§ 2 : L'OBLIGATION IN SOLIDUM UNE INSTITUTION
AUTONOME
La formulation d'une théorie générale
d'obligation in solidum évoluait dans la jurisprudence qui
déterminait ses limites et ses conditions après plusieurs
arrêts en l'espèce. Elle devient une institution autonome qui se
distingue de la solidarité ayant son propre domaine et ses propres
conditions.
A - LA DISTINCTION ENTRE L'OBLIGATION IN SOLIDUM ET LA
SOLIDARITÉ
L'obligation in solidum est-elle une institution
différente de la solidarité ? Les romanistes ont
considéré que chaque institution est distincte de l'autre par sa
structure. La solidarité se caractérise par l'unité
d'objets et de pluralité de liens, tandis que l'obligation in
solidum est plurale par les objets et les liens(60).
102 - Certains auteurs du XXe siècle
considèrent qu'il n'y a qu'un seul type de
solidarité(61), refusant l'obligation in solidum,
manque d'appui légal. Les partisans de l'obligation in solidum
rétorquent que c'est une institution qui ne déroge pas au
droit commun(62), son existence est un état de pur fait,
<<c'est une institution plus logique que juridique »(63).
C'est une responsabilité naturelle qui résulte de la force des
choses, chaque cause est la cause totale du dommage, de la nature même du
rapport juridique(64), c'est une responsabilité qui <<
a lieu indépendamment de toute disposition de la loi ; elle a lieu
par la force même des
(59) Cass. Civ. 1re, 17 mars 1964, Gaz. Pal.
1964.2.56 cet arrêt montre que le débiteur poursuivit peut
demander la réduction de son montant ; Cf. J. Mester et M-E
Tian-Pancrazi, op. cit., J-Cl. civ. art. 1197 à 1216 ; Ph. Le
Tourneau, Rep. Dalloz, op. cit., n° 181.
(60) Infra nos 199 et s.
(61) Colin et Capitant, Traité de droit
civil, 9e éd., tome II, no 705; Josserand,
op. cit., 3e éd. tome II, nos 771 et 779
; Planiol et Ripert, op. cit., n° 903 ; H. et L. Mazeaud,
Traité théorique et pratique de la responsabilité
civile délictuelle et contractuelle, tome II, 4e
éd., no 1962, p.806 ; P. raynaud, op. cit., in
Mélanges J. Vincent, p. 317.
(62) Savatier, op. cit., no 488 p. 45 ;
J. Vincent, op. cit., RTDC 1939, p. 668.
(63) Chabas, thèse précitée, p. 23.
(64) Marty et Raynaud, t. II, no 797.
choses, par la nécessité des situations
lorsqu'en effet il sort de ces situations une obligation telle, par sa propre
constitution, que plusieurs s'en trouvent tenus chacun pour le tout
»(65).
103 - Pour juger si l'obligation in solidum est une
espèce de solidarité ou non. Il faut prendre en
considération la structure et le fondement de chaque institution. Si
l'obligation in solidum a le caractère de l'unité
d'objet et de pluralité de liens(66) sa structure est donc
similaire à celle de la solidarité. Et si elle a la structure de
pluralité d'objets et de liens, elle diffère donc de la
solidarité. Mais cela ne suffit pas à décider, il y a
encore le fondement donné. Trois fondements on été
donnés à l'obligation in solidum :
l'indivisibilité du dommage, la causalité totale et la garantie.
Le premier et le deuxième fondement ne sont en aucun cas compatible avec
le fondement de la solidarité. L'obligation solidaire est divisible, et
le fondement de la solidarité, qu'il soit la sûreté ou la
garantie, est loin de l'idée d'indivisibilité ou de la
causalité totale. Cette attitude d'expliquer l'obligation in
solidum, selon ces deux fondements, ne justifie pas le recours du
solvens contre les autres coauteurs, celui qui paie la dette, paie ce
qu'il doit.
Reste le troisième fondement qui est la garantie.
Chaque coauteur est responsable d'une part et garant de la part des autres
coauteurs. Aujourd'hui les auteurs qui donnent à l'obligation in
solidum la garantie comme fondement la range sous la tutelle de la
solidarité(67). Mais pour ces auteurs la garantie est le
droit de la victime à une réparation intégrale, alors avec
la solidarité la garantie est réciproque entre les
codébiteurs.
104 - D'autres auteurs moins hostiles à l'obligation
in solidum proposent d'admettre la solidarité imparfaite. Mais,
d'un autre côté l'admission de la solidarité pose une
question : comment devrait-t-on régler le problème de la
détermination de la part de la réparation incombant à
chaque coauteur ? Le dommage sera réparti pro
parte(68) entre eux comme en matière de
solidarité ou bien selon un autre mécanisme(69). Sans
aucun doute, le problème est subtile et nécessite une
étude plus approfondie. Il ne faut pas oublier qu'en matière de
responsabilité il y a le lien de causalité, le comportement des
auteurs ainsi que le dommage. Dans une étude récente Marc Mignon
a essayé de formuler une seule théorie de l'obligation au tout en
rangeant sous ce titre la solidarité et l'obligation in
solidum. Cependant, et attendant les répercussions de la
thèse de Mignon, la structure de la solidarité et celle de
l'obligation in solidum telle que adoptées, sûrement,
marque une différence entre elles. Même si quelques auteurs
estiment que l'obligation in solidum n'est qu'une
variété de la solidarité
passive(70).
(65) Demolombe, op. cit., t XXVI, n° 295.
(66) Sur la doctrine de l'unité d'objet et
pluralité de liens, infra nos 196 et s.
(67) Infra nos 224 et s.
(68) Marc Mignon, thèse précitée.
(69) Infra no.309 et s.
(70) MALAURIE et AYNÈS, op. cit., no
1165
La solidarité diffère de l'obligation in
solidum par sa source et par les effets appliqués à chaque
institution.
105 - a) Source : La source de la
solidarité, en matière civile est la volonté des partis ou
celle de la loi, ce qui lui attribue un domaine restrictif. En opposition,
l'obligation in solidum est une institution jurisprudentielle, ce qui
lui confère une élasticité. Apparemment, l'obligation
in solidum est confirmée dans les terrains où la
solidarité ne peut pas être établie. Pouvons-nous dire que
l'obligation a comblé plusieurs lacunes.
106 - L'obligation in solidum est admise lorsque l'un
des coauteurs est tenu délictueusement et l'autre
contractuellement(71). Par exemple, entre un entrepreneur et son
sous-traitant(72), ou tiers complice dans la violation d'un
contrat(73), ou un tiers créant une apparence trompeuse pour
l'un des contractants(74). C'est le cas également lorsque
l'assureur est condamné à réparer le dommage causé
par son assuré. L'assureur est tenu contractuellement et l'auteur du
dommage est tenu sur la base de la responsabilité commune.
107 - Itou, l'obligation in solidum est
appliquée aux débiteurs tenus par des contrats distincts. Une
clinique et un médecin condamnés in solidum à
indemniser le malade(75), Un architecte et un entrepreneur tenus
à dédommager le maître de l'ouvrage(76), ou bien
deux entrepreneurs dont chacun était tenu par un contrat distinct de
l'autre auront été condamnés in solidum à
l'égard du maître de l'ouvrage(77).
Au demeurant, l'obligation in solidum fut admise
encore entre coauteurs tenus chacun sur des bases différentes, l'un est
tenu sur le fondement du fait d'autrui l'autre sur le fondement du fait des
choses ou bien l'un est tenu personnellement l'autre en sa qualité
gardien ou responsable du fait d'autrui(78).
108 - b) Effets : Les effets
secondaires de la solidarité reposant sur la représentation
mutuelle ne sont pas applicables à l'obligation in solidum. Pas
de communauté d'intérêt,
(71) Cass. Civ. 29 nov. 1948, D. 1949.117, note H. Lalou ; Cass.
Civ. 1re, 7 oct. 1958, D. 1958.763 ; Cass. Civ. 3e, 5
déc. 1972, D. 1973.401, note J. Mazeaud.
(72) Cass. Civ. 1re, 26 mars 1996, Bull.
civ. I, n° 154.
(73)
Cass. Com. 27 oct. 1992, D. 1992.505, note
A. Benabent ; - 15 mars 1994, Bull. civ. IV, n° 108 ; 18 oct. 1994,
ibid. IV, no310.
(74)
Cass. com., 17 oct. 1995, D. 1995, IR 236,
loueur de fonds de commerce responsable solidairement des dettes du
locationgérance envers un fournisseur mis en confiance par les
excellentes relations qu'il entretenait avec le premier.
(75) Cass. Civ. I, 1re juin 1976, JCP
1976.11.18483 ; C.A. Paris, 15 juin 1954, D. 1954.649 ; Civ. 2e, 21
avr. 1982, D. 1983, IR 497.
(76) Cass. Civ. 1re, 14 oct. 1958, Bull.
civ. I, no 42 6; Cass. Civ. 3e, 3 juill. 1996,
JCP 1997.11.22758, note Ph. le Tourneau.
(77) Cass. Civ., 1re, 9 nov. 1960, 1re
arrêt, Gaz. Pal. 1961.1.83.
(78)
Cass. Com., 25 mai 1993, Bull.
civ. IV, no 210 ; Cass. civ. 3e, 13 juin 1990, Bull.
civ. III, no 148.
entre les débiteurs, justifiant la représentation
de l'un d'eux à l'égard du créancier. Les effets de
l'obligation in solidum seront étudiés
postérieurement d'une façon détaillée.
L'autonomie, de l'obligation in solidum, impose des
conditions nécessaires pour que la cour puisse la prononcer contre les
coauteurs.
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