B - L'ÉTENDUE DU RECOURS
309 - Il s'agit de connaître le mécanisme de
répartir la réparation entre les coauteurs. Le responsable
solvens a payé la totalité de la dette, et a le droit de
recourir contre les autres. Comment la cour de cassation va répartir la
charge supportée par chacun des coauteurs du dommage ? Dans cette
vision, il faut distinguer si les coauteurs sont fautifs ou s'ils ont tenus en
leur qualité gardien d'une chose inanimée. Ou bien, quelqu'un est
tenu sur le fondement de la responsabilité pour faute et d'autre en tant
que gardien d'une chose inanimée.
310 - Mais avant de les formuler on expose le cas de l'un des
coauteurs qui est insolvable ou inconnu. Selon l'article 1214 al. 2 du Code
civil et l'article 41 du Code des obligations et contrats
l'insolvabilité de l'un des codébiteurs solidaires doit
être supportée par les autres codébiteurs. En premier lieu
c'est le solvens qui la supporte et lorsqu'il recourt contre les
autres codébiteurs l'insolvabilité ou l'inconnaissance de l'un
d'eux sera répartie entre ceux qui sont solvables ou connus. Cette
règle est appliquée aussi à l'obligation in solidum
en matière de la responsabilité
délictuelle(154).
1o - La responsabilité pour faute
311 - La répartition de la charge du dommage en
matière de délits et quasi-délits proposée par la
doctrine doit être faite d'après la gravité des fautes des
coauteurs(155). Cette répartition n'affecte que les rapports
des coauteurs entre eux et non pas leurs rapports avec la victime.
(154) Pour l'insolvabilité de l'un des coauteurs voir
: Cass. civ. 3e, 18 mars 1987, Bull. civ. II, n° 58,
p. 34 ; Civ. 3e, 22 juin 1994, Bull. civ. III, n° 127,
p. 80, D. 1994.IR.226, Gaz. Pal. 1995.pan.16 ; Pour l'inconnaissance de l'un
des coauteurs voir : Cass. Civ. 2e, 15 déc. 1966,
Bull. civ. II, n° 968, Gaz. Pal. 1967.1.216, note Blaevoet ; - 29
avril 1970, JCP 1971.II.16586 ; Cass. Soc., 8 février 1972, D.
1972.656.
(155) N. Dejean De La Bâtie in Aubry et Rau, op.
cit., t. VI-2, Responsabilité civile, n° 82, note 85
; H. Lalou, Traité pratique de la responsabilité civile,
3e éd., 1943, n° 111 ; Planiol et Ripert par Esmein,
Radouant et Gabolde, Traité de droit civil français, t.
VII, Les obligations, LGDJ 1954, no 1090.
Cependant, des auteurs considèrent que la
répartition doit être par parts viriles(156), si on
admet que chaque cause est censée avoir causé la totalité
du dommage(157).
312 - La jurisprudence et dès le XIe
siècle retenait que dans le cas des coauteurs fautifs la
répartition du montant entre eux se fait « suivant la
gravité des torts imputable à chacun d'eux
>>(158). Dans le XXe siècle des
arrêts consacrent cette conception qui retenaient que la
répartition se fait selon « la gravité de leurs
(les coauteurs) fautes respectives >>(159).
313 - La gravité des fautes est souverainement
appréciée par les juges du fond(160), qui ne sont pas
mêmes obligés de motiver le partage
effectué(161) et la cour de cassation n'a aucune censure
concernant l'appréciation des juges du fond.
314 - Le juge, en appréciant les fautes, doit examiner
attentivement les causes du dommage, et rechercher le comportement le plus
grave et le plus important dans la production du dommage(162). Il a
la liberté de répartir la responsabilité de
chacun(163). Cette répartition du montant d'après la
gravité de la faute s'applique même si le coauteur a payé
une part de la dette et non pas la totalité(164). Le juge
lorsqu'il y a concours entre la faute du coauteur et la faute de la victime,
doit prendre en considération la faute de cette
dernière(165).
315 - Cependant, cette appréciation n'est pas absolue.
Elle connaît certaines limites. S'il y a dénaturation ou
contradiction des faits, la cour de cassation casse l'arrêt. C'est la
cour de cassation(166) qui a considéré que
l'appréciation retenue par la cour d'appel est en contradiction avec la
gravité relative des fautes. De même le juge ne peut
décharger quelqu'un et charger quelqu'un d'autre de toute la
réparation si tous les coauteurs sont fautifs(167), sauf dans
le cas où il y a inégalité entre les fautes. Dans un
arrêt le 11 février 1980 la cour de cassation censure la cour
d'appel d'avoir mis la charge entière sur une seule faute, tandis qu'une
autre contribuait à la production du dommage. Dans le même sens,
il a
(156) Baudry-Lacantinerie et Barde, t. II, n° 1301, p. 386
; Chabas, thèse précitée, n° 29, page35.
(157) Patrick Canin, ouvrage précité, n° 137,
p. 169.
(158) Req., 24 février 1886, S. 1886.1.460 ; Dans le
même sens : civ. 11 juillet, 1892, D.P. 1894.513.
(159) Trib. Confli., 8 mai 1933s. 1933.3.117 ; Req., 5
juillet 1926, D.H. 1926.401 ; Civ. 20 mai 1935, D.H. 1935.394, Gaz. Pal. 1935,
2,187 ; Dans le même sens: Req., 5 juillet 1926, D.H. 1926.401 ; Cass.
Civ., 20 mai 1935, D.H. 1935.394, Gaz. Pal. 1935.2.187 ; Cass. civ.
1re, 21 fév. 1956, D. 1956.J.285 ; Civ. 2e, 17
mars 1971, Bull. civ. II, n° 123 ; Paris, 24 oct. 1983, D.
1984.J.149, note Penneau.
(160) Cass. Civ. 2e, 14 fév. 1979, Bull.
civ. II, n° 52 ; Req. 24 nov. 1924, D.H. 1924.715 ; Civ.
2e, 11 janvier 1979, Bull. civ. II, n° 19 ; Civ.
2e, 23 janvier 1975, Bull. civ. II, n° 26 ; civ.
3e, 19 déc. 1972, Bull. civ. III, n° 695 ; Civ.
2e, 16 mars 1994.
(161) Civ. 3e, 3 juillet 1968, JCP
1969.II.15860 et la note de Soinne ; Civ. 1re, 3 avril 1973, Gaz
Pal. 1973.2.559.
(162) Cass. civ., 20 mai 1935, D.H. 1935.394 ; Civ. 21
fév. 1956, D. 1956.J.285, JCP 1956.II.9200, note H. Blin.
(163) 1/3 Civ. 2, 16 mars 1994; 2/3-1/3 Civ. 20 mai 1935, Gaz.
Pal. 1935.1.187; 2/3-1/3, civ. 2e, 17 mars 1971, Bull. civ.
II, n° 123 ; 1/2-1/2 Paris, 24 oct. 1983, D. 1984.J.149, note Penneau.
(164) Req., 23 avril 1872, D.P. 1872.1.411.
(165) Cass. civ. 1re, 25 nov. 1992, Gaz Pal.
1993.pan.61, JCP 1993.I.3664, obs. G. Viney, JCP
1993.IV.336.
(166) Civ. 3e, 26 oct. 1967, Bull. civ. II,
n° 302.
(167) Civ. 1re, 19 juin 1973, Bull. civ. I,
n° 208.
été retenue que si la faute du coauteur
était génératrice du dommage, elle n'était pas
seule il faut prendre aussi en considération la faute de l'autre
personne.
316 - Certains auteurs reprochent la répartition
d'après la gravité de la faute qui, à leur avis, a un
aspect de sanction et de répression(168). Un autre
système fut proposé celui du pouvoir causale de chaque faute. Il
est nécessaire de déterminer les causes
antécédentes du dommage qui ont un rôle causal dans le
dommage, et la répartition se fait selon le degré causal de
chaque cause(169). Cette proposition est plus rationnelle que le
partage d'après la gravité de la faute(170). Une autre
proposition, au fond est identique de celle de l'intervention causale, mais
différente dans son aspect. Elle considère que le partage doit
être établi selon l'étendue de la responsabilité de
chaque coauteur(171). Il semble que la jurisprudence a parfois
reparti selon l'importance de la participation, quand la cour de cassation
relève que le coauteur solvens peut avoir recours contre
l'autre coauteur « dans la mesure de responsabilité de celui-ci
>>(172), dans d'autre d'après «
l'importance de la participation ... >>(173) ce qui
s'éloigne du critère générale d'appréciation
d'après la gravité de la faute.
317 - La répartition d'après le pouvoir causal
de chaque fait s'est avoir reproché de ce que la responsabilité
civile n'a pas pour fondement la causalité. Dans ce sens, un
auteur(174) écrit qu' « il n'existe aucun
critère concevable pour apprécier l'influence causale des divers
facteurs ayant contribué à provoquer le dommage ; ce partage de
causalité est donc purement arbitraire, et, surtout, que la
responsabilité civile n'a pas pour fondement la causalité du
dommage >>. Pour un autre auteur(175) si les auteurs qui
proposent la répartition d'après le rôle causale
considèrent que chaque cause a causé une portion du dommage est
une conception fausse et doit être rejetée parce que le dommage
est unique, et seul l'hiérarchisation des causes est acceptable. La
jurisprudence n'est stable sur quelle théorie l'hiérarchisation
doit être faite la causalité adéquate (175 bis) ou
l'équivalence des conditions(175 ter). Notons aussi
que la fonction de la causalité n'est pas la détermination de la
part de chaque cause(176).
(168) P. Raynaud, 1'obligation in solidum, p. 167,
cité par Patrick Canin, n° 136, p.167 ; H. Roland et L. Boyer,
Les obligations, 3e éd. 1988, n° 997 ; F. Chabas,
thèse précitée, n° 89.
(169) H., L., J. Mazeaud et A. Tunc, Traité de la
responsabilité civile, 5 éd., t. II, n° 1443.
(170) Ph. Conte, Encyclopédie Dalloz, Rep. Civil, V°
responsabilité du fait personnel, n° 290.
(171) Patrick Canin, ouvrage précité, n° 132,
page 164 ; Ph. Conte, Rep. Dalloz, Vo, Responsabilité du
fait personnel, n° 290.
(172) Civ. 2e, 1er oct. 1975, D. 1975.IR.256,
Bull. civ. II, n° 235.
(173) Civ. 2e, 6 mars 1968, Bull. civ. II,
n° 76.
(174) Boris Starck, article précité, JCP
1970.I.2339, n° 6.
(175) Chabas, thèse précitée, n° 29,
page 35.
(175 bis) La cour de cassation s'inspire parfois de la
causalité adéquate : Cass. Civ.2e, 24 févr.
2005, JCP 2005.I.149, obs. G. Viney. (175 ter) Cass. Civ.
2e, 27 mars 2003, Bull. civ. II, n° 76.
(176) Supra n° 242.
318 - Aujourd'hui la jurisprudence répartit la
réparation d'après la gravité de la faute(177),
et comme relève un auteur << si la conception subjective et
moraliste de la responsabilité civile a largement disparu des
règles gouvernant l'obligation à la dette, elle persiste dans une
large mesure au stade de la contribution »(178).
Si la gravité de la faute contrôle le principe de
répartir la dette entre coauteurs fautifs le problème
diffère si on est en face des coauteurs gardiens qui sont tenus d'une
responsabilité objective.
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