « café touba ». Ils constituent donc d'excellents lieux où l'adepte mouride peut apprendre, de façon conviviale, les rudiments des enseignements de Bamba ou même de l'islam. Leur nombre ne cesse de croître à Touba. On en trouve presque dans chaque quartier et chaque adepte peut gratuitement en adhérer un, pourvu seulement qu'il puisse s'acquitter des cotisations pour l'envoi de dons au khalife général ou pour la célébration d'un évènement de la confrérie. Sont-ils les lieux dont se servent ces internautes de Touba à la place du « réseau virtuel » ? * 51 Cheikh Gueye, 2002 b, p. 238. |
|