B - L'exclusion des allocataires du RMI est-elle subie ou
choisie ?
Nous entendons quotidiennement parler d'exclusion, avec l'image
récurrente d'une situation de marginalité, de pauvreté, de
déchéance parfois.
Pourtant, le concept d'exclusion ne peut être
définit de façon aléatoire, car les croyances et les
représentations qui lui sont louées ne sont pas toujours exactes.
Aussi, bon nombre de personnes ne dissocient pas la pauvreté de
l'exclusion.
Dans cette partie réflexive sur le concept de l'exclusion,
nous verrons que s'il peut exister un lien entre la pauvreté et
l'exclusion, une telle corrélation n'est pas récurrente.
Aussi, après avoir brièvement exposé ce
qui lie la pauvreté à l'exclusion, nous nous intéresserons
à multi dimensionnalité de ce concept, et surtout aux causes
réelles de l'exclusion.
1- Le lien pauvreté/exclusion
J.Labbens montre que la pauvreté est la
conséquence et la cause d'un statut dévalorisé. Mais la
pauvreté comme construction sociale est évoquée par
G.Simmel (Les pauvres, 1908) qui dit « le fait que quelqu'un soit
pauvre ne signifie pas encore qu'il appartienne à la catégorie
spécifique des pauvres. Il peut être un pauvre commerçant,
un pauvre artiste ou un pauvre employé, mais il reste situé dans
une catégorie définie par une activité spécifique
ou une position ».
Il ajoute que les pauvres qui ont une position sociale ne sont
pas ceux qui en souffrent le plus, mais ce sont ceux qui demandent assistance
et qui admettent ainsi ne plus être dans la norme sociale, ne plus avoir
de catégorie dans laquelle se positionner.
S. Paugam (1996) construit 3 idéaux-types de la
pauvreté :
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La pauvreté intégrée, caractéristique
des régions sud et dont le taux est élevé, mais dont la
stigmatisation est moindre et ou la solidarité naturelle existe.
La pauvreté marginale qui concerne une minorité
de gens considérés comme inadaptés et voués
à l'assistance. Ce statut est fortement dévalorisé et
existe particulièrement dans les pays du nord de l'Europe.
La pauvreté disqualifiante, qui est le résultat
du processus de rejet, en marge du monde de la production (travail). Elle est
associée au chômage et au développement de la
précarité. Elle est aussi nommée exclusion.
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2- Un concept multidimensionnel
Le terme exclusion est né dans les années 1960
(l'exclusion sociale, Klanfer, 1965) pour s'imposer dans les années
1990. Considérée comme une notion floue par S. Paugam, elle
implique le concept d'inclusion, et montre que l'individu appartient à
différents groupes de la société, tels que la famille, les
amis, l'école, le travail, etc.... L'inclusion et l'exclusion sont
intimement liées, même s'il est nécessaire de rappeler que
l'exclusion n'est jamais exclusive (totale), bien qu'il soit difficile d'en
délimiter les champs. On peut alors être exclu de l'emploi, de
l'éducation, du logement, de l'un ou/et de l'autre. C'est l'accumulation
des facteurs qui entraine l'exclusion.
L'exclusion ne frappe pas au hasard, tout comme la grande
pauvreté liée au chômage et la précarité qui
touche essentiellement les catégories populaires. Elle est
l'accumulation de handicaps sociaux dont la pauvreté fait partie. La
pauvreté n'est donc pas le seul critère d'exclusion
Paugam (Exclusion, l'état des savoirs), conçoit
l'exclusion comme un « concept-horizon » : ce qui fait de l'exclusion
un concept familier qui est dû à l'apparition de nouvelles formes
de pauvreté mais aussi de son caractère multidimensionnel. En
effet, l'exclusion des années 1990 n'est pas comparable avec la grande
pauvreté que la société avait connue jusque là,
c'est-à-dire une pauvreté marginale. Depuis les années
1980, la pauvreté concerne de plus en plus d'individus et exclut de
façon arbitraire certains types de population, qui ne connaissent jamais
l'intégration (l'inclusion) à cause d'une activité
professionnelle inexistante ou parce qu'ils entrent très rapidement dans
l'assistance. Cela pose la question du risque de la société duale
dont nous parlions précédemment, et surtout de la
dégradation de la cohésion sociale, du ciment social dont nous
parlait déjà Durkheim.
Le lien social est constitué des «
échanges qui naissent de la collaboration, du travail en commun, ceux
qui s'établissent à l'intérieur de la famille et à
l'occasion de relations sociales plus larges » (D. Schnapper,
1996).
La précarisation de l'emploi, et l'affaiblissement des
liens familiaux entrainent dans leur chute la cohésion sociale à
l'intérieur de la société, et avec elle, le sentiment de
solidarité naturelle.
Oscar Lewis associe l'isolement des personnes exclues à
l'instabilité du lien familial et à la diminution de la
solidarité naturelle.
L'isolement serait donc le critère essentiel de
l'exclusion et Dubet et Vérétout démontrent cette
théorie en montrant que la disparition du réseau entraîne
l'exclusion5.
Cependant, la pauvreté économique n'entraîne
pas forcément l'exclusion, et la pauvreté peut faire l'objet
d'une culture, entretenue par les individus.
C'est pourquoi il est important, pour pallier à ce
phénomène d'exclusion, de recréer un réseau autour
des individus, avec des associations et des travailleurs sociaux, qui lui
permettent de tisser des liens qui le lient à la société
dans laquelle il vit. C'est dans cette optique que les politiques publiques
soutiennent les actions en faveur de la cohésion sociale, et par
ailleurs que la loi de cohésion sociale a été mise en
place.
Le sentiment de la perte d'un statut social peut alors
être limité par un réseau relationnel suffisamment large,
permettant à l'individu d'être inclus dans la
société malgré son exclusion économique.
Toutefois la frontière entre « les exclus »
et le reste de la société devient de plus en plus floue et
constitue une menace perpétuelle de l'exclusion, ébranlant alors
la cohésion sociale (Robert Castel, les métamorphoses de la
question sociale, 1995).
Si la société duale que l'on craint n'existe pas
encore, la précarisation de la vie s'accentue et n'exclut personne.
L'exclusion menace chaque individu, et déstabilise ses
représentations, ses valeurs, son identité. C'est encore plus
vrai pour les allocataires du RMI, qui font face à une stigmatisation
récurrente de leur statut social.
On comprend alors l'importance de ce concept dans la mise en
place des dispositifs RMI. En effet, la prise en compte des conséquences
du phénomène d'exclusion dans la mise en place d'un parcours
d'insertion est primordiale, et permet un diagnostic relativement précis
du degré d'exclusion de la personne accompagnée.
En outre, la réponse institutionnelle faite au travers
la loi contre les exclusions de 1998 met en place de nouveaux droits sociaux et
une approche de l'intégration par la citoyenneté et les droits
des personnes, dans l'idée d'une création d'un réseau
autour de l'individu.
Notons malgré tout un retour en masse des politiques
publiques plus incitatives, qui poussent à la reprise d'une
activité économique, en faisant le constat de l'échec des
dispositifs d'insertion actuels, mais en pointant surtout l'existence d'un
groupe social d'assistés, responsables de leur propre exclusion.
François Dubet et Yannick L'Horty nous permettrons, par
leurs études et leurs réflexions sur ce sujet, de démentir
l'idée que l'assistanat serait une manière de vivre choisie
plutôt que subie.
Notre réflexion s'attardera à montrer que
l'institution, par une politique de retour au travail substituée
à la politique d'un retour à l'emploi, participe largement
à la précarisation des publics en difficultés, et à
leur enfermement dans cette trappe de l'insertion professionnelle.
5 Voir la partie concernant les trappes
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