La prévention des conflits dans la dynamique de l'intégration sous-régionale en Afrique centrale( Télécharger le fichier original )par Abel Hubert MBACK WARA Université de Yaoundé II-Soa - DEA/Master II en Science Politique 2006 |
INTRODUCTION GENERALE
La fin de la guerre froide et la chute du mur de Berlin ont marqué des mutations dans l'univers des relations internationales. Pour l'Afrique, ces mutations se sont résumées à la perte par le continent de son importance géopolitique pour les grandes puissances. En effet, la fin de la bipolarité a sonné le glas de l'aide et de l'assistance apportées par chacune des puissances idéologiques au Etats Africains afin de leur permettre de résister à la poussée du camp idéologique adverse. Or, les puissances occidentales qui ont cessé de s'affronter en Afrique par africains interposés, n'ont pas jugé utile, du fait que cette Afrique ne leur était plus d'aucun intérêt, d'apporter leur contribution à la résolution des conflits en Afrique. Il en a donc résulté une réduction considérable des implications des puissances occidentales dans la résolution des problèmes de l'Afrique, précisément dans la période allant de 1992 à 1998. Un des terrains particulièrement abandonné ainsi que nous le démontre l'annexe N° 2, a été celui des missions de maintien de la paix et de sécurité en Afrique. Deux facteurs majeurs ont conforté l'occident dans cette position. Premièrement le génocide Rwandais de 1994 dont la survenue est tributaire de la détermination des génocidaires d'en découdre avec leurs concitoyens. Ensuite, l'échec de l'intervention américaine en Somalie en 1996, résultat d'une méconnaissance coupable des moyens et de la détermination de la rébellion de Farah Aïdid, mais surtout de l'application d'une stratégie alignée sur des considérants étrangers à la réalité de la zone en crise. Après ces échecs, les puissances occidentales ont conclu de la nécessité de promouvoir une politique locale de prévention et de gestion des conflits qui tienne compte des réalités socio-économiques et mêmes culturelles du continent et ont envisagé une africanisation des Offices de Maintien de la Paix (OMP) en afrique. Les puissances occidentales ont donc prétexté que la meilleure des façons de garantir le succès des OMP en Afrique est de les confier aux propres africains, ce qui revenait tout simplement à dire que les Africains devaient eux même trouver les solutions à leurs problèmes. A partir de ce moment, l'essentiel des interventions de l'occident s'est réduit à un appui aux initiatives locales de prévention et de gestion des conflits. C'est ainsi que l'OUA puis l'UA a hérité de la responsabilité de la prévention et de la gestion des conflits sur le continent. En Afrique centrale, c'est la CEEAC qui, sous les auspices du Comité Consultatif Permanent des Nations Unies pour les Questions de sécurité en Afrique Centrale et dans le cadre du Conseil de Paix et de Sécurité en Afrique Centrale (COPAX) est, à partir du 24 Février 2000, responsable de la prévention et de la gestion des conflits. Originellement confinées à la mission d'intégration économique, les organisations sous-régionales ont progressivement pris en compte le lien étroit existant entre la paix et le développement et se sont en conséquent investies dans les domaines de prévention des conflits et du maintien de la paix (Mutoy Mubiala, 2003 :04). L'Afrique centrale n'est pas restée étrangère à cet ajustement. Il faut dire que cette adaptation, en même temps qu'elle résulte d'un souci de décentralisation des capacités en matière de prévention des conflits, fait suite au constat, au sein de la CEEAC, de la prépondérance de l'apport d'un climat de paix dans le processus d'intégration sous-régionale. En effet, l'objectif originel de la CEEAC est de promouvoir une intégration politique et économique visant à terme l'établissement d'une union douanière et de politiques sectorielles communes. Seulement, il est très vite apparu aux yeux des dirigeants de la CEEAC, ainsi que précisé dans les alinéas (h) et (o) du Préambule du Protocole relatif au COPAX, qu'une intégration véritable n'est pas possible tant que prévaut un climat d'insécurité et de crise et, que l'établissement de mécanismes visant à garantir et à préserver un climat de paix dans la sous-région inciterait et soutiendrait l'intégration sous-régionale. Ropivia (1998: 178) pense même que les problèmes d'instabilité et d'insécurité en Afrique centrale semblent si importants qu'ils convient de se demander s'ils ne constituent pas aujourd'hui l'une des plus graves entraves à l'intégration de la sous-région. Il faut dire, parlant d'intégration, que le bilan dans cette sous-région reste très mitigé : la Communauté Economique et Monétaire d'Afrique Centrale (CEMAC) n'est pas compétente pour traiter des problématiques de toute la sous-région Afrique centrale. La Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL) qui, dès sa création portait dans sa structure la marque d'un déséquilibre géopolitique au profit du géant zaïrois ne lui a pas survécu. . La CEEAC qui regroupe les deux sous-ensembles que dessus et est l'instance d'intégration de l'Afrique centrale, est restée inactive pendant une trop longue période1(*), et ne donne pas de grande preuves de son activisme. Un autre problème qui se manifeste et qui affecte considérablement la construction identitaire de l'Afrique centrale est celui de savoir quelles sont ses frontières réelles si tant est qu'il est aujourd'hui difficile de délimiter objectivement cette sous-région. Originellement matérialisée par la CEEAC, il apparaît aujourd'hui que, à la faveur de l'inactivité mentionnée plus haut, plusieurs de ses entités (Etats) font scission au profit d'autres sous-régions. Tel est le cas de Sao Tome et Principe aspiré par le Nigeria vers l'Afrique de l'ouest, du Rwanda et du Burundi assimilés à des pays de la sous région orientale, et de la République Démocratique du Congo attirée par l'Afrique du Sud vers la SADEC. Même les Organisations Internationales telles l'Organisation des Nations Unies, l'Union Européenne et l'Union Africaine, perçoivent les limites de cette sous région suivant une cartographie qui ne fait pas l'unanimité. (Ntuda Ebode, 2004 : 38-45). Au plan sécuritaire, la situation n'est pas plus reluisante car, l'Afrique centrale est traversée par une conflictologie largement au dessus de la moyenne. Entre 1974 et 2002 l'Afrique a connu 29 crises majeures et l'Afrique centrale vient en tête avec 9 crises contre 8 en Afrique de l'Ouest, 7 en Afrique orientale, 4 en Afrique du Nord et 1en Afrique australe2(*). Dans la même veine, les pays de la sous-région restent classés jusqu'en 2008 parmi ceux ayant les indices de paix les moins élevés d'Afrique et même du monde3(*). De plus, bien que la nécessité et le souci de construction d'une paix durable fassent l'unanimité entre les pays d'Afrique centrale, plusieurs controverses restent perceptibles quant à ce qui est des voies, des moyens et des mécanismes à mettre en oeuvre pour y parvenir. L'on peut ainsi constater, d'une part, la multiplicité et la récurrence des conflits et des situations conflictogènes et belligènes et qui divisent d'avantage les pays de la sous-région et, d'autre part, une diversité de projets (FOMUC, FOMAC) pilotés par des initiatives différentes et concurrentes (CEMAC, CEEAC), poursuivant certes le même objectif mais évoluant dans des logiques différentes et parfois contradictoires. Au bout de cette observation panoramique, nous arrivons sur un cliché assez désolant. L'Afrique centrale souffre de l'évanescence de son identité ; elle est traversée par une conflictologie pathologique; la problématique de la prévention des conflits est abordée de façon dispersée et le système investi de la gestion de cette problématique ne donne pas de signe de son aptitude à gérer la question. Or, face à un tel tableau, la question pertinente est celle de savoir si le système intégré de prévention et de gestion des conflits en Afrique centrale peut influencer le processus d'intégration de cette sous région. En effet, sachant que la notion d'intégration s'entend non pas en termes d'état mais plutôt dans une optique processuelle, peut-on penser que la présence et les actions du système de prévention des conflits de l'Afrique Afrique centrale ont eu une incidence en termes d'avancée sur le processus d'intégration sous-régionale ? Comme réponses provisoires aux questions suscitées plus haut nous nous proposons de démontrer, dans un premier temps que le système de prévention des conflits de la CEEAC est plus théorique que pratique et ne peut pas encore influencer positivement le processus d'intégration. Ensuite nous avons l'intention de démontrer que la persistance de ces conflits est un obstacle au processus d'intégration de la sous-région.
DE LA METHODE : L'ANALYSE SYSTEMIQUE Le travail portant sur l'étude et l'explication de l'impact d'un système à savoir, le système de prévention des conflits sur son environnement qui est la CEEAC, l'approche systémique telle qu'élaborée par David Easton nous semble, au premier abord, assez pertinente pour parvenir à nos fins. Dans cette optique, nous posons la conception eastonnienne selon laquelle « un système politique peut être défini comme l'ensemble des interactions par lesquelles les objets de valeurs sont répartis par voie d'autorité dans une société » (Easton, 1974:23). Dans le cadre de cette approche, nous partirons d'une société qui est la sous-région Afrique centrale CEEAC au sein de laquelle évolue un système politique qui est à l'origine des processus de décision qui concernent l'ensemble de la société. Ce système est matérialisé par l'ensemble des organes institutionnels de la CEEAC et, c'est au sein de ce système politique global que ce se trouve le COPAX, système de prévention des conflits objet de notre analyse. Le système de prévention des conflits est structuré par une communauté c'est-à-dire l'ensemble des instances constitutives du COPAX et intervenant dans la prévention des conflits. Cette communauté fonde ses comportements sur des valeurs qui, ici, sont les résolutions, protocoles et déclarations censées orienter les décisions et les actions en matière de prévention des conflits en Afrique centrale. A la tête de la communauté se trouve la Conférence des Chefs d'Etats, autorité collégiale détentrice du pouvoir décisionnel. L'environnement extérieur du système est composé, pour sa part, par les organismes de la société civile, les organisations internationales et non gouvernementales, les partis politiques et les peuples intéressés par la situation sécuritaire de l'Afrique centrale. Comme les autres systèmes présents dans son entourage, le système de prévention des conflits communique avec son environnement au moyen d'inputs et d'outputs. Les inputs sont constitués par toutes les données qui entrent dans le système. Ces données peuvent provenir de l'environnement ou alors, être des With-input c'est-à-dire être issues de l'initiative du système lui-même. David Easton a réparti les inputs en deux grandes catégories à savoir les demandes et les soutiens. Les soutiens consistent en tout ce qui contribue à conférer des capacités de décision et d'action au système. Il s'agit concrètement des ressources humaines et matérielles nécessaires au déploiement du système de prévention et de gestion des conflits mises à sa disposition par les Etats, les organisations Internationales, les organisations de la société civile et tous les acteurs qui constituent l'environnement extérieur du système. Les demandes quant à elles consistent en l'ensemble des attentes, des sollicitations et des besoins en matière de sécurité exprimés par les interlocuteurs du système de prévention des conflits. Elles peuvent aussi être, pour les with-input, le fait du système lui-même qui inscrirait dans son agenda politique des problèmes non soulevés par ses interlocuteurs mais qu'il identifie comme suffisamment importants. Pour l'essentiel, les demandes consistent en des informations sur la nature et l'intensité de toute situation menaçant la sécurité de la sous-région et pouvant aboutir à un conflit. Le gate-keeper chargé de filtrer les demandes c'est le Mécanisme d'Alerte Rapide en Afrique Centrale (MARAC) car c'est cette instance qui est chargée de collecter, d'analyser, transmettre et de classer les informations sur la situation sécuritaire de la sous région4(*). Une fois collectées par le MARAC, les informations sur la situation sécuritaire sont mises en forme, classées et transmises à la Commission de Défense et de Sécurité (CDS). Le rôle de la CDS est de se baser sur les informations transmises par le MARAC pour planifier, organiser et donner des conseils aux entités prenant des décisions dans la communauté, en l'occurrence le Conseil des Ministres pour présentation à l'approbation de la Conférence des Chefs d'Etats. Il convient cependant de préciser que lorsque les circonstances l'exigent la CDS, peut transmettre directement ses rapports à la Conférence des Chefs d'Etats. Les décisions et les actions menées sur la base des propositions du CDS constituent les outputs. Considérant, à la suite d'Easton que les outputs sont constitués par les décisions effectivement prises et les actions par lesquelles elles sont menées, nous rangerons sous cette rubrique tous les Actes, Résolutions, Conventions et Décisions pris par la CCE. Les outputs du système revêtent deux principales formes. Premièrement, ils peuvent consister en des mesures de diplomatie préventive visant à inhiber, auprès des acteurs de premier plan, les causes de conflits dans la sous région et à restaurer un cadre propice à la paix. Selon les textes statutaires du COPAX, La CCE peut confier une telle mission au Conseil des Ministres ou alors à un comité Ad hoc créé et mis en place par ses soins mais, actuellement, ce volet est géré par la Direction des Actions Politiques et Diplomatiques (DAPD) du COPAX5(*). Deuxièmement, les décisions de la CCE peuvent viser la prévention par les faits et dans ce cas de figures elles portent, soit sur un déploiement de la FOMAC, soit sur des actions visant à annihiler les causes structurelles de conflits. Les décisions et les actions émanant du système se répercutent sur l'environnement qu'elles modifient et dont elles suscitent soit le soutien en terme d'approbation, soit l'insatisfaction manifestée par de nouvelles demandes. La boucle ainsi formée constitue le feedback ou courbe de rétroaction. Ces outputs affectent et influencent l'environnement dans lequel le système de prévention baigne et particulièrement les autres systèmes qui en font partie. Ainsi, les actions efficaces de prévention et de gestion des conflits, parce qu'elles promeuvent la paix, suscitent un cadre propice au développement économique et culturel et, à terme favorisent une plus grande intégration de la sous-région. De la même façon le système de prévention des conflits est affecté par les systèmes économiques et culturels en ce sens que ses interventions sont fonction de la puissance économique et culturelle établies par ceux-la. La pertinence et l'efficacité du système de prévention des conflits, dans le cadre de notre analyse, seront déduites de la qualité et de la quantité des inputs, des outputs et de la fréquence de la courbe de rétroaction c'est-à-dire de l'équilibre entre les inputs et les outputs du système. En clair, des soutiens insuffisants en qualité et en quantité conduiraient évidement à un fonctionnement inadéquat du COPAX. De même, un grand nombre de demandes opposées à un nombre réduit de réponses du système signifierait un mauvais fonctionnement de celui-ci dû à son incapacité à traiter les demandes ou à leur apporter des réponses opportunes ou, pour le moins, satisfaisantes. Dans le même ordre d'idées, un trop-plein d'inputs en termes de soutien devrait résulter en une augmentation de la quantité et de la qualité des interventions du système, le contraire signifiant encore l'inadéquation du système par rapport à son environnement. En somme, l'application de l'analyse systémique à l'étude de l'impact du COPAX sur le processus d'intégration nous donne d'envisager ce dernier selon le schéma ci-après. . LA PREVENTION DES CONFLITS EN AFRIQUE CENTRALE SUIVANT UNE APPROCHE SYSTEMIQUE COPAX INPUTS ORGANISMES DE LA SOCIETE CIVILE, ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES DES CHAMPS D'OBSERVATION ET DES NIVEAUX D'EXPLICATION La science politique est cette discipline particulière qui traite des phénomènes de pouvoir au sein des entités organisées. Elle résulte de la spécialisation de disciplines anciennes telles la philosophie et l'histoire, et de disciplines plus récentes telle la sociologie et l'anthropologie. La science politique est une science composite qui regroupe en son sein plusieurs branches telle la sociologie politique, la politique comparée, l'anthropologie politique, les relations internationales , l'économie politique, la théorie politique, la sciences administrative et, dans une certaine mesure, le droit constitutionnel. Dans l'optique de garantir la pertinence de notre tentative d'analyse, et de participer plus efficacement au débat scientifique, il nous a semblé de bonne facture de nous éloigner de toute explication globale en précisant, dans cette section, le champs précis du domaine politique dans le lequel se déploiera notre analyse. De prime abord et, considérant le fait que notre questionnement porte sur la nature et le fonctionnement d'une instance constituée par des Etats, instance qui elle-même est devenue acteur des relations internationales, nous situerons notre travail dans le champ de la théorie des relations internationales. Ici encore les spécialisations restent pléthore et une précision s'avère nécessaire, qui nous permet d'indiquer que nos investigations intéresseront beaucoup plus le secteur de l'analyse des conflits, précisément celui de lrénologie6(*), entendue comme la réflexion sur la prévention des conflits et la paix. Nous opèrerons certes quelques incursions dans les autres domaines voisins que sont la géopolitique, les politiques publiques, l'économie politique et la sociologie des organisations mais ce sera, dans la logique de la pluridisciplinarité caractéristique de la science politique, dans le but de conforter nos affirmation par des conclusion issues des branches soeurs. La capacité du système de prévention des conflits étant déduite de son aptitude à réagir activement dans le processus de prévention des conflits, les principales étapes de ce processus constitueront les niveaux d'explication de notre étude. Ainsi, nous aurons deux principaux niveaux d'explication, l'un qui porte sur la phase préparatoire de la réponse du système et l'autre qui porte sur la phase exécutoire, à savoir le déploiement effectif sur le terrain. La préférence pour la modalité de l'Alerte rapide au lieu de la réponse rapide privilégiée par d'autres sous-régions d'Afrique résulte du fait que c'est cette modalité qui a été choisie par la CEEAC dans le cadre de la mise en oeuvre de son système de prévention des conflits. Nous-nous attarderons donc sur les trois principaux niveaux de l'alerte rapide que sont : la collecte d'information, l'analyse des données collectées et les options de réponses proposées aux décideurs. La deuxième étape de la prévention des conflits, à savoir le déploiement des instances du COPAX, que ce soit dans l'optique d'une réaction immédiate ou alors dans le long terme, constituera le second niveau d'explication de notre analyse. En effet, tout déploiement, qu'il s'agisse de l'intervention de la FOMAC ou d'une action de diplomatie préventive de la DAPD est un élément structurant du niveau de sensibilité et du dynamisme du système de prévention des conflits et se prête donc aisément à l'explication dans le cadre de nos études. Notre étude présente plusieurs intérêts dont nous ne citerons ici que les plus significatifs :
Démontrer l'intérêt heuristique de notre étude revient à mettre en exergue le capital scientifique et intellectuel dont elle est porteuse, tant en ce qui est des méthodes d'analyse mises à contribution, qu'en ce qui est du substrat scientifique résultat de cette recherche. Le substrat résultat de notre entreprise intellectuelle est intéressant en ceci qu'il est le fruit d'une analyse scientifique du potentiel réel d'intégration de l'Afrique centrale dans le domaine particulier qui est celui de la prévention des conflits. Nos travaux s'éloignent ainsi de tout enthousiasme patriotique ou panafricaniste qui en biaiserait les résultats pour s'aligner dans la pure tradition des sciences sociales faite d'une quête sans complaisance de la vérité scientifique. Traitant, à la suite de Durkheim, les fait sociaux comme des choses, notre étude vise à mettre en exergue la réalité scientifique de ce qui est fait, de ce qui n'a pas été fait et de ce qui est à faire pour que l'Afrique centrale puisse, en se basant sur son système de prévention des conflits, être un véritable pôle d'intégration. En fait, nous-nous proposons, dans une perspective casuistique encrée sur le contexte particulier de l'Afrique centrale, de contribuer par nos travaux à la construction d'une théorie opératoire de la prévention des conflits.
L'intérêt stratégique est déduit de la possibilité offerte par ces travaux de fournir une meilleure visibilité du potentiel de la sous région en matière de prévention et de gestion des conflits, notamment en identifiant et en mettant en exergue les entraves et les dysfonctionnements du système de prévention des conflits afin d'en susciter une meilleure viabilisation. Par souci de précision, il est de bon ton de présenter le cadre spatio-temporel de notre analyse.
Le référent « Afrique centrale » véhicule une ambiguïté certaine due au fait que, dans cette sous-région, l'on retrouve deux instances différentes qui prétendent représenter l'identité sous-régionale. Il s'agit en l'occurrence, de la Communauté Economique et Monétaire d'Afrique Centrale (CEMAC) et de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique Centrale (CEEAC). Au-delà de la synonymie dans les appellations, on note une confusion des missions que s'assignent ces structures. Ainsi, la mission essentielle de la CEMAC est de promouvoir un développement harmonieux des Etats membres dans le cadre d'une Union Economique et d'une Union Monétaire7(*), tandis que la CEEAC a pour objectif ultime d'établir un marché commun aux Etats de l'Afrique centrale8(*). On voit à l'évidence que toutes les deux, ces organisations recherchent le développement économique de la sous-région et poursuivent des objectifs certes, différents dans l'énonciation, mais identiques dans le fond. Or, l'exigence de précision qui guide nos travaux nous oblige à faire un choix, et à concentrer nos efforts sur une des structures, non sans avoir énoncé les raisons ayant motivé notre préférence. Aussi, pour des raisons qui résultent de l'analyse de la politogenèse, de l'étude de la structuration institutionnelle et, en considérant la compétence rationae loci de ces organisations, notre préference est allée à la CEEAC. La candidature de la CEMAC semble, dès sa genèse, viciée par une extraversion préjudiciable au processus de construction d'une identité locale. En effet, c'est en conservant les liens qui les unissaient sous l'Administration coloniale, que la Centrafrique, le Congo, le Gabon et le Tchad, ont crée en juin 1959, l'Union Douanière Equatoriale (UDE) à laquelle adhérera en 1961 l'Etat du Cameroun. Le 8 décembre 1964, l'UDE devient UDEAC et, 10 ans après l'adhésion de la Guinée Equatoriale en 1983, l'UDEAC devient CEMAC9(*). Ropivia (1998 :177) analysant la philosophie qui à sous tendu ce processus d'intégration, établit que le projet d'intégration dans cette sous-région « est la manifestation du paternalisme institutionnel qui repose sur une idée fondamentale, celle du lien indissoluble entre l'Europe dominante et l'Afrique dominée, ôtant à cette dernière toute capacité d'autonomie en matière de stratégie d'intégration ». L'idée de mettre sur pied une institution devant porter le processus de construction identitaire de l'Afrique centrale CEMAC ne résulterait donc pas de la volonté des habitants de cette sous-région mais serait un moyen, pour la métropole, de rassembler sous un même label les Etats composant son pré carré. L'on constate en effet que tous les Etats fondateurs de la CEMAC sont des anciennes colonies de l'Afrique Equatoriale Française (AEF). En terme plus clair, la CEMAC ne seraient qu'une organisation succursale dont le processus d'intégration défendrait plus des intérêts de la métropole que ceux des Africains eux-mêmes. Dans un second moment, nous avons considéré le facteur juridique qui, sous les auspices du comité Consultatif Permanent sur les Questions de Sécurité en Afrique Centrale, confère à la CEEAC une légitimité indiscutable en matière de prévention et de gestion des conflits en Afrique centrale. Ensuite, nous avons considéré le facteur de la représentativité qui va lui aussi à la faveur de la CEEAC, étant donné qu'elle est une instance dont la compétence territoriale englobe non seulement la totalité des Etats de la CEMAC mais aussi les Etats de la CEPGL à l'exception du Rwanda, et qu'au surplus la CEEAC reste le seul regroupement de la sous-région ayant envisagé au plan institutionnel, un système de prévention des conflits qui puisse se déployer dans toute la sous-région. Enfin, et pour clore ce débat, nous avons subordonné notre choix aux conclusions du programme de rationalisation des Communautés Economiques Régionales en Afrique mis en oeuvre par la Commission Economique pour l'Afrique, programme qui ne reconnaît que la CEEAC comme pilier de l'intégration économique sous-régionale en Afrique centrale, et attribue à la CEMAC le statut de sous-organe d'intégration10(*). Dans notre approche donc, nous envisagerons la CEEAC comme étant le résultat d'un fédéralisme par agrégation ayant rassemblé sous une même identité les pays de la CEMAC et ceux de la CEPGL.
Dans le temps nous étalerons nos prospections à partir du 24 Février 2000, date de la signature du protocole relatif au COPAX. En effet, cette date est importante en ceci qu'elle marque la naissance, au sein de la sous-région, du système objet de notre étude. La limite à posteriori de notre étude se situera quant à elle au 31 Décembre 2008. Le choix de cette deuxième limite est justifié par des exigences d'ordre pragmatique. En effet, bien que mû par le souci de produire une analyse scientifique qui ait, autant que possible, prise sur l'actualité et qui prête à des projections dans l'avenir, il nous a semblé raisonnable de nous arrêter à une analyse de fait vécus et constatés en deçà de l'année de clôture de nos recherches. La présente étude s'appuie sur quatre grandes articulations qui en constituent l'armature. Tout d'abord nous passerons en revue les concepts et théories fondamentaux qui orienteront notre démarche. Dans un deuxième moment, nous procèderons à une prospection du terrain afin d'identifier, de répertorier et de confronter les éléments objets de notre analyse. Dans une troisième étape, nous procéderons à une analyse explicative des configurations et des situations constatées précédemment et, dans un dernier moment, nous allons nous appuyer sur les résultats de notre analyse explicative pour faire une tentative d'anticipations sur les adaptations à opérer dans l'optique du renforcement de la capacité de l'Afrique centrale en matière de prévention des conflits et d'intégration. * 1 Source : www.ceeac-eccas.org/index.php?rubrique=presentation&id=3 * 2 Source: Stockholm International Peace Research Institute (2002) Year Book * 3 Cf. : Cartographie des indices de paix du SIPRI jointe en annexe et disponible sur http://www.visionofhumanity.org/gpi/results/regional-split.php * 4 Cf. Art 21 du protocole relatif au COPAX * 5 La Direction des Actions Politiques et Diplomatiques résulte d'une adaptation qui visait à prendre en compte l'importance de la diplomatie préventive dans le processus de prévention et de gestion des conflits. Certes, elle n'a pas été envisagée lors de la ratification du Protocole Relatif au COPAX car, ce volet des missions du COPAX était plutôt exécuté par des Commissions Ad-Hoc mises en place par la CCE qui en fixait en outre le mandat conformément à l'Article 09 du Protocole relatif au COPAX. * 6 Du mot « paix » en Grec et selon le Professeur Johan Galtung, un des pères fondateurs de cette branche de la polémologie * 7 Cf. Article 1er du Traité Constitutif de la CEMAC signé le 16 mars 1994 * 8 Profil de la CEEAC disponible sur www.ceeac-eccas.org * 9 Source : Profil de la CEMAC disponible sur www.cemac.cf/Drivers/dépliant-cemac.pdf * 10 Commission Economique pour l'Afrique (2004), l'état de l'intégration régionale en Afrique, Addis-Abeba, pp 29-30 |
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