III) Les problèmes politiques et
économiques soulevés par les subventions au coton.
Dans cette dernière partie nous allons aborder
différents problèmes, mais qui tous ont une relation avec notre
sujet. Ces différents problèmes sont les suivants : en premier
lieu, nous allons voir quelle ont été les réponses
apportées par l'UE et les USA aux problèmes soulevés par
les quatre pays africains producteurs de coton. Ainsi nous montrerons en quoi
leurs positions et leurs propositions sont hypocrites. Dans un second temps,
nous aborderons les problèmes que les subventions engendrent sur le
développement des pays africains, en nous intéressant
particulièrement aux effets des gains dynamiques à
l'échange.
La première remarque que l'on peut formuler est que ce
sont en premier lieu les pays développés (et surtout les USA et
L'UE) subventionnant fortement leurs agricultures qui sont visés par
cette initiative sectorielle.
Dans les années 80 avec le "consensus de Washington",
une nouvelle doctrine du développement apparait. Elle préconise
la libéralisation dans les pays les moins avancés de presque tous
les secteurs économiques. Cette libéralisation est censée
amener ces pays dans le chemin du développement par les bienfaits du
marché (concurrence, rationalisation, libre-échange). Toutefois,
le résultat de ces politiques a été catastrophique. A tel
point que beaucoup disent que ce consensus n'a eu d'autre but que de trouver
aux pays riches de nouvelles sources de profits, au détriment de toute
considération économique et sociale. Même le FMI, qui a
pourtant été l'institution internationale qui a mis en oeuvre
cette politique aux travers des plans d'ajustement structurel, reconnait
elle-même que ses politiques n'étaient pas toujours
"adaptées".
Toujours est-il que certains pays ont réussi à
tirer leur épingle du jeu, comme certains pays d'Afrique de l'Ouest (en
particulier les pays producteurs de coton). Bien que ces pays demeurent
très pauvres, nous avons vu en première partie que la culture et
l'exportation du coton fait vivre pas moins de dix millions de personnes. Or,
les subventions qu'attribuent les pays développés à leur
agriculture viennent s'opposer aux principes de libre-échange qu'ils
défendent. Dans le texte que les quatre pays africains ont
déposé, ils ne demandent pas des mesures de traitement
différencier ou de nouvelles aides, ils ne demandent que l'application
des règles de libre-échange qui leur ont parfois
été imposées.
C'est cela qui pose problème aux Américains et
aux Européens. Alors qu'auparavant c'étaient des pays
plutôt riches subventionnant leur agriculture (de manière beaucoup
moins forte, certes) qui dénonçaient les subventions agricoles
européennes et américaines (en particulier les pays de Cairns,
à savoir : Argentine, Australie, Nouvelle-Zélande, et Canada), ce
sont aujourd'hui des pays pauvres, dont les seules ressources d'exportations
sont les produits agricoles qui dénoncent ces subventions. Les USA et
l'UE avaient mis en place des politiques de préférence envers les
pays les moins avancés afin que leurs subventions ne pénalisent
pas trop ces pays. Ainsi l'UE, en signant les accords de Cotonou (2001) a mis
en place le programme "Tout sauf les armes" qui accorde des
préférences tarifaires sur certains produits en provenance des
pays de l'ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), ainsi qu'un meilleur
accès au marché européen. Dans la même logique, les
USA ont instauré un programme similaire : l'AGOA (Africa Growth
Opportunity Act). Par ailleurs, Europe et Etats-Unis sont venus en aide aux
producteurs agricoles du Sud lorsque les prix agricoles étaient trop bas
par un mécanisme de stabilisation des prix : le Stabex. Lorsque les prix
descendaient en dessous d'un certain prix planché, ces deux puissances
accordaient des aides aux producteurs du Sud en difficultés. Toutefois,
la logique de l'initiative coton dépasse cette logique d'assistanat des
pays pauvres. En dénonçant les subventions au le coton, les pays
d'Afrique de l'Ouest ne demandent pas des mesures exceptionnelles en leur
faveur, mais seulement l'application de leurs droits.
Le coton étant un secteur stratégique pour ces
pays en développement, les USA et L'UE n'ont pu se contenter
d'éluder le problème. Pour autant, ils ne l'ont pas
réglé non plus. En effet, le non respect des règles de
libre-échange de la part des pays développés n'est pas le
seul problème que soulève le texte qui a été
déposé. En demandant l'arrêt des subventions dans le
secteur cotonnier et la compensation des préjudices subis, le Mali, le
Burkina Faso, le Tchad et le Bénin ouvrent une brèche dans
laquelle les USA et l'UE ne veulent surtout pas s'engouffrer : la remise en
cause partielle de leur politique agricole pourrait faire "jurisprudence" et
être un "modèle" pour la contestation de toute leur politique
agricole. C'est pourquoi les mesures que se sont engagées à
prendre les USA et l'UE sont dérisoires et hypocrites : en guise de
solution, l'UE s'est engagé à découpler ses aides (60%
seront versées sous forme d'un montant unique, et 40% resteront
indexées sur les superficies cultivées avec une surface maximale
déterminée) et à préciser que celles-ci
n'étaient pas la cause de la baisse des prix, car n'étant pas des
subventions à l'exportation elles n'introduisaient qu'une très
faible distorsion. Les USA quant à eux ont proposé de remettre en
cause tout les accords du secteur textile, et pas seulement les subventions au
coton. S'il est vrai que les quotas textiles (accords multi fibres, AMF, et les
accords textiles vêtements, ATV), ont un effet dépressif sur la
demande de coton, cette proposition est surtout stratégique : elle
permet, par la révision de ces accords, aux USA de gagner du temps et de
ne pas résoudre le problème.
Par ailleurs, nous voudrions souligner une recommandation
faite à la fois par l'UE et par les USA aux pays producteurs de coton se
trouvant dans le texte ci-après, qui est le draft d'une
déclaration ministérielle faite pendant Cancún :
« Nous reconnaissons l'importance du coton pour le
développement d'un certain nombre de pays en développement et
comprenons la nécessité d'une action urgente pour traiter les
distorsions des échanges sur ces marchés. En conséquence,
nous donnons pour instruction au Président du Comité des
négociations commerciales de tenir des consultations avec les
Présidents des Groupes de négociation sur l'agriculture, sur
l'accès aux marchés pour les produits non agricoles et sur les
règles pour traiter l'incidence de distorsions qui existent dans le
commerce du coton, des fibres synthétiques et artificielles, des
textiles et des vêtements afin d'assurer un examen global de l'ensemble
du secteur. Il est donné pour instruction au Directeur
général de tenir des consultations avec les organisations
internationales pertinentes, y compris les institutions de Bretton Woods,
l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture et le Centre du commerce
international, pour orienter effectivement les programmes et les ressources
existants vers la diversification des économies dans lesquelles le coton
représente la majeure partie du PIB. Les Membres s'engagent à
s'abstenir d'utiliser leur pouvoir discrétionnaire dans le cadre du
paragraphe 1 de l'Annexe A afin d'éviter de procéder à des
réductions du soutien interne pour le coton. »
Ce texte est peut-être l'une des meilleures
illustrations de l'hypocrisie de l'UE et des USA. Pour faire face à la
crise qui sévit dans le coton, les pays ne pouvant accorder des
subventions à leurs producteurs doivent impérativement ...
diversifier leur production.
Dans cette seconde partie, nous allons aborder plus
spécifiquement les problèmes de développement que posent
les subventions octroyées par les pays riches à leurs producteurs
de coton. Pour cela, nous allons nous baser non pas sur les gains statiques,
mais sur les gains dynamiques qu'il peut y avoir à l'échange. Le
problème majeur qui va se poser ici, est que ces gains sont très
difficiles à appréhender, et il n'existe pas vraiment
d'études ou de recherches qui ont réussi à calculer ces
gains dynamiques. Aussi notre démonstration se basera t'elle plus sur
des notions théoriques que sur des études
économétriques (contrairement à ce qui a pu être le
cas dans la partie précédente).
En premier lieu, nous allons définir ce que sont les
gains dynamiques issus de l'échange et quels sont leurs effets sur
l'économie. Comme leur nom l'indique, les gains dynamiques sont les
gains à l'échange qui apparaissent lorsque l'on prend en compte
le temps. En d'autres termes, ce sont les effets à long terme de
l'ouverture des économies (alors que les gains statiques seraient les
effets à courts terme). On peut distinguer plusieurs sortes de gains
dynamiques parmi lesquels :
- les économies d'échelle. En s'ouvrant au
commerce, un pays ne fera plus seulement face à une demande nationale
dans le produit pour lequel il présente un avantage comparatif, mais il
va faire face à une demande internationale. Pour pouvoir faire face
à cette demande, le pays va devoir restructurer son appareil productif,
et cela peut passer par la constitution d'entreprises plus grandes :
l'idée est qu'en produisant sur des quantités plus grandes, on
arrive à baisser les couts de production (jusqu'à un certain
volume de production les entreprises bénéficient de rendements
d'échelle croissants). Les entreprises nationales sont donc plus grandes
et plus efficaces, elles sont donc plus compétitives sur le
marché mondial.
- les effets d'apprentissage liés à la
spécialisation. Cette idée recoupe quelque peu l'argument
précédent : en s'ouvrant au commerce, le pays va se
spécialiser dans une production donnée. Les salariés
seront plus productifs et les entreprises plus compétitives car ils ne
seront plus concentré qu'à faire un type de production. C'est un
peut l'idée qu'on retrouve chez A. Smith lorsqu'il évoque la
division du travail : en ayant qu'une tâche précise à
faire, un employé sera plus productif car il aura l'habitude
d'exécuter cette tâche.
- la pression de la concurrence internationale. Cette
concurrence aura deux effets. Le premier sera de la rationalisation des
coûts : tous les "gaspillages" seront traqués sous l'effet de la
concurrence, cela aura pour effet de diminuer l'X-inefficience et donc de
rendre les entreprises plus compétitives. Le second sera l'innovation et
le progrès technique. Afin de pouvoir garder des parts de marché
ou d'en conquérir, les entreprises seront amenées à
innover tant dans les procédés (pour pouvoir être plus
productives, et donc plus compétitives), que dans les produits (afin de
différencier leurs produits de ceux des concurrents).
- les spillovers technologiques. Grace au commerce
international, les pays qui s'ouvrent aux échanges peuvent
bénéficier de transferts de connaissances, notamment en
consacrant une partie de leurs revenus (et de fait cette partie sera plus
importantes s'ils dégagent des recettes d'exportations importantes)
à l'achat de technologies qu'ils ne maitrisent pas, ou en
bénéficiant de la formation de leur population (notamment par des
accords bilatéraux, comme par exemple, lorsqu'une entreprise
étrangère doit former les travailleurs locaux à ses
technologie lorsqu'elle remporte un contrat sur le marché local).
Selon la littérature économique, ces gains
seraient beaucoup plus importants que la simple baisse des prix
engendrés par l'ouverture au commerce, notamment pour les pays en voie
de développement (R. Wacziarg).
Le gain statique de l'échange
L'ajout de gains dynamiques
Dans le cas des pays africains producteurs de coton, beaucoup
de faits empiriques poussent à valider cette théorie. Mais ils
poussent aussi à souligner que les aides demandées pour
atténuer les effets des subventions ne compensent que très
partiellement les pertes subies. Les aides promises (leurs modalités
d'attribution, ne sont, rappelons-le, à ce jour pas encore
définies) ne viennent qu'atténuer "l'effet prix" des subventions
: elles permettront aux producteurs des pays d'Afrique de recevoir un revenu
qui compensera les pertes subies par la vente du coton à un prix
artificiellement bas. En aucun cas ces aides ne sauraient contrebalancer
"l'effet quantité", et encore moins gommer les pertes dues aux gains
dynamiques. "L'effet quantité" peut se définir comme une
restriction de la production. Les subventions octroyées ont deux effets
: celui de baisser les prix, or l'agriculture est un secteur à
rendements décroissants : en dessous d'un certain prix, les surfaces qui
pourraient être mises en cultures ne sont plus rentables (D. Ricardo
avait déjà formulé cette idée dans son explication
de la rente), et celui d'inciter à la production pour les producteurs
qui ces subventions ; les surfaces non rentables sans subventionnement au Nord
pourraient être remplacées par la mise en culture de nouvelles
parcelles, notamment dans les pays d'Afrique de l'Ouest.
Ici, "l'effet quantité" peut être
considéré comme une perte de gains dynamiques. En effet, les
quantités produites par les pays africains sont en quelque sorte
bornées par les subventions des pays développés, et cela a
pour effet de minorer les économies d'échelle ainsi que les
effets d'apprentissage. C'est pourquoi, on remarque que les récoltes
augmentent jusqu'au milieu des années 90 en Afrique puis, avec la chute
des cours du coton, la production et les rendements ralentissent. Par ailleurs,
d'autres effets sur les gains dynamiques sont visibles : au niveau de
"l'animalisation" de la production, on remarque que ce sont les régions
dans lesquelles le coton est produit où l'utilisation des animaux de
traits est la plus élevée. Enfin, on remarque que les effets
d'entrainements, notamment l'industrialisation des pays africains a
été stoppée, en partie par les pertes de gains dynamiques.
Ainsi, alors que l'on comptait 41 unités de production industrielle dans
la zone UEMOA (Union Economique et Monétaire Ouest Africaine), on en
compte aujourd'hui à peine une vingtaine.
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