CHAPITRE I : ETAT DE LA THEORIE ET DES
CONCEPTS
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« La tache primordiale
de la science c'est-à-dire sa tache permanente, est de trouver les
concepts convenables pour mener l'analyse ».
Easton David (1974), Analyse du
système politique, Armand Colin, Paris, p. 13
Le but de ce chapitre est de fixer les fondements
théoriques sur la base desquels procèdera notre étude.
Dans cette optique nous procéderons par une trilogie comprenant, dans un
premier temps la présentation des différentes théories en
présence, ensuite nous procéderons à une analyse critique
de ces théories, pour dans un troisième temps, ne retenir que les
substrats théoriques ayant survécu à l'analyse critique et
qui de ce fait orientera notre étude.
SECTION A : ECONOMIE DES
THEORIES EN PRESENCE
Etant donné que les concepts d'intégration et de
prévention des conflits à eux seuls semblent suffisamment
complexes et de sens assez éclatés, nous appuierons nos
recherches sur une étude distincte de ces deux champs théoriques.
Cette étude constituera le point de départ de notre état
de la question théorique. Nous envisagerons donc
séparément les travaux portant sur la prévention des
conflits en Afrique centrale et ceux portant sur l'intégration de la
sous-région avant d'établir plus loin le lien théorique
existant entre ces deux concepts.
Paragraphe 1 : La prévention des conflits en Afrique
centrale
La littérature sur la prévention des conflits
est assez récente comparée à celle sur la théorie
du conflit. Elle est le fait, autant des hommes politiques que des hommes de
science. Les traités de Westphalie constituent une première
rationalisation de la prévention des conflits. En effet, ils
apparaissent comme le premier exemple de résolution des conflits par la
voie de la conciliation, conciliation qui à permis de mettre un terme
à la guerre de 30 ans opposant les empires européens.
Bien après cet exemple isolé, la
réflexion sur la prévention des conflits prendra une plus grande
consistance après la première guerre mondiale. En effet, le
spectacle affreux des atrocités et les nombreuses séquelles de la
guerre ont suscité chez les penseurs et les décideurs le souci de
créer des mécanismes qui empêchent la survenue, à
l'avenir, de telles horreurs. Cette littérature reste cependant
tributaire de la conception et de la culture de guerre prévalant
à l'époque à savoir, les guerres classiques opposant des
Etats par l'entremise de leurs armées identifiées comme telles.
Les actions en prévention des conflits à cette époque
revêtirent donc pour la plupart la forme de la diplomatie
préventive exercée sur les chefs d'Etats afin de les amener
à choisir un mode de résolution de leurs antagonismes qui soit
autre que la guerre. C'est dans cette logique que s'inscrit le discours sur
les 14 points du Président Wilson et, c'est aussi dans ce contexte
qu'il faut situer les nombreux succès de la SDN en matière de
prévention et de gestion des conflits (Bertrand.1997 :112)
La période allant de la fin de la deuxième
guerre mondiale à la fin de la guerre froide sera marquée certes
par quelques productions tant dans la littérature que dans la pratique
même de la prévention, mais ces productions resteront toutes
influencées par la bipolarité mondiale qui prévalait
à l'époque. De fait, les opérations menées dans les
années 50 étaient relativement simples. Relevant du Chapitre VI
de la Charte des Nations Unies, elles rentraient dans une logique du
consentement des parties au conflit, à une médiation et à
sa résolution (Tardy T.2000 :390).
La période post guerre froide pour sa part fera
intervenir une mutation sans précédent dans la polémologie
de l'époque. En effet, « l'un des aspects les plus
remarquable de l'après-guerre froide, conclut la Commission Carnegie,
est que le nombre de conflits se déroulant à l'intérieur
d'un état dépasse largement celui des conflits entre
états » (Commission Carnegie,1998 :4). Un tel
contexte mènera évidement à une révision des
conceptions en présence en ce qui est de la prévention des
conflits. Aussi, la littérature sur la prévention des conflits
mettra, à partir de cette époque, un accent particulier sur les
causes intra-étatiques et sociologiques ou encore structurelles de la
guerre telles les extrémismes culturels, politiques et religieux afin
d'y apporter une solution adéquate.
En première analyse, il semble opportun de rechercher
une compréhension suffisante de la conflictualité de l'Afrique
centrale. Michel Kounou dans son article « Les conflits armés
post-guerre froide en Afrique au sud du Sahara : Un essai de
caractérisation » in Revue Africaine d'Etudes Politiques
et Stratégiques, N°1, 2001, pp 223-245, en se penchant sur
les traits principaux faisant la particularité de la
conflictualité en Afrique subsaharienne, apporte une contribution
décisive dans cette optique. L'auteur part d'une relecture des
principales théories de la guerre pour ensuite les appliquer à la
réalité de la zone étudiée. Il constate que les
facteurs conflictogènes de cette zone sont plus à chercher sur le
terrain politique qu'ethnique. En d'autres termes, même si la composante
ethnique peut parfois être un facteur détonateur d'une crise
profonde mais latente, d'autres facteurs moins proclamés, moins
apparents et moins déterminés seraient susceptibles d'offrir un
autre éclairage à la tourmente qui s'est installée en
permanence depuis 1960, au sud du Sahara (Kounou, 2001 :237). Il pense que
la conflictualité subsaharienne est le fait non seulement de facteurs
interne à l'Afrique et aux Etats en conflit mais résulte aussi
des implications et des projections externes aux Etats africains. Ainsi il
établit que le tracé frontalier inadéquat et la
manipulation des sensibilités qui en découlent sont presque
toujours à l'origine de ces guerres, que ces guerres connaissent une
grande implication et même une participation de mercenaires guidés
par l'ambition de faire main basse sur les richesses du sous-sol, et qu'elles
portent aussi la marque de la confrontation des ambitions
hégémoniques post guerre froide des grandes puissances
occidentales. Compte tenu de cette critériologie particulière, il
pense que la prévention des conflits ne devrait pas être
abandonnée à l'OUA qui est une institution faible, mais devrait
revenir à un Etat central Africain fort et doté des moyens
suffisants pour cette fin.
Les travaux de la Commission Carnegie sur la prévention
des conflits meurtriers publiés en 1998 occupent une place de choix dans
notre sélection de la littérature sur la prévention des
conflits, en ceci qu'ils constituent un premier balisage scientifique de la
réflexion moderne sur la prévention des conflits intégrant
les types et les modalités nouveaux de guerre, telles les guerres
asymétriques, les conflits intra-étatiques, ethniques,
identitaires et les guerres religieuses. Les Commissionnaires partent du
postulat que les conflits meurtriers ne sont pas inévitables (Commission
Carnegie. 1997 : 03) et qu'il est moins coûteux de prévenir
les guerres que de supporter le coût des pertes qu'elles causent
(Idem : 46). Les membres de cette commission adoptent une approche
très générique de la prévention des conflits faite
d'observations et de propositions assez générales. Dans une
vision très idéaliste empreinte de conceptions chères
à l'approche libérale des relations internationales, les
commissionnaires traitent des différents cas de figures, des
différentes opportunités et des différents modèles
d'action mais ne le font qu'à titre de proposition.
On doit à cette Commission la conceptualisation d'une
approche de la prévention qui établit une distinction entre la
prévention immédiate entendue comme l'ensemble des mesures
applicables pour faire face à une crise immédiate, et la
prévention structurelle comprise comme l'ensemble des mesures qui
permettent d'éviter les crises ou d'empêcher qu'elles ne se
reproduisent. Ainsi, la prévention immédiate implique une
réaction rapide faite d'un ensemble de mesures politiques
économiques et militaires permettant de créer les conditions dans
lesquelles des leaders responsables seront capables de régler le
différend à l'origine de la crise. Par contre, la
prévention structurelle s'appuie sur des stratégies juridiques,
économiques et socioculturelles oeuvrant pour la consolidation de la
paix par l'instauration et la conservation d'un dialogue social inclusif et la
satisfaction des besoins essentiels des populations en matière
politique, économique, sociale et culturelle.
Il convient aussi, dans cette présentation, de
situer La prévention des conflits en Afrique
centrale : prospective pour une culture de la paix, une compilation
des Actes du colloque sur la prévention des conflits en Afrique centrale
tenu à Yaoundé et publiée sous la direction de Paul Ango
Ela chez Karthala en 2001.
Dans cet ouvrage, l'auteur part d'une présentation des
causes et des facteurs qui sont à l'origine de la conflictualité
dans la sous-région Afrique centrale. Et, en bonne place de ces causes
figurent non pas le facteur ethnique apparent, mais des considérations
politiques qui poussent les acteurs politiques locaux dans leur plan de
conquête ou de préservation du pouvoir, à jouer sur la
fibre ethnique et identitaire. Ainsi, la cause principale de la
conflictualité de l'Afrique médiane serait le monopole politique
entendu comme le refus du partage du pouvoir et de l'alternance au pouvoir.
A coté des considérations politiques, les
auteurs recensent aussi les projections géostratégiques de
certaines grandes puissances, la militarisation de la société
civile et la pauvreté.
Après les causes, les auteurs se penchent sur quelques
cas de prévention et de gestion régionales des conflits
réussies et envisagent les moyens de s'en inspirer pour adapter ces
succès au contexte de l'Afrique centrale.
Dans une ultime partie, les auteurs envisagent les
différentes pistes pouvant mener à la mise en place d'un
système effectif de prévention et de gestion des conflits en
Afrique centrale. Sont ainsi abordés comme catalyseur du dialogue
social, l'émergence d'une société civile viable, la mise
en place d'une protection sociale effective et la naissance d'une culture de
paix en Afrique centrale. Un autre axe cité est celui de l'instauration
d'un contexte de participation et de coopération entre la
communauté internationale et la sous région dans son projet de
construction d'un système de prévention des conflits efficace.
Car, si la responsabilité première du maintien de la paix et de
la sécurité en Afrique relève d'abord et avant tout des
africains, le monde - la communauté internationale- est également
responsable de cette paix et de cette sécurité, au même
titre que l'Afrique, bien qu'à une échelle différente
(Ayissi A, 2001 : 181).
Mwayila Tshiyembe dans Géopolitique de paix en
Afrique médiane, son oeuvre publiée en 2003 part du constat
que « dans la région de l'Afrique médiane autant
que dans d'autres régions de l'Afrique noire, l'ethnie est une
« notion sociologique » précoloniale dont
l'existence est réelle par opposition à l'irréalité
de l'Etat-Nation. » (Mwayila, 2003 :27). Pour l'auteur, la
cause principale de la conflictualité dans cette zone est à
rechercher dans l'inadéquation du modèle occidental de
l'Etat-nation avec la culture ethnique de l'Afrique. Ainsi, la violence en
Afrique médiane est une violence politique et non ethnique parce que
découlant de l'inadaptation du modèle d'administration et de
gestion en vigueur d'avec les réalités locales. De plus, ces
guerres n'opposent pas des leaders ethniques mais plutôt des leaders
politiques usant politiquement de l'élément ethnique pour
accéder au pouvoir ou y rester. En sommes, « la violence
politique est la variable structurelle de la conflictualité interne qui
ensanglante la région de l'Afrique médiane »
(Mwayila, 2003 :10).
Fort de ce constat, il préconise comme palliatif
à la conflictualité, la création d'un nouvel ordre
politique basé sur la perspective d'une triple fondation du nouveau
pacte républicain, du nouveau pacte démocratique et du nouveau
pacte constitutionnel.
Le nouveau pacte consiste, selon le rédacteur, à
partir de la réalité ethnique comme fait national pour parvenir
à une fédération des peuples libres dits ethnies et des
hommes libres dits citoyens, dont le double consentement constitue
désormais le mode de légitimation et de légitimité
du pouvoir. Il convient de noter ici que cette oeuvre a le mérite de
mettre l'accent sur un point essentiel de la prévention structurelle
à savoir la participation des ethnies et des citoyens à la
construction du projet de société comme exutoire des tensions et
des clivages au sein de la nation.
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