2 - La pauvreté en tant que construction sociale et
stigmate
Pour G.Simmel (Les pauvres, 1998), le pauvre ne le
devient que si la société le reconnaît en tant que tel
« c'est à partir du moment où ils sont assistés,
peut être même lorsque leur situation pourrait normalement donner
droit à l'assistance, même si elle n'a pas encore
été octroyée, qu'ils deviennent partie d'une groupe
caractérisé par la pauvreté. Ce groupe ne reste pas
unifié par l'interaction entre ses membres, mais par l'attitude
collective que la société comme totalité apporte à
son égard. Par conséquent la société ne peut
être définie (...) que par rapport à la réaction
sociale qui résulte d'une situation spécifique ».
La pauvreté est donc construite socialement et se
structure différemment selon les sociétés dans laquelle
elle se trouve. Elle est relative au niveau de vie de l'ensemble de la
société.
Les personnes pauvres contraintes de solliciter les services
sociaux, sont de suite stigmatisées.
1 INSEE : Indicateurs de pauvreté
2 Niveau de vie : quantité de biens et services
dont dispose un individu ou une famille, que ces biens ou services soient
achetés ou mis à disposition gratuitement.
3 Unité de consommation : permet de tenir
compte du nombre de personne vivant dans le ménage. Le premier adulte
compte pour une Unité de consommation, les autres pour une
demi-unité de consommation. Une partie des dépenses sont
communes. Un enfant de moins de 15 ans compte pour 0,3 unité de
consommation.
Cela entraîne une altération de leur
identité sociale au sein de la collectivité et modifie ses
rapports avec autrui. Avec le sentiment d'être à la charge de la
société, s'ajoute celui d'être socialement
dévalorisé (et défavorisé).
Selon l'étude de P.Concialdi (op, pp3-4), il
existe deux types de trajectoires de vie chez les pauvres :
Les trajectoires problématiques, avec une pauvreté
persistante, un voisinage persistant et des sorties temporaires ou des
trajectoires descendantes.
Les trajectoires non problématiques sont liées
à des situations transitionnelles. Pourtant Concialdi précise que
77% des personnes en situation de pauvreté sont dans la perspective
n°1.
La personne pauvre à tendance à se replier sur
elle-même, à réduire ses relations avec l'extérieur,
et par conséquent à réduire son réseau. Cette
exclusion s'effectue progressivement, en fonction des situations de ruptures,
des difficultés rencontrées : plus les difficultés sont
grandes, plus le repli et le sentiment d'exclusion augmente.
A la stigmatisation4 sociale, rappelée sans
cesse par autrui et les institutions (démarches spécifiques,
tarifs spécifiques...), s'ajoute la stigmatisation économique. La
personne pauvre n'est pas qu'une personne désargentée, c'est
aussi un individu marginalisé, rejeté, et cela se voit d'autant
plus dans le cadre de l'insertion professionnelle.
3 -Comment se traduit cette stigmatisation ?
Le RMI se situe bien souvent en dessous du seuil de
pauvreté (relative). Cela a des conséquences sur la vie
quotidienne des individus.
Les professionnels constatent qu'il est très difficile
pour les allocataires du RMI d'ouvrir un compte bancaire, d'assumer des
dépenses extra scolaires, d'obtenir un prêt ou encore de se
nourrir après le 15 de chaque mois. Cet enfermement économique a
des conséquences non négligeables sur la vie sociale.
Tantôt accusés de « faux chômeurs
», de tomber dans la « trappe à inactivité », ou
considérés comme les victimes du système, les allocataires
du RMI rencontrent de véritables difficultés sociales :
- un repli sur soi qui entraîne une exclusion de la vie
sociale, et une réduction de leur
réseau.
- Des difficultés d'intégration du monde du
travail, car considérés non plus comme
des travailleurs potentiels avec des compétences, mais
comme des assistés auxquels il faut tendre la main.
- Une renonciation à la santé, à l'aide
juridictionnelle
- Une peur de l'institution qui les contraint à se
justifier de leur statut de pauvre.
Une mise en accusation constante des politiques, des
institutions et d'autrui les conduit à se mettre en situation
d'échec ou d'abandon de projet comme le rappelle Serge Ebersold qui
montre que les individus se trouvent invalidés et sont
considérés tels des « handicapés sociaux ».
4 Le stigmate, selon Goffman : l'individu est dit
stigmatisé lorsqu'il présente un attribut qui le disqualifie lors
de ses interactions avec autrui. « Cet attribut constitue un
écart par rapport aux attentes normatives des autres à propos de
son identité » (Nizet, J et Rigaux N, la sociologie de Erwing
Goffman, p 26, Paris, 2005).
R. Castel montre que cette invalidation est due aux
transformations économiques et sociales engendrées par la
mondialisation et à cause de l'effondrement de la société
salariale, alors que d'autres tendent à pointer du doigt
l'incompétence des individus et leur incapacité «
à participer aux processus interrelationnels qui fondent les liens
sociaux, à communiquer positivement et à négocier leurs
compétences et leurs valeurs » (Ebersold, S., La naissance de
l'inemployable ou l'insertion aux risques de l'exclusion, Presses
Universitaires de Rennes, Paris, 2001, p 18).
Que l'on se situe sur une approche macro ou une approche
micro, la conséquence principale de ces défaillances est
l'inemployabilité supposée ou réelle des allocataires du
RMI, plus ou moins accentuée par des difficultés d'insertion
sociale à divers degrés.
Une telle stigmatisation les marginalisent et les accusent de
leur incapacité à être dans la normalité.
Elle n'est pourtant pas sans conséquences sur le
comportement des individus. Dans l'article du CREDOC, Retour à
l'autonomie des bénéficiaires du RMI, un chemin parsemé
d'obstacle, D. Chauffant et E. David nous montrent combien il est
difficile pour les allocataires du RMI de retrouver la confiance en soi, moteur
principal de l'insertion sociale et professionnelle. Cette perte de confiance
signe un repli de la personne sur soi, une désocialisation par
l'amenuisement du réseau social et professionnel, et une aggravation de
la précarité de la personne.
Cette stigmatisation sociale, mais surtout institutionnelle
nous mène à une question essentielle dans notre travail de
réflexion : quel rôle joue l'institution, au travers le dispositif
RMI, dans la précarisation des personnes qui y sont inscrites ?
L'exclusion est-elle alors conséquente de la
précarisation ?
C'est ce dont nous allons traiter dans la prochaine partie, afin
de comprendre quel est le concept de l'exclusion, à quoi nous pouvons le
rattacher, et ce que signifie être exclu.
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