CHAPITRE PRÉLIMINAIRE
1 - Dans ce chapitre nous examinerons l'histoire du droit
libanais dans le but de savoir si l'obligation in solidum aurait des
traces historiques ou ne serait qu'une institution qui a récemment
évolué (section 1 : précis historique). Mais
l'histoire n'est pas suffisante pour l'admettre, il faut absolument scruter les
règles du droit civil se rattachant aux délits civils pour savoir
si elle est fixée ou non (section 2 : droit positif).
SECTION I : APERCU HISTORIQUE
L'étude historique consiste à étudier
l'histoire du droit français, le droit romain (Sous-section 1)
et l'ancien droit français (Sous-section 2), du fait que notre
droit positif est inspiré du droit positif français.
§ 1 : DROIT ROMAIN
2 - L'obligation in solidum est une institution
provenant du droit romain. C'est l'action pénale qui est devenue, avec
Justinien, une action civile, qui vise la réparation(1).
Elle n'est que la transformation de la responsabilité pénale
au total en responsabilité civile au total. Cette évolution
passait dans trois étapes consécutives. En première
étape, l'action pénale était affectée par le
principe de cumul des actions exercées par la victime. En
deuxième étape, le principe de cumul fut remplacé par un
cumul relatif, et enfin le principe de cumul était aboli.
3 - Sous l'empire, la pluralité d'auteurs d'un
délit donnait à la victime deux actions de nature
différentes : les actions réipersécutoires et les actions
pénales. Les actions réipersécutoires avaient un
caractère civil, elles tendaient à indemniser la victime en
dehors de toute vengeance. Cette action pouvait être intentée
contre l'un des codélinquants selon le choix de la victime. Cependant,
cette action était atteinte par l'effet extinctif de la litis
contestatio qui est une règle procédurale. L'instance en
droit romain se déroulait en deux phases l'instance in jure et
l'instance apud judiciem. La première se déroule devant
le magistrat. Dans cette phase les partis choisissent la formule qu'ils
voulaient appliquer à leur litige. La deuxième phase se
dépend du juge qui tranche le litige en fonction des
éléments de
(1) Raymond Monnier, Manuel
élémentaire de droit romain, tome II, n° 219, p.298 ;
Huvelin Paul, Cours élémentaire de droit romain, tome
II, p. 336 ; MIGNO Marc, Les obligations solidaires et les obligations
in solidum en droit privé français, Dalloz, 2002,
p. 235 et s.
preuve choisis par les partis en première phase. La
litis contestatio vient de supprimer la première phase. Les
actions réipersécutoires étaient affectées par
cette règle procédurale. Du fait que le créancier
poursuive l'un des débiteurs l'obligation disparaît à
l'égard des autres.
4 - La conséquence de la soumission de l'action
réipersécutoire à la litis contestation se
traduit par le non cumul du dédommagement contre les coauteurs. La
victime pouvait poursuivre l'un des coauteurs seulement pour la
réparation, car l'obligation disparaît à l'égard des
autres codébiteurs par l'effet de la litis contestatio. En
droit romain postclassique, étaient tenus au total les
codélinquants d'une même violence ou complices de mauvaise foi. De
même, les codélinquants d'argent volé(2). Dans
ce denier cas la victime exerçait la condictio furtiva contre
les codélinquants qui était une action
réipersécutoire.
5 - Au contraire, sur le plan pénal, il y avait
l'action de dolo qui était exercée par la victime
cumulativement contre tous les codélinquants. Elle n'était pas
affectée par la litis contestatio(3). Ce qui donnait
à la victime le droit d'obtenir des peines équivalentes au nombre
des auteurs. Le principe de cumul se justifiait par l'indivisibilité du
délit(4), ou chacun des auteurs était censé
avoir commis le délit tout entier, ou que chaque codélinquant
aurait commis un délit distinct des autres(5). Cependant, le
principe de cumul n'était pas absolu dans certains cas il était
relatif, et dans d'autres cas, l'action était affectée par la
litis contestatio.
(2) Dig. 4, 2, 14, 15 : << D'après ces
principes, lorsque la violence a été exercée par
plusieurs, et qu'il n'y en a eu qu'un d'actionne, si celui-ci rend
volontairement la chose avant la sentence, tous sont libérés
», Dig. 4, 3, 17 : << Si plusieurs sont complices de la mauvaise
foi, et qu'un d'entre eux fait la restitution, tous sont libérés
» ; C. 4, 8, 1, << mais pour l'action conditionnelle en
répétition de l'argent volé, si ayant été
intentée, contre l'un d'eux il a satisfait, les autres
libérés ».
(3) Raymond Monnier, Manuel élémentaire de
droit romain, tome II, no 219, p.298 ; Huvelin Paul, Cours
élémentaire de droit romain, tome II, p. 336.
(4) Dig. 9, 2, 51, § 2 : << Si plusieurs
hommes, dans l'intention de voler, ont enlevé une poutre que chacun
d'eux ne pouvoit porter, on a décidé qu'il y avoit action de vol
contre tous; quoique par un raisonnement subtil, au pourroit dire que cette
action ne doit avoir lieu contre aucun d'eux; parce qu'il n'est pas vrai
qu'aucun d'eux pris séparément ait emporté la poutre
», ; Dig. 43, 24,15, § 2 : << Labéon écrit
que si on a fait par mon ordre un amas de terre dans un lieu destiné
à la sépulture d'autrui, il y a lieu contre moi à
l'interdit quod vi vaut clam, et que si cela s'est fait du conseil unanime de
plusieurs, il est loisible d'intenter cet interdit contre un d'eux, au contre
chacun en particulier ; car, dit-il, une entreprise faite par indivis par
plusieurs oblige chacun solidairement » ; Dig. 47, 2, 21, § 9:
<< Si deux, ou plus, ont emporté une poutre que chacun en
particulier ne pouvoit pas enlever, il faut dire que tous sont tenus de
l'action de vol pour la totalité, quoique chacun ne put ni la manier ni
l' enlever; et tel est Ie droit reçu. Car on ne peut pas dire que chacun
ait fait le vol pour sa part, mais plutôt que tous l'ont fait du tout.
Ainsi il arrivera que chacun en particulier sera tenu du vol »,
Cité par Mignon, thèse précitée, p. 240.
(5) Dig. 2, 1, 9 : << Si tous les esclaves d'un
même maître ont altéré l'ordonnance du magistrat, le
maître n'en est pas quitte, comme dans le vol, pour payer au nom d'un des
esclaves, autant que paieroit un homme libre qui auroit fait le vol; mais il
est tenu de payer pour chacun de ses esclaves (probablement parce que cette
action porte atteinte à la dignité du magistrat, et qu'elle
renferme plusieurs délits; de même que quand plusieurs esclaves
ont injurié quelqu'un ou lui ont fait du tort d'une autre
manière; parce qu'alors il y a plusieurs délits et non pas un
seul comme dans le vol »; Dig. 47, 10, 34 : << Si plusieurs
esclaves ont battu ensemble quelqu'un, au ou ont jeté contre quelqu'un
des cris réunis; ce délit appartient à chacun en
particulier; et l'injure est d'autant plus grande qu'elle a été
commise par plus de gens. Bien plus, il y a autant d'injures que de gens qui
ont fait injure ».
6 - La deuxième étape de l'évolution
était avec le code Justinien, qui supprima l'effet extinctif de la
litis contestatio, et le principe de cumul d'action pénale fut
échangé par un cumul relatif, et la peine s'est
transformée en une somme payée pour l'endommagement, loin de
toute idée de vengeance. Ce qui combinait l'action pénale et
l'action réipersécutoire en une seule action. À moins que
la victime n'obtienne pas la totalité de la réparation, elle
pouvait renouveler ses poursuites jusqu'à dédommagement
complet.
7 - La dernière étape de l'évolution en
droit romain c'était par la fusion de toutes les obligations qui
incombaient sur les codélinquants en une seule obligation. Et, le
coauteur solvens fut accordé un recours contre les autres
codélinquants chacun pour sa part.
Le germe de l'obligation in solidum était dans
le droit romain. Est-ce que cette obligation a persisté plus tard ? La
réponse à cette question sera clarifiée par l'étude
de l'ancien droit français pour savoir si elle était admise ou
non.
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