C - Pourquoi est-il compliqué de s'insérer
lorsqu'on est au RMI ?
Nous l'avons vu précédemment, la stigmatisation
entraîne une altération de l'identité de la personne. Dans
le cas de l'allocataire du RMI, cette stigmatisation a pour conséquence
une perte de la confiance en soi et de son autonomie, les assimilant à
de « simples assistés ». Pourtant, si certains arrivent
à garder et à tisser un réseau social, nombre d'entre eux
glissent lentement vers l'exclusion, et ce, au vue de la durée
d'entrée dans le dispositif.
Nous pouvons alors revenir sur le dispositif RMI qui
accompagne les personnes dans leur projet d'insertion et se poser la question
de savoir si l'organisation de ce dispositif ne tend pas à
considérer l'allocataire comme en incapacité de se prendre en
charge, entrainant une mise sous tutelle quasi-systématique :
L'allocataire se laisse t-il envahir par le sentiment d'exclusion, où le
système lui retire t-il sa liberté d'agir et de penser, au nom de
sa « déviance sociale » ?
La pression exercée sur les chômeurs et les
Rmistes, au travers de l'injonction de travailler, n'entraîne telle pas
un sentiment de soumission, un sentiment de dû en échange de
l'aide sociale qui lui est accordée ?
Finalement, l'allocataire du RMI n'est-il pas poussé
vers la trappe à inactivité par le système qui ne propose
que des solutions à court terme, inefficaces en termes de retour
à l'emploi ?
.
1 - Les trappes : piège ou refuge ?
Des auteurs comme F. Dubet, L'Horty, Guillemot ou Y. Benarrosh
se sont penchés sur ce concept de trappe, et posent la question de
savoir si ces trappes sont provoquées par les individus eux même
ou par le système tel qu'il est proposé aujourd'hui.
Dans son article les trappes d'inactivité :
chômage volontaire ou chômage de résistance (Revue Travail
et emploi, p73, Juillet 2003), Y. Benarrosh part de l'hypothèse que
« une situation de trappe potentielle existe lorsqu'il n'y a pas de
différence significative entre salaire et revenu de remplacement (...)
lorsque les individus sans emploi n'ont pas financièrement
intérêt à accepter les emplois auxquels ils peuvent
prétendre ». De part cette hypothèse, on peut se
positionner sous deux angles : soit l'individu est calculateur, soit le
système l'enferme dans le dispositif.
C'est ainsi qu'en traitant de la question du rapport de
l'individu au travail, Benarrosh montre que le refus de travailler de certaines
personnes n'est pas nécessairement en corrélation avec la
question économique : il existerait une résistance à une
forme de travail précaire n'améliorant pas les conditions
d'existence des personnes potentiellement employables.
Un autre facteur entre en jeu : la situation familiale, qui
permet de comprendre les attitudes vis-à-vis de la reprise d'une
activité salariée. Les femmes, et plus particulièrement
les femmes seules connaissent de vraies difficultés à concilier
vie professionnelle et vie familiale ; leur employabilité est en
corrélation avec leur flexibilité.
Aussi, Benarrosh décèle deux types de public
enfermés dans ces trappes : les résistants que nous
venons d'évoquer et les inemployables, victimes de leur âge
jugé trop élevé.
Benarrosh évoque alors que « si ce n'est pas
le comportement des intéressés qui les fait tomber dans la
trappe...alors c'est leur état qui est en cause : car ils n'ont pas de
place sur le marché actuel du travail » (id, p 76).
Le système considère que l'individu est
enfermé dans une trappe à partir du moment où il y a refus
ou impossibilité d'accepter les propositions d'emploi : c'est alors
présager de la mauvaise foi de celui-ci à ne pas vouloir
répondre « positivement » à la charité
collective.
a- Le sens du travail :
Benarrosh met en évidence que les individus acteurs de
leur parcours d'insertion considèrent le RMI comme une étape
transitoire durant laquelle ils mettent en oeuvre des stratégies
d'insertion (formation, création d'entreprise...) ne leur permettant pas
d'accepter des emplois considérés comme précaires. Le
niveau d'exigence de ce public peut alors s'appuyer sur la dynamique de
parcours qu'il a engagé ; de ce point de vue, il serait donc
prémédité de considérer cette situation comme une
trappe de précarité.
Le refus du travail précaire est alors un refus de
l'instabilité et de la précarité doublé d'une
volonté d'assurer un revenu continu et exempt de toutes contraintes de
temps et de rentabilité. « Le rapport au travail
détermine le refus aux emplois accessibles » (id, p77).
Un autre public refuse la précarité au travail :
ceux qui n'ont connu que les petits boulot et les emplois aidés ;
Ceux-là même qui aspirent à fonder une famille et à
s'installer, et qui résistent à la précarité de
l'emploi en refusant tout contrat ne leur permettant pas de se stabiliser
professionnellement. Pourtant, Benarrosh rappelle que ce public qui n'a connu
que le travail précaire, et qui refuse aujourd'hui cette
précarité, risque de s'enfermer dans une spirale, en misant tout
sur le CDI.
Quant à l'individu « calculateur », il est
évident que l'acceptation d'un emploi à temps partiel fait perdre
des droits qu'il est très difficile de recouvrer, mettant en balance une
situation matérielle et financière très difficile, et
fragilisant le projet d'insertion. La projection dans l'avenir est alors
interrompue de part le déséquilibre familial et financier que
l'acceptation d'un travail entraîne. Aussi, Y. L'Horty, in les gains
du retour à l'emploi, p6, appuie cette théorie en affirmant
que les gains immédiats d'un retour à l'emploi ne sont pas les
plus déterminants. Il évoque ainsi trois autres facteurs :
l'accessibilité des « bons emplois », la
sécurité de l'emploi et la carrière salariale.
Accepter la précarité de l'emploi, c'est
accepter de s'enfermer ou d'être enfermé dans une trappe. Mais
pour le système, refuser l'emploi, c'est s'enfermer dans la trappe
à inactivité, de part le temps consacré au projet
d'insertion.
Nous avons ici deux poids, deux mesures : le concept de trappe
diffère que l'on soit du côté du public ou de
l'institution.
La logique « politique » voulant permettre aux
individus d'élaborer un parcours d'insertion est contrecarrée par
une logique économique qui voudrait limiter fortement le temps
consacré à ce parcours.
Aussi, dès que l'individu reste « trop longtemps
» dans une logique de parcours, il est classé par le système
comme enfermé dans la trappe à inactivité.
En réalité, il ne l'est pas, puisqu'il
élabore une stratégie d'insertion.
Le système libéral s'appuie sur la notion de
trappe de deux façons : la trappe à inactivité qui
reçoit les mauvais chômeurs (ceux qui refusent les
emplois précaires), et la trappe à précarité, qui
reçoit les bons chômeurs qui travaillent à
n'importe quel prix.
Benarrosh évoque plusieurs types de trappes : la trappe
d'inactivité motivée par le non emploi, et la trappe de
pauvreté, qui elle n'a rien à voir avec le fait que l'on accepte
ou que
l'on refuse les emplois proposés (accepter un emploi
précaire ne sort pas, loin de là, de la pauvreté...voire
même l'accentue).
On a alors deux visions du rapport au travail : la vision
politique et la vision du public. La vision politique ne voit dans le travail
qu'une fonction instrumentale de ressources financières, alors que le
public voit dans le travail avant tout une stabilisation de la vie familiale et
sociale qui permet d'avoir sa place dans la société.
L'Horthy évoque par ailleurs le bon et le mauvais
emploi : le bon emploi étant celui que l'on souhaite occuper (c'est
alors une activité professionnelle), alors que le mauvais emploi est
celui que l'on occupe « faute de mieux » (c'est alors un travail de
subsistance) (id, p 10). Pourtant Y. Benarrosh rappelle à juste titre,
que le choix de l'emploi que l'on occupe n'est réservé
qu'à l'élite de la société, mais que celui-ci est
très présent chez les personnes sans emploi.
L'individu étiqueté comme RMIste choisit, lui
aussi « de dire non à un emploi » (p74). Comme le
note Benarrosh, « ce qui est refusé (...) ce n'est pas le
travail comme tel, ce sont les différentes caractéristiques
afférentes tantôt au contenu du travail, tantôt à ses
conditions d'exercices ou encore à ses deux aspects » (p74).Le
refus de l'emploi à ce niveau est donc un refus de l'enfermement dans la
précarité et une revendication à la stabilité
professionnelle. D'autre part, ce droit au refus dépend des ressources
des individus en termes d'expériences professionnelles et de
compétences et ne serait pas, pour Benarrosh, un enfermement dans une
trappe.
Si l'institution les considèrent comme enfermés,
les individus, (qui eux, considère le RMI comme une période de
remise à niveau, d'élaboration d'une stratégie de remis
à l'emploi selon leurs besoins et leurs aspirations) font valoir leur
droit de refus de part l'incohérence de ce qu'il leur est proposé
et de ce à quoi ils aspirent.
Le concept de trappe serait alors un concept
politico-économique, classant les publics et les stigmatisant par un
pointage de leur « mauvaise foi » à accepter un emploi
à n'importe quelles conditions. La pression exercée par les
politiques « en faveur de l'emploi » peut être très
forte (par exemple le suivi mensuel des demandeurs d'emploi, les
positionnements sur des emplois aidés...) engendrant une stigmatisation
importante.
Notons le décalage important qui existe entre le
comportement attendu et le comportement réel : la société
voudrait imposer à chaque chômeur et Rmiste un retour à
l'emploi dans n'importe quelles conditions, avec l'idée charitable de
donner du travail comme on offre un morceau de pain dont il faut se
contenter.
Pourtant c'est sans compter sur le sens que donne l'individu
à son existence, aux valeurs qui gèrent sa vie. L'Horthy
précise d'ailleurs que le projet professionnel existe toujours chez les
allocataires, ce qui a le mérite de leur apporter motivation et sens
à leurs recherches d'emplois.
Malgré tout, cette capacité de choix se
réduit selon plusieurs critères, en particulier celui de la
configuration familiale, qui peut provoquer un enfermement dans
l'inactivité par l'impossibilité des individus à
équilibrer leur vie professionnelle et familiale. Marc Gurgand appuie
cette idée en affirmant que la composition familiale est un
élément important du comportement sur le marché du travail
(p3). Pour lui, les personnes seules seraient d'ailleurs plus motivées
à la reprise d'un emploi (p3), sous entendant ainsi que la famille
pourrait être un frein à l'insertion professionnelle.
Lorsque Y. L'Horty se penche sur le retour à l'emploi
des allocataires RMI, il fait le constat que ceux-ci finissent par accepter un
travail à plus où moins long terme ; les raisons
évoquées sont de « penser à demain, à se
sortir du RMI » et les difficultés de gestion du RMI. (p 17 et
18).
Cette remise au travail souvent impulsée par
les emplois précaires (Contrat d'Avenir, Contrat d'Accès à
l'Emploi) augmenterait, d'après l'auteur, les chances d'accession aux
« bons emplois », sécuriserait les revenus (contrairement aux
affirmations de Benarrosh) et permettrait une progression salariale. (p19).
Comment expliquer le positionnement différent de Benarrosh
et de l'Horty sur la sécurisation des revenus ?
Alors que Benarrosh se positionne sur le temps présent,
l'Horty choisit de voir les effets de la reprise d'une activité sur le
long terme. En effet, si la perte de droits en termes de reprise
d'activité est évidente dans l'immédiat, elle est, selon
l'Horty, compensée dans le temps (il parle de « gains
différés », p 19).
L'Horty appuie par ailleurs son argumentation sur les
conséquences positives de l'emploi sur le réseau de l'individu et
balaye d'un revers de la manche l'idée qu'un travail peut être
dévalorisant, affirmant que c'est le fait d'être actif et non le
travail en lui-même qui est important.
Par ce fait, l'Horty apporte un élément nouveau
sur le rapport au travail et l'importance sociale de celui-ci : pour lui,
l'individu s'épanouit par l'activité travail et non par les
activités effectuées dans le travail. (p20).Aussi, « le
mauvais emploi doit pouvoir garantir une évolution de la situation
financière et professionnelle à plus long terme » (p33)
même si cela relève aussi de la prise de risque, d'un «
hasard de circonstances » (Dubet)
F. Dubet et A. Vérétout précisent cette
pensée en écrivant que « les individus ne choisissent
pas seulement un emploi et des revenus : ils choisissent aussi un travail
» (F. Dubet et A. Vérétout, une «
réduction » de la rationalité de l'acteur. Pourquoi sortir
du RMI ?, revue française de sociologie, 42-3, 2001, pp
407-436).
b - Un travail pour sortir de la précarité
?
La réalité met en avant l'existence de la trappe
à pauvreté grâce au retour à l'emploi du public RMI
: le retour à l'emploi ne fait pas sortir de la pauvreté ;
En effet, 1/3 des allocataires du RMI en reprise d'emploi
n'ont aucun gain financier, ce qui infirme l'hypothèse disant que c'est
le comportement des individus face à l'emploi qui entraine
l'inactivité.
A l'inverse, la recherche d'un travail coûte cher et
accroît les difficultés financières de l'individu, avec
« les limites financières auxquelles ils se heurtent »
(Dubet, p 413).
Seuls 10% des allocataires ont refusé un travail en
1996, selon Guillemot, avec comme motifs évoqués
l'inadéquation du travail proposé par rapport à
l'expérience et aux compétences, ou encore l'éloignement
du domicile. Sur ces 10%, seuls 13% ont refusé l'emploi pour cause de
faiblesse de revenu. En fait, Guillemot pose ici un problème de taille
et relativement tabou : si les allocataires du RMI ne trouvent pas de travail,
c'est parce qu'on ne leur en offre pas (p15, Guillemot)
La trappe à chômage serait provoquée par
une dés-incitation financière et le manque d'offre d'emploi en
direction de ce public, marquée d'une certaine discrimination.
L'individu ne trouve pas de travail, même à tout prix et le public
RMI reste celui le plus touché par la
pénurie de l'emploi, malgré un niveau
d'exigences de leur part assez peu élevé sur les
rémunérations. D'ailleurs, selon Guillemot, cette pénurie
augmenterait au fur et à mesure que la « valeur » de
l'individu baisse...
Constat est alors fait que la reprise d'emploi se fait via les
contrats précaires, enfermant les personnes dans la pauvreté dont
1/3 en emploi aidés, 1/4 en CDD, 15% en indépendants, et 15% en
CDI. D'autre part, 60% des personnes en reprise d'emploi sont à temps
partiel et sur un smic horaire... (p18).
Pour Guillemot, la trappe à pauvreté est le plus
grand risque de l'allocataire RMI, à cause de la précarité
des emplois occupés.
Nous voyons ici le phénomène de déplacement
de statut social face au retour à l'emploi des allocataires RMI : de
celui « d'assisté », on passe à celui de travailleur
pauvre.
Il est alors intéressant de s'interroger sur les causes
de cet enfermement dans cette situation de précarité,
engendrées par une restriction des solutions de sortie du statut de
RMIste.
La stigmatisation par le statut est réelle et entraine une
discrimination sociale et institutionnelle.
Aussi, nous allons nous intéresser
particulièrement à l'inemployabilité supposée des
allocataires du RMI et des conséquences de cette représentation
sur la sortie du dispositif RMI.
2 - L'inemployabilité présumée des
allocataires du RMI : un stigmate récurrent.
Cette partie permet de comprendre les représentations
engendrées par le stigmate à travers le statut social du RMIste
et les conséquences qui en découlent.
Constat est fait par les professionnels de l'insertion qu'il
existe un problème de discrimination à l'embauche des personnes
au RMI, souvent considérées comme très
éloignées de l'emploi, avec des représentations
négatives sur leurs compétences, leurs capacités
« l'emploi précaire est utilisé comme une épreuve
probatoire par les employeurs doutant des capacités des Rmistes »
(Dubet, p 409), entrainé par « la
dégénérescence du capital humain » (p 409).
Les emplois précaires deviennent alors la norme pour ce
public.
Nous pourrions argumenter que la précarité de
l'emploi est devenue une norme pour tous les publics, et qu'elle touche, entre
autre, le public RMI.
Toutefois, il est important de remarquer qu'il existe des
constantes dans le processus de précarisation de la trajectoire
professionnelle de la personne au RMI : Dubet note que la durée du RMI
est un indicateur majeur négatif de l'employabilité des
personnes, expliquant les difficultés du retour à l'emploi. En
effet, la durée d'inscription dans le dispositif pèse très
lourdement sur les probabilités de sortie de celui-ci (p 413), beaucoup
plus que les gains financiers de retour à l'emploi (p 413).
D'autre part Dubet met l'accent sur le fait que le public RMI
est très hétérogène avec un seul point commun :
celui d'être éloigné du monde du travail et d'avoir un
« parcours marqué par le chômage ».
Aussi la stigmatisation commence par la désignation
administrative et institutionnelle des personnes au RMI,
considérés comme faisant partir d'un groupe homogène, avec
des pratiques pensées de façon collective pour une application
individuelle, pensée paradoxale face à des politiques publiques
qui poussent à l'individualisation des parcours. La question est : dans
quelles conditions ?
Si l'institution suggère à l'individu de trouver
sa voie dans un temps limité, les pratiques professionnelles et
institutionnelles peuvent être un frein à la sortie du dispositif,
comme l'indique Dubet, « c'est la mauvaise volonté des services
sociaux qui enferme les clients ne voulant pas affronter les humiliations des
guichets, les stages bidons, les réunions de rmistes organisées
par la commission locale d'insertion, et les forcent à s'identifier
à un groupe déchu » (p 420).
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