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Le Paris souterrain dans la littérature


par Céline Knidler
Université Paris IV Sorbonne
Traductions: Original: fr Source:

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2) Paris ombre et Paris lumière

Paris a deux dimensions : une matérielle, et une immatérielle. D'un côté, nous connaissons le Paris physique, ses vieilles pierres, ses monuments, sa géographie, ses organes, en bref, tous ces éléments qui font de Paris, une ville vivante, et qui plus est la capitale. Mais il y a également le Paris immatériel, en quelque sorte, spirituel. C'est à ce Paris là que nous devons son rayonnement sur les autres villes, et même à l'étranger.

S'opposent ainsi en quelque sorte ce Paris fait de pierres, de boue, d'hommes, ce Paris qui ne cesse de se transformer au gré du temps, de la vie, à ce Paris immuable, impalpable, fait d'esprit, d'émotions qui fait dire aux amoureux de la capitale : « Paris sera toujours Paris ». Paris mortel et Paris immortel. Ville lumière, mais également la ville des ténèbres.

Comme dans Les Misérables, comme chez l'être humain, Paris connaît la même dualité. Le souterrain de Paris existe par son inverse, et toute la représentation de son univers est intimement liée avec les événements de la surface. L'inversion semble alors systématique. Si Paris est blanc, le souterrain sera noir. Si Paris est fleuri, ses souterrains seront fanés : une inversion qui respectera cependant toujours le même ordre. Le négatif en bas, le positif en haut. Ainsi, l'opposition la plus frappante quand on parle des catacombes, c'est évidemment la mort souterraine à la vie en surface.

a) la division physique de Paris

La mort et la vie :

Etrange ville que Paris, qui, jusqu'à la fin du 18ème siècle, accueillait encore en son sein les cimetières nauséabonds qui ont fait une triste renommée au climat de la capitale. Paris a donc toujours côtoyé le pays des morts. Une fois les ossements déménagés, ce n'est pas à l'extérieur de Paris qu'ils ont été déposés, mais dans les catacombes, dans ses propres souterrains. Les personnages croisent à de nombreuses reprises les ossements au cours de leurs pérégrinations. « Tout autour de cette salle, un parement régulier fait d'ossements humains, sur lequel se dessinent trois cordons horizontaux de crânes avec leurs dents déchaussées et les trous béants de leurs yeux141(*). Chez Elie Berthet, les trois héros se retrouvent dans les catacombes où un paysage similaire les attend. « A droite et à gauche s'alignaient, dans un bel ordre symétrique, des assises d'ossements humains dont la teinte noirâtre annonçait la vétusté. Cette lugubre décoration se laissait voir encore à l'extrême lueur de la lampe, par des carrefours infernaux, sous des voûtes de galeries, qui paraissaient devoir prolonger à l'infini le double soubassement de la mort. »142(*).

Le thème de la mort ne se limite pas cependant aux seules catacombes. Le souterrain par définition est le lieu de l'enfouissement. Et on enterre bien les morts. De ce fait, les habitants des sous-sols sont assimilés à des morts vivants. Nous avons étudié la galerie de portraits surnaturels au 1er chapitre et nous n'y reviendrons pas. Nous évoquerons seulement l'aménagement de la chambre d'Erik vu par l'oeil de Christine Daaé. « Il me sembla que je pénétrais dans une chambre mortuaire. Les murs en étaient tout tendus de noir, mais à la place des larmes blanches qui complètent à l'ordinaire ce funèbre ornement, on voyait sur une énorme portée de musique, les notes répétées du Dies irae. Au milieu de cette chambre, il y avait un dais où pendaient des rideaux de brocatelle rouge et, sous ce dais, un cercueil ouvert. »143(*). Curieux aménagement mais qui correspond à l'image que l'on se donnerait d'un caveau. Le champ sémantique des funérailles recoupe effectivement celui des souterrains, ces deux entités partageant certains points communs : chez Alexandre Dumas, quand les carbonari mènent le commissaire Jackal à travers les catacombes, « le silence absolu de ses conducteurs faisaient de cette marche une marche funèbre »144(*).

Si la caverne est la première demeure, elle est aussi la dernière. Résider dans la caverne, c'est donc végéter. « Sortir de la caverne, c'est naître, c'est se réveiller au grand jour. »145(*). Bachelard assimile ainsi le séjour dans la caverne à un état de sommeil ou de « mort vivante. ». La grotte devient un monde construit « dans la plus foncière des ambivalences, l'ambivalence de la vie et de la mort. »146(*). Car la caverne possède effectivement une triple fonction, qui suit l'homme d'un bout à l'autre de sa vie : « L'homme se régénère dans le ventre de la terre. Il naît dans la caverne et y accomplit son dernier sommeil. »147(*)

De ce fait, comme l'indique le titre de l'ouvrage de Bachelard, la terre devient le lieu de l'engourdissement, d'une demi-mort pour les vivants. « Le héros enseveli vit dans les entrailles de la Terre, d'une vie lente, ensommeillée, mais éternelle. »148(*).

Le labyrinthe étant également celui de l'inconscient, va devenir le lieu du rêve. Or, il n'y a pas de rêves labyrinthiques rapides, tout empêtrés de méandres, de trappes, de recoins. De même, le cauchemar se fige jusqu'à donner au rêveur le temps des pierres. Selon Bachelard, « le labyrinthe de pierres pétrifie le labyrinthe. Le labyrinthe intègre non seulement l'esprit du rêveur, mais lui fait également porter sa matière. »149(*). Ainsi, il est dit qu'« à la cave remuent des êtres plus lents, moins trottinant, plus mystérieux. »150(*).

Comme plongé dans une sorte d'hibernation, l'être est ainsi protégé du dehors, du monde du travail dont il ne perçoit que les échos.

Paris n'a que faire de ses morts. Comme le dit Maxime Du Camp dans son Tableau de Paris, « les Parisiens, en grande partie, ignorent tous des MYSTÈRES NOCTURNES qui se passent dans le sein de leur ville ; ils ne sont occupés que du tableau riant de leur vie, sans chercher à lever les crêpes sanglants qui leur dérobent l'empire actif de la mort. ». Car Paris est une femme futile, une femme de théâtre, une femme du monde, à l'instar d'Augusta, la maîtresse de Lecerf, comédienne de métier, qui refuse de s'« enterrer vive comme une Vestale... ». En effet, il lui faut : « le boulevard, la foule, le bruit, l'enivrement, les chevaux, le théâtre, le restaurant, la table, le bas, les visites, les amoureux, les artistes, les coulisses, le soleil, les bougies, les parfums, tout ce qui nous emporte dans le tourbillon d'or et de soie, et nous fait vivre dans l'extase, et nous étourdit sur la pensée de la mort ! »151(*). La vie au dessus, la mort en dessous, voilà qui est dit. Comme on a pu le voir, la représentation de Paris dans la littérature donnerait presque le vertige. Maxime Du Camp écrit ainsi sur Paris : « Je n'ai vu aucune ville produire une impression aussi énorme que Paris et donner aussi nettement l'idée d'un peuple infatigable, nerveux, vivant avec une égale activité sous la lumière du soleil, sous la clarté du gaz, haletant pour ses plaisirs, pour ses affaires, et doué du mouvement perpétuel. » 152(*) L'organisation de la fourmilière semble d'ailleurs réglée à la minute. « Du sommet à la base, la ruche bourdonne; la foule monte et descend les escaliers; des agents de police veillent à la circulation. De 10h du matin à 4h du soir, l'hôtel de ville a la fièvre : c'est le symbole et la représentation de Paris. »153(*). Là où Maxime Du Camp ne voit qu'une gigantesque organisation réglée minutieusement, Louis-Sébastien Mercier n'y voit qu'un « amas bizarres de coutumes folles ou raisonnables, mais toujours changeantes», une « grandeur illimitée », des « richesses monstrueuses », et un « luxe scandaleux »154(*).

Par effet d'inversion, c'est l'effervescence de Paris qui façonne celle de ses habitants et non l'inverse. Car c'est le milieu qui façonne les personnages. Paris, en cela, est à même de créer un type d'homme bien particulier, dynamique, actif, à l'image de ses rues. Nous avons déjà vu que Balzac opposait la suractivité de Paris à la torpeur provinciale dans son roman Béatrix. Ici aussi, l'usage de Paris comme référent a tout lieu d'être. L'engourdissement des souterrains n'est-il pas mis en valeur par la suractivité du dessus ? Tel est l'intérêt d'avoir situé les souterrains de la littérature sous la ville de Paris. Sur les boulevards Parisiens, nous sommes loin de la description de Rousselin cherchant « le mur à tâtons »155(*), ou de Jean Valjean, qui avance « un bras, puis l'autre », puis « un pied avec précaution ».156(*)

Cette dualité semble ainsi nécessaire dirons-nous à la « brillance » de Paris : autant le sous-sol est synonyme pour tous d'immonde, de chaos, où il n'y a ni décence, ni hygiène, ni confort, ni morale. En bref, pour reprendre une terminologie adoptée par Dostoïevski après son roman "Le Sous sol", le souterrain est un non-monde voué à la saleté et à l'inavouable. On retrouve dans ce terme de non-monde, le titre de l'ouvrage de José Augusto Correa, Paris lumière-Paris Ténèbres (oui et non). Il existe donc, à l'antithèse de ce Paris-non, un Paris-oui. Or, cette partie sombre de Paris est le nécessaire révélateur du Paris qui a besoin de cette obscurité pour briller davantage. Paris a donc deux facettes. Mais Paris n'est qu'un : « impossible donc d'imaginer que la ville du dessous puisse être différente de celle du dessus. Il s'agit du même univers. La ville à l'envers est donc en fait une ville inversée : les dessous de la ville montrent « le reflet pervers de (l')univers » de la ville du dessus. La seule différence entre les deux niveaux de la réalité urbaine tient alors à ceci que la ville de la surface - précisément parce qu'elle est superficielle - est soumise aux apparences, tandis que la ville du dessous - précisément parce qu'elle est secrète et obscure - échappe aux illusions du paraître. »157(*). En cela, les deux univers sont inséparables.

La puissance d'un côté, les vides de l'autre. Chose étrange pourrons-nous penser, que Paris fasse reposer sa magnificence sur ce néant que sont ses souterrains. « Que de matière à réflexions, en considérant cette grande ville formée, soutenue par des moyens absolument contraires   Ces tours, ces clochers, ces voûtes des temples, autant de signes qui disent à l'oeil : ce que nous voyons en l'air manque sous nos pieds. »158(*) 

Cela n'empêche pas pour autant Paris la magnifique de feindre d'ignorer l'existence de ses souterrains. Mais on ne peut ainsi perpétuellement nier l'évidence. La démesure de Paris, Balzac la dépeint très exactement dans Les Illusions perdues : « A Paris, les masses s'emparent tout d'abord de l'attention : le luxe des boutiques, la hauteur des maisons, l'affluence des voitures, les constantes oppositions que présentent un extrême luxe et une extrême misère saisissent avant tout. » 159(*)

Misère ? C'est effectivement au 19ème siècle qu'une conscience sociale va commencer à émerger. Et pour cause, les classes se creusent, créant un outrageux décalage. Le luxe avoisine la misère, le labeur côtoie l'oisiveté, le monde de la domesticité et de la prostitution sert, en quelque sorte, de transition. Dans ses lettres à Frédéric II, Voltaire résume l'opinion contemporaine : « Paris est comme la statue de Nabuchodonosor en partie or, en partie fange », c'est « un assemblage de palais et de masures, de magnificence et de misères, de beautés admirables et de défauts dégoûtants ». Plus la ville s'accroît, plus les écarts se creusent. Ce qui semble scandaliser Georges Sand : « il y a donc au sein de Paris une société libre et heureuse d'un certain bonheur sans idéal, réduite à la jouissance de la sensation. On appelle ça le monde. Que dis-tu de ce nom ambitieux et outrecuidant [...] ? [...] Il existe une petite caste qui a donné à ses frivoles réunions, à ses fêtes sans grandeur et sans symbole, le nom de monde, et dont chaque individu dit, en montant dans sa voiture pour aller parader parmi quelques groupes d'oisifs pressés dans certains salons de la grande ville de travail et de misère : je vais dans le monde : je vois le monde, je suis homme du monde. [...] Et je me demandais, en regardant ces riches décorations, ces tables et ces buffets, ce que le fournisseur avait volé au consommateur et au producteur pour produire toutes ces merveilles; et il me semblait voir mêlés ensemble dans une sorte de cave, situés sous les pieds des danseurs, les cadavres des riches qui se brûlent la cervelle après s'être ruinés, et ceux des prolétaires qui sont morts de faim à la peine d'amuser ces riches en démence. »160(*) . Cette vision d'une cave imaginaire n'est pas isolée. Il y a effectivement, chez les auteurs, une tendance à faire ressurgir l'univers souterrain à la surface. C'est pourquoi, des quartiers entiers, vont emprunter les caractéristiques du souterrain : population hideuse, géographie tortueuse, obscurité, insalubrité, délinquance : Paris est alors envahie par ses souterrains.

* 141 Pierre Zaconne, Les Drames des catacombes, Le Roger Bontemps n° 244 (1861-1862), p.283

* 142 Joseph Méry, Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy frères, 1890), p.1

* 143 Gaston Leroux, Le Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959), p.169

* 144 Alexandre Dumas, Salvator, (Genève, Edito-service, 1973) vol.3, p.9

* 145 Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries du repos (Paris, José Corti, 1997), p.202

* 146 Ibid, P.206

* 147 Jean-Pierre Bayard, La Symbolique du monde souterrain et de la caverne, (Paris, Editions Guy Tredaniel, 1994), p. 265

* 148 Gaston Bachelard, La Terre et les rêveries du repos (Paris, José Corti, 1997), p.209

* 149 Ibid., p.209

* 150 Gaston Bachelard, La Poétique de l'espace, (Paris, P.U.F, 1998), p.36

* 151 Joseph Méry, Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy frères, 1890.), pp. 272 -273

* 152 Maxime Du Camp, Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du 19ème siècle, (Paris, Hachette et Cie, 1869), vol. 1 p.1

* 153 Ibid., vol.1 p. 18

* 154 Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, (Paris, Mercure de France, 1994), p. 13

* 155 Joseph Méry, Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy frères, 1890.), p.91

* 156 Victor Hugo, Les Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V,III,1

* 157 Jean-Noël Blanc, Polarville : images de la ville dans le roman policier, (Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1991), p.91

* 158 Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, (Paris, Mercure de France, 1994), p.37

* 159 Honoré de Balzac, Les Illusions perdues, éd. de M. Picon (Paris, Gallimard, 1974), p.177

* 160 Théophile Lavallée, Le Diable à Paris : Paris et les Parisiens, moeurs et coutumes, (Paris, Paris-Musée, 1992), p. 63

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