Amoralité et immoralité chez Aristote et Guyau. Une herméneutique du sujet anéthique( Télécharger le fichier original )par Hans EMANE Université Omar Bongo - Maitrise 2009 |
II.2.4.L'ACRASIE ET LES APORIES DE LA VOLONTEL'analyse ex professo qu'Aristote propose du phénomène de l'acrasie dans l'Ethique à Nicomaque présente des difficultés et des singularités, telles que les controverses sont encore vives parmi les commentateurs, et ce non seulement sur des points marginaux, mais aussi concernant l'enjeu central de l'argument. L'interprétation de l'acrasie comme faiblesse de la volonté n'est plus à l'ordre du jour dans l'Ethique à Eudème. Car en posant l'identité entre le rationnel et le volontaire, tout en revenant de ce fait par la même occasion, à une conception plus socratique et donc plus intellectualiste, Aristote fait du problème de l'acrasie une question aporétique. Nous pouvons distinguer chez le Stagirite deux apories distinctes. La première aporie est la suivante : le sujet qui agit selon son désir, agit volontairement selon son désir. Or, agissant selon son désir il agit contre la partie rationnelle de l'âme et par voie de fait, involontairement. Ainsi l'akratès serait celui qui agit volontairement et involontairement dans le même temps. L'interprétation de l'incontinence du pont de vue de la volonté achoppe donc sur une aporie :« Puisque le volontaire n'a été défini ni par le désir ni par le choix délibéré, écrivait Aristote, il reste alors à le définir comme ce qui est conforme à la pensée. Le volontaire consiste dans un agir qu'accompagne une pensée. De plus toute méchanceté rend plus injuste. Et l'incontinence semble être une méchanceté. L'incontinent est la sorte d'homme à agir conformément à son appétit et contrairement à la raison : il est incontinent lorsqu'il agit en conformité avec l'appétit ; mais agir injustement est volontaire : en conséquence l'incontinent agira injustement en agissant selon son appétit. Il agira donc volontairement, et ce qui est conforme à l'appétit sera volontaire. Or, l'incontinent fait ce qu'il ne souhaite pas par l'incontinence, c'est d'agir contrairement à ce qu'on croit le meilleur, sous l'influence de l'appétit ; en conséquence de quoi, il arrivera en même temps que le même homme agisse volontairement et involontairement ; or c'est impossible239(*) ».
Quant à la seconde aporie, elle repose sur ce syllogisme : le manque de maîtrise de soi est une injustice et donc une forme de méchanceté, car l'incontinent recherche volontairement l'injustice. Or, si le volontaire est juste, alors l'homme sans empire sur lui-même sera plus juste qu'il ne l'était auparavant ; or, c'est absurde :« En effet, nous supposons (et c'est l'opinion générale) que la méchanceté rend les hommes plus injustes, et l'absence de maîtrise de soi est reconnue comme une certaine méchanceté. Mais il en résultera le contraire de notre hypothèse, car on ne souhaite jamais ce qu'on pense être mauvais, et pourtant on le fait lorsqu'on devient incontinent. Si agir injustement est volontaire alors que le volontaire c'est d'agir selon son voeu, lorsqu'on deviendra incontinent on agira plus justement et on sera plus juste qu'avant de devenir incontinent. Or, c'est impossible240(*) ». En définitive, il est plus judicieux de parler avec Aristote, ou du moins d'interpréter l'incontinence aristotélicienne en termes de faiblesse, et nullement selon la faiblesse de la volonté. la faiblesse de la volonté. Contrairement à ce qu'on peut penser, cela ne revient pas au même : la faiblesse qu'Aristote nomme aussi mollesse, implique en un certain sens la volonté ou le libre arbitre de l'agent, de telle sorte que l'incontinent est jugé déréglé tout en possédant la raison, et peut poser, par libre choix, un acte acratique. Si l'Ethique à Eudème donne une interprétation relativement différente de celle de la première Ethique, voyons à présent ce que serait la réponse d'Aristote au problème posé par l'état d'incontinence dans De l'Ame. Le traité aristotélicien sur l'âme fait la part belle au désir. Cet état prouve la réalité de la multiplicité des désirs alors qu'il se trouve entre eux une unité. Cette unité n'est donc que générique. Aristote maintient malgré l'objection d'incontinence, que « c'est quelque chose d'unique que ce qui meut, et c'est le désirant ». En clair ce que la situation d'incontinence rend manifeste, n'est donc pas la multiplicité des désirs, car le désirant, reste formellement, c'est-à-dire essentiellement, un et indivisible. Il reste à comprendre en quoi, concrètement, l'état d'incontinence rend manifeste cette multiplicité des motifs et cette unité du désir. En le décrivant comme un état de contrariété entre le discours et l'appétit, dans la caractérisation de l'état d'incontinence, le conflit entre le discours et les appétits se voit ramener à une opposition entre les deux polarités qui déterminent conjointement la délibération, vision du futur d'une part, saisie du présent d'autre part. En expliquant l'état d'incontinence par l'opposition de deux motifs, l'avenir et le présent, qui doivent déterminer conjointement le désir rationnel, Aristote peut à la fois en reconnaître l'existence, et montrer qu'il ne remet pas en cause l'unité essentielle de la faculté de désirer241(*). D'une manière générale, Aristote observe que l'incontinent est celui qui possède la science et ne l'exerce pas pour autant. Cela montre bien que c'est tout autre chose qui détermine l'action non conforme à la science, non pas la science elle-même, mais c'est davantage le désir qui détermine ce genre de mouvement. Comment le désir détermine l'humain et le contraint à incontinence ? Selon Aristote, il y a deux causes du mouvement dans les êtres vivants. « Il apparaît qu'il y a, de toute façon, deux faculté motrices : le désir et l'intellect (à condition de regarder l'imagination comme une sorte d'intellection : souvent, en effet, se détournant de la science, les hommes obéissent à leurs imaginations242(*) ». Ces deux facultés, l'intellect et le désir, sont donc l'une et l'autre, motrices selon le lieu. Tout désir, affirme Aristote, est en vue d'une fin, car ce qui est l'objet du désir, « c'est le principe de l'intellect pratique243(*) ». Il apparaît donc de regarder comme motrices ces deux facultés, à savoir, le désir et la pensée. En effet, le désirable meut, et c'est pour cela que la pensée meut, attendu que son principe est le désirable. De même l'imagination, quand elle meut, ne meut pas sans le désir. On peut donc être amené à penser qu'il n'y a ainsi qu'un seul principe moteur, « la faculté désirante » ; mais chez Aristote, « l'intellect se meut manifestement sans le désir244(*) ». Comment cela est-il possible ? Par exemple, le souhait réfléchit, est une forme du désir, et quand on se meut suivant le raisonnement, on se meut aussi suivant le souhait réfléchi. Le désir, au contraire, peut mouvoir, en dehors de tout raisonnement, car l'appétit est une sorte de désir. Seulement, selon Aristote, l'intellect est toujours droit, tandis que le désir et l'imagination, peuvent être droits ou erronées. Aussi est-ce toujours le désirable qui meut, mais il peut être soit désignée comme « le bien réel », soit perçu comme « le bien apparent ». Aristote insiste sur le fait que le désirable de l'intellect théorétique meut vers le bien réel, alors que celui que l'intellect pratique- lequel diffère de l'intellect théorétique par sa fin qui est l'action domaine du contingent - est le bien apparent que le Stagirite appelle aussi « bien pratique ». Le bien pratique c'est « le contingent et ce qui peut être autrement245(*) ». S'il est incontestable selon Aristote, qu'une partie de l'âme celle qu'on nomme désir qui imprime le mouvement : d'où leur unité. En dépit du fait qu'il naît dans l'âme humaine, des désirs contraires les uns aux autres, ce qui arrive quand la raison et les appétits sont contraires, le disciple de Platon ne va pas distinguer une structure différente propre aux désirs rationnels et qui exclut ceux qui ne le sont pas. Cette structure unitaire du désir, qui prend en compte, bien entendu, les directions distinctes des désirs de l'âme, lui permet aussi de mettre sous les feux du projecteurs, un facteur qui n'était pas présent dans son analyse de l'incontinence jusqu'alors ; à savoir le temps. Plus complète, moins théorique, Aristote affine l'image qu'il se fait de l'incontinent. Chez l'incontinent, « l'intellect commande de résister en considération du futur, tandis que l'appétit n'est dirigé que par l'immédiat car le plaisir immédiat apparaît comme absolument agréable et bon absolument246(*) ». Chez l'akratès, en outre, le désir irrationnel implique la faculté délibérative. Mais il l'emporte sur le désir rationnel et donc sur la raison, et meut l'âme. : c'est le phénomène d'acrasie. Le désir irrationnel, dans le cas de l'intempérance, que nous étudierons par la suite, domine le désir irrationnel. II.2.5.L'ACRASIE COMME DUPERIE DE SOI : AKRASIA PRATIQUE ET AKRASIA EPISTEMIQUE CHEZ ARISTOTE L'intérêt ou l'avantage d'une d'opter avec Aristote, pour une approche pluridimensionnelle de l'acrasie principalement, c'est que cela permet d'aborder le problème de l'èthos aristotélicien indépendamment de tout parti pris moral. De manière semblable, D. Davidson analyse puis définit« la duperie de soi comme l'existence simultanée dans l'esprit de deux croyances contradictoires. Là encore, il y a paradoxe, irrationalité et peut-être même impossibilité247(*) ». Comment comprendre cela ? Aussi inacceptable que la conduite d'un agent puisse apparaître aux yeux d'autrui, cet agent reste parfaitement rationnel pour Aristote, pourvu qu'il ne transgresse pas ses propres normes de rationalité : l'incontinent est déréglé tout en possédant la raison écrivait le stagirite dans l'Ethique à Eudème.
A l'aune de ce point de vue, des phénomènes comme la duperie de soi et l'acrasie apparaissent comme symptomatique, mieux paradigmatique d'irrationalité. Ils sont les principales zones d'ombre dans les interactions entre la pensée et l'acte. En effet, dans un cas comme dans l'autre, l'agent semble conspirer contre lui-même. Qu'entendons-nous par conspiration contre soi ou complot intérieure ? Celui qui se dupe lui-même s'efforce de croire que ce qu'il sait ou soupçonne d'emblée être faux ou mauvais, et celui qui agit de manière incontinente, s'efforcent de réaliser ce qui leur semble pourtant contraire à leur intérêt. Face à ce type d'instance, les questions qui se posent sont alors d'ordre descriptif et non plus normatif : comment peut-on choisir sciemment, intentionnellement et à la fois délibérément de réaliser l'action la moins avantageuse ? Plus fondamentalement, comment peut-on décider de croire une fausseté en toute connaissance de cause ? Voilà la duperie de soi telle qu'elle est couramment caractérisée : (a)le sujet croit P (b) mais le sujet désire croire non P (c) ce qui le conduit à croire non P
Il apparaît qu'il y a bien implicitement, une conception aristotélicienne de l'acrasie comme duperie de soi comme l'ont très justement penser certains philosophes248(*). D'après celle-ci, on ne devient pas victime de son propre artifice, son propre leurre, par accident et comme malgré soi : il faut en avoir expressément, d'une manière ou d'une autre, formé l'intention. La duperie de soi est alors envisagée à l'aune de la duperie d'autrui. A l'instar de l'agent qui dupe quelqu'un d'autre, l'agent qui se dupe lui même, a l'intention consciente, volontaire ou délibérée de tromper sa victime ; à cette différence près que la victime en question, n'est autre que lui-même. Il faudrait donc tenir un tel agent pour responsable de son acrasie, de son action de duperie, exactement comme si cette action visait quelqu'un d'autre. D'autant plus que le fait d'adopter une croyance fausse risque d'avoir indirectement des conséquences néfastes sur les autres. Il est vrai qu'il peut paraître paradoxal de vouloir adhérer sciemment à une idée fausse, mais Aristote dans un passage de l'Ethique à Nicomaque, fait remarquer qu'il arrive qu'on s'aveugle soi-même volontairement surtout lorsque le fait de croire est le seul moyen d'accéder au plaisir. Gorgias, par exemple, ne maîtrisant pas parfaitement l'art oratoire, gagnera en confiance et augmentera ses chances d'être élu par ces concitoyens, s'il se persuade qu'il va réussir aisément son oral devant les membres de l'ecclésia. De même, la personne qui est atteinte d'une maladie incurable, pourra accroître son bien-être durant le peu de temps qui lui reste à vivre, si elle demeure convaincue qu'elle a encore des chances de guérir. Ils semble donc qu'il y ait une raison légitime pour promouvoir une croyance fausse en son propre esprit, du moins au regard de la personne concernée, bien qu'il ne s'agisse pas d'une raison épistémique, mais d'une raison pratique. Dans une étude récente, un philosophe va mettre en relief une distinction tout à fait novatrice et pertinente : il va distinguer akrasia pratique (ou acte acratique) et akrasia épistémique (ou croyance acratique). Il a tenter de démontrer tant bien que mal, qu'il pourrait exister chez Aristote entre autres, de l'akrasia épistémique. Autrement dit, l'akrasia épistémique serait un cas dans lequel on croit quelque chose, tout en croyant en même temps que l'on ne devrait pas croire. Dans l'akrasia épistémique, du moins selon celle qui est compatible avec la doctrine d'Aristote, il y aurait comme une conscience qu'il ne devrait pas croire à ce dont il se convainc. Dès lors, la question du contrôle des croyances survient. Dans le même temps, le parallèle entre action acratique et croyance acratique se trouve justifier : dans les deux cas, il y a une divergence entre d'une part, une action et une croyance « du premier ordre » ; et d'autre part, un jugement « du second ordre », au sujet de ce qu'il est raisonnable de croire ou de faire. Dans les deux cas, il y aurait comme une activité libre de l'agent. Il est donc particulièrement important pour notre problème, de déterminer si un phénomène comme la duperie de soi ou akrasia épistémique, est possible. Quelles sont les conditions qui doivent être réunies pour que l'akrasia épistémique soit possible ? Pour que le concept d'acrasie ait un sens épistémique, il doit, au moins sous certains de ses aspects cruciaux, être parallèle au concept d'acrasie dans le domaine pratique. Une action est acratique dans le domaine pratique si elle est accomplie intentionnellement et librement par l'agent à l'encontre de son meilleur jugement. Le parallèle dans le domaine épistémique serait le suivant : une croyance est formée et maintenue de manière acratique si et seulement si l'agent a une croyance de « premier ordre » insuffisante quant à ses données et une croyance « du second ordre » qui ne devrait pas entretenir la croyance « du premier ordre ». Il faut avoir à l'esprit, toutefois , que dans la théorie aristotélicienne de l'acrasie, il y a comme une tension entre le jugement tout bien pesé, posée en prémisse majeure du raisonnement pratique, et un jugement catégorique ou non conditionnel exprimant une intention ou conduisant à l'action. Nous avons dans la duperie de soi le même phénomène. Il semble parfaitement possible de croire à l'encontre des données dont on dispose, et si la croyance « du premier ordre » diverge de la croyance du « second ordre », il est possible d'être acratique épistémiquement. En fait, cela arrive souvent, ou plus souvent qu'on veut bien le croire, et pas seulement dans le cas des croyances religieuses et des cas pathologiques (accidie). En ce sens, « la norme objective de l'évidentialisme ou norme d'évidence » (NE), qui affirme de ne croire P que si l'on a des raisons objectives de croire, est violée. Cela vient du fait qu'à la différence de la norme de vérité (NV), elle autorise des degrés de raisons: je peux avoir des raisons plus ou moins objectives de croire que P, en fonction de mes données ; tandis que ma croyance que P est vrai ou faux, est catégorique. Il y a donc un conflit dans les croyances de l'agent victime d'akrasia épistémique comme un conflit entre une croyance du premier ordre qui est plus ou moins justifiée, pour des raisons plus ou moins objective (donc une croyance qui n'est pas tenue comme pleinement vraie par le sujet) et une croyance catégorique du second ordre, selon laquelle l'agent ne devrait pas croire la première. Cela rend bien compte qu'il y a quelque chose de détaché, d'indifférent, de « sourd » - pour parler comme Davidson - dans le cas de l'akrasia pratique quand bien même il aurait la reconnaissance ou la conscience d'un complot intérieur.
En somme, pour que l'akrasia épistémique ait lieu de manière complète, la condition selon laquelle nous devons avoir le contrôle sur notre croyance, devrait être remplie. Pourquoi ? Parce la duperie de soi est en définitive « un jeu de chaise musicale entre les croyances » : le moi s'aveugle en mettant une croyance à la place d'une autre. Bien entendu, celui qui est victime d'akrasia « ne prend pas ses désirs pour des réalités ». Il opère seulement un ajustement de ses jugements sur une réalité désirée mais imaginaire. Comme nous en avons déjà fait la remarque, on peut se demander si la duperie de soi ne pose pas les mêmes paradoxes que l'akrasia synchronique. Il faut distinguer, nous semble t-il, entre deux formes, de croyances motivées. Il y a les formes paradoxales, où la croyance motivée cohabite avec la croyance rationnelle. Mais il y a aussi une forme moins paradoxale, bien qu'également irrationnelle, qui est de prendre ses désirs pour des réalités. Cette dernière forme se produit facilement quand il n'y a pas de croyance préexistante. Quand il y en a une, il faudrait qu'elle soit entièrement remplacée par la croyance motivée, sans même laisser de traces inconscientes. L'akrasia épistémique, en ce sens serait bel et bien envisageable249(*).
Il y a donc bien une similitude entre l'acrasie et la duperie de soi. Dans la pratique, les deux phénomènes vont pourtant rarement l'un sans l'autre. La similitude vient du fait qu'il y a une forme d'incohérence dans les croyances, et dans le fait que tout comme dans l'akrasia, cette incohérence semblerait induite par le désir, mais pas seulement. II.3.L'HYBRIS CHEZ ARISTOTE Pour résumer la précédente section, on peut dire que l'akrasia désigne chez Aristote, l'absence de contrôle. Ordinairement, l'akrasia est définie comme un manque de contrôle sur nos actions et particulièrement sur nos intentions et notre volonté. C'est pourquoi il l'appelle souvent mollesse et la compare à une forme de faiblesse. Mais il y a plusieurs sortes d'absence de contrôle. Aristote démontre que l'agent peut perdre totalement le contrôle, ou partiellement, sur l'un ou l'autre de ses états. Cela sous-entend que les deux états ne reviennent pas au même. L'akrasia chez Aristote n'est pas, en général, une perte de contrôle total. Elle est partielle. C'est ce qui implique la comparaison d'Aristote avec l'homme ivre qui récite les vers d'Empédocle, qui perd le contrôle de lui-même, mais pas totalement. D'un autre côté, l'akratès chez Aristote, c'est aussi celui qui « perd la boule ou qui perd les pédales ». L'acratique est très souvent semblable à l'aliéné ou au déséquilibré : c'est un sujet compulsif. On appelle en ce sens « principe de Médée » le principe selon lequel l'agent perd totalement le contrôle de son être à la manière de Médée, qui agit délibérément tout en étant consciente de ce qu'elle fait : « je sais bien quelle vilénie j'ai l'intention de faire. Mais plus forte que ce que je peux penser après coup, est ma fureur ». La définition de l'akrasia la plus compatible avec la pensée d'Aristote est donc celle-ci : la capacité de faire délibérément ce que l'on juge devoir s'abstenir de faire ou à l'encontre de son meilleur jugement. On voit bien qu'il n'est nullement question de démesure ou d'orgueil, c'est-à-dire d'hybris, lorsque le Stagirite aborde l'acrasie, comme c'est le cas chez Platon. Les deux notions ne sont pas synonymes chez Aristote. Il ne les confond pas et n'en fait donc pas un usage indistinct. Mais il ne résiste pas à l'envie de les mettre en rapport. L'hybris qu'Aristote traduit par outrage, est rapproché et non assimilé au concept d'akrasia. « Celui qui outrage éprouve du plaisir à outrager. Le manque de maîtrise de soi provoqué par la colère est tout particulièrement coupable. Car dans le mouvement de colère, il n'y a pas de volonté d'outrager250(*) ». Pour Aristote, l'hybris désigne l'affront, l'offense et l'insolence envers autrui. L'hybris est une passion extrême d'où ce sentiment d'arrogance, d'orgueil, de dédain voire de mépris de l'autre. « Celui qui outrage méprise. En effet, l'outrage c'est le fait de maltraiter et d'affliger à propos de circonstances qui causent de la honte à celui qui en est l'objet, et cela dans le but non de se procurer autre chose que ce résultat mais d'y trouver une jouissance. Ce qui usent de représailles ne font pas acte d'outrage, mais acte de vengeance. La cause du plaisir qu'éprouvent ceux qui outragent, c'est qu'ils croient se donner un avantage de plus sur ceux auxquels ils font du tort. Voilà pourquoi les jeunes gens et les gens riches (kresmastiké) sont portés à l'insolence. Ils pensent que leurs insultes leur procurent la supériorité. A l'outrage se rattache le fait de déshonorer, car celui qui déshonore méprise, et ce qui est sans aucune valeur ne se prête d'aucune estimation, ni bonne, ni mauvaise251(*) ». II.4.LA NOTION ARISTITELICIENNE D'AKOLASIA Contrairement à Platon, la démesure, l'incontinence et l'intempérance ne sont pas synonymes chez Aristote. Si la raison, enferrée dans une erreur dont elle ne se corrige pas, inverse le bon et le mauvais, en même temps que le désir reste ordonné à la raison et poursuit ce qu'elle affirme à tort comme bon, alors la personne sera vicieuse : c'est l'akolatos qui pose pour principe qu'il faut jouir sans entrave, et dont la faculté désirante s'ordonne à ce principe. Le début du livre VII de l'Ethique à Nicomaque, consacré à l'incontinence, akrasia, distinguée de l'intempérance, akolasia, fixe le cadre d'une analyse morale proprement humaine : la véritable méchanceté, comme le vice doit être distinguée de forme de « bestialité » ou de « morbidité » qui, pour se rencontrer chez certains hommes et relever elle-même de la nature, de l'habitude ou de la maladie, sortent du champs humain de la nature, et avec elle de la responsabilité. Cet effort constant, et complexe, pour exclure la bestialité « des frontières du vice » doit s'entendre, à l'inverse, comme le souci de comprendre et faire rentrer le vice, dans une dimension proprement et naturellement humaine. Et c'est de ce point de vue que doit s'interpréter la seconde distinction inaugurale, associée à la première et qui innerve tout le livre, entre incontinence et intempérance. Pour n'être pas vertu, l'incontinence n'est pas vice. Il est clair, aux yeux d'Aristote, que l'incontinence n'est pas un vice, peut-être sous un certain angle. C'est parce que l'ivrogne a en lui-même, un principe de réflexion et de savoir, qu'il accepte d'étourdir ou d'enivrer, qu'il est responsable et coupable. Mais c'est parce qu'il a en lui-même ce principe, en soi valable et opposé à son état, qu'il n'est pas tout à fait mauvais et pas tout à fait vertueux. Quoique consentant, il n'a pas comme le méchant la volonté du mal, qui manifeste sa perversité dans l'absence même de plaisir ; mieux vaut la première contradiction, d'un principe positif inopérant, que la seconde, qui corrompt délibérément le point de départ vertueux, quel qu'en soit l'origine252(*). « La vertu et la perversité sont en effet décisives pour le point de départ car l'une le préserve et l'autre le corrompt, fait observer Aristote. Ce n'est donc pas la raison, ni là ni ici, qui est en mesure d'enseigner le point de départ, c'est au contraire la vertu, naturelle ou inculquée par l'habitude, qui permet de se faire une opinion correcte en ce qui concerne ce point de départ. Ainsi donc celui qui possède ce genre d'opinion est tempérant et son contraire intempérant. Mais il se peut que quelqu'un, égaré par l'affection qui tend à le mettre hors de lui-même, s'écarte de la raison correcte et celui-là, que l'affection domine au point qu'il ne peut agir selon la raison correcte, mais pas au point d'en faire un homme convaincu que son devoir est de poursuivre sans restriction de tels plaisirs, celui-là c'est l'incontinent ; il vaut mieux que l'intempérant et n'est pas vicieux purement et simplement, puisque chez lui se conserve ce qu'il y a de mieux, le point de départ 253(*)». Si bien que l'incontinence est non-vicieuse, alors que l'intempérance est proprement vicieuse. La valeur relative de l'incontinent tient à celle de sa délibération qui est bonne, mais dont il n'use pas, avec ce comble du type « mélancolique », qui réagit précipitamment avant toute délibération, mais s'en trouve mieux curable que ces « faibles » qui ne s'en tiennent pas à leur résolution. En somme, chez les hommes comme chez les bêtes, mieux vaut absence de délibération que mauvaise délibération. Ce n'est toutefois pas pour la même raison, car cette absence , chez le mélancolique comme chez l'ivrogne, est provisoire et reste une présence possible selon l'axe de ce que l'on pourrait appeler chez Aristote une « vertualisation » de l'incontinence. A la différence de l'intempérance, l'incontinence est curable précisément par ce qu'elle n'est pas délibérée selon le Stagirite, ou reste contraire à la délibération : sujette au repentir, elle est intermittente ou suspensive, comparable aux accès d'épilepsie plutôt qu'à la consomption ou à l'hydropisie. Tel est d'emblée le sens trop vite glissé de la comparaison avec l'ivresse, qui reste une comparaison, mais vaut comme réponse à l'intellectualisme socratique (c'est-à-dire au danger d'irresponsabilité de l'ignorance) : tout excessive, toute répétitive, tout coupable et toute incontinente qu'elle soit, l'ivresse est essentiellement un état passager, momentané, dont on peut se remettre et dont on a même vocation à se relever. De là vient qu'Aristote envisage la vertu du côté de ce à quoi elle fait défaut (l'incontinence), mais pas entièrement et seulement provisoirement, le vice du côté de ce qui en lui tend le moins vers la vertu254(*). II.4.1.DE L'INTEMPERANCE VOLONTAIRE : CORRUPTION OU DEREGLEMENT DE LA VOLONTE ? Tout individu contracte des vices, pense Aristote. Devenant une habitude (éthos), l'individu agit naturellement, spontanément et de ce fait volontairement, en fonction de ces vices. Car la vertu et le vice dépendent ainsi de la vérité ou de l'erreur de la raison, (et donc de la volonté) touchant ce qui est réellement bénéfique et mauvais, et de l'harmonie de celle-ci avec le désir: harmonisation dans la vérité pour la vertu, harmonisation dans l'erreur pour le vice. C'est bien ce qui se passe dans le phénomène d'intempérance. L'intempérant est « l'homme des plaisirs » et de tous les excès possibles : « Les intempérants obéissant à un choix délibéré, les gens dépourvus de maîtrise d'eux-mêmes ne choisissent pas leur genre de vie. Aussi sommes-nous tentés d'appeler intempérants ceux qui, sans désir ou avec de faibles désirs, recherchent l'excès de ces plaisirs et fuient les peines mêmes les plus légères plutôt que ceux qui agissent de la sorte, poussés par des violents désirs255(*) ». L'intempérant est celui qui donne comme raison de sa conduite que sa nature, le porte à rechercher les plus nombreux plaisir. L'intempérant, en conséquence, tombe dans tous les excès en toute connaissance de cause. Pour Aristote, l'intempérance paraît dépendre de notre volonté plus que la lâcheté - la première est fille de plaisir, la seconde est fille de douleur - mais la détermination volontaire est corrompue et non simplement déréglée. L'intempérance est démesure, exagération, outrance, dans les plaisirs. « Si donc un homme, quand il dépend de lui de faire de bonnes actions et de n'en pas faire de mauvaises, fait le contraire, il n'est manifestement pas vertueux ; il s'ensuit donc que le vice comme la vertu est volontaire256(*) ». Le vice pur et humain qui, en réalité, n'est guère abordé sinon pour le distinguer d'autres attitudes morales, est saisi entre deux : il est entre la non-valeur (de la bête non-humaine) et la demi-valeur (de l'incontinent). Quelque soit l'acte, le défaut de maîtrise se renverse en intégrité de puissance, et Aristote ne travaille en un sens, avec l'incontinence, qu'à arracher le vice au vice pour le remettre à la vertu257(*). Thomas d'Aquin, après Plutarque258(*), a largement commenté l'Ethique à Nicomaque : on pourrait chercher dans son commentaire du livre VII ce qu'il a compris d'Aristote, et s'il a fait sienne la doctrine ainsi que la distinction ainsi comprise. Il sera plus simple de sortir des commentaires et de nous limiter ici à ce que Thomas dit de l'incontinence, quand il en parle en son nom propre dans la Somme théologique. Tributaire d'Aristote sur ce point, Thomas d'Aquin est amené à parler de la continence et de l'incontinence en traitant de la vertu de tempérance. La tempérance, au sens strict, est la vertu morale par laquelle les désirs de l'appétit sensible portant sur les plaisirs du toucher, sont rendus conformes à ce que la raison estime convenable à l'homme. L'intempérance est avec l'insensibilité, le principal vice opposé à la tempérance. La continence en est une partie potentielle, vertu imparfaite qui permet à la raison de tenir contre les passions, en les réfrénant, mais qui ne lui soumet pas l'appétit comme tel. De l'incontinence, nous retenons donc les caractéristiques suivantes :d'abord, l'incontinence a pour cause la non-résistance de la raison aux passions, au désir, alors qu'une telle résistance était possible, le jugement de la raison n'étant selon lui pas entravé de manière nécessaire par la passion ou un désordre corporel. La raison, dit Thomas d'Aquin, est aussi droite chez l'incontinent que chez le continent, et en l'absence de passion, l'incontinent ne suivrait pas plus que le continent, les désirs illicites. Mais si un désir véhément se lève, alors que le continent le supporte et maintient le cap donné par la raison, l'incontinent qui juge correctement n'oppose pas fermement ce jugement à la passion, et contredit sa raison droite. La différence apparait donc « dans le choix » : pour Thomas d'Aquin, l'incontinent rationnel mais son choix est négligent. Ensuite, l'incontinence a deux formes distinguées par Aristote : une forme impétueuse, quand la raison cède avant d'avoir délibéré, et une forme de faiblesse ou de mollesse, quand l'agent ne s'en tient pas à ce qu'il a délibéré. Thomas d'Aquin suit Aristote, en parlant d'une incontinence propre à la colère, qu'il juge moins grave que l'incontinence absolue. A là différence d'Aristote, l'incontinence est pour Thomas d'Aquin, un péché ; ce qui suppose que l'acte incontinent pourrait être évité. Thomas d'Aquin n'en fait pas un vice, une habitude, et il suit en cela Aristote. Il semble que l'incontinence soit toujours ponctuelle. Mais la continence, qui consiste à se garder des actes incontinents, est une vertu imparfaite et il faut la Grâce pour la vivre. Tout cela ne doit pas être au détriment du libre arbitre, ce que Thomas d'Aquin résout par un principe souvent répété : on peut sans la Grâce, éviter tel acte incontinent, mais pas tous. Enfin, l'incontinence se distingue donc de l'intempérance qui, elle, est un vice parce que Thomas d'Aquin estime que la volonté de l'intempérant est inclinée au péché par son choix propre, tandis que celle de l'incontinent l'est par la passion. Ce que l'on peut aussi comprendre en disant que l'intempérant poursuit une fin mauvaise, par l'habitude qu'il a acquise, tandis que c'est uniquement dans cette action ponctuelle que l'incontinent pèche, car la passion passe quand l'habitude reste. Pour ces raisons, l'intempérance est associée à des péchés plus grands. C'est un vice habituelle en ce sens qu'elle devient connaturelle à la volonté qui s'en réjouit, tandis que l'incontinent est censé regretter rapidement son erreur. Thomas d'Aquin précise également de l'ignorance de l'intempérant, qu'ell est plus grande que celle de l'incontinent, dans sa durée (le temps où la passion sévit) et dans sa portée (l'intempérant ignore la fin à poursuivre) car l'incontinent ne cède qu'à des forts désirs, là où l'intempérant cède à des désirs légers. La libido voluntatis étant chez lui plus grande, tandis que la libido concupiscentiae affecte la volonté de l'incontinent. De plus, le fomes est présent chez tous, à l'origine des péchés de l'intempérance, fait de malice et d'une raison pervertie, de ceux de l'incontinence, dus à la passion de l'appétit sensible et à une faiblesse de la raison plus que de la volonté. Selon Thomas d'Aquin, la volonté est plus ou moins forte, mais elle est atteinte d'une faiblesse native, celle de ce foyer de concupiscence, qui n'est pas l'incontinence, mais contribue à expliquer le phénomène. En somme, pour prendre un exemple de la vie ordinaire, l'intempérant est le fumeur invétéré, alors que l'incontinent est le fumeur qui a arrêter de fumer mais que certaines situations font rechuter, alors qu'il était bien décidé à ne plus le faire : il abandonne sa bonne résolution, son jugement et sa décision, pour une autre ponctuelle, et qu'il regrette peu après259(*). « Les intempérants, écrivait Thomas d'Aquin, ceux qui suivent intentionnellement leurs passions charnelles font bien ce qu'ils veulent pour autant qu'ils suivent ces passions, mais dans la mesure où leur raison murmure contre elles, et les désapprouve, ils ne font pas ce qu'il veulent. Les incontinents, qui cherchent à s'abstenir et sont cependant vaincus par leurs passions contraires à leur but (et les intempérants font donc davantage ce qu'ils veulent ». * 239 Ethique à Eudème, Livre II, Chap. 7, 1223b. * 240 Ethique à Eudème, Livre II, chap. 7, 1223b. * 241 Matthieu Campbell, « L'akrasia et l'unité du désir dans le De Anima d'Aristote », in Faiblesse de la volonté et maitrise de soi, op.cit., pp. 105-116. * 242 De l'Ame, Livre III, Chap. 10, 433a. * 243 Ibid. * 244 Ibid. * 245 De l'Ame, Livre III, Chap.10, 443b. * 246 Ibid. * 247 Jon ELSTER, Agir contre soi. La Faiblesse de volonté, op.cit., p. 19. * 248 Pascal ENGEL, « Akrasia pratique et akrasia épistémique ». * 249 Jon ELSTER, Agir contre soi. La Faiblesse de la volonté, op.cit., p. 24. * 250 Ethique à Nicomaque, Livre VII, chap. 6. * 251 Aristote, Rhétorique, Livre II, Chap. 2. * 252 Hugues-Olivier Ney, « Délimitation juridique et morale de l'involontaire de Platon à Aristote », in Faiblesse de la volonté et maitrise de soi, op.cit., pp. 100-102. * 253 Ethique à Nicomaque, VII, Chap. 9. * 254 Hugues-Olivier Ney, op.cit., pp. 102-103 * 255 Ethique à Nicomaque, Livre VII, Chap. 4. * 256 Ibid. * 257 Hugues-Olivier Ney, « Délimitation juridique et morale de l'involontaire de Platon à Aristote », in Faiblesse de la volonté et maitrise de soi, op.cit., p.103. * 258 Dans son traité intitulé De la vertu morale, Plutarque revient sur la distinction aristotélicienne entre incontinence et intempérance. Pour lui, la distinction est opportune et décisive, mais il ne partage pas les incidences qu'Aristote tire de sa définition de l'intempérance. C'est en ces termes qu'il résume ce qu'il en a compris: « Certains philosophes prétendent que l'intempérance est un vice complet. L'intempérant est selon eux également corrompu dans ses affects et ses jugements. Les unes le portent à des désirs honteux, les autres lui font approuver ces désirs et lui ôtent le sentiment de ses fautes. Chez l'intempérant, la raison ne fait pas de résistance aux passions. Il marche à la tête des désirs et se rend leur apologiste. Il s'applaudit de partager les écarts de la passion. Il se livre avec joie à toute la honte du vice. Ainsi l'intempérant déploie toute ses voiles au souffle des voluptés. Il dirige leurs mouvements, et se livre à leurs actions » (445e-446a). Ce que va tenter de démontrer par la suite le philosophe romain, c'est que l'interprétation de l'intempérant comme « simple » hédoniste obsessionnel et sans scrupule, n'est pas suffisante. L'intempérant qui « ne rejette même pas les plus honteuses actions » (446b) est pour lui un déséquilibré, un aliéné. Dès lors, l'intempérance n'est plus à rattacher à d'un individu sain d'esprit, car « l'intempérance est le vice de l'insensé » (Ibid.). En se montrant excessivement immodéré, l'intempérant manifeste bien plus qu'une dépravation des moeurs ; en sortant du sentier de la raison, il marque son existence - si on peut l'appeler ainsi - du sceau de la folie, de la démence. Toutefois, l'intempérant et l'incontinent vont de pair, car ils agissent tout deux de manière honteuse en suivant le mouvement rétrograde et aliénant des passions. Ce qui les distinguent radicalement en définitive, c'est que l'incontinent ne fait que plier à une passion extrêmement violente mais passagère, gardant en dehors de ce moment d'authentique faiblesse, l'usage de la droite raison. Alors que l'intempérant, est en quête effrénée de plaisirs, au mépris de tout le reste. Il ne s'agit donc pas, chez le second, d'un événement ponctuel, d'une passion passagère, mais il s'agit bien d'une disposition permanente à agir contre les prescriptions de la raison. En outre, « le discours de l'un et de l'autre, n'en font pas moins sentir la différence, ajoute Plutarque. Voici, par exemple, le langage de l'intempérant : `Sans Vénus, sans l'amour, est-il de vrai plaisir ? Puissé-je en les perdant, voir terminer ma vie'. L'incontinent a un langage bien différent : `Au vice, malgré moi, la nature m'entraîne ; les dieux nous livrent donc à ce destin fatal, de connaitre le bien et de faire le mal. Malgré tous mes efforts, la colère m'emmène'. L'image suivante est semblable est analogue à celle-ci : `le câble dans le port arrête le vaisseau. Le vent souffle, il rompt, et loin du port l'entraîne'. Le câble désigne la résistance que la raison oppose d'abord au vice, mais la passion, tel un vent impétueux, l'a bientôt rompu. Voilà en quoi l'incontinence diffère de l'intempérance » (Ibid.). * 259 Cyrille Michon, « Je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais », in Faiblesse de la volonté et maitrise de soi, op.cit., pp. 175-189. |
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