Céline Knidler
Mémoire de maîtrise :
Le Paris souterrain dans la
littérature
Remerciements à M. Jacques Noiray, mon
directeur de mémoire.
Sommaire :
Introduction
I) Entre fantaisie et vérité : le
paradoxe du souterrain
1) L'imaginaire du souterrain
a) Une représentation géographique
fabulée
b) Le souterrain de Paris, refuge d`une population
surnaturelle
2) Le souterrain, espace de
vérité
a) Le souterrain parisien : un espace
d'authenticité
b) Les souterrains de Paris comme aboutissement à toute
quête.
II) La représentation de Paris : une
image double
1) « Ecce Paris, ecce homo »
a) La personnification de Paris appliquée aux
souterrains
b) Le souterrain, ou l'inconscient
2) Paris ombre et Paris lumière
a) La division physique de Paris
b) Quand le souterrain sort de terre
III) Paris et ses souterrains, mythe d'hier et de
demain
1) Le mythe parisien appliqué aux souterrains
a) L'engloutissement programmé de Paris
b) Paris, nouvelle Babylone : les résurgences
bibliques dans la littérature du Paris souterrain
2) Le souterrain de Paris, un lieu atemporel ?
a) Etude comparée de la mythologie chtonienne et de la
littérature sub-parisienne
b) Les souterrains de Paris, à l'image de la capitale :
un lieu hors du temps
Introduction
On a relativement peu écrit sur les souterrains :
parler des souterrains fait peur. A l'écrivain tout d'abord. Et pour
cause : le souterrain est obscur, enfoui, profond, sale dans l'imaginaire
collectif. C'est l'endroit des égouts, de ce que la
société rejette. Parler de ce que rejette la
société, c'est également prendre le risque d'être
soi même rejeté, en tant que romancier. C'est le risque de
« salir » ses lettres avec la boue du sous-sol.
Assurément, écrire sur l'amour ou sur l'honneur est un pari moins
dangereux pour le littérateur.
Le souterrain dégoûte, mais fait peur
également au lecteur. Combien de légendes les ont peuplés
de créatures toutes plus fantastiques et effrayantes les unes que les
autres ? C'est enfin un univers inconnu, dangereux, où l'homme n'a
ni sa place, ni ses repères.
La saleté, la peur, l'obscurité... Voilà
qui pourrait cependant nourrir les imaginations les moins fertiles. Mais cette
crainte d'aborder le souterrain, n'est-ce pas avant tout la peur de
découvrir ses propres souterrains ? Car là est tout
l'intérêt de notre travail : un travail de mineur,
d'archéologue, de psychanalyste même serait-on tenté de
dire. Quelles richesses, quels secrets, quels mystères les premiers
explorateurs-romanciers qui ont osé braver les sous-sols ont-ils pu
dénicher en profondeur et cacher à demi-mots derrière
leurs lignes ? Quel monde parallèle ont-ils découvert et
quelles sont les règles, les us, les traits caractéristiques
qu'ils lui ont attribué ? Bachelard, à ce sujet,
évoque les « images sincères »
1(*). L'image sincère,
c'est la représentation vraie, en l'occurrence ici, du monde souterrain,
qui se tapisse derrière le style de l'écrivain, de cette
« mythologie en acte », sorte d'inconscient
collectif auquel n'échappent pas les romanciers. Autrement dit, la
représentation du monde souterrain obéit à des
règles communes, et ce, depuis que l'homme a la capacité
d'imaginer.
Cela étant dit, la particularité de notre sujet
sera de restreindre cette étude aux souterrains de Paris. Pourquoi cette
restriction ? Tout d'abord parce que la ville est une construction
humaine, régie par des règles strictes, une organisation, et que
le souterrain va devenir de ce fait son pendant absolu : lieu sauvage,
bestial et naturel, chaos, danger... Ensuite, parce que Paris concentre entre
ses murs l'humanité à une échelle moindre. Il nous suffit
de citer Balzac qui, par la bouche du jeune Calyste, parle de mordre
« la pomme parisienne de la civilisation. ».
Paris, c'est l'art. La province, c'est la nature. Opposer le monde souterrain
à une ville telle que Paris, c'est faire se confronter deux
entités absolument contraires. Alors, de là part toute la force
de la démonstration des romanciers. Car plus la chute est haute, plus la
révélation est grande. Il ne servirait à rien, sinon, de
transporter un personnage depuis une province jusque dans le milieu souterrain,
si ce dernier passe d'un cadre naturel, sauvage et d'un état
végétatif à... un cadre naturel, sauvage et à un
état végétatif. Le passage au souterrain est un
passage violent, souvent contraint. Et c'est en cela qu'il porte tout son
intérêt : sous terre, les masques sont arrachés. C'est
douloureux, certes, mais c'est en grattant cette carapace que l'on
découvre peu à peu des vérités. Et cette
expérience s'applique non seulement aux personnages, qui vont vivre les
plus folles aventures, au romancier, derrière le style duquel des
éléments cachés vont apparaître, mais encore et
enfin au lecteur, qui découvre dans les méandres des catacombes
et des égouts, le reflet des ses propres questionnements et de sa plus
secrète intimité. C'est sans doute en cela que la
littérature du souterrain suscite inconsciemment tant de
curiosité, mais s'attire aussi les foudres des critiques.
Littérature sale, vulgaire, avilissante : la vérité
fait peur et rebute. Alors on l'enterre et on la repousse, et gare aux
profanateurs de ces caveaux-poubelles !
Nous avons donc sélectionné pour notre
étude dix oeuvres, toutes du 19ème siècle. Et
pour cause, la littérature du souterrain n'est apparue vraiment
qu'à partir des années 1830. Nous avons volontairement mis de
côté la littérature sub-parisienne du 20ème
siècle, préférant nous attacher tout
particulièrement à ses prémices, sans doute plus riches
car plus spontanés, plus purs car non influencés. Les souterrains
du métropolitain brilleront donc par leur absence dans nos lignes, leur
fréquentation et leur vulgarisation transformant radicalement la vision
et l'interprétation globale des souterrains parisiens dans la
littérature.
C'est en 1827 que Gérard de Nerval publie sa nouvelle
intitulée Le monstre vert, et en 1834 que les lecteurs
s'arrachent Les Catacombes de Paris d'Elie Berthet. Le thème du
souterrain ne se développera vraiment qu'à partir de la monarchie
de juillet pour prendre son plein essor sous le second Empire. En effet,
à partir de 1852, date à laquelle Joseph Méry publie ses
Salons et souterrains de Paris, les imaginations brimées par
une époque trop éclairée, se réfugient dans les
souterrains où fourmillent tous les mystères qui prêteront
leurs noms à une série d'oeuvre du temps (Les Mystères
de Paris, Le Mystère de la chambre jaune...). On y trouve
les mêmes recettes de fabrication, les atmosphères se recyclent,
les crimes et les bandits pullulent etc....Les souterrains se rattachent de ce
fait à un certain type de littérature, un type souvent
déprécié, sans doute injustement, mais au type du roman
populaire ou du roman policier. Mettons Victor Hugo et Gérard de Nerval
en dehors de cette appréciation et observons les auteurs retenus :
Elie Berthet, Pierre Zaconne, Joseph Méry, Gaston Leroux, même
Alexandre Dumas n'échappent pas à la sentence.
Comment qualifier le roman populaire : on peut distinguer
deux périodes, celle de l'essor du roman populaire qui profite du
développement de la presse, qui va de 1836 (date de parution du premier
roman feuilleton dans La Presse) à 1870. Ce sont les
années des grandes aventures rocambolesques, des grands héros,
les années Berthet, Zaconne, Dumas. Va se développer par la suite
une littérature plus policière, à l'instar de celle de
Gaston Leroux. Le roman populaire s'adresse au peuple, et met le peuple en
scène. Son style est souvent dicté par les exigences des
quotidiens, favorisant les rebondissements, le suspens, en bref, un style riche
en recettes, « trucs » et clichés.
Cependant, la littérature du Paris souterrain
n'épargne personne, et certains romantiques se laisseront tenter. Victor
Hugo ou Gérard de Nerval par exemple. Qu'est-ce que le romantisme si ce
n'est l'art de transporter son lecteur dans des contrées inconnues, de
le dépayser en quelque sorte, de rechercher le secret, le mythe. Au
19ème, les souterrains de Paris, loin des techniques que nous
possédons actuellement, étaient un univers où il ne
faisait pas bon s'aventurer. De ce fait, ces kilomètres de galeries
restaient la plupart du temps inexplorés, ou inconnus, de quoi nourrir
les imaginations les plus fertiles. Il est intéressant d'ailleurs de
noter que les réalistes n'ont pas leur place dans ce travail, et pour
cause. Si les romantiques découvrent de nouveaux pays, les
réalistes se chargent de nous montrer les lieux connus sous un nouveau
jour, à la lueur de leur plume. Le romantique à l'inverse, ou
l'auteur populaire, devra user de toute son imagination pour offrir à
son lecteur une description d'univers inédits. Et quand l'imagination
est appelée, il arrive qu'elle divague, ou qu'elle se laisse
entraîner loin, très loin, parfois aux frontières du
paranormal.
Cette débauche d'imagination va donner lieu à
une première étude, qui va mettre en avant le paradoxe du
souterrain. Alors même que la topographie et les habitants des
souterrains tels qu'ils sont décrits dans les oeuvres flirtent avec le
paranormal, voir même la féerie, c'est dans ces lieux
fantastiques, grâce à ces monstres et ces diables que les
personnages vont découvrir leurs vérités. Les souterrains
eux-mêmes vont servir de révélateur de personnalité
et, comme nous le disions plus haut, vont faire tomber les masques. Fruit de
l'imagination et en même temps témoin de la réalité,
le souterrain parisien évolue sur ce fil de funambule d'un bout à
l'autre des romans.
Double rôle, double jeu et double enjeu. Le souterrain
parisien semble être marqué par le sceau de la dualité.
Pour preuve, les catacombes, les égouts sont l'envers des rues et des
maisons de Paris. L'un ne peut exister sans l'autre, puisque l'un a
été construit par l'autre : si Paris n'avait pas tiré
ses pierres de son sous-sol, ce dernier n'existerait pas. Etroit lien de
filiation qui fait de Paris une ville à l'image de l'homme avec ses
contradictions, ses organes, ses différents niveaux de conscience. Paris
est une personne, et ses souterrains prennent une fonction tantôt
organique (les égouts sont les viscères de Paris), tantôt
psychique (les catacombes sont l'inconscient de Paris). Cette dépendance
de ces deux éléments géographiques s'inscrit dans une
sorte de complémentarité. Car tout les oppose, donnant à
Paris deux visages, celui du jour et de la nuit. Mais le manichéisme
n'est pas total, car, à la manière du yin et du yang, le
souterrain vient à déborder, et la surface investie les
souterrains. Complémentarité donc, mais rivalité.
I) Entre fantaisie et vérité : le
paradoxe du souterrain
1) L'imaginaire du souterrain
a) Une représentation géographique
fabulée
Les eaux souterraines :
On doit à Elie Berthet le fait de s'être
renseigné très précisément sur le monde, les
particularités, les anecdotes et même le vocabulaire des
catacombes de Paris. Joseph Méry, à l'inverse, s'est sans doute
davantage livré aux trésors de son imagination qu'aux richesses
de la documentation. On dit de Joseph Méry qu'il avait un talent pour se
transporter dans des pays qu'il ignorait complètement, preuve d'une
imagination fertile. Et nous ne contredirons pas les critiques sur ce point
là à en juger par la description fantasmagorique des souterrains
dans Salons et souterrains de Paris. Il ne serait pas étonnant
d'apprendre que Joseph Méry n'ait jamais mis le pied dans un de ces
souterrains. Les héros de Salons et souterrains de Paris
fréquentent quatre types de souterrains parisiens : il y a tout
d'abord les catacombes, lieu souterrain de prédilection et qui encadre
le roman. La description des anciennes carrières demeure cependant une
des plus réalistes. Autres souterrains, ceux de l'hôtel
Saint-Paul, des Tournelles, de la Bastille, de l'hôtel de Nesle, de
l'abbaye Saint-Victor et de Saint-Germain des prés. Bien
évidemment, l'auteur n'y a jamais mis les pieds, ces souterrains n'ayant
pour la plupart jamais existé tels qu'ils sont dépeints. Mais les
passages où le romancier fait pénétrer ses personnages
dans les aqueducs sont sans doute les plus intéressants pour notre
recherche. En effet, ces derniers offrent par la même occasion une
description surréaliste de canaux enfouis de la Villette au centre de
Paris qui, s'ils n'appartiennent pas au réseau des égouts ni
à celui du service des eaux, appartiennent donc à l'imagination.
Le mythe des rivières enfouies sous Paris n'est pas un
phénomène nouveau. Nous pouvons nous appuyer sur l'ouvrage
d'Armand Jardillier, Une légende bien parisienne, la Rivière
de la Grange-Batelière. L'auteur retrace ce mythe qui tout au long
du 19ème siècle jusqu'à maintenant encore a la
vie dure. Il fait notamment référence à Geoffroy, l'humble
habitant de ce lieu dit de la Grange-Batelière qui légua son
arpent de terre à l'Etat contre une place à l'hospice.
L'imagination de certains auteurs le transforma donc en passeur sur la
rivière du même nom, en vertu d'une transposition mythologique de
Charon, passeur sur les rives de l'Achéron. Ce n'est donc pas pour rien
que Armand Jardillier nomme Paris le « haut lieu du Royaume du
merveilleux ».
Cette croyance tenace qui entoure la rivière de la
Grange-Batelière a tout particulièrement nourri la légende
du lac souterrain qui étendrait ses eaux sous l'opéra Garnier,
légende immédiatement reprise et enrichie par Gaston Leroux dans
le Fantôme de l'Opéra où l'anti-héros, le
sinistre Erik, s'installe aux abords du lac souterrain. Certes, l'Opéra
Garnier repose bel et bien sur une cuve noyée, mais l'eau provient d'une
nappe phréatique sans lien aucun avec la légendaire
rivière de la Grange-Batelière. Lors de l'édification du
monument, l'architecte Garnier a dû ainsi pomper l'eau qui se trouvait
sous terre pour asseoir son oeuvre, procédure qui dura près de
huit mois, sans compter deux années pour l'assèchement. Mais il a
conservé une partie de cette eau pour prévenir tout risque
d'incendie dans l'Opéra.
L'existence de cette nappe d'eau, les trois étages de
souterrains, le statut même de l'Opéra, haut lieu du lyrisme par
excellence, offrent un décor idéal au fantastique. Qui plus est,
la magnificence impériale, presque tapageuse, du monument, les sommes
astronomiques qui ont été allouées à son
édification, ont concouru à entretenir le mythe. Le roman de
Gaston Leroux est ainsi fait que, s'adressant à un public populaire, peu
familier de l'Opéra, son décor devient « une sorte de
temple inaccessible », l'histoire elle-même se déroulant
à huis clos. Et quel huis clos oppressant quand les deux héros se
retrouvent sur les rives du lac, sous la surveillance tacite du fantôme
de l'Opéra... La belle Christine Daaé, enlevée par Erik,
décrit ainsi le lac : « Nous étions au bord d'un
lac dont les eaux de plomb se perdait au loin, dans le
noir... »2(*).
Autant dire que par cette phrase, Gaston Leroux exagère l'étendue
du plan d'eau, et transforme ces sous-sols humides en un univers à part
entière, c'est-à-dire sans frontière.
On rencontre chez le même auteur, une autre
référence à ces lacs souterrains : celui des Talpa,
dans La double vie de Théophraste Longuet. Ce lac,
« aux eaux d'une transparence cristalline », n'a
pas grand-chose à voir avec celui du fantôme Erik. M. Milfroid
n'en revient pas des « eaux enchantées de ce
lac »3(*)
où ses yeux croisent la nudité de ce que l'on pourrait de prime
abord croire être une sirène. Description presque féerique
qui nous aie exposée ici... Il faut dire, mais nous expliciterons ce
sujet plus tard, que les eaux souterraines ont inspiré de nombreuses
légendes. Mais à défaut de légendes, elles ont
inspiré les romanciers qui ont empli ces souterrains d'une population
merveilleuse.
b) Le souterrain : refuge de population
surnaturelle
Quand on ne connaît pas un lieu, on l'imagine. Et quand
on doit peupler un lieu imaginé, l'esprit adapte l'habitant à la
configuration de l'endroit. Aussi, catacombes, égouts, aqueducs et caves
de Paris vont donc être peuplés par les romanciers d'après
la description première qu'ils auront fait des souterrains. On peut
dresser ici différentes catégories de ces habitants sub-terriens.
Nous verrons dans un premier temps les êtres surnaturels, qui se
rattachent à des lieux ou féerique comme le lac des Talpa, ou
lyrique, comme l'opéra Garnier, pour nous pencher par la suite sur ces
êtres humains qui, par la suite d'un accident, d'un
événement quelconque, se sont retrouvés parachutés
dans les sous-sols de Paris.
Les êtres surnaturels :
La figure type lié au souterrain est sans aucun doute
le diable, dont la demeure, les enfers, est toujours dans les profondeurs de la
terre. L'art en général au 19ème siècle
était très friand des figures diaboliques. La peau de
chagrin de Balzac, La salamandre d'Eugène Sue, la peinture
de Méphistophélès de Delacroix ou le
Faust de Berlioz sont autant de réminiscence de la figure
diabolique. La personne du diable est alors considérée comme une
sorte de génie, habile possesseur de la connaissance universelle. Nuls
secrets ne lui résistent, pas même les murs. Le personnage de
Médard, ce jeune sauvage nyctalope qui hante Les Catacombes de Paris
d'Elie Berthet a, dans ses dons surnaturels, celui de pouvoir se
déplacer dans la nuit, celui d'apparaître et de disparaître
tout aussi rapidement, et celui de ne jamais se perdre. Autant d'atouts qui ont
quelque chose de diabolique. L'abbé de Chavigny ne peut réprimer
cette exclamation : « Mais cette homme est
possédé du démon ! »4(*), et les occurrences qui le
comparent à un diable ou un démon foisonnent tant qu'il serait
inutile et laborieux de les relever toutes ici.
Le diable est parfois représenté comme un ange
déchu, un être malheureux, qui tenterait de se racheter
« par l'amour qu'il éprouverait envers quelque
mortelle »5(*). Cette vision que l'on retrouve dans La chute d'un
ange de Lamartine, Une larme du diable de Théophile
Gautier ou Tristesse du diable de Leconte de Lisle, s'appliquerait
davantage au personnage d'Erik qui, ayant obtenu de sa bien aimée une
affection sincère, la libère de ses chaînes en se
décidant enfin à mourir : « j'ai
arraché mon masque pour ne pas perdre une seule de ses larmes... Et elle
ne s'est pas enfuie !... Et elle n'est pas morte ! Elle est
restée vivante, à pleurer... sur moi... avec moi... Nous avons
pleuré ensemble !... ».6(*)
Erik possède également du diable la ruse
machiavélique, et l'imagination morbide lui dicte des supplices dignes
des enfers. La chaleur qui envahit la chambre des supplices, pièces
rectangulaires en totalité recouverte de miroirs, fait crier au vicomte
de Chagny : « J'étouffe ! disait-il... Toutes
ces glaces se renvoient une chaleur
infernale !... »7(*).
Rousselin possède les mêmes
caractéristiques du génie sadique. « Le
génie de la torture n'inventera jamais des horreurs comparables au
supplice de ces labyrinthes ténébreux, nommés
Catacombes. »8(*) Ainsi, en enfermant Lecerf dans les catacombes,
Rousselin apporte la preuve qu'il possède le même raffinement dans
la recherche de la souffrance qu'Erik. Mais ce caractère diabolique est
renforcé par ses pouvoirs quasi surnaturels. Sa résurrection, ou
son retour au grand jour après son séjour dans les catacombes,
sont autant de miracles. Sa connaissance précise des souterrains tend
à prouver son intelligence diabolique, une intelligence et une
connaissance qui dépassent celles de l'être humain.
Cette ruse, cette finauderie semblent qualifier Acharias, le
passeur des aqueducs de Salons et souterrains de Paris. Joseph
Méry n'hésite pas à comparer son personnage au diable
boiteux de Lesage : «Parfois les amateurs qui cherchent les vieux
livres sur nos quais ont retrouvé l'édition première d'un
roman de Lesage, le Diable boiteux. En tête du livre se voit une vieille
estampe qui représente le héros diabolique, avec un crâne
dénudé, le torse rompu et brisé comme le tronc noueux d'un
arbre pittoresque, les jambes cagneuses et d'inégale longueur ;
avec cela l'oeil vif, perçant, moqueur, la lèvre sardonique, le
sourire narquois, un ensemble de physionomie enfin qui révèle
l'intelligence. Tel est le diable boiteux, tel serait le portrait que nous
pourrions tracer d'Acharias. »9(*) Acharias partage également avec Rousselin qu'il
promène dans sa barque, cette connaissance totale du monde souterrain
qui fait de lui le maître absolu de ces lieux engloutis... d'où sa
comparaison au diable, maître des enfers.
Enfin, Gérard de Nerval reprend une légende
parisienne, celle du diable Vauvert et la transforme à sa
manière, en une nouvelle fantastique. Ayant goûté aux vins
des caves de l'ancien château de Vauvert, l'intrépide sergent et
sa couturière de femme mettent au monde un enfant vert, cornu et
flanqué d'une queue qui est en quelque sorte le fils du diable, si
ce n'est la réincarnation du diable lui-même, car il est
« têtu, colère et
malicieux »10(*).
Dans les autres types de personnages surnaturels qui peuplent
les souterrains de Paris, nous rencontrons bien évidemment le
fantôme qui se caractérise par sa transparence, sa capacité
à apparaître et disparaître comme par magie et à
traverser les murs. Le fantôme de l'Opéra, alias Erik que nous
avons déjà évoqué, possède, bien qu'il n'en
soit pas un, les caractéristiques du fantôme : sa
faculté à être partout à la fois, à se
mouvoir sans être vu entre les étages de l'Opéra, comme
s'il pouvait se déplacer à l'intérieur de la pierre, sa
laideur et son teint cadavérique, enfin, sa tête de mort.
Fantôme ou vampire : Erik est
présenté comme un être nocturne par Christine Daaé
sur les toits de l'opéra : « Nous sommes chez nous,
chez moi, dans le ciel, en plein air, en plein jour. Le soleil est en flammes,
et les oiseaux de nuit n'aiment pas à regarder le soleil ! Je ne
l'ai jamais vu à la lumière du jour. »11(*). L'oiseau de nuit, c'est Erik,
bien évidemment, « l'homme au manteau et au masque
noir »12(*). Comme si une fatalité avait frappé les
êtres des souterrains, Erik n'apparaît jamais au grand jour.
Même sur les toits de l'Opéra, il se cache derrière les
statues. Et quand il sort enfin de l'Opéra, quand il ôte enfin son
masque au grand jour (bien qu'il interdise toujours qu'on regarde ses traits),
c'est pour mourir trois semaines plus tard. N'est-ce pas le propre du vampire
de mourir, une fois touché par les rayons du soleil ?
Nous venons de parler de la laideur qui semble donc
associée au souterrain en ce qu'elle est le pendant de la beauté,
comme l'obscurité l'est de la lumière, ou le souterrain de la
surface. Dans cette opposition systématique, le souterrain est le lieu
de l'assouvissement de tous les fantasmes les plus réprimés, ceux
que l'on tente d'enfouir au fond de nous même, dans les caves de notre
inconscient, mais qui se rappellent à nous par pulsions (nous ferons une
étude plus approfondie des relations entre le souterrain et
l'inconscient à la deuxième partie de notre deuxième
chapitre : Les deux Paris). Comme le disait Bachelard, « la
cave est alors la folie enterrée, des drames murés. Les
récits de caves criminelles laissent dans la mémoire des traces
ineffaçables. »13(*).
On ne s'étonnera donc pas de retrouver chez nos
feuilletonistes français les preuves évidentes d'une influence de
la littérature gothique ou du roman noir, sous la houlette d'Anne
Radcliffe ou de Lewis pour ne citer que ces deux là.
Et pour cause, les romanciers gothiques ont réussi
à atteindre dans leurs écrits un degré d'horreur
avancé, qui donne parfois la nausée devant tant de chair
putréfiée, de sang, de tortures ; au point que l'on se
demande parfois si l'on ne sombre pas dans le simple voyeurisme morbide
à lire avec tant de complaisance la description de tels spectacles. Dans
The Monk, Lewis n'épargne pas à son lecteur la
description d'une crypte peuplée de corps en décomposition,
où le cruel Ambrosio a enfermé vive la pauvre Agnès. Un
épisode de La double vie de Théophraste Longuet, sans
doute le roman le plus cru de son auteur, ne nous épargne pas une
scène du genre. Cartouche, à la fin de sa vie, après
être passé à la question, est jeté à
moitié mort dans le charnier de Montfaucon. Dans cette horreur
souterraine, les corps mutilés et putréfiés composent le
paysage, et Cartouche lui-même, qui est dans un état plus que
critique, constate l'aspect hideux de la scène. « On
apporte ici tous les suppliciés de la ville. Il y en a de frais, il y en
a de pourris, il y en a de bien conservés et tout secs ; mais
d'autres ne sont pas présentables : ils tombent en
ruine. »14(*) Nous passerons sur les détails des horreurs
narrés par la suite, mais l'esprit est là.
De même, Gaston Leroux ne nous épargne pas les
scènes des tortures infligées à Cartouche dans les
souterrains de la conciergerie. « On ouvre une grille... Je suis
dans les ténèbres des caves[...] Je suis dans la chambre de la
torture. J'ai devant moi des hommes vêtus de longues robes, mais je ne
distingue pas leurs visages. [...] Je crois bien que les gaillards vont me
faire souffrir tout mon saoul et que la journée sera
rude[...]. »15(*). Effectivement, s'ensuit une longue description des
souffrances de Cartouche-Théophraste Longuet d'un réalisme
à choquer les âmes sensibles. Est-ce la franchise qu'inspirent les
souterrains qui pousse l'auteur à ces épanchements lugubres, ou
bien le style de cette littérature « souterraine »
et populaire qui encourage l'horreur à s'afficher ?
Toujours du même auteur, Le roi mystère
du même auteur nous offre la description d'une décapitation dans
les caves de Montmartre. « Un coup retentit dont
l'échafaud tout entier résonna, derrière le rideau rouge.
Et après coup, on entendit un cri de douleur atroce et des plaintes...
et des plaintes... et il y eut un autre coup... et il y eut encore des
plaintes... un gémissement lamentable qui ne demandait qu'à
finir. Et on entendit encore un coup !... Et puis l'échafaud se
tut !... »16(*)
Nous obtenons le même résultat dans Les
Drames des catacombes de Pierre Zaconne. La description de la torture au
fer rougi de Reynaut à qui on veut arracher son trésor est pour
le moins brutale. Une fois de plus, les descriptions qui s'attardent sur les
plaies crépitantes font parfois douter des intentions de l'auteur.
Hélas, lui aussi a un inconscient et une fascination pour l'horreur.
Mais nous y reviendrons.
La faune des catacombes :
Nous venons de parler des êtres surnaturels qui peuplent
les catacombes et les caves de nos romanciers. Cette association
systématique entre le caractère effrayant du diable ou du
fantôme (effrayant car inconnu, immaîtrisable, dangereux) et le
souterrain (mêmes qualificatifs) s'étend par la même
occasion à toute la population souterraine. Les habitants de chair et
d'os des souterrains sont d'entrée de jeu marqués du sceau des
profondeurs. Cette marque se lit sur leurs traits, leur comportement, leur
aspect général, qu'il en soit des hommes ou des animaux.
Commençons dans un premier temps par étudier la
faune souterraine de notre littérature.
La plus remarquable est sans doute celle de Joseph Méry
qui nous offre une fois de plus une description fantasmagorique des
souterrains : « La barque marchait, et
réveillait par le bruit des rames, les chauves-souris collées aux
voûtes[...] Sur le trottoir étroit [...], on voyait courir
d'affreux coléoptères, des lézards, des animaux sans nom,
auxquels parfois venaient se mêler des rats gigantesques,
quadrupèdes qui osent ou daignent disputer ce domaine aux reptiles. Au
loin, on entendait les coassements du crapaud, animal hideux qui fuit la
lumière [...]. L'étranger plongea la main et la retira
aussitôt tenant un énorme serpent [...].»17(*)
Ainsi, la faune du souterrain chez Joseph Méry est
assez repoussante. Cependant, elle reste bien évidement fabulée,
les souterrains de Paris n'ayant jamais accueilli que des insectes et des rats
dans les égouts, et des chauves-souris dans ses carrières. Mais
les catacombes les plus enfouies offrent un cadre trop inhospitalier pour
permettre la survie d'une quelconque espèce.
Un écrivain comme Victor Hugo se laissera pourtant
tenté par ce même genre de fabulation animalière. N'est-ce
pas en effet un moyen supplémentaire pour rendre ces lieux encore plus
inhospitaliers qu'ils ne l'étaient auparavant ? Ainsi
découvre-t-on, dans Les Misérables, des
« scolopendres de quinze pieds de long »18(*).
Nous avons cependant un autre exemple de cette faune
imaginaire dans le roman de Gaston Leroux, la double vie de Théophraste
Longuet. Aux abords du lac souterrain que nous avons évoqué
précédemment, M. Longuet et le commissaire Milfroid rencontrent
des canards. Mais le plus intéressant, si ce n'est déjà de
noter qu'il n'y a évidemment pas de canards dans le sous-sol parisien,
c'est l'acclimatation des canards qui, à en juger par le récit du
commissaire Milfroid sur les canards du lac de Zirknitz, sont eux aussi
« complètement aveugles et presque entièrement nus,
c'est-à-dire sans plumes. »19(*). Ce déterminisme
lié au milieu dans lequel l'animal évolue s'applique
également aux poissons qui peuplent le lac, « des poissons
merveilleux aux écailles incolores, sans yeux, nullement
sauvages. »20(*). L'aspect monstrueux de ces animaux hybrides
s'incère parfaitement dans la lignée des êtres
fantastiques, habitants des profondeurs. Les tares physiques (la laideur chez
Erik, le visage bestial de Médard...) semblent être un code
propre aux souterrains. Ces caractéristiques sont cependant
intéressantes à relever ici, car elles renforcent l'idée
d'autonomie des souterrains de Paris, idée que nous avions
exposée au chapitre sur les villes souterraines de Paris. La faune du
Théophraste Longuet annonce le thème de la cécité
dans les souterrains de Paris, handicap important puisqu'il va se transformer
en avantage pour ceux qui en seront frappés. Mais nous nous pencherons
davantage sur le sujet dans notre deuxième partie. Enfin, le souterrain
de Paris dévoile ici son aspect sauvage, loin de la civilisation.
C'est cet aspect sauvage du souterrain, mis en relief par la
civilisation poussée en surface que va évoquer ce paragraphe.
Paris est au 19ème siècle, la capitale de
l'élégance, de la culture, du raffinement, en bref, la capitale
française éclaire des feux de sa civilisation le restant de
l'Europe, ouvrage que les conquêtes de Napoléon, puis l'empire de
Napoléon III ont tenté d'achever. La description offerte de la
société parisienne en surface respire la grâce, le bon
goût, les bonnes manières, ou tout ce qui élève
l'être humain au rang d'homme civilisé. Aussi, quel contraste dans
la description des êtres quand la plume des romanciers s'enfonce sous le
pavé parisien !
L'homme souterrain y est présenté comme un
animal, comme un être primitif qui n'aurait jamais connu
l'évolution. Pour reprendre la théorie du déterminisme du
lieu que nous avons évoqué à propos des poissons et des
canards de La double vie de Théophraste Longuet, il semble que
les hommes subissent dans la littérature la même influence :
l'homme des souterrain est réduit au stade animal.
Prenons l'exemple de Médard, la créature
nyctalope d'Elie Berthet dans Les Catacombes de Paris. Le jeune
Médard est un « loup
affamé »21(*), « avec la
légèreté d'un chat »22(*) et doué du
« rugissement d'un lion »23(*). Mais surtout, « ses
yeux, fauves et ronds comme ceux d'un oiseau de nuit, paraissaient avoir aussi
la faculté de voir dans les ténèbres, et la faible
clarté de la lampe suffisait pour les offenser d'une manière
sensible. »24(*).
Cette transformation complète de l'homme en animal,
sorte de loup garou qui devient bête sauvage une fois plongé dans
l'obscurité des souterrains, se retrouve dans la description peu
flatteuse que fait Rousselin, le sinistre héros de Salons et
souterrains de Paris, à Grégoire Mâchefer, un
galérien qui a élu domicile dans les catacombes. La description
est sans ambages, mais on y retrouve les caractéristiques des
mammifères, des oiseaux, des ruminants et des fauves :
« tu as un profil horrible ; des yeux enfoncés et
couverts de poils ; un nez qui ressemble à un bec ; une bouche
de bélier sauvage ; un teint de vampire au clair de lune ; un
cou d'autruche déplumée, un regard de tigre à
jeun. ».25(*) On notera ici aussi l'allusion au vampire,
thème qui a fait l'objet d'une analyse précédemment.
Cependant, tous les habitants des sous-sols ne sont pas des
« animaux » à part entière. On remarquera
toutefois que leurs comportements reprennent ceux des bêtes sauvages et
invitent l'auteur à la comparaison. Ainsi en est-il de Rousselin, qui
voit sa physionomie se transformer en celle d'un fauve. Les occurrences sont
nombreuses à ce sujet, notamment quand celui-ci voit la porte d'un
souterrain se refermer sur lui et qu'il se retrouve comme une
« bête fauve tombée dans un piège et se
débattant avec la planche fatale dressée par le
chasseur. »26(*), un sombre dénouement alors même que le
dit Rousselin avait pris ainsi ses précautions :
« De même que le tigre qui change de
caverne avance avec précaution son mufle à l'entrée de son
nouveau domicile et flaire les émanations intérieures, pour
s'assurer s'il n'y a aucun locataire plus redoutable que lui, Rousselin
hésita longtemps sur le seuil de cette porte avant de la
franchir. »27(*).
Ainsi, semble-t-il nécessaire à tout individu de
devenir « animal » dans les souterrains pour assurer sa
propre survie. Sans quoi, celui-ci court un danger. Car une fois entré
dans les catacombes, le parisien laisse son orgueil à l'entrée et
retombe en quelque sorte au stade primitif. Sans feu, sans outil, il devient
vulnérable, presque moins qu'un animal puisqu'il n'a ni son instinct, ni
ses facultés. A un tel dénuement seront confrontés, Jean
Valjean, empêtré dans la fange, Philippe de Lussan, Raoul et le
Persan, Lecerf, enfermé dans les catacombes, ou Théophraste
Longuet qui, « ayant serré de deux crans sa
ceinture »28(*), n'entend que les plaintes de son estomac. La
détresse de l'abbé de Chavigny en est une des preuves ;
détresse qui, puisqu'il est un homme et non un
« animal », a pour conséquence le fait que
« ses idées superstitieuses étaient revenues,
autant du moins qu'il pouvait avoir des idées dans l'affreuse
prostration physique et morale où il était
tombé. »29(*). La religion est son seul salut, celle qui, une fois
l'issue trouvée, lui fera crier : « c'est un miracle,
mon ami, c'est un miracle ! »30(*). De même, Jean Valjean,
poussé aux bouts de ses forces, prêt à sombrer dans les
sables mouvants de la fange des égouts, trouve sous ses pieds
« un point d'appui ». A nouveau, c'est un miracle
qui vient de se réaliser. Et Jean Valjean « tomba sur les
genoux. Il trouva que c'était juste, et y resta quelque temps,
l'âme abîmée dans on ne sait quelle parole à
Dieu. »31(*). Il semble donc que l'élévation de
l'âme soit encore le seul moyen d'échapper à
l'hostilité du milieu naturel. Comme nous le verrons plus loin, le
second moyen sera l'usage de la raison, faculté qui différencie
encore l'homme de la bête.
Nous avons ainsi abordé la faune des souterrains, dans
le sens premier du terme, c'est-à-dire comme « l'ensemble
des animaux que renferme une région » selon le petit
Larousse. Occupons-nous donc maintenant des régions sub-parisiennes et
prenons le terme de faune dans son sens plus argotique, qui désignera
alors plus généralement la population peu fréquentable de
ces souterrains. Les composants de cette faune ont un habitat naturel,
répondant aux particularités de chacun. Les écrivains du
19ème ont pour la plupart adhéré à la
théorie des milieux. « Ils sont persuadés que
l'homme est le produit de son milieu, et que chaque quartier de paris
sécrète des types différents : les vieilles maisons
sordides du quartier des halles par exemple, expliquent chez Balzac la
parcimonie des usuriers ou des artisans qui y vivent. »32(*). Comme les châteaux
abritent les nobles, comme les bourgeois abritent de grands appartements, comme
les mansardes abritent les artistes de Bohême, les souterrains abritent
eux aussi une certaine catégorie : celle des proscrits, des
truands, des bandits, des gueux, des malfrats, des faussaires, en bref, et pour
synthétiser cette liste non exhaustive, tous ceux qui ne peuvent ou ne
veulent se montrer au grand jour, car ils ont quelque chose à cacher.
Jean-Noël Blanc ne voit cependant pas en ces habitants des souterrains que
des « criminels et [des] fous. Ce sont aussi des
misérables. Ecrasés par la ville, rejetés dans les
ténèbres intérieures et inférieures, ils font
leur trou dans le trou où la ville les assigne en résidence.
Ils y trouvent un abri, précaire, certes, mais suffisant.
Condamnés à s'enterrer, ils se terrent, et
survivent. »33(*).
Le conspirateur semble être l'habitant le plus usuel des
souterrains de Paris. Le trio Lecerf-Rousselin-Benoît qui se
réunit dans les catacombes des Salons et souterrains de Paris
échafaude des plans ingénieux pour conquérir la dot de
nobles créatures, pêchant hélas par leur laideur. Ils
impriment d'ailleurs de faux articles du journal des Tribunaux :
« Les trois acteurs de cette scène étrange
pénétrèrent dans un carrefour voisin, où se
trouvait un petit atelier d'imprimerie, pourvu du strict
nécessaire. »34(*).
Cette contrefaçon est à rapprocher de celle des
faussaires des Catacombes de Paris d'Elie Berthet.
Réfugiés dans une cave, ces derniers fondent leur monnaie
à l'abri du regard de la police. C'est dans ce même roman que l'on
retrouvera la présence d'une presse, celle de Philippe de Lussan et de
l'abbé de Chavigny. Ce dernier voit dans le souterrain le lieu
idéal « pour y cacher notre presse, parbleu ! Pour y
établir notre atelier, et pour y installer notre prote, nos ouvriers.
Nous pourrons alors imprimer tous les pamphlets, tous les libelles, toutes les
épigrammes qui nous passeront par la cervelle. »35(*).
La conspiration, encore et toujours est ce qui réunit
les Mohicans de Paris dans les salles obscures éclairées au
flambeau des catacombes de Paris. « Ces hommes paraissaient
réunis pour une affaire de la plus haute importance, car ils se
pressaient autour d'un orateur [...]. Soit que l'orateur eût la voix
faible, soit qu'il parlât doucement avec intention, [...] l'inspecteur de
la sûreté publique [...] n'avait pas encore, au bout de cinq
minutes d'attention, pu entendre un traître mot de ce qui se
disait. »36(*)
Cette tendance des écrivains à enfouir leurs
« conspirateurs » est tout ce qu'il y a de plus naturelle.
Quel meilleur endroit que le sous-sol pour contenir un secret ? Reprenons
le mythe de Midas et de son malencontreux barbier qui, incapable de
conserver son secret qui lui brûle les lèvres, le confie à
la terre. Hélas, la terre a parfois des oreilles, et c'est ce que nous
analyserons dans notre sous-partie consacrée aux sens dans les
souterrains.
Deuxième habitant de prédilection : le
galérien évadé. La littérature du roman populaire
utilise parfois à outrance le personnage du galérien
évadé, en cela que son statut précaire lui impose la
discrétion. Sa cruauté foncière et son immoralité
sont également en accord avec la réputation du souterrain,
représenté comme un sauvage et dangereux. Le meilleur exemple
à citer est le personnage de Robert dans Les Drames des
catacombes qui fait des catacombes son repaire et le lieu propice à
ses débauches. Benoît, galérien évadé du
bagne de Toulon dans Salons et souterrains de Paris, ne se
réfugie pas exactement dans les souterrains. Mais son personnage de
conspirateur et de forçat en fait une créature
prédisposée aux souterrains. Enfin, nous pouvons citer Jean
Valjean, personnage atypique, galérien avant tout mais que l'on ne
pourrait comparer aux autres. Sa présence dans les égouts ne
relève pas précisément de son caractère de
forçat, mais davantage de la fuite rendue nécessaire par
l'arrivée de l'armée sur les barricades de 1832. La figure de la
police et de l'ordre, personnifiée sous les traits de Javert, lui impose
de trouver un refuge pour échapper à cette justice terrestre
impartiale. Il s'en remet donc à la justice souterraine qui va trancher
en lui offrant la vie.
Cependant, d'une manière générale, les
égouts et les catacombes demeurent les refuges idéaux des bandits
de toute sorte. « La truanderie, cette picareria gauloise,
acceptait l'égout comme succursale de la cour des
miracles »37(*), peut-on lire dans les Misérables. C'est dans
les égouts que Jean Valjean rencontre Thénardier. Et les brigands
Babet, Gueulemer, Claquesous et Montparnasse, vont se réfugier dans les
catacombes. « Le jour, fatigués des nuits farouches qu'ils
avaient, ils s'en allaient dormir, tantôt dans les fours à
plâtre, tantôt dans les carrières abandonnées de
Montmartre ou de Montrouge, parfois dans les égouts. Ils se
terraient.»38(*). Mais nous reviendrons plus précisément
sur ces drôles d'oiseaux de nuit lorsqu'il s'agira d'évoquer la
pollution de la surface de Paris par ses souterrains.
La population régulière des souterrains est donc
une population sauvage. Est-ce un hasard de trouver dans les catacombes les
« mohicans de paris », une organisation secrète du
même nom que cette tribu indienne qui, pour l'époque,
n'était qu'une tribu de sauvages aux moeurs barbares ?
Les romanciers populaires ont donc fait des souterrains
parisiens, le haut lieu des basses classes. Ce décalage nourrira une
étude ultérieure sur l'éclat de Paris et la noirceur si
opaque de ses mondes souterrains.
2) Paris et ses souterrains ou le royaume du faux contre
le royaume du vrai
a) Le souterrain parisien : un espace
d'authenticité
Il ne semble pas de meilleure introduction à cette
deuxième partie que ce commentaire de Jean-Noël Blanc à
propos de la dualité de la ville, son dessus, flamboyant, son dessous,
effrayant, et sa mise en relief qui fait de la ville un élément
en trois dimensions. « La ville monte des profondeurs : sous
la surface, un monde caché, creusé. Au-dessus, la ville
policée, les moeurs pleines d'urbanité, les séductions,
les illusions, oui, au-dessous, la ville réelle, la dureté, les
luttes impitoyables, le drame. L'apparente plénitude urbaine recouvre
les vides. Les évidences masquent des évidements. Le jour se
change en nuit dans cette ville verticale qui perd ses certitudes et sa
tranquillité parce que, dans ces failles souterraines, il se
révèle que la ville a quelque chose à
cacher »39(*).
Aussi, nous nous éblouirons dans un premier temps avec
les fastes du Paris des années 1800 pour mieux réhabituer nos
yeux par la suite à l'obscur profondeur des souterrains parisiens :
alors nous découvrirons comme l'ont fait avant nous les personnages des
romans étudiés, la plus simple vérité. Ainsi que le
disait Gaston Bachelard : "c'est en se tenant assez longtemps à
la surface irisée que nous comprendrons le prix de la
profondeur".40(*)
Le théâtre de Paris :
Ce n'est pas pour rien que l'on a surnommé Paris la
ville aux mille lumières. Car le Paris du 19ème
siècle éblouit ses visiteurs. Paris la magnifique, paris
l'ensorceleuse, théâtre de l'illusion où prolifèrent
les théâtres. Les ouvrages qui reprennent cette image du Paris
comme royaume des faux semblants ne se comptent plus. Prenons seulement Balzac
et sa vaste comédie humaine : on n'y voit la vie parisienne que
comme une immense mascarade. Les illusions perdues portent dans leur
titre la mystification de Paris. De même, dans La mascarade de la vie
parisienne, Champfleury nous décrit-t-il une arrivée
d'un train de provinciaux à Paris en ces termes :
« Pleins de confiance, avant d'arriver, les vicieux, les
corrompus et les débauchés, n'en attachaient pas moins sur leurs
figures les masques d'humanité, de religion, de probité, de
morale, qui devaient leur servir pour jouer leur rôle dans la mascarade
de la vie parisienne. »41(*).
L'aristocratie est la première touchée par cette
hypocrisie que lui imposent les rigueurs de l'étiquette. Les salons
deviennent de ce fait le lieu de la fausseté par excellence. Dans
Salons et souterrains de Paris, cette opposition est nettement mise en
valeur. Les trois personnages principaux apparaissent dans les salons de
Célestine Desglajeux sous une fausse identité. Rousselin s'y fait
ainsi appeler Pritchard, et les trois amis feignent de ne point se
connaître. Leurs faits et gestes sont calculés. Rien n'est naturel
ni spontané. Cependant, le roi du paraître est
assurément le roi mystère. Ou faut-il l'appeler le roi des
catacombes, R.C., Teramo-Girgenti, Robert Carel ou Robert Pascal ? Le
nombre de ses identités équivaut au nombre de ses
déguisements. Quant à ses réceptions, elles ont
l'éclat de ses manières. Or, nous le savons, tout est faux :
comble du roman, le lecteur apprend que l'histoire n'est qu'un roman-feuilleton
dans le roman, dont les ficelles étaient tirés par le personnage
du gnome Macallan.
Mais le second Empire nous offre encore un exemple de pierre
et d'acier encore plus flagrant de ce soucis de paraître :
l'Opéra Garnier. Mastodonte dédié aux arts lyriques, sa
magnificence devait initialement refléter la gloire de l'empire.
Dorures, parures, sculptures prolifèrent et dégringolent sur la
façade du bâtiment. Or, c'est ce temple de l'illusion comique que
Gaston Leroux choisira comme décor pour son roman « Le
fantôme de l'Opéra ». Et quelle autre vision plus
complète de cette « mystification » parisienne
l'auteur aurait-il pu nous donner que ce bal masqué ainsi
décrit : « Tout le monde remarqua que MM. Les
directeurs démissionnaires avaient l'air gai, ce qui, à Paris,
fut trouvé de fort bon goût. Celui-là ne sera jamais
Parisien qui n'aura point appris à mettre un masque de joie sur ses
douleurs et le « loup » de la tristesse, de l'ennui ou de
l'indifférence sur son intime allégresse. [...] A Paris, on
est toujours au bal masqué et ce n'est point au foyer de la danse que
des personnages aussi « avertis » que MM. Debienne et
Poligny eussent commis la faute de montrer leur chagrin qui était
réel. »42(*). Le contraste entre les deux entités est ici
le plus flagrant. Car sous cette beauté du lieu, se cache la laideur du
monstre souterrain, Erik, qui porte un masque pour se cacher du regard des
autres.
Car pénétrer dans les souterrains de Paris
revient à franchir la frontière d'un autre monde. Un vers de
Delille à l'entrée des catacombes met en garde le visiteur :
« Arrête, c'est ici l'empire de la Mort. ».
N'entre-t-on pas, dans la mythologie, complètement nu dans le royaume de
la mort pour le jugement dernier ? La littérature reprend cette
idée de dépouillement total de tout artifice à
l'entrée des souterrains, qui, envers du dessus, s'instille en royaume
du vrai. Aussi, n'est-il pas étonnant de voir Rousselin dire à
ses compagnons « Changeons de toilette. » au
sortir des catacombes. Ainsi prend-il « dans une armoire
secrète deux costumes complets, dont la mode ancienne et bourgeoise
contrastait beaucoup avec les habits dont ils se dépouillèrent,
comme deux acteurs qui vont jouer un rôle nouveau. »
43(*).
Plongeons désormais dans les profondeurs de Paris. Mais
pour cette plongée, nul besoin de masque. A l'inverse des personnages
des Salons et souterrains de Paris, ôtons nos
déguisements et ouvrons les yeux. Joseph Méry nous fraye le
passage : « La bonne ville de Paris n'est connue qu'à
sa surface ; si la main de dieu arrachait l'épiderme
hérissé de maisons qui couvre les entrailles du sol dans une
circonférence de vingt lieues, les regards seraient
épouvantés de cette révélation souterraine, de ces
formidables arcanes que n'éclaira jamais le soleil, et qui sont les
hideux trésors ensevelis par les siècles avares, et qu'aucun oeil
ne peut voir, aucune main ne peut enlever. Nous marchons, nous rions, nous
dansons, nous jouons sur un tapis composé d'horribles choses, des choses
que ne désigne aucune langue et qui attendront toujours un
nom. »44(*). Voilà ce que tout lecteur s'apprête
à découvrir en parcourant les lignes de cette littérature
des ombres : la sombre vérité derrière
l'étincelante apparence.
L'abolition des apparences :
Etincelante apparence... Là est tout le problème
et la facilité de la surface, du monde du dessus : la
lumière y brille, les yeux peuvent voir, et on se satisfait souvent de
cette première analyse sans chercher à dépasser ces
simples apparences. Certes, mais qu'advient-il une fois plongé dans les
obscurs souterrains des catacombes ?
Il n'y a que deux personnages qui puissent voir dans
l'obscurité : Médard qui doit cette faculté davantage
à son caractère animal qu'à une quelconque puissance
magique, et Rousselin, dont la ruse le transforme en une sorte de renard, et
qui de ce fait, doit sa faculté lui aussi à son animalité.
La vue n'est d'ailleurs pas le seul sens qui soit développé chez
ces deux êtres. Thérèse, la fiancée de Philippe de
Lussan se rend compte de l'ouïe surdéveloppée de
Médard. « Il m'interrompit en me faisant signe
d'écouter. Je me tus machinalement et je prêtai l'oreille ;
je n'entendis rien. Cependant mon ravisseur, dont les sens étaient sans
doute plus exercés que les miens, éprouvait une inquiétude
évidente. »45(*). Il en est de même pour Rousselin dont
l'ouïe « avait une vertu féline qui ne souffrait pas
qu'on l'accusât d'imposture. »46(*). De même, dans les
catacombes, « Rousselin y voyait clair dans les
ténèbres comme en plein soleil. »47(*)
Grégoire Mâchefer, le comparse de Rousselin, qui
possède les mêmes facultés, va pour sa part substituer ses
yeux à ses oreilles « Nos oreilles sont des yeux, et nous
voyons très clair lorsque nous entendons. »48(*).
Les autres personnages, ceux qui ne possèdent pas les
facultés animales dédiés à Rousselin,
Médard et Grégoire Mâchefer, les êtres de la surface
donc, qui se retrouvent par accident dans les souterrains, ces personnages
donc, vont subir l'obscurité comme un handicap certain.
Serait-il pléonastique d'évoquer
l'obscurité des souterrains ? Toujours est-il que les romanciers ne
cessent d'appuyer cette caractéristique paradoxalement fort visible.
Mais cet effort tend à produire deux effets : en premier lieu, la
référence à l'obscurité renforce les
capacités de l'imaginaire morbide et effrayant. Cet emploi de
l'obscurité serait à rapprocher de notre partie concernant le
phénomène d'étirement propre au souterrain. Mais ce qui
nous intéresse tout particulièrement ici, c'est la
conséquence handicapante de cette obscurité. Elle semble
être une fatalité de ces souterrains. Si une quelconque
lumière jaillit, elle est inexorablement pâle et ne permet jamais
une vision complète de la situation. « L'obscurité
serait complète, si quelques lampes sépulcrales ne jetaient de
loin en loin une lumière terne, blafarde, vacillante sur les
eaux. »49(*). Seul Gaston Leroux fait entorse à la
règle et, pour faire « nouveau
jeu »50(*)
et se moquer des récurrences des romans populaires, dote le commissaire
Milfroid de lampes électriques qui éclairent le souterrain
« d'une lueur féerique »51(*). Autre
dérèglement, il fait de Théophraste Longuet un personnage
sourd par intermittence, après que M. de la Nox lui a
« versé de l'eau chaude dans les
oreilles »52(*).
L'être humain en tant que tel plongé dans les
souterrains va donc devoir faire appel à ses autres sens, et notamment
l'ouïe qui va devenir le moyen de se repérer et
d'appréhender le monde par excellence quand les ressources visuelles
deviennent inexistantes. « Des ténèbres massives
tombèrent comme un voile de plomb sur les yeux des deux hommes, et on
n'entendit plus que le fracas sourd de la ville des vivants, assise sur la
ville des morts. »53(*).
Les sons prennent alors la place prépondérante
dans les souterrains. Ils deviennent moyens de repère, de communication,
événements, facteurs déclencheurs etc.... Comme le dit
Bachelard, l'oreille devient « le sens de la nuit ». Son
pouvoir par rapport à la vue est ainsi décuplé. On
retiendra en conclusion de ce paragraphe le mot de D. H. Lawrence dans
Psycho-analysis : « L'oreille peut entendre plus
profondément que les yeux ne peuvent voir. ».
Le son peut se caractériser par son existence, ou bien,
son contraire, par le silence. Car c'est le silence, le silence de mort, le
silence initial absolu qui est l'état premier des souterrains. Les
occurrences qui font référence à ce silence absolu sont
nombreuses : « l'eau autour de nous ne faisait aucun
bruit. »54(*).
Or, à l'instar de l'obscurité et de la
lumière dans les souterrains, les sons qui viennent se greffer sur le
silence ne sont jamais clairement définis. On ne peut pas bien en cerner
les contours. Ils sont soit incompréhensibles, soit inarticulés,
caractérisés pour la plupart par leur aspect inachevé,
leur côté sauvage, hostile. Ce ne sont jamais des paroles
articulés, humaines. Ces sons sont déshumanisés, animales
presque. Il s'agit de « cris furieux »55(*), de «plainte», d'
« un cri de rage ou de douleur »56(*), de soupirs :
« Même quand il n'est pas là, mes oreilles sont
pleines de ses soupirs... »57(*) se plaint Christine Daaé. Tantôt
anéantis, tantôt multipliés à l'infini, les sons
n'ont pas de repères fixes, à l'instar de l'homme perdu dans le
souterrain. « On se fatigue très vite de chanter dans les
catacombes parce que la voix ne porte pas. » déclare le
commissaire Milfroid58(*).
A l'inverse, ces sons semblent parfois prendre une autonomie nouvelle, en
deviennent presque vivants. « Les hurlements du jeune homme se
prolongeaient d'échos en échos, se brisaient contre des milliers
d'angles aigus, bondissaient sous des voûtes infinies, et ne trouvant pas
d'issue eux-mêmes, reprenaient les carrefours déjà
parcourus, se croisaient, se confondaient, se heurtaient en formant une
lamentation immense, comme si les ossements des catacombes eussent entendu
sonner la trompette de Josaphat. Puis le silence
retombait. »59(*).
On peut s'apercevoir grâce à cet extrait de ce
phénomène d'amplification créé par les souterrains.
L'imagination humaine tend effectivement à amplifier les choses, une
fois plongée dans le noir. L'obscurité les étire
jusqu'à leur donner une dimension nouvelle. L'imagination n'a plus de
limites, puisque les frontières ne sont plus visibles. D'où ce
prolongement du son d'échos en échos dans une course folle, que
l'immensité labyrinthique des catacombes vient sceller. Des
phénomènes infimes prennent une importance considérable,
à la manière de ces objets inanimés et communs (un rideau,
une peluche) qui deviennent dans les cauchemars enfantins, monstres et
fantômes. Ainsi, les sons les plus infimes deviennent des coups de
tonnerre. « En pareille latitude, le moindre bruit qui n'est plus
en harmonie avec tous les petits murmures qu'on écoute depuis longtemps,
arrête le pas, brûle les oreilles, agite la racine des cheveux,
étreint les muscles du cou. »60(*).
Nous avons ainsi développé le thème des
sens, qui, si l'on s'en réfère à nos dictionnaires,
sont au nombre de cinq. Pourtant, le souterrain fait appel à un
sixième sens, celui que nous pourrons appeler le « sens
logique ». Le souterrain tel que nous l'avons présenté
est ainsi le royaume du vrai. Il est surprenant de noter ce
phénomène qui fait coïncider réflexion sur un
thème donner ou un problème à résoudre, et
inspection des souterrains. A croire que les personnages, en parcourant le
labyrinthe des sous-sols, parcouraient en parallèle les méandres
de leur logique. Le plus bel exemple que nous ayons à citer est ce
passage qui fait se dialoguer Théophraste Longuet et le
commissaire Milfroid. A peine tombés dans les catacombes, le
commissaire entreprend de résoudre une énigme sur laquelle
Théophraste Longuet butait sans parvenir à trouver de
réponse. « Cette conversation si naturelle entre deux
hommes au fond des catacombes » va permettre au commissaire de
prendre « le bon bout de [sa] raison » et de faire
la lumière sur ce qu'il appelle « la vérité
éternelle » 61(*). Conclusion paradoxale : c'est dans
l'obscurité que l'on finit par y voir clair. Le souterrain, espace de
vérité, espace de découverte, va donc devenir l'issue
fatale de toute quête.
a) le souterrain comme l'aboutissement de toute
quête :
Tout au long des oeuvres et depuis la mythologie, le
souterrain a toujours été un espace d'exploration. Il est le
terrain inconnu que l'on défriche peu à peu. Et quels
trésors n'y trouve-t-on pas !
Le lieu de la découverte :
Mais les quêtes ne se ressemblent pas. Nous pouvons en
discerner plusieurs. Il y a tout d'abord la recherche de sa propre
personnalité, celle de sa virilité et de son passage au monde des
adultes, quête qui intéressera notre partie sur l'inconscient. La
deuxième quête, est celle de la vérité, donc.
Souvent inconsciente elle aussi, elle pousse le personnage devant les
vérités enfouies par l'oubli et le nombre des années.
Il n'est donc pas surprenant de rencontrer ces
révélations récurrentes au fil de nos lectures. Que va
chercher Robert dans ses catacombes ? La découverte de la
vérité sur l'identité de son fils, alors même qu'il
vient de le tuer. « Le fils assassiné par le
père !... Oh ! Il y a donc une justice
divine !... »62(*). Cette vérité qui s'accompagne d'une
punition, celle de ses crimes, n'est pas la seule à l'ébranler.
La réapparition quasi fantomatique de la mère de son enfant dans
les souterrains fait ressurgir les crimes odieux de son passé qu'il
s'était bien chargé de faire taire. «-C'est elle, te
dis-je. -Mais qui, elle ?
-Thérésa ! » 63(*) lui dit Jacques, son compagnon de débauche.
C'est la lutte contre l'oubli. Robert qui croyait son passé
enterré, voit une main surgir de la motte de terre.
« -Souviens-toi de
Thérésa ! »64(*) lui jette la mère de Georges au visage.
C'est la vérité, celle qui fait mal à
entendre, celle qui éclate au visage qui réapparaît. Et
elle va engendrer la punition.
La vengeance :
Nous l'avons vu, le souterrain est un espace vierge, sauvage,
absolument étranger à toute civilisation. De ce fait, la justice
se fait naturellement, selon un principe fort simpliste, celle de la loi du
Talion. Si tu as tué, tu seras tué etc.... Aussi, la
pitié, le pardon, valeurs toutes chrétiennes sont exclues de ces
sombres labyrinthes. Une lutte sans merci s'engage donc entre les prisonniers
de ces couloirs de la mort...
La vengeance est nourrie et enrichie par l'atmosphère
lugubre de ces souterrains, et elle devient une sorte de monomanie chez les
protagonistes qui en sont hantés. Le héros de Pierre Zaconne,
Robert, qui sait très bien qu'il sera guillotiné déclare
« cependant, vous le voyez, je n'ai pas quitté la
capitale, où mille agents mystérieux me recherchent avec une
activité incessante... et je ne la quitterai pas jusqu'à ce que
je me sois vengé !... »65(*). C'est son fils qu'il cherche
à venger, celui-là même à qui il a planté un
couteau dans le coeur par un autre espoir de vengeance. C'est la loi du Talion,
celle de la jungle, où toute considération humaine est absente.
« La haine qui les animait tous deux était aveugle et
sauvage. »66(*).
Georges, le fils sacrifié, alors même qu'il « apportait
maintenant, dans la lutte, une âpreté
désespérée qui n'avait plus rien
d'humain. » 67(*), se sachant condamné, formule un ultime
désir : « Oh ! Me venger ! ... Me
venger !... murmura Brown, qui râlait
déjà. »68(*).
Ce désir de vengeance est lui aussi la seule raison de
vivre de Médard. Ayant vu son père torturé en place de
grève, « Le fils de Lubin Pernet, fidèle au serment
qu'il avait fait au supplicié, avait accepté le legs d'une
monstrueuse vengeance contre une population
entière. »69(*). Fait étonnant, seul l'amour semblerait faire
oublier ses élans destructeurs au monstre des cavernes.
« Si Thérèse vient avec moi, je pardonne ;
plus de vengeance, plus de colère, plus rien. »70(*). A croire que ce qui fait de
l'homme un animal doué de sensibilité, doué d'âme,
lui donne aussi la faculté du pardon, élément primordial
de la civilisation qui empêche la destruction de la
société. Médard sortirait alors des souterrains de sa
morale. Hélas, Médard est incapable de s'extraire de ses
souterrains réels. De ce fait, toute justice humaine lui est impossible.
Pas étonnant donc, que la jeune et fraîche Thérèse,
croyant être victime d'un viol réclame réparation
auprès de Philippe de Lussan : « vengez-nous l'un et
l'autre, car il nous a séparés pour
toujours ! »71(*).
Dans le milieu souterrain, les rapports humains sont d'une
franchise à toute épreuve. Il est le lieu de la
vérité par excellence. La trahison y est donc vue comme l'un des
crimes les plus odieux. Elle est punie de ce fait par la mort immédiate.
Salomon Hartmann, le malheureux guide de Philippe de Lussan et du petit
abbé de Chavigny prédit les conséquences de son
acte : « Nous y périrons tous, et si nous en
réchappions cette fois, il saurait bien le punir plus tard de
ma trahison. »72(*). Prédictions qui se révèlent
juste puisque quelques pages suivants, Médard déclare à
Philippe de Lussan avec son laconisme habituel : « Hartmann
ne viendra pas... mort. [...] Il m'avait trahi. »73(*). Jugement pour le moins sans
appel.
Eustache Grimm, Sinnamari et le colonel Régine
connaîtront le même sort dans le roi mystère pour avoir
trahi l'innocence de la mère du roi mystère. De la même
façon, l'amitié qui liait Lecerf et Rousselin est tranchée
par la même sorte de couperet. Rousselin nous offre ainsi une longue
tirade qu'il illustre à merveille notre propos : «
Lecerf, [...] Tu es un traître ! et si tu ne m'as pas trahi, tu
me trahiras ! [...]Tu as violé tous les serments de
l'amitié ; tu t'es révolté contre ton
bienfaiteur ; tu as déchiré la main qui t'a retiré de
la boue pour t'endormir sur une mine d'or ! Eh bien ! trois fois
traître, trois fois lâche, trois fois vil, tu ne sortiras pas de ce
souterrain ; tu ajouteras un squelette de plus à cette noire
population de la mort ! [...]Ici, je ne crains rien ; ici, je
savoure les deux plus douces choses de ce monde, la vengeance et
l'impunité.»74(*). Ainsi, se perpétue cette idée d'une
justice parallèle, une justice souterraine, presque animale. Dans la
bouche de Lecerf ressuscité, ou plutôt tiré de ses
souterrains par l'aide impromptue de l'avocat Benoît, cette justice
animale devient une justice d'outre-tombe. Elle prend alors une valeur encore
plus symbolique, devient plutôt une sorte de justice éternelle.
« Tu crois voir devant toi un fantôme de minuit, un spectre
vengeur sorti du tombeau pour t'épouvanter ? Eh bien ! Tu ne
te trompes pas. La justice des hommes ne peut pas te poursuivre, et cette
idée faisait ta sécurité. [...] Voilà ce que tu
n'as pas prévu : le fantôme de
minuit ! »75(*). L'isolement des personnages souterrains est
renforcé par l'incapacité de la police à
pénétrer dans les catacombes. Ou bien, quand elle y parvient, sa
couardise n'accorde aucune place à la capture des malfrats, laissant par
la même le héros de l'histoire se débrouiller seul.
Philippe de Lussan sait à quoi s'attendre : « Cet homme ne
peut éviter longtemps le châtiment que ses crimes ont
mérité. »76(*). Certes, mais il devra la rendre seul, cette justice.
Mais ces remarques nourriront davantage notre deuxième chapitre.
Il n'y a donc pas de demi mesure sous terre, symbole de la
franchise quasi animale qui s'y pratique. L'amour et la haine s'opposent
également, mais ne se mélangent jamais. Cependant, dans cette
lutte entre le bien et le mal, les "monstres" du souterrain ne sont pas
foncièrement mauvais. Disons qu'ils obéissent à leur
logique toute particulière. A plusieurs reprises, leurs actions vont
contrecarrer ce manichéisme qui venait opposer distinctement le bien de
la surface, du mal des souterrains. Nous avons abordé le thème de
la trahison. Mais il s'agit là du côté négatif de
l'amitié, tant soit que le mot amitié ne soit pas encore trop
faible pour caractériser les liens qui unissent les amis dans les
souterrains. « Quel intérêt ai-je à te
trahir ? Tu me dois la vie »77(*) déclare Rousselin
à Grégoire Mâchefer, le forçat réfugié
dans les catacombes. Si la lutte qui oppose les ennemis dans les catacombes est
une lutte à la vie à la mort, l'attachement l'est de même
entre amis. Peut-être peut-on expliquer ceci par cette phrase de
Rousselin : « Je connais les hommes ; la reconnaissance est
pour eux un fardeau plus lourd que cette voûte qui
t'écrase. »78(*). Une fois engloutie dans les profondeurs des
souterrains, peut-être la reconnaissance leur parait-elle plus
légère. Toujours est-il que la pureté des rapports amicaux
est mise en lumière par la franchise des mondes souterrains : rien
ne se cache, tout se sait. Les personnages se retrouvent donc propulsés
dans un milieu hostile, où, poussés dans leurs retranchements,
ils se montrent tels qu'ils sont. Il est étonnant de remarquer que c'est
toujours en situation de crise que les personnalités se
révèlent. « Je ne te quitte pas, Chavigny, dit
Philippe avec résolution ; nous partagerons le même
sort ; si tu meurs, je mourrai... »79(*) Voilà qui est la
preuve du plus beau dévouement, et le symbole de la pureté qui
habite le héros de l'histoire. .
Erik réagit de même vis-à-vis de son
ancien ami le Persan. Il lui sauve ainsi la vie in extremis. Tel est le
récit du Persan : « Tout à coup, deux bras
monstrueux sortirent du sein des eaux et m'agrippèrent le cou,
m'entraînant dans le gouffre avec une force irrésistible.
J'étais certainement perdu si je n'avais eu le temps de jeter un cri
auquel Erik me reconnut. Car c'était lui, et au lieu de me noyer comme
il en avait eu certainement l'intention, il nagea et me déposa doucement
sur la rive. »80(*) Le conte de Chagny, le frère de Raoul,
n'aura lui, pas cette chance, qui sera noyé dans les eaux noires du lac
de l'Opéra. N'est pas ami qui veut avec un fantôme...
II) La représentation de Paris : une image
double.
Paris est une ville. Paris est une capitale. Paris est un
mythe. Et Paris est une personne. Pourquoi cette tendance des écrivains,
à partir du 19ème siècle à personnifier
la ville lumière ? Parce qu'elle rayonne sans doute. Parce qu'elle
séduit comme une femme, surprend comme une personne, parce qu'elle vit,
tout simplement. Or, si Paris a une vie propre, elle possède donc les
moyens nécessaires à sa survie. Les hommes ont un coeur. Paris en
trouve un. Disons, la bourse de Paris. Les hommes ont du sang dans les veines.
Paris en a également : ce sont les milliers de passants qui
circulent dans ses artères. Les hommes ont un estomac, un intestin. Et
Paris ?
1) ecce Paris, ecce homo
a) La personnification de Paris
« L'intestin de
Léviathan » :
Tel est le titre d'un des chapitres des
Misérables de Victor Hugo. A quoi fait-il donc
référence ? Aux égouts, bien évidemment. Car les
égouts sont ici assimilés à des organes. Maxime Du Camp a
consacré un ouvrage entier à la description de la capitale,
ouvrage qu'il a intitulé : Paris, sa vie, ses organes et ses
fonctions. Le titre est révélateur. Qu'est-ce qu'un organe
sinon l'élément vital d'un corps vivant ?
Dans sa préface, Maxime Du Camp écrit :
« Paris étant un grand corps, j'ai essayé d'en
faire l'anatomie. Toute mon ambition est d'apprendre au Parisien comment il vit
et en vertu de quelles lois physiques fonctionnent les organes administratifs
dont il se sert à toute minute sans avoir jamais pensé à
étudier les différents rouages d'un si vaste, d'un si
ingénieux mécanisme. [...] Paris trouve en abondance tout ce qui
concourt au développement de sa vie physique et de sa vie
intellectuelle. Il peut manger, boire, se promener, se baigner, fumer, aller au
spectacle. » Paris et le Parisien ne font donc qu'un :
Paris fait le Parisien et le Parisien est Paris.
Très tôt cependant, la personnification de Paris
va perdre de sa superbe et la capitale va être comparée à
un monstre. Elle va devenir le « colosse endormi »
du prince Schwarzenberg81(*). Et pour cause : le 19ème siècle,
c'est le début de l'ère industrielle, l'ère du
progrès, de la pleine croissance. Les patrons ont besoin de machines qui
ont besoin de bras. L'exode rural explose. Paris attire dans son ventre les
espérances de conquête, de fortune. « Tout ce monde
criait intérieurement : Paris ! Paris ! Tous
criaient : Fortunes, honneurs, argent ! Et le train qui les
renfermait rencontrait d'autres trains immenses chargés de vin,
d'animaux, de légumes, de farines, de denrées de toute
espèce, que l'ogre de Paris, qui a faim d'hommes, de femmes, de jeunes
gens, de jeunes filles et d'enfants, allait avaler d'un
bouchée. »82(*) Voilà sur quelle image s'achève La
mascarade de la vie Parisienne de Champfleury.
Mais il lui faut donc digérer tout ce monde. L'ogre
Paris est donc doté d'un intestin, et pour le trouver, il faut creuser,
sous « le ventre de Paris », pour reprendre la
terminologie de Zola, dans ses souterrains. Victor Hugo reprend cette
idée du monstre qui digère. « Rien
n'égalait l'horreur de cette vieille crypte exutoire, appareil digestif
de Léviathan »83(*) dans lequel les coups de feu deviennent les
« borborygmes de ce boyau titanique »84(*). Tantôt catacombes, ils
digèrent les morts, tantôt égouts, ils digèrent
l'ordure.
L'opéra Garnier :
Si nous appliquons cette attitude anthropomorphique à
l'opéra Garnier qui intéresse tout particulièrement une de
nos oeuvres, nous pourrons relever une particularité, que l'on pourra
discuter certes, mais qui paraît après réflexion, tout
à fait probable. L'Opéra Garnier, dans son architecture et dans
son aura, est un concentré de Paris, et, à la lumière du
chapitre précédent, un concentré de l'être humain.
Expliquons-nous. Nous avons parlé de Paris et de
l'ouvrage de Maxime Du Camp « Paris, sa vie, ses organes et ses
fonctions ». Appliquons cette même théorie à
l'opéra Garnier. Si l'on dissèque le monument,
qu'observons-nous ? Sa façade est son sourire, son paraître,
l'image que tout un chacun renvoie de sa personnalité. Sa scène
est son intimité, livrée aux cercles des heureux élus, des
amis. Ses couloirs sont ses vaisseaux sanguins, sa direction est sa tête
pensante, son centre nerveux, ses salles de danses, son coeur qui bat. Les
salles des machines sont les multiples rouages qui lui permettent la vie, ses
organes vitaux plus simplement. L'Opéra a d'un côté la
tête dans les étoiles, sur son dôme de zinc, dans la salle
de danse sous ses toits. C'est l'élévation de son âme,
c'est le sublime. De l'autre, l'Opéra a les pieds dans l'eau de ses
souterrains. C'est son inconscient, ce qu'il voudrait bien cacher. C'est l'eau
noire de son lac et de ses cauchemars. Ce sont les caves où furent
assassinés les communards. Ce sont les pulsions que l'on voudrait bien
enterrer.
Quoi de plus complet que ce microcosme purement symbolique ?
L'Opéra Garnier a les pieds enracinés dans le plus profond de la
terre quand sa tête va chatouiller les nuages. Inconscient quasi
inaccessible si ce n'est au prix de maints efforts, surmoi difficile à
atteindre, hall d'entrée luxuriant comme un sourire d'accueil et qui
dissimule ces coulisses : l'Opéra a tout d'un être humain.
Naturellement disposé à l'art, ici la danse et la musique dont
les notes s'élèvent jusqu'à sa coupole, il a les pieds
dans les sous-sols ténébreux, plongés dans une eau croupie
qui a servi de refuge à bien des légendes. Ne dit-on pas que les
contes et légendes sont les vestiges de l'inconscient collectif ?
Toujours est-il que voilà bien des contrastes pour un
tel monument. Mais n'est-ce pas le reflet même de l'individu, ni bon, ni
méchant, loin de tout manichéisme ? C'est ce qu'entend
exprimer le traité de Nietzsche intitulé
« Par-delà bien et mal » : l'âme
humaine est complexe et ne peut se réduire à une simple
opposition. Car les degrés de conscience se mélangent et
brouillent les pistes. Or, si les souterrains de l'Opéra Garnier sont la
métaphore de notre inconscient, par extension, les souterrains de Paris
le sont aussi, l'inconscient du Paris-personne. Et pour cause,
« Paris n'est-ce pas le cerveau qui pense, qui
délibère, qui agit ? [...] la province suivra
Paris. ». Mieux encore, les souterrains de Paris sont la
métaphore de l'inconscient de la France entière... et pourquoi
pas, même, du monde entier, puisque Paris concentre
l'humanité ? « Paris est un, pour cette raison qu'il
est le diminutif, le résumé, la réduction complète
et rigoureusement exacte du monde, et que le monde est un. Il n'y a en cet
univers de parfaitement UN que le monde et Paris. »85(*). Si Paul Féval le
dit...
Et Louis-Sébastien Mercier de renchérir :
« Paris est un gouffre où se fond l'espèce
humaine. », car, selon lui, on « peut parvenir
à la connaissance entière du genre humain, en étudiant les
individus qui fourmillent dans cette immense
capitale. »86(*). On trouve de tout à Paris, Paris la
gigantesque, « la ville [qui] écrase les personnages. Elle
les enfonce. Jusqu'à des profondeurs sans nom. Jusqu'au plus profond
d'elle-même, là-bas en bas : au trente-sixième
dessous. Elle y entraîne les plus faibles. Elle les ensevelit. Alors se
révèle toute l'ampleur du piège. Le trou, la fosse. Car
elle n'est pas lisse, cette ville. Elle est creusée. On y descend, on
s'y débat, on peut s'y enterrer
irrémédiablement. »87(*). Voilà donc
l'intérêt profond, et c'est le cas de le dire, d'avoir choisi le
souterrain urbain pour cette étude. Voilà comment, en
partant d'une restriction, nous parvenons à un résultat plus
exhaustif.
b) Le souterrain ou l'inconscient
Mais qu'est-ce que l'inconscient, cette chose qui fait peur,
qui surgit parfois, que l'on essaye d'enfouir, qu'on aimerait que ça
n'existe pas mais qui demeure pourtant, bien réelle ? Cette
idée d'une fracture et d'une multiplicité du moi a
commencé justement à poindre au alentour des années 1860.
Ainsi se questionne, en 1862, Wilkie Colins dans son roman Non
Name : « Existe-il, avec d'infinies variations
pour chaque individu, des forces innées du Bien et du mal en nous tous,
des forces situées en profondeur, hors d'atteinte de l'encouragement des
mortels, et de la censure des mortels - le bien caché et le mal
caché, tous deux pareillement à la merci de l'occasion
libératrice et de la tentation assez forte ? » Et si l'on
reprend la formule de Patrick Wotling, « loin d'être
l'essence de l'homme, la conscience n'est qu'un phénomène de
surface »88(*), le parallèle entre Paris-conscience et
Souterrains-subconscient est tout à fait plausible : l'inconscient,
c'est bien cette « pensée du sous-sol » au
sens propre comme au sens figuré.
Le souterrain est donc la métaphore de notre
inconscient. Mais c'est d'abord le refuge primaire, le ventre de la
mère. C'est l'endroit sécurisé, sécurisant,
coupé du monde extérieur où nulle menace ne semble pouvoir
pénétrer. La symbolique de la terre comme élément
matriciel est une référence fréquente dans la mythologie
ou dans l'inconscient collectif. Gaïa, déesse de la terre,
première déesse de la genèse gréco-romaine,
n'est-elle pas la mère nourricière par excellence, la
« Matrice universelle »89(*) comme le dit Bachelard ?
Le verset d'Isaïe s'adressant aux juifs reflète une fois de plus
cet attachement entre la terre et le concept d'enfantement. « Rappelez
dans votre esprit cette roche dont vous avez été taillés
et cette citerne profonde d'où vous avez été
tirés. » (LI, 1).
Or, qui dit souterrain dit dans la terre, donc, dans le ventre
de cette mère universelle. Il est intéressant à ce sujet
de relever les allusions peu vraisemblables à l'atmosphère de ces
souterrains. Chez Joseph Méry, le sol des catacombes « est
argileux, gluant, humide. »90(*). Chez Elie Berthet, l'entrée des souterrains
est représentée comme « un trou sombre d'où
s'échappait un air tiède, humide,
nauséabond.»91(*) . Curieuse référence quand on sait
que la température des catacombes oscille entre 15 et 18°C.
Ces citations dénotent l'ambivalence des
souterrains : sombres, inconnus, ils font peur. Mais coupé du
monde, ils attirent et offrent l'assurance d'une sécurité quasi
inviolable, comme dans le ventre de la mère. « La
sécurité, pour certaines familles, n'existait qu'à cent
pieds sous la surface du sol ; par exemple, les troubles religieux ont
fait creuser plus de souterrains qu'ils n'ont fait bâtir de
maisons. »92(*) Tel fut le cas des Huguenots pendant la
Saint-Barthélemy. L'exploration du souterrain peut donc en quelque sorte
être considéré comme la recherche du paradis perdu de la
petite enfance. On notera ainsi le besoin quasi primitif des personnages
à s'y construire un « nid », un refuge pour
échapper aux recherches de l'extérieur, alors blottis dans ce
qu'ils projètent comme le giron maternel. Bachelard donne une
explication très claire à ce sujet :
« passé un certain seuil de mystère et
d'effroi, le rêveur entré dans la caverne sent qu'il pourrait
vivre là. Qu'on y séjourne quelques minutes et déjà
l'imagination emménage. Elle voit la place du foyer entre deux gros
rochers, le recoin pour le lit de fougères... »93(*).
Il serait intéressant, à la lumière de
cette citation, d'éclairer les textes de Joseph Méry, Salons
et souterrains de Paris, de Gaston Leroux, Le fantôme de
l'Opéra, et enfin, Les Drames des catacombes de Pierre
Zaconne. En effet, dans chacun de ces ouvrages, on peut remarquer que les
protagonistes installent leur habitation dans les souterrains de Paris
(à la différence par exemple du roi mystère qui, s'il
aménage effectivement une parcelle des catacombes de Paris, ne fait des
anciennes carrières que son lieu de travail, et n'y séjourne pas
quotidiennement.).
Erik, le fantôme de l'Opéra, aménage dans
les sous-sols du théâtre un vaste palais, mais qui renvoie en
contre partie l'image d'un vraie petit nid douillet qui tranche avec le
sinistre aspect du propriétaire : « Ce lit-bateau, ces
chaises d'acajou ciré, cette commode et ces cuivres, le soin avec lequel
ces petits carrés de dentelle au crochet étaient placés
sur le dos des fauteuils, la pendule et de chaque côté de la
cheminée les petits coffrets à l'apparence si inoffensive...
enfin, cette étagère garnie de coquillages, de pelotes rouges
pour les épingles, de bateaux en nacre et d'un énorme oeuf
d'autruche... le tout éclairé discrètement par une lampe
à abat-jour posée sur le guéridon... Tout ce mobilier qui
était d'une laideur ménagère touchante, si paisible, si
raisonnable « au fond des caves de l'Opéra »,
déconcertait l'imagination plus que toutes les fantasmagories
passées. »94(*). De même, Lecerf de Salons et souterrains
de Paris, contraint de se cacher car passant pour mort, parvient à
aménager un espace relativement coquet, soit : « une
chambre, où la lumière des lampes remplaçait
avantageusement le soleil de l'hiver Parisien. L'humidité des murs avait
disparu derrière d'épaisses boiseries. [...] Le sol, très
bien parqueté, et recouvert, en outre, d'un tapis moelleux, n'eût
pas déparé la chambre nuptiale d'une riche
héritière, et le plafond, avec son dôme éclatant
d'étoffes de Perse, dissimulait artistement la voûte d'un
caveau. »95(*). Même constat de la part de Rousselin, entrant
dans une partie des catacombes jadis occupée par des
révolutionnaires : « A en juger par les ornements
des pierres, plus gracieux, plus coquets, plus capricieux, ce devait être
le boudoir de ces demeures souterraines. Une couchette à peu près
convenable, deux fauteuils, un bahut composaient l'ameublement de cette
pièce. Ce bahut était en vieux bois de chêne sculpté
avec un certain goût, mais ne remontait pas au temps que les voûtes
désignaient comme celui de la construction du
souterrain. »96(*). Enfin, Georges, le bandit des Drames des
catacombes, s'est constitué dans une partie des catacombes
« une sorte de salon, meublé avec un grand luxe, et sur
lequel une lampe carcel répandait une douce
lumière. »97(*).
Ainsi, les souterrains offrent à nos personnages un
refuge. Or, quels points communs ces personnages réunissent-ils ?
Il s'agit là tous de proscrits, soit par leur laideur (c'est le cas
d'Erik. Son physique disgracieux en fait un être en dehors de
l'espèce humaine, donc de la société), soit par le vice
(les règles de la société rejettent dans les profondeurs
Lecerf, Rousselin ou Georges tels qu'ils sont derrière leur apparence).
Le souterrain offre donc un lieu où ces proscrits trouvent la
tranquillité nécessaire pour vaquer à leurs occupations
souvent peu recommandables. C'est une cachette, le seul endroit où ils
peuvent encore évoluer. Bachelard précise bien, et son
idée est ici confirmée, que la grotte reste le lieu
« où l'on se résigne à
vivre. »98(*), car elle s'adresse avant tout aux individus en proie
à certains maux qui les empêche de trouver une
sécurité ou un réconfort ailleurs. La grotte n'est pas un
choix, mais une nécessité.
Sortir de la caverne signifie donc une transition, un passage
de la vie végétative, à la « vraie »
vie. Si l'on considère le souterrain comme le ventre maternel, de ce
fait, le passage de l'obscurité au grand jour s'assimile à une
naissance. Mais l'on peut considérer que l'être humain a deux
naissances. La première, naturelle, qui va marquer le passage du liquide
amniotique à l'air extérieur. La deuxième naissance est le
passage à l'âge adulte, qui s'annonce à la puberté
et se révèle à la fin de l'adolescence. Alors seulement
l'individu accède à la « vraie » vie.
Sortir de la caverne équivaut donc à une
naissance. Mais sortir du labyrinthe correspond à la seconde naissance.
C'est ici que nous allons faire la distinction entre ces deux types de
souterrains : la caverne ou la grotte, et le labyrinthe. Nous verrons en
quoi le souterrain Parisien s'assimile davantage au labyrinthe.
Dans le premier cas, il n'y a pas d'action puisqu'il n'y a pas
de déplacement. La grotte aménagée est l'endroit du repos,
c'est l'endroit du repli. Mais la nuance apparaît au moment où les
issues de cette caverne se ferment. Alors, la notion de sécurité
disparaît. Là débute celle du labyrinthe, où le
prisonnier devra chercher lui-même la sortie. Comme le dit Bachelard,
« on veut être protégé, mais on ne veut pas
être enfermé »99(*). Or, la littérature souterraine va beaucoup
exploiter ce thème du souterrain-labyrinthe, puisque l'enjeu de la
séquestration sera une libération, une émancipation du
héros, et donnera lieu à une multitude de
péripéties. « Au lieu des rêveries du repos
prennent place des volontés de creuser, d'aller plus profondément
dans la terre. »100(*).
L'individu doit donc chercher une issue à son
état inconfortable, et ainsi, fuir son état
végétatif. Cette prise de conscience marque le début de la
quête.
Il serait intéressant d'illustrer cette transition
entre la grotte et le labyrinthe par l'exemple de Victor Hugo, exemple d'autant
plus intéressant qu'il met en relation la quête de l'auteur et
celle de son personnage. Freud a soutenu qu'il existait une parenté
entre l'art et les rêves, autrement dit entre la littérature et
l'interprétation que l'on peut faire des rêves. Ainsi,
l'imagination des auteurs est également un moyen pour leur inconscient
de s'exprimer. En cela, le choix du thème d'un livre n'est donc pas
anodin.
L'ouvrage de Charles Baudoin est représentatif de cette
théorie, qui trace un parallèle entre l'évocation dans
Les Misérables du débordement des égouts en 1802
et le fait que 1802 soit l'année de naissance de l'écrivain. Il
insiste ensuite longuement sur l'exploration du cloaque de 1805 à 1812,
années pendant lesquelles Victor Hugo effectue ses propres recherches
sur le mystère des origines. L'exploration des égouts, c'est
l'exploration de la sexualité, la découverte du sexe
opposé. Car entrer dans le souterrain répond à notre
« besoin de pénétrer, d'aller à
l'intérieur des choses, l'intérieur des êtres, c'est une
séduction de l'intuition de la chaleur intime. Où l'oeil ne va
pas, où la main n'entre pas, la chaleur
s'insinue. »101(*).
C'est donc la curiosité qui nous pousse à braver
notre peur de l'inconnu, et à entamer notre exploration. Bachelard
distingue bien cette ambivalence entre les « grottes
d'effroi » et les « grottes
d'émerveillement. » Si cette obscurité rebute,
elle attire inexorablement l'individu. Certains, pour des raisons non
avouables. Ainsi, Joseph Méry rapporte-t-il, à propos du passeur
de ses aqueducs souterrains et imaginaires, qu'« Acharias, comme
tant d'autres, a maintes fois sacrifié au dieu du jour ; l'or fait
descendre dans les canaux souterrains ceux qui n'auraient jamais dû les
voir. »102(*) Car cette curiosité peut avoir de
fâcheuses conséquences pour l'équilibre de la surface. Ou
pour les individus qui n'ont pour unique dessein que leur curiosité. Le
chef machiniste du Fantôme de l'Opéra paiera ainsi de sa
vie. Le persan narre ainsi sa triste fin : « Le chef
machiniste avait dû, comme moi, surprendre certain soir Erik au moment
où il faisait jouer la pierre du troisième dessous. Curieux, il
avait à son tour tenté le passage avant que la pierre ne se
refermât et il était tombé dans la chambre des supplices,
et il n'en était sorti que pendu. »103(*)
Et le piège est fatal, car la curiosité est un
vilain défaut dans les catacombes. Une fois qu'on y a
pénétré, on ne peut plus en sortir. Et à la
sécurité du souterrain se substitue l'enfermement.
« Ce long boyau, droit en blanc, n'avait ni grandeur ni
caractère ; on cherchait un travail de géant et on ne
trouvait qu'un trou de taupe. »104(*) Le souterrain perd son
aspect confortable et devient un univers oppressant. D'autant plus oppressant
que le confinement des lieux est renforcé par le gigantisme et l'infini
de ce qui se cache derrière la pierre visible : « Le
rêveur de la cave sait que les murs de la cave sont des murs
enterrés, des murs à une seule paroi, des murs qui ont toute la
terre derrière eux. Et le drame s'en accroît, et la peur
s'exagère. »105(*). Les souffrances de la séquestration se
transforment en claustrophobie.
Ces pareils inconvénients sont ressentis par le brave
Théophraste Longuet et le commissaire Milfroid, séquestrés
par le peuple Talpa. Ce dernier nous fait part de ses inquiétudes en ces
termes : « Je songeai sérieusement à les
quitter et je me proposais d'exécuter mon dessein, quand j'appris par
damoiselle de Coucy [...] que les places publiques avaient
décidé de ne nous laisser partir que lorsque les vingt mille
Talpa nous auraient passé les doigts sur le visage, pour que le
peuple talpa fût dégoûté à jamais de tenter de
retourner sur le dessus de la terre dont il est parlé dans les livres
sacrés. »106(*). Thérèse chez Elie Berthet, Marthe
chez Pierre Zaconne, le commissaire Jackal chez Alexandre Dumas ; subiront
de pareils séquestrations. Mais cet enfermement va enclencher un
processus nouveau.
Car voilà tout l'intérêt du labyrinthe
souterrain : c'est dans ses méandres que l'individu va
débuter sa quête, et ayant trouvé l'issue, il
accédera à un nouveau savoir, à une nouvelle richesse qui
marquera son passage à une vie nouvelle. Comme le dit Bachelard,
« L'imagination ne travaille pas dans la terre comme à la
surface de la terre. Sous terre, tout chemin est tortueux. C'est une loi de
toutes les métaphores du cheminement
souterrain. »107(*). Les cheminements dans les souterrains s'assimilent
à ceux de notre inconscient.
Et pour cause, primitivement, la terre est la matière
du mystère, celle que l'on creuse pour en extirper les trésors.
N'est-ce pas Reynaut, le malheureux torturé des Drames des
catacombes qui y enfouie son trésor : « au pied
de l'escalier, à gauche ; tu gratteras la terre, tu verras une
trappe, et c'est là ! »108(*). De même, Lecerf, qui
« avait gagné vingt-huit mille francs la première
nuit de ses noces », est « impatient d'ensevelir
tout cet or dans la cave la plus discrète du
château »109(*).
Victor Hugo aurait ainsi, selon une théorie de Charles
Baudoin, un « complexe » anal qui lui ferait associer les
excréments à de l'or : « Si notre or est
fumier, en revanche, notre fumier est or. »110(*).Victor Hugo intègre
ainsi dans Les Misérables un long développement sur la
possibilité de recycler la boue des égouts comme engrais,
idée qu'expose également Maxime Du Camp. L'idée qu'il faut
en retenir est que la terre recèle des richesses, et que le souterrain,
à l'instar de la mine, permet cette extraction. Par extension, il faut
donc en déduire que notre inconscient qui est représenté
par le souterrain est lui aussi source de richesses.
Voilà qui peut intéresser les héros de
nos histoires, qui tous, sont confrontés aux difficultés du
souterrain labyrinthique. Car si un séjour sous la capitale n'est pas
une partie de plaisir, c'est qu'en contrepartie, justement, il y a un enjeu, un
enrichissement à la clef. L'enrichissement ici n'est plus
matériel, mais personnel. Alexandre Dumas utilise la métaphore du
souterrain pour illustrer l'état psychique des personnages.
« Vous savez ce qui arrive au voyageur perdu dans les catacombes,
au voyageur qui, écrasé de fatigue, assis sur une pierre creuse,
sur un ancien tombeau, le front couvert de sueur, regarde et écoute avec
angoisse s'il ne verra pas une lumière, s'il n'entendra pas un bruit :
il entrevoit une lueur, il perçoit un son, il se lève :
"peut-être!" dit-il. Il en était ainsi de Pétrus : il
venait de voir briller une lueur dans le souterrain
sombre. »111(*)
Prenons le cas de Philippe de Lussan, qui est sans doute le
plus représentatif de ce parcours initiatique. Amoureux de
Thérèse, Philippe voit sa promise enlevée par un monstre
souterrain, le dénommé Médard. Confronté à
ce faux dilemme qui est d'allé chercher sa promise ou non, Philippe
s'engouffre dans les souterrains qui se révèlent être
bientôt semés d'embûches. Car la quête n'est pas
évidente : on ne parvient pas ainsi à cette
« virilité » qui transforme le petit garçon
en un homme. « Le but suprême ne s'atteint que par l'effort
humain, une volonté tenace. »112(*). Ce n'est qu'après
ces souffrances nécessaires que « l'homme alors
conscient, en sortira transfiguré ; il sera un autre être, un
initié. »113(*).
Devant ces souterrains, le constat est
irrémédiable : « même aspect, même
multiplicité de routes qui se croisaient sans
cesse. »114(*). « Les obstacles et les
difficultés se multiplient d'une façon vraiment
décourageante. »115(*). Or, cette épreuve, il ne peut qu'être
seul à l'affronter. Philippe en a bien conscience, qui déclare au
petit abbé : « Si maintenant tu voulais revenir en
arrière, je serais capable d'aller seul. C'est un défi que je me
suis jeté à moi-même ! »116(*). Certes, l'abbé de
Chavigny continue à l'escorter. Mais qui est-il, sinon la part enfantine
de Philippe de Lussan ? La littérature a souvent flanqué ses
héros principaux d'un personnage secondaire, souvent léger, une
sorte de fou du roi. Ces deux personnages sont pour autant inséparables,
et pour cause : ils sont la même personne, dont les deux
personnalités se retrouvent séparées pour une meilleure
lisibilité. Une fois réunifié, le héros de
l'histoire devient, à la fin de son périple, un héros
à part entière. Sa part enfantine, ayant bravé elle aussi
les dangers, accède au monde des adultes. Comme le dit Jean-Pierre
Bayard, « en descendant aux enfers, dans le feu qui ne
brûle que les méchants, l'homme prouve sa vraie nature ;
purifié il sort grandi de cette
épreuve »117(*).
Mais l'aboutissement de l'initiation intervient sans doute au
moment où Philippe de Lussan tue Médard. La remarque qui
échappe à Philippe jette une lumière nouvelle sur les
liens qui le rapprochait du sauvage. « C'était un monstre
de férocité ! murmura-t-il ; pourtant il n'y avait
peut-être qu'un homme au monde qui aurait dû épargner sa
vie ! et cet homme c'était moi... »118(*). Philippe lui devait la vie,
Médard l'ayant sauvé une multitude de fois. Doit-on y voir une
figure du père, qui expliquerait en quoi Philippe était le seul
« au monde qui aurait dû épargner sa
vie » ? Ou bien l'étouffement des caprices enfantins
incarnés par le personnage de Médard ? Toujours est-il que
par cet acte, son mariage avec la jeune Thérèse devient possible.
Philippe entre dans la nouvelle vie. Seulement alors, l'épilogue nous
raconte que « dès le lendemain de ce jour, une
armée d'ouvriers et d'ingénieurs habiles s'emparait de ces
carrières redoutables, qui ne devaient plus avoir de mystère
désormais et allaient devenir les
Catacombes. »119(*). Les souterrains défrichés, il n'y a
plus de secrets, de peurs puisque la lumière est apparue.
Ce thème du jeune homme qui descend dans les
souterrains y chercher sa promise est un thème récurrent de nos
littératures. Dans Les Drames des catacombes, Henri va
affronter les labyrinthes avec une étonnante facilité qui fait
s'interroger Georges « par quel instinct avait-il pu se
guider au milieu des complications de cet inextricable
réseau ? »120(*) L'instinct, ou plutôt, le désir de
retrouver Marthe, évidemment.
Raoul de Chagny va lui aussi tout faire pour affronter les
souterrains et le monstre de l'Opéra Garnier qui les peuple, afin de
retrouver la belle Christine Daaé. « Il lui semblait entendre
les cris de la jeune fille à travers ces planches fragiles qui le
séparaient d'elle ! Il se penchait, il écoutait !... Il
errait sur le plateau comme un insensé. Ah ! Descendre !
descendre ! descendre ! dans ce puits de ténèbres dont
toutes 121(*)les issues
lui sont fermées ! » Le souterrain est ce lieu
du retour à l'état zéro. On se met à nu devant ses
peurs, ses doutes, et on part en exploration afin d'acquérir ce qui nous
faisait tant défaut. On dit bien qu'il faut toucher le fond pour pouvoir
rebondir...
Pour Jean Valjean, la quête est quelque peu
différente. Il s'agit davantage d'une quête religieuse. Il y a,
dans le parcours de Jean Valjean, une volonté d'échapper à
la boue du cloaque. On aura noté là-dessus la récurrence
des références négatives et de l'assimilation du
souterrain à la saleté tout au long des oeuvres
étudiées. Mais nous y reviendrons ultérieurement.
Il serait intéressant, pour clore ce passage sur la
quête, de noter la configuration des escaliers qui donnent accès
à ces souterrains. « On descendait en tournoyant dans un
abîme. »122(*). L'escalier est tantôt « un
escalier à spirale dont les marches étaient presque
détruites par l'infiltration des eaux. »123(*), tantôt un
« escalier noir et tortueux [qui] semblait descendre dans un
abîme. »124(*), tantôt « un escalier tournant
et roide.» 125(*).
La spirale est une figure symbolique, qui signifiera dans un
premier temps un mouvement de pénétration. La spirale creuse le
roc, creuse la terre. L'escalier en spirale creuse le sol jusqu'aux catacombes,
et, tel une foreuse de mineur, sert d'outils aux héros de nos histoires.
La spirale, c'est aussi le cercle infini, la « gidouille »
du père Ubu qui matérialise sa soif de pouvoir, de jouissance
exacerbée. Le père Ubu est en quelque sorte un personnage du
souterrain, qui réagit aux exigences de son ça. La spirale de
l'escalier reprend ainsi cette image, et confère l'idée d'une
profondeur titanesque, presque infinie si l'on peut s'exprimer ainsi.
Effectivement, le ça n'a pas de frontières matérielles, et
le meilleur moyen de l'atteindre est sans doute encore de se laisser
littéralement entraîner dans des gouffres sans fond.
Ainsi, comme le dit Bachelard, le souterrain est l'occasion
d'une émancipation de soi. Le souterrain lui apparaît comme
« le berceau des premières industries. [...] Il faut
savoir rentrer dans l'ombre pour avoir la force de faire notre
oeuvre. »126(*). De la force, et du courage. Car écrire sur
le souterrain, c'est un risque pris par l'auteur d'enliser son récit
dans des digressions fétides. « La vie réelle dans
les labyrinthes des mines est souvent décrite comme une vie sale. Elle
s'expose comme le courage d'être sale. »127(*). Se donner le droit
d'être sale, c'est donc affronter les interdits sociaux, faire une
révolution en soi. N'est-ce pas ici aussi, une
émancipation ? Si l'on confronte la littérature à la
philosophie, on observe la même démarche du côté de
chez Nietzsche qui reprochait « à la psychologie
traditionnelle de ne pas s'être hasardée dans les
profondeurs »128(*). A sa manière, il est aussi un courageux
explorateur. « Jamais un monde de connaissances plus
profondes ne s'est ouvert à la hardiesse des navigateurs et des
aventuriers. » déclare-t-il dans Par-delà le
bien et le mal.
Car le souterrain va être la représentation
physique de notre inconscient. Or, l'inconscient est le refuge du ça,
cet ensemble de pulsions d'ordre sexuel, agressives, instinctives,
refoulées. Le souterrain, par extension, va devenir le lieu de
l'immonde, de l'enfouissement, qui dégénère et corrompt.
« Le thème du souterrain convoque les peurs liées
à l'étouffement, à l'écrasement, tout autant que
celles qui se rattachent aux pires dangers inconnus. Le souterrain
rassemble toutes les terreurs. On y manque de lumière, et d'air. On s'y
débat dans une atmosphère lourde, viciée, malsaine. On s'y
sent écrasé, on y est perdu. Pas d'issue, pas de
débouchés, pas de fin. Cet espace clos tient du cloître et
de la tombe. Les désirs s'y enterrent et l'angoisse y règne.
C'est un monde de cauchemars. »129(*). Les
références à l'insalubrité des souterrains sont
récurrentes, qui vont donner l'impression de puanteur.
« L'air devenait lourd et chaud ; la flamme des bougies
pâlissait dans cette atmosphère chargée de gaz
méphitiques et il s'en exhalait une fumée fétide qui
restait suspendue, sans se déformer, au ciel de la
galerie. »130(*), ces galeries, ou ces « longs couloirs,
où l'air manquait aux poumons.»131(*).
Quant à Jean Valjean, il va sans dire que son passage
dans le souterrain est marqué par le même sceau.
« Une bouffée de fétidité l'avertit du lieu
où il était. »132(*). Evidemment il vient de tomber dans les
égouts, dont la représentation va inspirer tous les souterrains.
Mais qu'est-ce qui inspire les égouts ? Le ça, tout
simplement.
Il n'est donc pas étonnant de rencontrer dans les
souterrains de notre littérature toute une série de personnages
peu recommandables. Nous avons étudié dans notre chapitre
précédent cette galerie de portraits :
sociétés secrètes, voleurs, contrebandiers,
galériens y formaient la plupart des figures. Pas étonnant pour
autant que leurs activités se déroulent dans les profondeurs de
la terre, à l'abri des regards, à l'abri de l'oeil des
Lumières, celui que l'on voit représenté en tête de
la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ici encore, on
retrouve cette séparation entre ombre et lumière, mais au sens
figuré. Dans les souterrains, nul ne répond aux exigences de sa
raison, de son surmoi, en quelque sorte. Mais la faune souterraine
écoute les désirs du ça, les pulsions agressives qui
gravitent autour du plaisir égoïste de chacun. Le souterrain,
« c'est là que dans des refuges secrets
impénétrables à l'oeil de curieux, on ourdit des
intrigues, on tend des pièges, on ébauche des vices, on
prépare des forfaits ; c'est là que l'hypocrisie se venge
des contraintes du jour, par un abandon déplorable à des
voluptés criminelles ; que des pères vont oublier les
leçons de sagesse qu'ils donnent à leurs fils, que des seigneurs
se dégradent dans le sein de la débauche ; qu'on avise aux
moyens d'escroquer un marchand, de subtiliser un créancier, de faire son
patrimoine de l'existence d'autrui, ; qu'on fabrique de fausses lettres de
change, qu'on médite des divorces, qu'on prépare enfin des morts
tragiques »133(*).
Il est donc normal que la police, symbole de
l'autorité, le surmoi donc, aux antipodes du ça, n'ait pas
accès aux souterrains. Rousselin avoue ainsi à son compagnon de
catacombes : « Je ne veux pas être pris une belle nuit
dans mon lit par quelque fantôme policier qui fera un trou dans ce
mur. A Paris, la police sait tout ; elle connaît tous les
souterrains ; elle sait que ce sont des lieux d'asile pour les proscrits
de la justice. [...] c'est une erreur, interrompit Grégoire avec
timidité, vous faites trop d'honneur à la sagacité de la
police. »134(*). Comme nous l'avons vu précédemment,
la loi des souterrains est une loi instinctive, centrée sur
l'intérêt de chacun. Rousselin a conscience de cette
prédominance du ça sur le surmoi dans les souterrains, qui livre
l'individu aux angoisses de ses propres pulsions finalement.
« J'admets que la police ne se mêle pas du dessous, et
qu'elle surveille même très mal le dessus ; mais ces
certaines gens dont tu parles, ces certaines gens qui font profit de cette
surveillance incomplète, sont plus à craindre pour moi que la
police. Ces souterrains, où tu m'as fait réfugier, ont des
habitants. »135(*). Qui sont ces habitants, si ce n'est nos propres
fantômes, cette autre personnalité que nous tentons d'enfouir, et
qui fait de nous des docteur Jekyll et mister Hyde en puissance ? Comme le
dit Bachelard, « Nous sommes des êtres profonds.
Nous nous cachons sous des surfaces, sous des apparences, sous des masques,
mais nous ne sommes pas seulement cachés aux autres, nous sommes
cachés à nous-mêmes. Et la profondeur est en nous, dans le
style de Jean Wahl, une trans-descendance. »136(*).
Cette séparation entre le souterrain et la surface,
entre le ça et le surmoi se retrouve fidèlement dans Les
Misérables. « Les Misérables est une
géographie des instincts, une distribution topographique de
l'âme-multiplicité de Paris. » Et pour cause, nous
avons dépeints les différents passages d'une strate à
l'autre de l'âme humaine. Jean Valjean est ainsi
« l'expression même de la hiérarchisation des
pulsions. »137(*). Ayant volé, il parvient à
l'élévation de l'âme la plus suprême. Puis,
« père, la petite Cosette à la main, il erre dans
les « labyrinthes » de Paris et de
l'histoire. ». Depuis la boue des égouts dans laquelle il
s'enlise, il parvient à s'élever jusqu'au sublime. Victor Hugo le
dit lui-même : « Le livre que le lecteur a sous les
yeux en ce moment, c'est [...] la marche du mal au bien, de l'injuste au juste,
du faux au vrai, de la nuit au jour, de l'appétit à la
conscience, de la pourriture à la vie, de la bestialité au
devoir, de l'enfer au ciel, du néant à Dieu. Point de
départ : la matière; point d'arrivée :
l'âme. »138(*). Comme l'explique bien Jean-Pierre Bayard,
« pour que l'âme gagne la béatitude
éternelle, pour pouvoir dépasser sa propre nature, il faut
retourner aux origines, il faut descendre dans les entrailles terrestres. [...]
il faut descendre lucidement dans le puits à degrés, retrouver
ses états successifs». Jean Valjean se retrouve ainsi quasi
noyé dans la fange. Il n'a que le visage hors de l'eau et ses forces
sont à bout. Mais, grâce à son dévouement mis en
exergue par son état critique, que Jean-Pierre Bayard nomme la
« mort initiatique », Jean-Valjean va pouvoir toucher le
sublime. Alors, « l'élu y puise la force ascensionnelle
qui lui permet de gagner le ciel. »139(*). Malgré
l'obscurité du souterrain, il en ressort avec
« l'âme pleine d'une étrange
clarté. »140(*)
2) Paris ombre et Paris lumière
Paris a deux dimensions : une matérielle, et une
immatérielle. D'un côté, nous connaissons le Paris
physique, ses vieilles pierres, ses monuments, sa géographie, ses
organes, en bref, tous ces éléments qui font de Paris, une ville
vivante, et qui plus est la capitale. Mais il y a également le Paris
immatériel, en quelque sorte, spirituel. C'est à ce Paris
là que nous devons son rayonnement sur les autres villes, et même
à l'étranger.
S'opposent ainsi en quelque sorte ce Paris fait de pierres, de
boue, d'hommes, ce Paris qui ne cesse de se transformer au gré du temps,
de la vie, à ce Paris immuable, impalpable, fait d'esprit,
d'émotions qui fait dire aux amoureux de la capitale :
« Paris sera toujours Paris ». Paris mortel et
Paris immortel. Ville lumière, mais également la ville des
ténèbres.
Comme dans Les Misérables, comme chez
l'être humain, Paris connaît la même dualité. Le
souterrain de Paris existe par son inverse, et toute la représentation
de son univers est intimement liée avec les événements de
la surface. L'inversion semble alors systématique. Si Paris est blanc,
le souterrain sera noir. Si Paris est fleuri, ses souterrains seront
fanés : une inversion qui respectera cependant toujours le
même ordre. Le négatif en bas, le positif en haut. Ainsi,
l'opposition la plus frappante quand on parle des catacombes, c'est
évidemment la mort souterraine à la vie en surface.
a) la division physique de Paris
La mort et la vie :
Etrange ville que Paris, qui, jusqu'à la fin du
18ème siècle, accueillait encore en son sein les
cimetières nauséabonds qui ont fait une triste renommée au
climat de la capitale. Paris a donc toujours côtoyé le pays des
morts. Une fois les ossements déménagés, ce n'est pas
à l'extérieur de Paris qu'ils ont été
déposés, mais dans les catacombes, dans ses propres souterrains.
Les personnages croisent à de nombreuses reprises les ossements au cours
de leurs pérégrinations. « Tout autour de cette
salle, un parement régulier fait d'ossements humains, sur lequel se
dessinent trois cordons horizontaux de crânes avec leurs dents
déchaussées et les trous béants de leurs
yeux.»141(*).
Chez Elie Berthet, les trois héros se retrouvent dans les catacombes
où un paysage similaire les attend. « A droite et à
gauche s'alignaient, dans un bel ordre symétrique, des assises
d'ossements humains dont la teinte noirâtre annonçait la
vétusté. Cette lugubre décoration se laissait voir
encore à l'extrême lueur de la lampe, par des carrefours
infernaux, sous des voûtes de galeries, qui paraissaient devoir prolonger
à l'infini le double soubassement de la mort. »142(*).
Le thème de la mort ne se limite pas cependant aux
seules catacombes. Le souterrain par définition est le lieu de
l'enfouissement. Et on enterre bien les morts. De ce fait, les habitants des
sous-sols sont assimilés à des morts vivants. Nous avons
étudié la galerie de portraits surnaturels au 1er
chapitre et nous n'y reviendrons pas. Nous évoquerons seulement
l'aménagement de la chambre d'Erik vu par l'oeil de Christine
Daaé. « Il me sembla que je pénétrais dans
une chambre mortuaire. Les murs en étaient tout tendus de noir, mais
à la place des larmes blanches qui complètent à
l'ordinaire ce funèbre ornement, on voyait sur une énorme
portée de musique, les notes répétées du Dies irae.
Au milieu de cette chambre, il y avait un dais où pendaient des rideaux
de brocatelle rouge et, sous ce dais, un cercueil
ouvert. »143(*). Curieux aménagement mais qui correspond
à l'image que l'on se donnerait d'un caveau. Le champ sémantique
des funérailles recoupe effectivement celui des souterrains, ces deux
entités partageant certains points communs : chez Alexandre Dumas,
quand les carbonari mènent le commissaire Jackal à travers les
catacombes, « le silence absolu de ses conducteurs faisaient de
cette marche une marche funèbre »144(*).
Si la caverne est la première demeure, elle est aussi
la dernière. Résider dans la caverne, c'est donc
végéter. « Sortir de la caverne, c'est
naître, c'est se réveiller au grand
jour. »145(*). Bachelard assimile ainsi le séjour dans la
caverne à un état de sommeil ou de « mort
vivante. ». La grotte devient un monde construit « dans
la plus foncière des ambivalences, l'ambivalence de la vie et de la
mort. »146(*). Car la caverne possède effectivement une
triple fonction, qui suit l'homme d'un bout à l'autre de sa vie :
« L'homme se régénère dans le ventre de la
terre. Il naît dans la caverne et y accomplit son dernier
sommeil. »147(*)
De ce fait, comme l'indique le titre de l'ouvrage de
Bachelard, la terre devient le lieu de l'engourdissement, d'une demi-mort pour
les vivants. « Le héros enseveli vit dans les entrailles
de la Terre, d'une vie lente, ensommeillée, mais
éternelle. »148(*).
Le labyrinthe étant également celui de
l'inconscient, va devenir le lieu du rêve. Or, il n'y a pas de
rêves labyrinthiques rapides, tout empêtrés de
méandres, de trappes, de recoins. De même, le cauchemar se fige
jusqu'à donner au rêveur le temps des pierres. Selon Bachelard,
« le labyrinthe de pierres pétrifie le labyrinthe. Le
labyrinthe intègre non seulement l'esprit du rêveur, mais lui fait
également porter sa matière. »149(*). Ainsi, il est dit
qu'« à la cave remuent des êtres plus lents, moins
trottinant, plus mystérieux. »150(*).
Comme plongé dans une sorte d'hibernation, l'être
est ainsi protégé du dehors, du monde du travail dont il ne
perçoit que les échos.
Paris n'a que faire de ses morts. Comme le dit Maxime Du Camp
dans son Tableau de Paris, « les Parisiens, en
grande partie, ignorent tous des MYSTÈRES NOCTURNES qui se passent dans
le sein de leur ville ; ils ne sont occupés que du tableau riant de
leur vie, sans chercher à lever les crêpes sanglants qui leur
dérobent l'empire actif de la mort. ». Car Paris est une
femme futile, une femme de théâtre, une femme du monde, à
l'instar d'Augusta, la maîtresse de Lecerf, comédienne de
métier, qui refuse de s'« enterrer vive comme une
Vestale... ». En effet, il lui
faut : « le boulevard, la foule, le bruit,
l'enivrement, les chevaux, le théâtre, le restaurant, la table, le
bas, les visites, les amoureux, les artistes, les coulisses, le soleil, les
bougies, les parfums, tout ce qui nous emporte dans le tourbillon d'or et de
soie, et nous fait vivre dans l'extase, et nous étourdit sur la
pensée de la mort ! »151(*). La vie au dessus, la mort
en dessous, voilà qui est dit. Comme on a pu le voir, la
représentation de Paris dans la littérature donnerait presque le
vertige. Maxime Du Camp écrit ainsi sur Paris : « Je n'ai
vu aucune ville produire une impression aussi énorme que Paris et donner
aussi nettement l'idée d'un peuple infatigable, nerveux, vivant avec une
égale activité sous la lumière du soleil, sous la
clarté du gaz, haletant pour ses plaisirs, pour ses affaires, et
doué du mouvement perpétuel. » 152(*) L'organisation de la
fourmilière semble d'ailleurs réglée à la minute.
« Du sommet à la base, la ruche bourdonne; la foule monte
et descend les escaliers; des agents de police veillent à la
circulation. De 10h du matin à 4h du soir, l'hôtel de ville a la
fièvre : c'est le symbole et la représentation de
Paris. »153(*). Là où Maxime Du Camp ne voit qu'une
gigantesque organisation réglée minutieusement,
Louis-Sébastien Mercier n'y voit qu'un « amas bizarres de
coutumes folles ou raisonnables, mais toujours changeantes», une
« grandeur illimitée », des « richesses
monstrueuses », et un « luxe
scandaleux »154(*).
Par effet d'inversion, c'est l'effervescence de Paris qui
façonne celle de ses habitants et non l'inverse. Car c'est le milieu qui
façonne les personnages. Paris, en cela, est à même de
créer un type d'homme bien particulier, dynamique, actif, à
l'image de ses rues. Nous avons déjà vu que Balzac opposait la
suractivité de Paris à la torpeur provinciale dans son roman
Béatrix. Ici aussi, l'usage de Paris comme
référent a tout lieu d'être. L'engourdissement des
souterrains n'est-il pas mis en valeur par la suractivité du
dessus ? Tel est l'intérêt d'avoir situé les
souterrains de la littérature sous la ville de Paris. Sur les boulevards
Parisiens, nous sommes loin de la description de Rousselin cherchant
« le mur à tâtons »155(*), ou de Jean Valjean, qui
avance « un bras, puis l'autre », puis
« un pied avec précaution ».156(*)
Cette dualité semble ainsi nécessaire
dirons-nous à la « brillance » de Paris : autant le
sous-sol est synonyme pour tous d'immonde, de chaos, où il n'y a ni
décence, ni hygiène, ni confort, ni morale. En bref, pour
reprendre une terminologie adoptée par Dostoïevski après son
roman "Le Sous sol", le souterrain est un non-monde voué
à la saleté et à l'inavouable. On retrouve dans ce terme
de non-monde, le titre de l'ouvrage de José Augusto Correa, Paris
lumière-Paris Ténèbres (oui et non). Il existe donc,
à l'antithèse de ce Paris-non, un Paris-oui. Or, cette partie
sombre de Paris est le nécessaire révélateur du Paris qui
a besoin de cette obscurité pour briller davantage. Paris a donc deux
facettes. Mais Paris n'est qu'un : « impossible donc
d'imaginer que la ville du dessous puisse être différente de celle
du dessus. Il s'agit du même univers. La ville à l'envers est donc
en fait une ville inversée : les dessous de la ville montrent
« le reflet pervers de (l')univers » de la ville
du dessus. La seule différence entre les deux niveaux de la
réalité urbaine tient alors à ceci que la ville de la
surface - précisément parce qu'elle est superficielle - est
soumise aux apparences, tandis que la ville du dessous -
précisément parce qu'elle est secrète et obscure -
échappe aux illusions du paraître. »157(*). En cela, les deux univers
sont inséparables.
La puissance d'un côté, les vides de l'autre.
Chose étrange pourrons-nous penser, que Paris fasse reposer sa
magnificence sur ce néant que sont ses souterrains. « Que
de matière à réflexions, en considérant cette
grande ville formée, soutenue par des moyens absolument contraires
Ces tours, ces clochers, ces voûtes des temples, autant de signes
qui disent à l'oeil : ce que nous voyons en l'air manque sous
nos pieds. »158(*)
Cela n'empêche pas pour autant Paris la magnifique de
feindre d'ignorer l'existence de ses souterrains. Mais on ne peut ainsi
perpétuellement nier l'évidence. La démesure de Paris,
Balzac la dépeint très exactement dans Les Illusions
perdues : « A Paris, les masses s'emparent tout d'abord de
l'attention : le luxe des boutiques, la hauteur des maisons, l'affluence des
voitures, les constantes oppositions que présentent un extrême
luxe et une extrême misère saisissent avant tout. »
159(*)
Misère ? C'est effectivement au
19ème siècle qu'une conscience sociale va commencer
à émerger. Et pour cause, les classes se creusent, créant
un outrageux décalage. Le luxe avoisine la misère, le labeur
côtoie l'oisiveté, le monde de la domesticité et de la
prostitution sert, en quelque sorte, de transition. Dans ses lettres à
Frédéric II, Voltaire résume l'opinion contemporaine :
« Paris est comme la statue de Nabuchodonosor en partie or, en
partie fange », c'est « un assemblage de palais et
de masures, de magnificence et de misères, de beautés admirables
et de défauts dégoûtants ». Plus la ville
s'accroît, plus les écarts se creusent. Ce qui semble scandaliser
Georges Sand : « il y a donc au sein de Paris une
société libre et heureuse d'un certain bonheur sans idéal,
réduite à la jouissance de la sensation. On appelle
ça le monde. Que dis-tu de ce nom ambitieux et outrecuidant
[...] ? [...] Il existe une petite caste qui a donné à ses
frivoles réunions, à ses fêtes sans grandeur et sans
symbole, le nom de monde, et dont chaque individu dit, en montant dans
sa voiture pour aller parader parmi quelques groupes d'oisifs pressés
dans certains salons de la grande ville de travail et de misère : je
vais dans le monde : je vois le monde, je suis homme du monde. [...]
Et je me demandais, en regardant ces riches décorations, ces tables
et ces buffets, ce que le fournisseur avait volé au consommateur et au
producteur pour produire toutes ces merveilles; et il me semblait voir
mêlés ensemble dans une sorte de cave, situés sous les
pieds des danseurs, les cadavres des riches qui se brûlent la cervelle
après s'être ruinés, et ceux des prolétaires qui
sont morts de faim à la peine d'amuser ces riches en
démence. »160(*) . Cette vision d'une cave imaginaire n'est pas
isolée. Il y a effectivement, chez les auteurs, une tendance à
faire ressurgir l'univers souterrain à la surface. C'est pourquoi, des
quartiers entiers, vont emprunter les caractéristiques du
souterrain : population hideuse, géographie tortueuse,
obscurité, insalubrité, délinquance : Paris est alors
envahie par ses souterrains.
b) Quand le souterrain sort de terre.
Les quartiers « souterrains » de
Paris :
Ainsi peut-on dire que les dessous de Paris sont souterrains
aussi bien au sens physique que moral. La vision de Jules Janin vient achever
ce sinistre tableau : « les classes dangereuses sont aussi
enfouies sous la société. [...] Ces races nocturnes
(...) vivent, si c'est là vivre, couchées sous les fondements de
cet incroyable Paris, qui est le centre du monde et la tête de la
civilisation : elles sont là comme les ruines vivantes de la
barbarie écroulée, comme les derniers représentants du
passé de l'humanité à terre ; elles sont là
plus ensevelies que les morts, car elles ont sur la tête pour linceul
l'oubli des hommes et la malédiction de la ville ». Ces
habitants, ces pauvres, ces délinquants, ces misérables semblent
tellement plongés dans la boue qu'ils y disparaissent, vivotant dans cet
entre-deux dans lequel les a plongés les littérateurs. Ce sont
« les petits, les pauvres gens, les malheureux quoi ! On les
met dans le bas, où il y a de la boue jusqu'aux genoux, dans les trous,
dans l'humidité. »161(*)
Intéressons-nous tout d'abord à la configuration
de Paris. La capitale n'est pas un paysage anodin, et Paris est ordonné
selon des critères tacites : les quartiers bourgeois sont rectilignes,
propres, éclairés, paisibles. Les quartiers populaires sont quant
à eux sordides, sombres, tortueux, labyrinthiques, truffés
d'impasses, à l'instar des catacombes qui reprennent quasiment le
même schéma. On peut ainsi dire que les bas quartiers sont le
calque des souterrains, dont il adopte la même typologie, ou du moins
dans les années qui précèdent les grands travaux du baron
Haussmann sous Napoléon III. Joseph Méry écrit ainsi dans
Salons et souterrains de Paris : « En rôdant
autour de ce qui reste de cette abbaye qui jadis fut la plus riche et la plus
belle de France, Lecerf et Maurice Aubugny remarquèrent dans les rues
Palatine, Bourbon-le-Château, etc., etc., des maisons sombres,
enfumées, décrépites et qui ressemblaient
elles-mêmes à des souterrains.»162(*). Auparavant, on trouve
ainsi dans la littérature, les références à ce
Paris dédalique. Pour Pierre-Jean Dufief, « Balzac
est l'observateur d'un Paris ancien, intimiste, celui de la Restauration; il
évoque les quartiers centraux au plan labyrinthique avec leurs vieilles
maisons, leurs rues étroites. »163(*). On peut lire
également chez Maxime Ducamp l'évocation du
« dédale immense » des rues de Paris dans
lesquelles le numérotage des maisons est un « fil d'Ariane
à la portée de tous»164(*) où la « population
étouffait dans les ruelles putrides, étroites,
enchevêtrées où elle était forcément
parquée. »165(*) C'est encore chez Louis-Sébastien Mercier,
cette interrogation rhétorique : « où trouver
en effet plus de routes ténébreuses, plus de chemins
tortueux ? Le labyrinthe connu sous le nom de Dédale, l'antre de la
Sybille de Cumes où cent portes s'ouvraient et se fermaient au
même instant, n'avaient point autant de faux fuyants que
Paris. »166(*)
Car non seulement certains quartiers de Paris en surface
adoptent la configuration des souterrains, mais la population de ces bas-fonds
de la société, comme son nom l'indique, est tout aussi
repoussante que la galerie de portraits que nous avons évoquée au
premier chapitre. Les écrivains au 19ème, adhèrent en
majeure partie à la théorie des milieux. « Ils sont
persuadés que l'homme est le produit de son milieu, et que chaque
quartier de Paris sécrète des types différents : les
vieilles maisons sordides du quartier des halles par exemple, expliquent chez
Balzac la parcimonie des usuriers ou des artisans qui y
vivent. »167(*). Ceci explique la tendance des habitants
déguenillés des quartiers populaires à être
réduits à l'état de larves par la plume sans pitié
d'Alfred Delvau dans « Les dessous de Paris ».
Toute cette humanité, si elle en est encore une, et qui peuple pour
l'exemple Les Mystères de Paris d'Eugène Sue, fait
partie du domaine souterrain de Paris, mais son domaine souterrain de surface.
Car nul besoin de pénétrer dans catacombes pour apercevoir les
bas-fonds de Paris. Quand Jean-Pierre Bernard affirme que « ce
n'est d'ailleurs pas Paris qui a commis les horreurs de la Commune mais une
part bestiale et souterraine de sa population »168(*), il est bien évident
que cette dernière n'habite ni les égouts, ni les catacombes. Et
ça rampe et ça grouille, et ça lutte pour la survie comme
par instinct. Rien ne semble donc élever l'esprit de ces brutes
épaisses, tel Jean Taureau, dont la voix même
« semblait sortir de dessous terre »169(*), ou ces sorcières
comme la brocante dans Salvator.
Ce n'est plus donc un écart mais un fossé qui se
creuse entre les basses classes, et celles de la noblesse et de la
bourgeoisie ; fossé bien évidemment
métaphorisé par cette opposition constante entre le souterrain et
le Paris en surface. On se rend ainsi compte rapidement qu'un univers n'a pas
sa place chez l'autre, bien que les deux réunis forment un tout :
Paris. La réflexion faite par Victor Hugo alors que Jean Valjean fuit
les combats de rue pour les égouts est représentative de ce
malaise que les protagonistes rencontrent en se retrouvant dans un monde
où les repères sont inversés :
« quitter cette rue où la mort était partout pour
cette espèce de sépulcre où il y avait la vie, ce fut un
instant étrange. »170(*).
Il y a en effet, une écriture de la ville. Dans un
roman, les auteurs placent intentionnellement leurs situations dans tel ou tel
quartier selon le rang social où l'activité qu'ils veulent donner
aux personnages.
Comme le fait remarquer Jean-Noël Blanc171(*), le drame provient donc de
ces déplacements de milieux : un riche qui va chez un pauvre ou un
pauvre qui pénètre chez un riche. Là est l'astuce du roman
populaire : faire échouer d'honnêtes bourgeois dans le
dédale des souterrains, reflet deux fois plus sordide des quartiers
populaires du dessus. Le décalage crée alors le drame, car c'est
la pureté du dessus qui est souillée par la boue du dessous.
Il en est de même dans le cas inverse. Un homme de la
surface qui vit dans les souterrains est alors un homme corrompu. Le personnage
de Jackal, le commissaire de police Des Mohicans de Paris et de
Salvator incarne ce type du personnage souterrain, qui va corrompre la
police. La sentence de Salvator est d'ailleurs sans appel :
« la police est une institution salutaire, exercée par des
gens fort gangrenés. [...] c'est une tortueuse et
ténébreuse déesse qui ne s'avance que par des voies
obscures et souterraines : vers quel but ? Nul ne le sait qu'elle même,
quand elle le sait. Elle a tant d'intérêts, cette digne police,
qu'on ignore toujours vers quel but elle agit : intérêt politique,
intérêt moral, intérêt philosophique,
intérêt humoristique. [...] c'est un home diablement fantaisiste
que M. Jackal, allez ! »172(*).
On trouve enfin, chez Gaston Leroux, les traces d'une invasion
des sous-sols par la surface sous la forme d'une
« fête de nuit donnée par les
civilisés du dessus de la terre »173(*). Toute la pureté du
lieu est atteinte, car « le péché est là ce
soir, et les pécheresses aussi, des dames qui ont des bandeaux
plats. »174(*). La quiétude du souterrain est alors
troublée, et le sanctuaire de la mort, profané.
« Tous les cabarets du néant, toutes les scènes
artistico-mystico-macabres où l'on vient bafouer la vie et se gausser de
la mort, toutes les boîtes de la Butte où les crânes
ricanent aux murs, où les squelettes « chahutent »
sur les planches, tout le carnaval funéraire de Montmartre est
dépassé. »175(*). On rit, on danse, on s'amuse, exactement comme on
le fait sur le dessus. L'obscurité des catacombes est troublée
par « des chandelles, des chandelles dans les crânes, des
girandoles de chandelles clignotantes. »176(*). Avec ces pieds de nez
irrévérencieux, l'empire des morts devient alors
« l'empire des vivants »177(*), ce qui scandalise le
commissaire Milfroid pour qui « le viol nocturne de l'immense
fosse par les rires alcooliques des cocottes du quartier et les violoneux
d'opéra lui semblait impossible »178(*). Si l'on parle de viol,
c'est que la société corrompue du dessus est venue souiller la
pureté originelle et naturelle du dessous. Cette idée que c'est
le dessus qui vient souiller le dessous se retrouve chez Balzac.
« Si l'air des maisons où vivent la plupart des bourgeois
est infect, si l'atmosphère des rues crache des miasmes cruels en des
arrière-boutiques où l'air se raréfie, sachez qu'outre
cette pestilence, les quarante mille maisons de cette grande ville baignent
leurs pieds en des immondices que le pouvoir n'a pas encore voulu
sérieusement enceindre de murs en béton qui pussent
empêcher la plus fétide boue de filtrer à travers le sol,
d'y empoisonner les puits [...]. La moitié de Paris couche dans les
exhalaisons putrides des cours, des rues et des basses
oeuvres. »179(*) L'air qui se raréfie, la pestilence, la
boue : les attributs du souterrain sont ici portés à la
surface, alors que le puits semble délivrer une eau saine et potable.
Les mondes se mélangent donc, mais jamais
entièrement. Et si l'un ne peut vivre sans l'autre, il n'empêche
que la confrontation est inévitable : Paris et Paris-souterrain
où le « je t'aime moi non plus » mis en
exercice.
III) Paris et ses souterrains, mythe d'hier et de
demain
« Je t'aime, moi non plus. »
voilà qui définit effectivement à merveille l'ambivalence
du rapport qui lie la surface de Paris au souterrain. Chacun a besoin de
l'autre pour exister, mais chacun fuit son opposé. Or, le lien est
irrémédiable, et d'autant plus solide que le souterrain est la
racine de ce qu'on voit émerger à la surface. Car c'est dans les
souterrains qu'il faut aller chercher une explication à ce qui se joue
sur le devant de la scène : tout se trame en coulisse. Or, Paris a
eu très tôt l'image d'une ville vivante, au sens propre du terme.
Une ville qui bouge, se lève, gesticule, gronde, s'exprime.
« Tel est ce Paris. Les fumées de ses toits sont les
idées de l'univers. Tas de boue et de pierres, si l'on veut, mais,
par-dessus tout, être moral. Il est plus que grand, il est immense.
Pourquoi ? Parce qu'il ose. »180(*). Ce pouvoir de Paris
à oser se traduit dans les faits par les multiples révolutions
qui ont marqué son histoire et qui ont participé à la
construction d'un mythe, celui du Paris révolutionnaire.
1) Paris et son mythe au regard de ses
souterrains.
a)Paris et le mythe révolutionnaire
Quel rapport y a-t-il entre le Paris révolutionnaire et
ses souterrains, pourrait-on se demander. Un rapport très étroit
de cause à effet devrions-nous répondre. On sait que le
19ème siècle a été un siècle de
révolution, et celui d'une prise de conscience sociale. Le socialisme,
la lutte des classes, l'émergence du prolétariat et de la
contestation sociale sont nés de ces élans protestataires. Cette
dynamique est métaphoriquement visible dans la littérature qui
nous intéresse. Et pour cause : le souterrain y est
présenté comme le berceau des révolutions, le responsable
des troubles en surface.
Or, le terme de trouble peut avoir une connotation
péjorative, dans le sens où ce dernier peut vouloir signifier la
destruction d'un système établi, les forces destructrices
étant initialement à l'inverse du progrès. Cette
conception est exploitée dans nos oeuvres étudiées. D'un
côté, le souterrain est pointé du doigt comme étant
le responsable de cette gangrène qui fait se révolter le peuple.
« Voici donc, dit-il, le repaire de cet être
incompréhensible pour qui le mal semble être un besoin de
nature ! C'est là qu'il prépare ces crimes affreux qui
produisent au-dessus de nos têtes la ruine et la
dévastation ! »181(*). L'être incompréhensible, il s'agit de
Médard, le demi monstre qui n'a d'ambition que le chaos et la
destruction. Ce sont, comme nous l'avons déjà
évoqué, les pulsions animales de l'homme qui trouvent un terrain
propice à leur expression dans les souterrains. Ainsi, chez Victor Hugo,
le souterrain peut être synonyme de tyrannie. « On pourrait
dire que depuis dix siècles, le cloaque est la maladie de Paris.
L'égout est le vice que la ville a dans le sang.»182(*). C'est la tyrannie de
Napoléon III qui sévit dans ces lignes. Le despote inspire une
haine sans pareille au poète qui va recycler l'image du cloaque dans
L'égout de Rome, pamphlet versifié incéré
dans Les Châtiments. La nuit de l'égout, c'est la nuit de
la tyrannie, l'égout étant le symbole des puissances qui tirent
l'homme en arrière, de ses instincts. Et parmi eux, on retrouve cette
« volonté de puissance »183(*) dont parle Nietzsche, car
« chaque instinct cherche à dominer, ou mieux, à
maîtriser les autres instances avec lesquelles il entre en
contact »184(*). C'est cela que représente entre autre le
débordement des égouts.
Mais l'égout, c'est aussi ces bas-fonds de la
société que nous avons évoqués, cette misère
sur laquelle s'assoient les riches et qui la tiennent bien enfermée.
Trop peut-être. Car quand la pourriture a par trop fermenté, il
suffit d'une étincelle pour que tout explose.
Alors, l'égout déborde. « Des
enfants, des jeunes gens, des hommes apparurent ; tout cela était
vêtu d'habits déchirés comme pour inspirer
l'intérêt ; tout cela exhibait dans ces rues
éclairées a giorno cette misère qui, d'habitude,
se cache au plus profond des ténèbres.»185(*) Ce qui n'était
à la base qu'un grondement sourd, va en s'amplifiant jusqu'à
devenir les cris et les coups de feu des révolutions.
Cette idée d'une force souterraine qui peut
éclater à tout moment, nous la retrouvons dans la
métaphore du volcan. « Et l'image du volcan est une de
celles dont on peut le mieux jouer sur ces différents claviers, parce
qu'elle a une valeur double : le volcan est à la fois de la
montagne et de la lave ; il est fixe et mouvant, cadre et vie. Par
là, l'image se prête spécialement bien à symboliser
le double aspect de Paris : majestueux décor, et bouillonnement du
peuple et des idées.»186(*)
Paris donne alors la vision d'une puissance explosive et
menaçante, comme dissimulatrice d'une lave qui s'amasserait et
bouillonnerait dans ses souterrains. « Paris est, dans l'ordre
social, le pendant de ce qu'est le Vésuve dans l'ordre
géographique. C'est un massif dangereux et grondant, un foyer de
révolution toujours actif. Mais, de même que les pentes du
Vésuve sont devenues des vergers paradisiaques grâce aux couches
de lave qui les recouvrent, l'art, la vie mondaine, la mode
s'épanouissent comme nulle part ailleurs sur la lave des
révolutions.»187(*)
Et pour cause, avec les trois glorieuses de 1830, la
révolution de 1848, la commune, Paris mérite son image mythique
de ville révolutionnaire. Ce n'est pas un hasard si Alexandre Dumas fait
conspirer « la venta des carbonari »188(*) dans les catacombes de
Paris, et si les barricades se retrouvent, et dans Les Mohicans de
Paris, et dans Les Misérables. De même, l'A.C.S.,
l'association contre la société tenue par le Roi Mystère
de Gaston Leroux, incarne cette idée d'une force souterraine venue
bouleverser l'ordre établie par la société du dessus.
La révolution de 1830, phénomène
essentiellement parisien, va confirmer l'idée que Paris incarne
l'idéal révolutionnaire. La capitale apparaît comme
l'héritière de 89. Elle est présentée comme la
ville de la liberté et du progrès. A Paris est désormais
attribué un rôle particulier, celui de guide, de phare de
l'humanité. « Paris en vient à être
considéré sinon comme une émeute permanente, du moins
comme une virtualité permanent
d'émeute »189(*) La ville cesse d'être une
simple cité de pierres pour devenir une puissance spirituelle qui fait
triompher les plus hautes valeurs. « De tous les points du globe,
tous les regards sont tournés vers Paris, non seulement comme vers un
sommet, mais comme vers un incendie. (...) C'est que Paris est la seule ville
de l'univers qui soit à l'état de volcan. De même que les
volcans sont en communication avec les entrailles de la terre, Paris est en
communication avec les masses, avec la fournaise profonde et bouillonnante des
misères souterraines, avec les entrailles du
peuple. »190(*) . Comme une immense forge, pour reprendre l'image
précédemment utilisée, le souterrain parisien fabrique les
troubles du Paris en surface. Dans le chapitre « essai
philosophique, linguistique et littéraire sur l'argot, les filles et les
voleurs » de Splendeurs et misères des courtisanes,
Balzac fait des caves l'atelier où s'élaborent les
décors et les machines de la comédie humaine. Le souterrain est
donc la racine, le point de départ ; et il influe à sa guise
sur les événements du dessus.
Cette intelligence du souterrain ne vient pourtant pas de
nulle part. Il est intéressant de constater que des personnages
souterrains charismatiques peuvent souvent régir à eux seuls tout
le petit monde de la surface. Erik, le fantôme de l'Opéra, est
ainsi le pilier de l'histoire. C'est lui qui a entre ses mains tous les
pouvoirs et qui fait se plier à ses volontés tout le petit monde
de l'Opéra, comme le ferait un marionnettiste de ses pantins. Il en va
de même pour Cartouche, qui ne laisse plus aucune place à la vie
tranquille de Théophraste Longuet et qui, depuis les souterrains de la
capitale et ceux du bourgeois qu'il a investi, provoque le chaos autour de lui.
Mais le souterrain recèle également un autre
type de population, la population des génies. Car selon Hugo,
« il n'est pas de penseur qui n'ait contemplé les
magnificences d'en bas. »191(*), preuve que ce domaine ne leur est pas
étranger. « Au-delà de cette tourbe bruyante et
glapissante, vêtue de couleurs criardes, laissant traîner ses faux
cheveux jusqu'à la ceinture, vivant de scandales et pourrissant sur
pied, il y a toute une nation recueillie, probe dévouée, qui
travaille, cherche s'ingénie, invente dans les ateliers, dans les
bibliothèques, dans les laboratoires. C'est là le coeur de Paris
qui vibre à toute pensée généreuse, s'émeut
à toute découverte, fait effort pour pénétrer
toujours plus profondément au sein des choses. C'est cette
assemblée d'artistes, de savants, d'artisans, d'écrivains,
toujours en communication les uns avec les autres, rapides à comprendre,
faciles à émouvoir, qui fait de Paris une ville unique dans
l'univers, et qui donne un si grand poids à ses jugements, que nulle
réputation n'est consacrée si elle ne les a victorieusement
subis. »192(*) Mais c'est Victor Hugo qui illustre le mieux cette
présence originale dans les souterrains. Car, dans Les
Misérables, il y a deux sortes de peuple souterrain : il y a
les lumineux, les amis de l'ABC qui vont se battre sur les barricades au nom de
leurs idéaux, et les criminels. Et il y a les gueux, les voleurs, les
Babet, Gueulemer, Claquesous et Montparnasse. Ces deux niveaux sont
représentés par des strates : « il y a sous la
construction sociale, cette merveille compliquée d'une masure, des
excavations de toute sorte. Il y a la mine religieuse, la mine philosophique,
la mine politique, la mine économique, la mine révolutionnaire.
Tel pioche avec l'idée, tel pioche avec le chiffre, tel pioche avec la
colère. [...] Au dessous de toutes ces mines que nous venons d'indiquer
[...] au dessous de tout cet immense système veineux souterrain du
progrès et de l'utopie, bien plus avant dans la terre, plus bas que
Marat, plus bas que Babeuf, plus bas, beaucoup plus bas, et sans relation
aucune avec les étages supérieurs, il y a la dernière
sape. Lieu formidable. [...]C'est la fosse des ténèbres. C'est la
cave des aveugles. Inferi. Ceci communique aux abîmes. Là le
désintéressement s'évanouit. Le démon
s'ébauche vaguement ; chacun pour soi. Le moi sans yeux hurle,
cherche, tâtonne et ronge. L'Ugolin social est dans ce
gouffre. »193(*) Dans la première version des
Misérables, il est intéressant de noter que Victor Hugo
peignait l'alliance des amis de l'ABC avec les bandits de Patron-Minette au
fond d'une carrière. Mais Enjolras, le plus intègre des membres,
refusait. Enfin, le même auteur reprend la même idée dans
Notre-Dame de Paris : « puits de civilisation, pour
ainsi dire, et aussi des égouts, où commerce, industrie,
intelligence, population, tout ce qui est sève, tout ce qui est vie,
tout ce qui est âme dans une nation, filtre et s'amasse sans cesse goutte
à goutte, siècle à
siècle. »194(*).
Les éléments naturels sont à nouveau
utilisés comme moyen de comparaison. « Il y a dans
l'île d'Ischia une montagne où l'on entend souffler un courant
d'air souterrain; d'où vient-il ? Nul ne le sait, et la science ignore
encore où prend naissance cette tempête qui bruit sous les vieux
rocs entassés. Il en est ainsi de Paris. » Et quand cette
bise devient orage, alors, c'est l'émeute des grands jours qui ont fait
l'histoire de Paris. Car alors, ce Paris personnifié dont nous avons
déjà parlé, « s'émeut, s'agite, se
lève, est pris de mauvaise humeur, donne un coup
d'épaule. » comme le dit Maxime Du Camp. Le thème
de la barricade est ainsi présent à deux reprises dans nos
oeuvres, en premier lieu chez Victor Hugo qui lui consacre un certains nombres
de chapitre de son tome IV des Misérables. Ainsi peut-on y
lire : « Rien n'est plus extraordinaire que le premier
fourmillement d'une émeute. Tout éclate partout à la fois.
[...] D'où cela sort-il ? Des
pavés. »195(*). Il y a donc une conscience de cette poussée
qui vient du dessous. Mais elle est souvent presque imperceptible, car
cachée. Le grondement est sourd, mais la puissance n'en est que
décuplée. « Toute cette fermentation était
publique, on pourrait presque dire tranquille... aucune singularité ne
manquait à cette crise encore souterraine, mais déjà
perceptible. »196(*) On retrouve aussi les barricades dans le roman de
Dumas, Salvator, où Jean Taureau, le personnage souterrain, y fait une
fois de plus preuve de sa bravoure.
Ces élans d'humeur, cette violence sont à
rapprocher de la révolution qui se fait en chacun lors d'une prise de
conscience. Prenons cette longue citation extraite du Salvator de Dumas :
« M. de Humboldt, ce grand philosophe et ce grand
géologue, dit quelque part, à propos de l'impression produite par
les tremblements de terre : « cette impression ne provient pas
de ce que les images des catastrophes, dont l'histoire a conservé le
souvenir, s'offrent alors en foule à notre imagination. Ce qui nous
saisit, c'est que nous perdons tout à coup notre confiance innée
dans la stabilité du sol ; dès notre enfance, nous
étions habitués au contraste de la mobilité de
l'Océan avec l'immobilité de la terre. Tous les
témoignages de nos sens avaient fortifié notre
sécurité ; le sol vient-il à trembler, ce moment
suffit pour détruire l'expérience de toute la vie. C'est une
puissance inconnue qui se révèle tout à coup ; le
calme de la nature n'était qu'une illusion, et nous nous sentons
rejetés violemment dans un chaos de force destructive ». Eh
bien cette impression physique a son équivalent dans l'impression
morale. »197(*).
Nous avons vu précédemment la difficulté
que rencontre celui qui veut affronter son labyrinthe. Le parallèle
entre l'homme et Paris est ici encore présent : quand Paris
s'agite, l'âme aussi. Jean-Valjean, par exemple, concentre à
merveille en son sein l'agitation parisienne, au point qu'on ne sait plus
vraiment lequel est la métaphore de l'autre. « Qu'est-ce
que les convulsions de la ville auprès des émeutes de l'âme
? L'homme est une profondeur plus grande encore que le peuple. Jean Valjean, en
ce moment-là même, était en proie à un
soulèvement effrayant. Tous les gouffres s'étaient rouverts en
lui. Lui aussi frissonnait, comme Paris, au seuil d'une révolution
formidable et obscure. [...] Quelques heures avaient suffi. Sa destinée
et sa conscience s'étaient brusquement couvertes d'ombres. De lui aussi
comme de Paris, on pouvait dire : les deux principes sont en présence.
L'ange blanc et l'ange noir vont se saisir corps à corps sur le pont de
l'abîme. Lequel des deux précipitera l'autre ? Qui l'emportera
? ». La révolution éclate donc au grand jour, dans
les rues, mais elle se fait aussi dans l'ombre, dans un environnement plus
intime, dans sa propre conscience.
C'est donc bien la preuve que ce Paris qui s'agite ne fait pas
que détruire. Observons l'aboutissement de la révolution de Jean
Valjean. La révolution bénéficie effectivement d'une image
positive chez Victor Hugo, qui argumente longuement dans Les
Misérables l'idée utopique d'une fertilisation utile du sol
par l'égout. Le peuple miséreux, adoptant la métaphore de
l'égout, recèlerait semble-t-il, des richesses.
« L'esprit de révolution couvrait de son nuage ce sommet
où grondait cette voix du peuple qui ressemble à la voix de
Dieu ; une majesté étrange se dégageait de cette
titanique hottée de gravats. C'était un tas d'ordures et
c'était le Sinaï. »198(*).
Ce mélange des genres, ce mélange entre le
sublime et l'immonde, on le retrouve au fil des pages de nos romanciers. Non
pas dans le fond. Mais dans la forme. Car le chaos du souterrain est
contagieux, et il déteint même sur la langue. La langue se
« pollue » ainsi au contact du souterrain. Bachelard
évoque à ce sujet l'« interdiction du
profond » qui donne aux mots de la profondeur un aspect
péjoratif.
Les romanciers adoptent effectivement le dialecte de leurs
personnages. Et bien évidemment que dans la bouche de Thénardier
dans Les Misérables, ou dans celle de Jean Taureau, dans
Les Mohicans de Paris, il ne s'agit guère de la langue des
salons. Victor Hugo consacre ainsi tout un chapitre des Misérables
sur l'argot. Langage de la vermine, l'argot est pour Hugo une source
d'exploration. Et c'est par soucis d'authenticité, de
vérité, qu'il le place dans la bouche de ses personnages. Ainsi,
dénicher l'argot s'avère aussi ardue, rebutant mais
nécessaire que d'aller chercher le charbon dans la mine. «
Lorsqu'il s'agit de sonder une plaie, un gouffre ou une
société, depuis quand est-ce un tort de descendre trop avant,
d'aller au fond ? [...] Certes, aller chercher dans les bas-fonds de
l'ordre social, là où la terre finit et où la boue
commence, fouiller dans ces vagues épaisses, poursuivre, saisir et jeter
tout palpitant sur le pavé cet idiome abject qui ruisselle de fange
ainsi tiré du jour, ce vocabulaire pustuleux dont chaque mot semble un
anneau immonde d'un monstre de la vase et des ténèbres, ce n'est
ni une tâche attrayante ni une tâche
aisée. »199(*)
Balzac aussi fait directement la liaison entre l'argot et le
milieu souterrain dans la 4ème partie de Splendeurs
et misères des courtisanes intitulée Essai
philosophique, linguistique et littéraire sur l'argot, les filles et les
voleurs : « Il n'est pas de langue plus
énergique, plus colorée que celle de ce monde souterrain qui,
depuis l'origine des empires à capitale, s'agite dans les caves, dans
les sentines, dans le troisième-dessous des sociétés, pour
emprunter à l'art dramatique une expression vive et saisissante. Le
monde n'est-il pas un théâtre? Le Troisième-Dessous est la
dernière cave pratiquée sous les planches de l'Opéra, pour
en recéler les machines, les machinistes, la rampe, les apparitions, les
diables bleus que vomit l'enfer, etc.... »
Mais l'argot n'est pas uniquement parlé en milieu
souterrain. C'est donc bien que la surface adopte les caractéristiques
du sous-sol. La langue française, même en surface, est aussi
confuse, disloquée. Victor Hugo l'affirme, qui écrit que
« sous la confusion des langues, il y avait la confusion des
caves ; Dédale doublait Babel. ». Cette langue
transformée, tordue, alambiquée, adopte donc la configuration des
catacombes labyrinthiques. Le souterrain a ce pouvoir de dissolution, et la
langue française dans ses couloirs ne résiste pas à la
transformation. Elle se disloque, se détruit. C'est donc une haleine de
chaos qui souffle des soupiraux parisiens. Mais qu'est-ce que le chaos ?
Dans la Grèce antique, le concept de chaos signifie
gouffre ou abîme. Il oppose le stade originel de l'univers, confus,
défini par ses éclatements, ses dispersions, son
émiettement, à sa réalisation organisée selon des
règles d'ordre, de temps etc.... Le chaos est alors le mélange
d'Ubris (la démesure forcenée) à Dike (la loi,
l'équilibre). On retrouve ici encore cette opposition binaire ;
Paris et son souterrain... L'imaginaire des romanciers a donc emprunté
le topos du chaos pour le situer dans le souterrain où il s'y
contorsionne, s'y étend, s'y émiette à merveille au fil
des pages de leurs romans.
L'égout en est un bon exemple, lieu confus, trouble,
où le pied s'enfonce, où l'on ne sait où le sol commence,
où il s'arrête. Chez Hugo où la description des
égouts est la plus étendue, les réseaux souterrains sont
dépeints comme « réfractaires à tout
itinéraire »200(*), l'égout étant
« inextricable ». Le souterrain est aussi marqué par
un phénomène récurrent : celui de la déformation
des choses. Le labyrinthe est ainsi, selon Bachelard, le lieu où
« l'être est alors saisi dans un douloureux
étirement. Il semble que ce soit le mouvement difficile qui crée
l'étroite prison, qui allonge la torture. »201(*)
Le labyrinthe, comme dans le chaos, se définit par la
perte immédiate de tout repère. Ainsi peut-on lire chez Joseph
Méry une description représentative des catacombes :
« elles forment une ville de rues sans maisons qui ressemble
à la capitale de l'enfer. Les angles s'y multiplient à l'infini,
et ont tous la même forme, la même rudesse, de sorte que l'oeil
trompé ne peut choisir aucun point de reconnaissance dans ce chaos
ténébreux, cet amoncellement de lignes frustes, cette succession
de voûtes funèbres, ces méandres humides qui se ressemblent
tous et s'étendent, se prolongent, se perpétuent dans les
entrailles du sol. »202(*).
L'égout recouvert, sorte de Dédale des temps
modernes, donne la même impression de fouillis :
« l'égout est ainsi que « quelque bizarre
alphabet d'Orient brouillé comme un fouillis, et dont les lettres
difformes seraient soudées les unes aux autres, dans un
pêle-mêle apparent et comme au hasard, tantôt par leurs
angles, tantôt par leurs
extrémités. »203(*).
De même, le comportement des fifres de Salvator dans les
catacombes de Paris font s'écrier au commissaire Jackal :
« c'est pour me dérouter que l'on me fait faire ces tours
et ces détours ».204(*). Or, comment avoir des repères dans un
univers aussi confiné, mais paradoxalement étendu que les
catacombes de Paris, où « les ciels » sont de
pierre. Les romanciers ont ainsi tendance à faire des souterrains un
univers à part entière. Louis-Sébastien Mercier parle
ainsi d'une « ville souterraine où l'on trouve des rues,
des carrefours, des places irrégulières. ».
L'état naturel et sauvage de certaines parties des
catacombes donne également un tableau de ce désordre souterrain.
« Au fond de l'entonnoir, de grandes spirales prouvaient la
violence des courants et des tourbillons ; les roches elles-mêmes
témoignaient par leur désordre et leurs formes bizarres de la
puissances du choc qu'elles avaient dû supporter dans ce cataclysme
mystérieux, accompli loin du regard des
hommes. »205(*). Elie Berthet nous offre presque ici une description
du chaos originel, celui qui donna lieu à la création. Même
constat lorsque les flots envahissent les souterrains :
« Ces cris, ces luttes, ces ombres mouvantes, le roulement des
flots, le reflet des lumières, formaient, sous ces voûtes basses,
une scène de bruit et de confusion. »206(*).
Désordre, envahissement, invasion, destruction...
Voilà qui rappelle un élément sur lequel nous nous
étions déjà penché précédemment...
L'inconscient, bien évidemment, lui aussi refuge des pensées
chaotiques et de destruction.
Nous avions ainsi vu, au chapitre précédent,
quelle concordance existait entre les souterrains et le ça. Or, le
ça est le refuge de nos énergies spécifiques, celles qui
n'ont pas de possibilités de s'exprimer, ou du moins, qui ne sont pas
autorisées à mener une existence non inhibée. Ces
tendances forment pour notre esprit conscient une "ombre" toujours
présente et virtuellement destructrice. C'est pourquoi les gens
bien-pensants ont une peur compréhensible de l'inconscient. Car le
ça est destructeur : le laisser s'exprimer serait faire accéder
les lois inexistantes du chaos à la surface de notre
personnalité, où, dans notre métaphore filée,
à la surface du sol parisien.
b) Le mythe de la destruction de Paris
Or, quelle menace destructrice peut bien représenter le
souterrain pour la surface ? Une menace d'engloutissement d'abord. En
effet, les auteurs n'ont de cesse d'évoquer la fragilité du
sous-sol, alors même que le peuple parisien continue de bâtir sur
ces fondations incertaines. Louis-Sébastien Mercier offre ainsi un
panorama peu rassurant des souterrains parisiens dans son Tableau de
Paris: « On regarde au plancher, tantôt bas,
tantôt plus élevé : mais quand on y voit des
crevasses, et que l'on réfléchit sur quoi porte le sol d'une
partie de cette superbe ville, un frémissement secret vous saisit (...).
Des cavités, des ciels à demi brisés, des enfoncements qui
n'ont pas encore percé à jour, des fontis, des piliers
écrasés sous le poids qui les presse et qui menacent ruine, de
doubles carrières, sur lesquelles portent à faux les piliers de
la première ; quel coup d'oeil ! Et l'on boit, et l'on mange,
et l'on dort dans les édifices qui reposent sur cette croûte
incertaine ».
La peur d'un écroulement du sol de Paris, d'un
engloutissement dans les vides qui minent la capitale va hanter la plupart de
nos romans. Ainsi, Louis-Sébastien Mercier met-il en garde le
parisien : « il ne faudrait pas un choc bien
considérable, pour ramener les pierres au point d'où on les a
enlevées avec tant d'effort. »207(*).
Cette idée va nous amener à la vision romantique
d'un Paris en ruine. Selon Louis-Sébastien Mercier toujours, toute
évolution et toute existence appellent fatalement leur contraire, la
chute et la mort. Au 19ème siècle, Paris a
été comparé aux villes de Rome et d'Athènes qui, au
fil des ans, ont perdu de leurs superbes jusqu'à sombrer dans la
décadence, avant la destruction finale. Il suffit de lire Volney et
ses Ruines ou méditation sur les révolutions des empires
pour dégager cette idée de la fin d'une époque. Dans
l'ouvrage de Victor Fournel, intitulé Paris et ses ruines en mai
1871, l'auteur constate que la ruine de Paris s'est déjà
produite, au lendemain des révolutions, des incendies, et des
destructions haussmanniennes. Lutèce, la ville de boue (Lutèce
vient du latin lutum, la boue), qui s'était transformée en la
merveilleuse et grandiose capitale qu'est Paris, retournerait ainsi à
son stade initial. « Car il ne faut rien flatter, pas même
un grand peuple ; là où il y a tout, il y a l'ignominie
à côté de la sublimité ; et, si Paris contient
Athènes, la ville de lumière, Tyr, la ville de puissance, Sparte,
la ville de vertu, Ninive, la ville de prodige, il contient aussi
Lutèce, la ville de boue. »208(*).
Mais, à l'instar de ses soeurs jumelles, Paris ne
devrait sa ruine non pas à cause d'une puissance extérieure, mais
bien à cause de son appétit insatiable. Pour donner à
cette idée une illustration complète, la ruine de la capitale
française, comme celle de Rome et d'Athènes, tiendrait davantage
de l'implosion que de l'explosion. Paris n'est pas
« tuée », mais elle se donne elle-même la
mort à cause de son faste, ses frasques et son insouciance:
« Une pareille existence ne saurait durer, et Paris succomberait
par ce genre de mort dont il a conservé le monopole : le
suicide »209(*). Le personnage de Eustache Grimm dans Le Roi
mystère est la représentation en modèle réduit
de la menace qui pèse, et le mot est choisi, sur Paris. Car Paris est
boulimique, Paris est obèse, Paris pourrait bien mourir de congestion.
Voilà ce qu'entend Victor Hugo par là : « De sorte
qu'on peut dire que la grande prodigalité de Paris, sa fête
merveilleuse, sa folie Beaujon, son orgie, son ruissellement d'or à
pleines mains, son faste, son luxe, sa magnificence, c'est son
égout. »210(*). A force de grandir, de construire encore et encore
sans se soucier de la solidité de ses fondations, Paris risque bien de
connaître le sort prédit par Alexandre Dumas :
« Toute la rive gauche depuis la Tour de Nesle [ ...]
jusqu'à la Tombe Issoire [...] n'est qu'une trappe de haut en bas. Et si
les démolitions modernes révèlent les mystères du
dessus de Paris, un jour peut-être, les habitants de la rive gauche se
réveilleront effrayées, découvrant les mystères du
dessous. »211(*) Sa ruine viendra notamment par les égouts. La
démonstration que le romancier propose par la suite à propos de
l'influence de l'égout de Rome sur la ville italienne est un
présage du sort réservé à Paris.
« Les cloaques de Rome, dit Liebig, ont absorbé tout le
bien-être du paysan romain. » Quand la campagne de Rome fut
ruinée par l'égout romain, Rome épuisa l'Italie, et quand
elle eut mis l'Italie dans son cloaque, elle y versa la Sicile, puis la
Sardaigne, puis l'Afrique. L'égout de Rome a engouffré le monde.
Ce cloaque offrait son engloutissement à la cité et à
l'univers. Urbi et orbi. Ville éternelle, égout
insondable. »212(*).
On peut expliquer aisément chez les romanciers
l'émergence de cette crainte. Car si le 19ème est
l'ère du romantisme, c'est aussi celle des révolutions, des
bouleversements qui engendreront le mal du siècle mis en lumière
par Alfred de Musset dans La Confession d'un enfant du siècle.
Hugo expose également la ruine de Paris dans un poème
intitulé « A l'arc de Triomphe » dans
« Les Voix intérieures », où
« la mort de Paris n'est donc pas un châtiment, mais une
fatalité »213(*):
II
« Toujours Paris s'écrie et gronde.
Nul ne sait, question profonde,
Ce que perdrait le bruit du monde
Le jour où Paris se tairait ! »
III
« Il se taira pourtant ! - Après bien
des aurores [...]. »
C'est l'histoire cyclique qui se répète :
Paris connaîtra le même sort que celles qui l'ont
précédée. Comme nous l'avons déjà
évoqué, l'idée de la mort de Paris « est
déterminée d'abord par des facteurs historiques. Le sentiment de
brusque instabilité provoqué par les Trois-Jours est entretenu
par les émeutes des années suivantes. Le choléra de 1832
lui vaut aussi un regain d'actualité. »214(*). Le tremblement de terre des
révolutions est passé par-là.
Mais bien que dépassant le strict cadre historique, une
explication biblique peut également tenter d'apporter une explication.
Le livre saint menace effectivement «Paris de connaître le
destin de Babylone, de Gomorrhe, de Ninive, de Palmyre, de Persépolis,
de Sidon, de Sodome et de Tyr. »215(*).
L'idée de l'effondrement de Paris se retrouve dans le
pessimisme de Léon Daudet qui, du haut du Sacré-Coeur contemple
les monuments parisiens : « D'autres fois, je les voyais
rongées par un mal obscur, souterrain, qui faisait choir tels monuments,
tels quartiers, des pans entiers de hautes demeures... de ces promontoires, ce
qui apparaît le mieux, c'est la menace. L'agglomération est
menaçante, le labeur géant est menaçant ; car l'homme
a besoin de travailler, c'est entendu, mais il a aussi d'autres
besoins... »216(*). Face à ce Paris
déshumanisé, où le parisien est assimilé à
une machine, à l'instar de la ville titanesque qu'il habite, Léon
Daudet s'inquiète de cette possible implosion qui ruinerait les
beautés de la ville lumière.
Or, quelle tâche essaye d'accomplir le personnage de
Médard dans Les Catacombes de Paris d'Elie Berthet ?
« Le Val-de-Grâce allait sauter, et, selon toute
apparence, la plupart des grands édifices publics construits sur les
vides auraient prochainement le même sort que le magnifique couvent
d'Anne d'Autriche. »217(*). Le lecteur, après avoir suivi les
déambulations du sauvage dans les souterrains minés
(« Les mines étaient multipliées en cet endroit
d'une manière effrayante. « Le Luxembourg » murmura
Médard »218(*)), comprend clairement, si ce n'était
déjà fait, ses intentions : « Quelques
secondes plus tard et un immense désastre allait désoler
Paris. ».
En menaçant de faire sauter les fragiles piliers qui
soutiennent encore le ciel des carrières pour se venger de la
condamnation à mort de son père, Médard, mi-sauvage,
mi-bête, incarne parfaitement le retour du chaos sur les lois
ordonnées de la société. Ce dernier n'a d'ailleurs pas
choisi de manière innocente les points où il a placé ses
bombes. Sous le Luxembourg, sous le Val de Grâce et sous l'hôtel
particulier des Villeneuve, autant de symboles de la magnificence de
Paris, de la richesse de son aristocratie, mais plus
généralement, de l'élévation d'esprit de l'homme
raffiné. A lire Elie Berthet, on pourrait même considérer
la menace comme une puissance autonome, quasi personnifiée :
« On ne voyait plus maintenant qu'une masse noire et de forme
changeante qui disparut bientôt elle-même dans un immense nuage de
poussière. Cependant les roulements, les détonations, les
grondements souterrains ne cessaient pas derrière ce voile
lugubre ; le sol continuait d'osciller sous les pieds. Plusieurs fois on
put croire que le génie de la dévastation avait interrompu son
oeuvre ; il y avait des intervalles de silence. Puis un nouveau craquement
se faisait entendre, l'écroulement recommençait et se prolongeait
d'une manière formidable ; la terre tremblait comme si elle
eût été battue par de puissantes machines. Des crevasses,
des excavations profondes se manifestaient dans les cours et dans les jardins.
Le lendemain, on reconnut avec stupéfaction que l'un des plus grands
arbres du parc s'était enfoncé jusqu'à la cime dans les
vides ouverts au-dessous de lui. »219(*).
Mais cette idée de destruction provient avant tout d'un
renversement des valeurs qui prend alors une tournure manichéenne :
« Je pense aux grandes choses qu'eût pu accomplir cet
homme, s'il eût employé au bien l'énergie,
l'abnégation, la constance qu'il a déployées pour
être le fléau de son
espèce ! »220(*) s'exclame Philippe de Lussan. Les bons de la surface
s'opposent aux mauvais du souterrain. Le jugement du jeune avocat ne tarde
d'ailleurs pas à tomber sur le coupable :
« Renverser une portion de Pairs, détruire ses plus
superbes monuments, ce serait de la barbarie, du vandalisme, de la
démence !... Erostrate, pour avoir incendié le temple
d'Ephèse, fut voué à l'exécration de la
postérité, et comme lui, vous porteriez la peine d'un acte
abominable. »221(*).
Cette crainte d'un engloutissement de Paris se vérifie
chez Gaston Leroux dont l'énigmatique personnage d'Erik menace de faire
s'écrouler l'Opéra Garnier s'il n'obtient pas les grâces de
sa belle. Et quel symbole que l'Opéra Garnier ! Le bâtiment
ne devait-il pas, comme nous l'avons vu dans notre première partie,
représenter la puissance et le rayonnement du second Empire ?
Toujours est-il que le prix des travaux, lui, a réussi à briller
par son importance.
Ainsi, émerge peu à peu l'idée que Paris,
par son obésité, par son insouciance, tient une part de
responsabilité dans sa propre ruine. N'est-ce pas elle qui engendre,
entretient, favorise le développement de toute cette population de
malfaiteurs qui, tapie dans ses ombres, ronge peu à peu le giron de
leur mère ? Toute cette société nous est décrite
dans les romans de Victor Hugo, notamment avec l'évocation des complices
de Thénardier dans Les Misérables. La peinture de la
cour des miracles dans Notre-Dame de Paris donne lieu à une
comparaison avec le pandémonium, cette capitale d'un enfer imaginaire
qui, à l'inverse de la représentation habituelle, ne se
caractérise pas par le feu mais par le chaos. Le chaos, encore une fois,
vient empiéter sur les lignes droites de la ville.
2) Le souterrain de Paris, un lieu atemporel ?
a) Paris mythique
L'enfer fait partie des références
traditionnelles du souterrain. La comparaison entre par la même occasion
dans un univers moins temporellement marqué. L'enfer est une
représentation qui, en plus de traverser les frontières, a
traversé les temps. C'est à la mythologie qu'appartient ce lien
entre ces deux univers : le souterrain parisien, et le souterrain
infernal.
Nous avons donc évoqué le pandémonium.
Mais c'est l'enfer traditionnel, celui de la culture chrétienne qui a
nourri nos auteurs, c'est à dire un enfer où bouillent les
marmites, où la chaleur vient compléter les autres tortures.
On a souvent comparé Paris à l'enfer. L'ouvrage
de Hugues Leroux intitulé L'Enfer parisien reprend ainsi
ce mythe d'un Paris capitale de l'enfer. Le bouillonnement de l'activité
parisienne, les costumes de ses opéras, l'insalubrité de ses
rues : tous ces facteurs favorisent la comparaison. Comme le dit
Pierre-Jean Dufief dans Paris dans le roman du 19ème,
« dès le XVIIème siècle, Boileau
considérait que les difficultés de la circulation à Paris
avaient quelque chose d'infernal. Vers 1830, la comparaison de Paris avec
l'enfer connaît une vogue particulière. On parle alors de la
chaleur presque infernale de la capitale, qui s'oppose à la froideur de
la province. La chaleur symbolise l'énergie à une époque
où le machinisme se développe, où les machines à
vapeur se multiplient. L'image de l'enfer brûlant traduit
l'activité fébrile des parisiens. ». Tout en
appuyant une fois encore le choix de notre étude restreinte à la
ville de Paris (ici opposée à la « froideur de la
province »), cet extrait nous confirme que ce bouillonnement propre
à Paris doit sans doute chercher sa source dans ses souterrains.
Assurément pour Balzac, Paris est « cet enfer qui,
peut-être un jour, aura son Dante ». Car si l'enfer
déborde déjà en surface, le souterrain de Paris
transformé en enfer apparaît comme une évidence. La
comparaison est flagrante dans Les Misérables :
« La bouche d'égout de la rue de la Mortellerie
était célèbre par les pestes qui en sortaient ; avec
sa grille de fer à pointes qui simulait une rangée de dents, elle
était dans cette rue fatale comme une gueule de dragon soufflant l'enfer
sur les hommes. »222(*). La référence à l'enfer de
Dante, formé de neuf cercles concentriques est également
utilisée par Hugo : « Jean Valjean était
tombé d'un cercle de l'enfer dans un autre. »223(*). Comme dans le mythe de
Dante, où le séjour dans les enfers s'assimile à un
parcours initiatique, les héros de nos romans, qu'il s'agisse de Jean
Valjean, de Philippe de Lussan, ou de Raoul de Chavigny, n'ont comme seul
recours leur ruse et leur courage pour sortir de ces contrées peu
fréquentables.
La figure du diable, si souvent présente dans la
littérature du 19ème siècle, vient encore
renforcer la métaphore. Souvenez-vous, nous avions déjà
cité George Sand dans le recueil intitulé Le diable à
Paris.
Ainsi, le souterrain apparaît comme un espace maudit,
où dieu lui même semble absent, remplacé par les ruses du
diable. Jean Valjean en subit les conséquences dans les
égouts où le sol se dérobe sous ses pieds:
« La chausse-trape du salut s'était subitement ouverte
sous lui. La bonté céleste l'avait en quelque sorte prise par
trahison. Adorables embuscades de la
providence ! »224(*). L'infortuné héros ne pourra retrouver
la présence divine qu'en son for intérieur, mais certainement pas
dans ce sinistre décor, où même le plus haut se refuse
à descendre. « Infernales
carrières »225(*) soupire Elie Berthet lui-même. De
même, Lecerf, enfermé dans les catacombes,
« revoyait les ténèbres opaques, le chaos de
l'Erèbe, le noir mat et désolant, à travers lesquels il
fallait marcher au hasard et sans espoir d'issue. »226(*).
L'enfer a donc profondément marqué notre
littérature souterraine. Mais la mythologie antique a été
bien avant nos auteurs, friandes de ces légendes qui prenaient pour
décor les enfers. Préalablement nourris de culture biblique,
c'est également de mythologie gréco-romaine qu'ont
été abreuvés nos romanciers. Tant et si bien que l'on
retrouve les traces de ces influences entre leurs lignes.
Les références aux fleuves des enfers sont ainsi
nombreuses. Perdu au milieu des catacombes, l'abbé de Chavigny
récite les fleuves des enfers mythiques : « Je te
suivrais à travers les sept fleuves de l'enfer, qui sont : Le Styx,
le Léthé, le Ténare, l'Averne, le Cocyte, le
Phlégéton et... et... ma foi ! j'ai oublié le
septième. »227(*). Si l'on rajoute aux fleuves cités par
l'abbé de Chavigny, l'Achéron, on se rend compte que l'eau est un
élément essentiel de l'univers infernal. Or, l'évocation
de l'eau souterraine est récurrente dans nos oeuvres ; mais cette
eau est menaçante, inquiétante : « on
distingua une sorte de mugissement lointain, continu, semblable à celui
d'une cascade, et plus près de la troupe, un murmure irrégulier,
comme celui d'un courant d'eau. »228(*) Puis, plus tard, les
personnages voyant les trombes d'eau déferler, s'écrient :
« elles viennent au galop ! »229(*); cette menace prend
même des accents apocalyptiques sous la plume de Joseph Méry qui
voit dans la chute de quelques gouttes d'eau du ciel des catacombes l'annonce
« que le dernier plancher du fleuve allait s'entrouvrir pour
laisser rouler dans ces affreuses galeries la trombe d'un déluge
souterrain. »230(*). C'est bien pourtant l'eau qui, au final, engloutit
l'ennemi Rousselin : une « lutte
désespérée de l'homme et des eaux, duel terrible dont il
était facile de prévoir le dénouement. On aurait dit que
la vague avait une intelligence, et que ses lèvres froides cherchaient
le prisonnier dans ses extrêmes asiles pour
l'étouffer. »231(*).
Comment alors, ne pas comparer Philippe de Lussan, affrontant
les dangers des catacombes à la recherche de sa Thérèse au
mythe d'Orphée affrontant les enfers pour venir y chercher son
Eurydice ? Bien que l'aboutissement ne soit pas aussi heureux dans la
mythologie que dans le roman, le rapprochement des deux histoires a sa
pertinence.
Du côté de chez Joseph Méry, Acharias, le
guide des aqueducs, s'inspire bien évidemment du passeur Charon,
personnage brutal, méchant et avare, et qui se fait d'ailleurs payer le
passage de la terre aux enfers par les âmes. Ceux qui n'ont pas
payé sont condamnés à errer 100 ans sans repos. Acharias
lui-même fait payer ses visites souterraines. « L'infernal
portier aux trois têtes canines se laissait séduire par des
gâteaux emmiellés. Le miel des temps modernes est
l'or. »232(*). Enfin, chez Elie Berthet, L'abbé de Chavigny
déclare franchement : « Et maintenant, je suis
prêt à braver Pluton, Cerbère, Satan, la triple
Hécate, Lucifer, tous les diables de la mythologie et de l'ancien
testament ! »233(*).
On peut également dresser un parallèle entre
l'histoire d'Ulysse, vue par Homère, et celle de nos romans. Quand
Ulysse descend aux enfers, ce dernier rencontre un royaume humide, où
l'on accède par des marécages qui ne voient jamais le soleil. Les
rues de Paris ont souvent été comparées, par la boue qui
jonchait le pavé, à des marécages, d'autant que, comme
l'indique le quartier du marais, Paris fut un temps un marécage
authentique. Les romanciers font souvent référence à
l'insanité des rues : « songez à la rue,
songez au pavé couvert de passants, songez aux boutiques devant
lesquelles des femmes vont et viennent décolletées et dans la
boue. »234(*).
Et pour rester aux côtés d'Ulysse, il serait
intéressant de comparer la sirène d'Ulysse à celle
d'Erik... ou plutôt du Persan, qui se retrouve victime du chant de la
« sirène Erik » : « c'est alors
que j'avais eu affaire à la Sirène qui gardait les abords de ces
lieux, et dont le charme avait failli m'être fatal, dans les conditions
précises que voici. Je n'avais pas plus tôt quitté la rive,
que le silence parmi lequel je naviguais fut insensiblement troublé par
une sorte de souffle chantant qui m'entoura. [...] Cela était si suave,
que cela ne me faisait pas peur. Au contraire, dans le désir de me
rapprocher de la source de cette douce et captivante harmonie, je me penchai,
au-dessus de ma petite barque, vers les eaux, car il ne faisait point de doute
pour moi que ce chant venait des eaux
elles-mêmes. »235(*). Le fait qu'Erik sorte de l'eau s'inscrit
directement dans ces croyances qui faisaient des eaux stagnantes un moyen de
communication avec les enfers. Le diable en sortait et attirait les malheureux
au fond des eaux. N'est-ce pas ce que fait Erik ? Curieuse ressemblance
entre ces égarés qui viennent mener leurs barques sur les eaux du
lac du fantôme et ces défunts qui devaient, dans les croyances
populaires, traverser en bateau le lac des enfers.
Toujours est-il, pour en finir avec Homère, que la
cruauté des habitants des cavernes fait l'unanimité, comme
l'illustre au final le cyclope Polyphème qui ne sait, à son stade
de sauvagerie, faire la différence entre un homme et un animal. C'est
donc de cyclopes que l'abbé de Chavigny, libéré par
Médard, qualifie ses geôliers : « Le dernier
service qu'il m'a rendu, en m'arrachant des griffes de Bonnard et de ses
cyclopes, m'a touché. »236(*).
Les rituels antiques et païens, qui se sont
inspirés de ces mythologies, mais également de pratiques
animistes, reprennent les mêmes éléments fondamentaux que
dans les oeuvres ici étudiées. Ainsi, il existait en
Béotie un rituel pour consulter l'oracle de Trophonios qui consistait
à faire subir au prétendant un simulacre de descente aux enfers.
Ce dernier descendait dans une caverne et y demeurait d'un jour à une
semaine. Car, de son retour à la lumière, quand il racontera son
rêve, jaillira la vérité. Rite initiatique que Philippe de
Lussan, Raoul de Chagny et Henry ont tous suivi sous un jour (ou une nuit)
différent.
Il y a une autre figure majeure propre à la mythologie
que l'on croise fréquemment dans les oeuvres de notre
étude : celle du monstre souterrain. Prenons le mythe de
Thésée et du Minotaure. Ce dernier, enfermé dans un
dédale, mi-homme, mi-bête, dévore tous les sept ans, sept
jeunes filles et sept jeunes garçons. Ces pulsions viles à
rapprocher du ça et incarnées par le monstre, sont vaincues par
le héros, ici en l'occurrence Thésée, assisté de
son ami Pirithous. La ville d'Athènes se retrouve ainsi
libérée de ce fléau. Prenons le fantôme de
l'Opéra : nous obtenons le même trio. Raoul, assisté
du Persan, va tenter de délivrer Christine Daaé. La
délivrance de cette dernière entraîne la mort de son
geôlier, le monstre Erik. Autre exemple. Philippe de Lussan,
assisté de son ami l'abbé de Chavigny, va tuer Médard et,
tout en libérant par la même occasion la belle
Thérèse, le héros se dit que « ce serait une
action louable de délivrer l'humanité de ce
monstre. »237(*). L'abbé se décidant à suivre
Philippe s'exprime ainsi :
« Je n'oublie rien. Mais quand Thésée
descendit aux enfers, Pirithoüs était inexcusable de ne pas l'y
suivre pour l'aider à frotter Pluton et à enlever Proserpine.
C'est décidé : si le diable nous tord le cou, il nous le
tordra de compagnie... » 238(*) Le fil d'Ariane, élément clef du
mythe du Minotaure, est lui aussi présent à de nombreuses
reprises dans nos oeuvres, ici chez Joseph Méry239(*) où Lecerf
« examina très minutieusement, à toutes les issues
des carrefours, la ligne noire tracée sur les parois, et qui servait
autrefois de fil d'Ariane, dans ce labyrinthe inextricable qui se
déroule sans fin sous la ville de Paris. ».
Ces monstres, c'est aussi le mythe de l'enlèvement de
Proserpine par Pluton, le roi des enfers ; et tout particulièrement
dans le cas de Christine Daaé, partagée entre l'amour sombre
d'Erik, et celui lumineux de Raoul, comme Proserpine, partagée entre le
monde souterrain de son mari, et celui de sa mère, Cérès,
déesse du blé.
Mais c'est dans Le Fantôme de l'Opéra
qu'apparaît une figure, certes non mythologique, mais pour autant
légendaire qui s'apparenterait au joueur de flûte de Hamelin. Ce
dernier, par le seul son de sa flûte, était parvenu à mener
les rats qui infestaient la ville jusqu'à la rivière où
ils se jetèrent tous. Chez Gaston Leroux, Raoul et le Persan
aperçoivent en premier lieu « une figure en feu qui
s'avançait à hauteur d'homme, mais sans
corps ! »240(*). Gaston Leroux, avec son talent pour transformer
l'anecdotique en événement extraordinaire, en profite pour rendre
l'apparition la plus effrayante possible : « La figure en
feu, qui paraissait une figure d'enfer - de démon embrasé -
s'avançait toujours à hauteur d'homme, sans corps, au-devant des
deux hommes effarés... »241(*). Mais quelques minutes plus
tard, la figure se met enfin à parler : « Ne bougez
pas ! ne bougez pas !... Surtout, ne me suivez pas !... C'est
moi le tueur de rats !... Laissez-moi passer avec mes
rats !... [...] Tout à l'heure, pour ne point effaroucher les
rats devant lui, il avait tourné sa lanterne sourde sur lui-même,
illuminant sa propre tête ; maintenant, pour hâter sa fuite,
il éclaire l'espace noir devant elle... Alors il bondit,
entraînant avec lui tous les flots de rats, grimpants, crissant, tous les
mille bruits... »242(*).
Ces légendes populaires se retrouvent dans nos oeuvres
étudiées. Le diable vert s'inspire librement de la légende
du diable Vauvert, légende parisienne qui disait du château de
Vauvert qu'il était habité par le diable. Les bruits provenaient
en fait de brigands qui avaient élu domicile dans ces vieilles pierres.
Mais les petites gens croyaient ferme au maléfice de ces souterrains. A
l'occasion de l'effondrement d'une maison, « Les dames de la
foire Saint-Germain soutenaient sérieusement qu'un esprit malfaisant, un
antéchrist, peut-être le diable Vauvert, que les chartreux de la
rue d'Enfer étaient parvenus à exorciser plusieurs siècles
auparavant et qui s'était déchaîné de nouveau,
jouait ces mauvais tours à la population
parisienne. »243(*).
Chez Alexandre Dumas, on retrouve les traces de ces
superstitions. « Le puits qui parle » que le commissaire
Jackal va visiter doit son nom aux croyances populaires qui y faisaient vivre
les pires démons. Dans ce cas, il s'agissait sans doute des voix des
conspirateurs qui se réunissaient dans les sous-sols parisiens.
b) Paris, un lieu hors du temps
Il semble donc que les souterrains aient inspiré de tous
temps même les imaginations les plus simples. Il faut dire que le
souterrain pris en tant que tel, indépendamment de la ville de Paris
donc, est un lieu à priori hors du temps, ou plutôt, omni
temporel : il y a toujours eu des souterrains, qu'ils aient
été créés par l'homme ou par la nature elle
même. Nous avions vu comment les auteurs parvenaient à faire du
souterrain parisien un univers à part entière, avec ses
carrefours, son ciel. Le souterrain devient de ce fait un univers autonome,
avec sa temporalité, ses règles de fonctionnement, son histoire
propre. Coupé de la surface, donc du monde vivant, le souterrain est un
autre monde, un monde de l'au-delà. C'est l'univers des morts, nous
l'avons vu avec les catacombes. C'est donc le témoin de ce qui n'est
plus, donc du passé.
Ainsi, quand nos personnages descendent dans ces caves y
découvrent-ils les objets entassés depuis des lustres. Tel est le
sens du bric-à-brac que Rousselin trouve au fond d'une salle des
catacombes. «Il vit d'abord une salle assez vaste et solidement
voûtée, qui paraissait avoir servi de lieu d'asile et de refuge
à différentes époques. Les murs conservaient encore
quelques inscriptions, qui ressemblaient souvent aux hiéroglyphes des
temples souterrains d'Isis. Ce qui fit faire à l'archéologue
Rousselin une réflexion ou une théorie, malgré ses sombres
préoccupations. L'écriture est née dans une crypte, se
dit-il. [...] L'homme, privé d'un compagnon, a parlé aux
murs qui l'entouraient, et ensuite il a voulu laisser sur ces mêmes murs
des empreintes de son passage et des traces visibles de ses
douleurs. »244(*). Le souterrain est donc le moyen de conserver les
traces de l'existence, un souvenir. Ainsi, Rousselin s'arrêtant devant un
graffiti, déclare : « le brave homme n'était
pas aussi lettré que ses voisins. Il n'a cependant voulu partir sans
laisser sa trace. »245(*). Parti donc sur la trace des hommes du passé,
voilà Rousselin transformé en archéologue. De la
même façon, à la fin du roman, c'est au tour de Lecerf et
de Benoît de découvrir, dans les souterrains de Paris, les
vestiges de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés :
« Cette vaste salle devait être le réfectoire ;
je suis persuadé que nous trouverions quelque excavation pour conduire
la fumée. »246(*).
Mais si le souterrain est l'endroit où l'on entrepose
les éléments du passé, c'est aussi là où on
cherche à les enterrer. Comme jetés aux oubliettes, ces objets
sont portés loin du regard. C'est un moyen simple de refouler la
culpabilité. Ainsi, dans Le Fantôme de l'Opéra, la
cave a-t-elle été le décor des massacres des communards.
Mais à l'inverse des actions, l'écrit, lui, laisse des traces.
« J'ai relevé, dans le cachot des communards, beaucoup
d'initiales tracées sur les murs par les malheureux qui furent
enfermés là et, parmi ces initiales, un R et un C. - R C ?
Ceci n'est-il point significatif ? Raoul de Chagny ! Les lettres sont
encore aujourd'hui très visibles. »247(*). La remarque est encore
plus explicite chez Joseph Méry, quand il évoque les massacres
religieux qui poussèrent les malheureux persécutés
à se réfugier dans les catacombes : « Les
hideux trésors ensevelis par les siècles avares, et qu'aucun oeil
ne peut voir, aucune main ne peut enlever. Nous marchons, nous rions, nous
dansons, nous jouons sur un tapis composé d'horribles choses, des choses
que ne désigne aucune langue et qui attendront toujours un
nom. »248(*). Et qui sont ces victimes que l'on a tenté
d'oublier dans les sous-sols ? « Les maillotins au
quatorzième siècle, les tire-laine au quinzième, les
huguenots au seizième, les illuminés de Morin au
dix-septième, les chauffeurs au
dix-huitième. »249(*) Le souterrain est ainsi pris comme une
« poubelle » de l'histoire. On y jetterait les horreurs
à défaut de pouvoir les annuler, et tant pis pour les
éventuels archéologues qui pourraient retrouver leurs traces.
« Les Saint-Barthélemy y filtrent goutte à goutte
entre les pavés. Les grands assassinats publics, les boucheries
politiques et religieuses traversent ce souterrain de la civilisation et y
poussent leurs cadavres. Pour l'oeil du songeur, tous les meurtriers sont
là. »250(*) Comme le dit Victor Hugo, le souterrain ou
l'égout littéraire étant intimement lié à la
représentation de l'être humain, « L'histoire des
hommes se reflète dans l'histoire des cloaques. Les
gémonies racontaient Rome. [...] Toutes les malpropretés de la
civilisation, une fois hors de service, tombent dans cette fosse de
vérité où aboutit l'immense glissement social, elles s'y
engloutissent mais elles s'étalent. [...] Cela enseigne en même
temps. Nous l'avons dit tout à l'heure, l'histoire pas par
l'égout.»251(*). C'est encore, sous la plume de l'auteur :
« L'esprit croit voir rôder à travers l'ombre, dans
l'ordure qui a été de la splendeur, cette énorme taupe
aveugle, le passé. »252(*).
Le souterrain est donc un lieu du souvenir, mais
également un lieu de l'oubli. Car pour se souvenir, il faut bien oublier
au préalable, pour redécouvrir ensuite. C'est pourquoi le
délabrement, qui est l'empreinte du temps qui passe, est un état
récurrent des souterrains. Tel est le constat de Joseph Méry
pendant la visite de l'ancienne abbaye :
« Malheureusement, la ruine arrive quand même. Le
délabrement a été le résultat le plus direct de
l'abandon de ces constructions souterraines. »253(*).
Malgré tout, le passé semble ainsi figé
dans la pierre, immortalisé. Et pour reprendre les mots de J-P. A.
Bernard dans Les Deux Paris, Paris se feuillette comme un livre de
pierres. Plus on descend physiquement, plus on remonte dans le temps. Les
souterrains de Paris sont donc un espace « hors du temps ».
Révolutions, cataclysmes, accidents, ce ne sont là que les
problèmes du monde du dessus. Le sous-sol, lui, reste immuable,
conservant la même température, le même silence, la
même configuration, la même atmosphère. Pas étonnant
donc que le souterrain et son aspect sauvage, qui en fait un lieu vierge,
épargné par la main de l'homme, conserve intact les
éléments naturels : « La route était
encombrée de grosses pierres arrondies par le travail des eaux ; la
roche, déchirée d'une manière bizarre, laissait voir
çà et là des débris fossiles, des coquillages et de
grands ossements d'animaux antédiluviens. »254(*). C'est ainsi que le
paléontologue Cuvier dans la Peau de Chagrin de Balzac,
s'effraie « d'entrevoir des milliards d'années, des
millions de peuples que la faible mémoire humaine, que l'indestructible
tradition divine ont oubliés. ». C'est donc aux
temps les plus reculés que remonte le souterrain.
Utopie :
Alors le souterrain parisien, un lieu omni temporel, ou un
lieu hors du temps ? Plutôt un lieu aux frontières
géographiques et temporelles incertaines. Voilà donc le
souterrain : un milieu sauvage, brutal, mais sincère, comme la
jungle. C'est sans doute pour ces raisons que les auteurs ont fait du
souterrain le refuge de l'utopie.
Prenons dans un premier temps la conception de Rousseau du
« bon sauvage » qu'il présente dans sa
préface de son discours sur l'origine des inégalités. Pour
résumer sa pensée, citons-le : « La nature a
fait l'homme heureux et bon, mais la société le déprave et
le rend misérable. ». A partir de ce mythe de la
pureté de l'état naturel, les romanciers ont cru bon de faire des
souterrains de la capitale, espace encore vierge et naturel, le refuge de ces
sociétés utopiques. Car l'état du bon sauvage est encore
selon Rousseau, « un état qui n'existe plus, qui n'a
peut-être jamais existé, qui probablement n'existera
jamais... »
Si l'on retourne à l'origine du mot utopie tel que l'a
défini Thomas More, l'utopie signifie « lieu de
nulle part », donc hors du temps, hors de l'histoire. Ce n'est
pas anodin si Utopie, à la base, est une île. Les règles
quant à elles sont simples : pas de propriété,
homogénéité des habitations, des heures de travail, des
heures d'étude. Quant à l'industrie de base, c'est l'agriculture.
Observons maintenant la civilisation des Talpa, toute droite issue de
l'imagination de Gaston Leroux. On notera la beauté pure des corps des
femmes Talpa (« quelle carrière de Carrare ou du
Pentélique donna jamais au monde agenouillé un marbre plus
précieux et plus pur ? »255(*)), la pureté de leur
langue (« le plus pur français, la plus pure langue
d'oïl du commencement du XIVème
siècle. »256(*)), l'harmonie qui semble régner entre les
membres de la communauté. Ainsi, comme dans toutes les utopies, le droit
de propriété est aboli. « Chez les Talpa [...] on
ne vend pas, parce qu'on n'achète pas. Chacun prend ce qu'il a
besoin de prendre. »257(*) De même, le libertinage est de rigueur, le
monde des Talpa n'étant régi par aucune loi. « Pour
en revenir au mariage, il n'y avait donc pas de mariage, mais l'union la plus
libre qui se pût imaginer. »258(*) Cette société est née
alors qu'« une famille, dans les premières années
du quatorzième siècle, s'est trouvée enfermée dans
les catacombes, à la suite d'une catastrophe. »259(*). Si bien
qu'« Au bout de trois générations, des gens ne se
souviennent même plus du dessus de la terre. D'autant plus qu'ils ont
peut-être intérêt à en perdre la mémoire. Ce
qui se passait alors sur la terre n'était point si
ragoûtant. »260(*). Comme on le voit, la coupure avec le monde
extérieur permet la création d'une société nouvelle
régie par des règles autonomes.
C'est sans doute pour cette raison que les personnages
plongés dans les souterrains ont une perte totale de la notion du temps.
Philippe de Lussan et l'abbé de Chavigny, sortant des catacombes
après une nuit d'angoisse, sont ainsi victimes de ce bouleversement.
« Six heures du matin ! dit-il ; avons-nous
passé si peu de temps dans ces affreuses
carrières ? » s'exclame Philippe, à quoi
l'abbé lui répond : « J'aurais cru que nous
avions passé trois jours entiers dans ces trous
noirs ! »261(*). Même sensation pour le commissaire Jackal,
kidnappé par les hommes de Salvator : « La marche fut
lente [...] ; elle dura trois quarts d'heure qui parurent des
siècles au prisonnier. »262(*); ou pour Rousselin, dont les
effets sont accentués par l'obscurité des catacombes dans
lesquelles il vient à son tour de se perdre : : « Une
demi-heure a des proportions séculaires en pareille circonstance ;
Rousselin attendit pourtant avec une patience stoïque ce nouveau signal
tombé du clocher du Val-de-Grâce, comme une voix de
salut. »263(*). L'isolement, l'absence des repères
sensoriels ou temporels, la déformation et l'étirement des
frontières, font donc du souterrain un univers totalement
indépendant qui, dans un cas, permet l'émancipation de
l'innocence, de la pureté, de la simplicité des règles
naturelles, mais de l'autre, surprend le voyageur égaré et scelle
son sort qui se résume, dans la majeure partie des cas, par la mort.
Conclusion :
Nous avons ainsi tenté d'explorer, à notre
manière, les représentations du Paris souterrain que nous ont
léguées les romanciers du 19ème. Que peut-on
retenir d'une pareille étude ? Notre manière de percevoir
ces obscurs couloirs qui se faufilent 10, 20, 30, parfois jusqu'à 70
mètres sous les pavés de la capitale a-t-elle tellement
changé ? A cela, je répondrais que non.
Nous avons observé dans nos oeuvres, que le souterrain
était un milieu fascinant, et pour les personnages des romans, et pour
ceux qui en narraient les histoires. La peur, le mystère, la
quête, tous ces éléments que nous avons
évoqués nourrissent cette curiosité. A-t-on si rapidement
évolué, en l'espace d'un siècle ? Il ne s'agit
d'ailleurs même pas d'évolution. Car ces éléments,
peur, mystère ou soif de quête sont intrinsèques à
l'homme. L'homme a et aura toujours peur, sera toujours curieux face au
mystère (et c'est ce qui le fait et le fera toujours avancer), tout
simplement parce qu'il est humain et qu'il est doué d'une conscience. Il
suffit d'ouvrir les recueils de contes qui fascinent toujours autant et qui
continuent à apporter des réponses, pour s'apercevoir que, si
l'environnement de l'homme change au fur et à mesure que sa main le
façonne au gré de ses trouvailles, l'homme en son for
intérieur est toujours régi par les mêmes
mécanismes. De ce fait, le souterrain parisien, s'il a perdu de son
mystère, et n'inspire donc plus la peur qu'il a pu un jour provoquer,
conserve la richesse des mondes souterrains quels qu'ils soient, et que
Bachelard a si bien théorisée dans son ouvrage La Terre et
les rêveries du repos. Qu'on le veuille ou non, le souterrain sera
toujours assimilé à la matrice originelle, et conservera de cette
assimilation la sérénité, la sécurité,
l'isolement et le recueillement qu'on lui a toujours attribués.
Alors certes, la géographie du Paris souterrain a
beaucoup évolué depuis le récit des périples de
Jean Valjean. Le réseau des égouts s'étend
désormais bien au-delà des frontières du Paris
d'Haussmann. L'égout n'est plus ce boyau encombré, mal entretenu,
dangereux, dont Victor Hugo trace le fétide portrait. Les égouts
de Paris sont désormais sous étroite surveillance.
Car tel est le phénomène actuel du
21ème siècle. A l'ère où l'on part
explorer la lune, Mars, Titan, et quelles planètes encore plus
éloignées, quels secrets peuvent encore dissimuler les
souterrains de Paris ? De secrets, ils n'en recèlent plus vraiment.
Seules les légendes demeurent. Désormais, les sous-sols de Paris
ont été dans leur presque totalité apprivoisés.
L'Inspection des carrières surveille de près l'évolution
des anciennes carrières, surveille la formation d'éventuels
fontis, la fréquentation de ces sites.
Mais si les souterrains sont ainsi étroitement
encadrés, pire, ils ont été colonisés par un intrus
des temps modernes : le métropolitain. Creusé comme un
gruyère, Paris est désormais aussi agité au dessus
qu'au-dessous. Une rumeur affirmerait même que, si l'on rasait la
totalité de la surface de Paris, on aurait à peine assez de
matériaux pour combler les vides de ses souterrains... De quoi donner
froid dans le dos.
Car ces éboulements qu'évoquaient Alexandre
Dumas et Elie Berthet ne sont pas de pures fantaisies littéraires, ni
même des accidents révolus. Le 23 février 2003, une
école du 13ème arrondissement de Paris s'effondrait,
aspirée par les vides du chantier pour le prolongement de la ligne du
Météor. Les immeubles de Montmartre font aussi
régulièrement état d'affaissements, à la grande
frayeur des riverains. Alors le mythe du Paris souterrain, encore vivant ?
Oui, d'une certaine façon. On n'écrit certes
plus comme au 19ème siècle sur les souterrains, car
les épopées dans les catacombes ne feraient plus
crédibles. Mais un phénomène parallèle tend
à se développer. Il suffit d'observer le nombre de
« cataphiles » qui ne cesse d'augmenter, au grand dam des
polices spécialisées et des conservateurs du patrimoine
souterrain de Paris. Ces derniers n'ont effectivement de cesse de
déplorer les graffitis et autres pollutions engendrées par ces
visiteurs atypiques. Mais il est intéressant à relever, cet
engouement pour les souterrains, qui met en lumière le fait que les
sous-sols parisiens continuent à engendrer des passions.
Récemment, un groupuscule de « cataphiles »
forcenés a ainsi réussi à constituer une salle de
cinéma sous le palais de Chaillot et à pénétrer
dans les si fameux souterrains de l'Opéra Garnier !
Si l'aspect « aventure » s'est plus ou
moins atténué avec l'augmentation de la fréquentation des
souterrains parisiens et l'ouverture au grand public d'une parcelle des
catacombes, la fascination demeure exactement la même. Comme il existe
des passionnés des toits de Paris, il existe des passionnés des
souterrains de Paris.
On pourrait sans aucun doute chercher une raison à
cela, qui se rapprocherait des théories sur l'inconscient que nous avons
abordées dans notre deuxième chapitre. Mais à cela
s'ajoute de nos jours un besoin des « cataphiles » de fuir
en quelque sorte le monde réel. Nous avons évoqué les
légendes des catacombes. Celles-ci donnent un cadre à
l'établissement des jeux de rôles, phénomène actuel
qui se développe chez les jeunes, et qui a pour but de fabriquer de
toutes pièces une histoire dont chacun des participants est un
protagoniste. Preuve que le souterrain sait encore stimuler les imaginations en
quête d'univers hors du commun.
Et hors du commun, les souterrains de Paris le sont encore. On
trouve ainsi une certaine fierté chez les initiés du monde
souterrain, qui se vantent de posséder les connaissances de cet univers
d'exception. Car ne devient pas « cataphile » qui veut. Il
y a tout un protocole à suivre. Entre autre, le
« cataphile » doit se démettre de son
identité à l'entrée du souterrain. Il adopte alors un nom
d'emprunt, à l'instar de nos personnages qui ôtaient le masque en
pénétrant dans les catacombes. Se donner un nom d'emprunt,
n'est-ce pas se donner un nom qui reflétera au plus près notre
personnalité ? Il existe donc une caste souterraine.
De même, cohabitant dans des souterrains
parallèles, les égoutiers ont une fierté vis-à-vis
de leur travail. Egoutier est encore un des rares métiers qui se
transmet de père en fils.
La littérature s'est donc relativement
éloignée des souterrains parisiens, qui devenaient par trop
démocratiques, laissant la place aux imaginations individuelles. Les
romans policiers se sont tournés vers les banlieues ou les quartiers
sordides de la ville, à ses heures nocturnes. Mais il est rare de
trouver des Thénardier ou des Patron-Minette dans les couloirs
aseptisés du Paris souterrain. Les champs sémantiques ont
changé de référent avec la transformation du décor.
Le souterrain n'offrait plus assez de liberté à l'imagination, et
à l'amplification que permet tout ce qui est entouré de
mystère. Les romans d'aventures se sont également exilés
dans les contrées tropicales. Quel romancier fantasque songerait de nos
jours à aller explorer aux côtés de son héros, les
collecteurs des égouts Sébastopol ou des Petits-Champs ?
De même, les récits relatant la présence
diabolique dans les catacombes de Paris ont perdu de leur impact sur le
lecteur. Il en faut toujours plus, maintenant, pour impressionner. Car les
progrès de l'éducation, de la science ont éclairé
les zones d'ombres de l'ignorance, ces vides propices aux fabulations.
Sans doute le souterrain a perdu de sa
crédibilité à mesure que Paris perdait de son aura.
Certes, on entend encore les lointains échos de l'exception culturelle
française, de Paris, comme la plus belle ville du monde, comme capitale
de la culture... Mais quelle influence Paris exerce-t-elle maintenant en
comparaison de sa gloire passée ? Désormais, la France
parait arrogante. On évoque même la France comme reflet de la
vieille Europe...
Or, nous l'avons vu, l'influence du souterrain n'existe en
partie que par la puissance de son contraire, le Paris de surface. Quand Paris
bouillonnait d'idées, de pouvoirs, de foules à sa surface, quel
contraste le souterrain offrait-il ! Mais maintenant que cette
fièvre a investi les sous-sols, et que l'agitation du dessus s'est
transformée en brouhaha, quel intérêt la littérature
trouverait-elle encore à s'y attarder ?
L'attrait des romanciers du 19ème pour les
souterrains parisiens, comme nous l'avons expliqué auparavant,
s'expliquait par le romantisme de ces contrées inédites,
inexplorées, propres aux fabulations... A l'ère de
l'électrique, de l'électronique, du GPS, des
télécommunications, qui rêve encore des mystérieuses
catacombes dans les mêmes proportions ? Nous avons perdu
l'innocence des romantiques vis-à-vis de notre capitale. Paris perd peu
à peu de sa superbe pour ne devenir que la capitale du quotidien.
Certains disaient « Paris sera toujours Paris », ce qui
plaçait la belle ville dans un mouvement d'éternité. Mais
à partir du moment où elle s'ancre dans le présent,
où elle devient le cadre banal de la vie de tous les jours, dans quelle
mesure cette maxime peut-elle encore faire autorité ?
Vision somme toute pessimiste, mais qui s'inscrit dans la
théorie de l'histoire cyclique. Comme Rome, comme Athènes, Paris
n'échappera sans doute pas à son sort. Seront-ce les souterrains
qui décideront de sa fin ? 1944 avait déjà failli
réaliser cette hypothèse, et l'on ne doit la survie de Paris
qu'à l'intelligence et l'amour pour la capitale du général
allemand Von Choltitz qui refusa d'enclencher les bombes dont il l'avait
minée.
Le mythe de Paris, bien que terni, continue cependant à
inspirer les imaginations des romanciers ou des cinéastes.
Récemment, un film comme Peut-être imaginait Paris
recouvert de sable, et l'anéantissement total de la capitale devient en
quelque sorte cliché dans les films hollywoodiens à
scénario catastrophe. Mais les raisons de ces destructions ne sont plus
intrinsèques à Paris, elles proviennent d'une menace
extérieure, et la représentation de Paris dans ces circonstances
n'est souvent limitée qu'à son symbole : une vague Tour
Eiffel qui surgit derrière un brouillard.
Les ossements des catacombes, eux, n'ont que faire de ces
bouleversements. « Endormis par la mort, ici sont nos
ancêtres. » prévient la gravure du Grand autel de
l'Obélisque dans une des galeries de l'ossuaire. Et ce ne sont pas
quelques apocalypses littéraires qui viendront les réveiller...
Bibliographie :
Bibliographie primaire :
Berthet, Elie, Les Catacombes de Paris, Librairie de L.
Hachette et Cie, Paris, 1863
Dumas, Alexandre, Les Mohicans de Paris, Livre de poche,
Paris, 1973
Dumas, Alexandre, Salvator, Edito-service,
Genève, 1973
Hugo, Victor, Les Misérables, Librairie Hachette
et Cie, Paris, 1875
Leroux, Gaston, Le Fantôme de l'Opéra, Le
livre de poche, Paris, 1959
Leroux, Gaston, Le Roi mystère, Nouvelles
éditions Baudinière, Paris, 1977
Leroux, Gaston, La Double Vie de Théophraste
Longuet, France loisirs, Paris, 1980
Méry, Joseph, Salons et Souterrains de Paris,
Michel Lévy frères libraires éditeurs, 1890
Nerval, Gérard de, Le Monstre vert, in La
dimension fantastique : treize nouvelles de E. T. A. Hoffmann à
Claude Seignolle, Librio, Paris, 1997
Zaconne, Pierre, Les Drames des catacombes, in Le
Roger Bontemps, Ph. Collier, Paris, (Janvier1861-Décembre 1862)
Bibliographie secondaire :
Bachelard, Gaston, La Terre et les rêveries du repos,
1997. Paris, José Corti, 1948
Bachelard, Gaston, La Poétique de l'espace, 1998,
Paris, P.U.F
Baudoin, Charles, Psychanalyse de Victor Hugo, Paris,
Armand Colin, 1972.
Benjamin, Walter, Paris, capitale du 19ème
siècle, Editions du cerf, 1989
Bernard, Jean-Pierre, Les Deux Paris : les
représentations de Paris dans la seconde moitié du
19ème siècle, Seyssel, Champ Vallon, 2001
Blanc, Jean-Noël, Polarville : images de la ville
dans le roman policier, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1991
Champfleury, La Mascarade de la vie parisienne, Paris,
A. Bourdilliat, 1860
Chenet-Faugeras, Françoise, Les Misérables ou
l'espace sans fond, Paris, A. G. Nizet, 1995
Citron, Pierre, La Poésie de Paris dans la
littérature française de Rousseau à Baudelaire,
Paris, les éditions de Minuit, 1961
Correa, José Augusto, Paris-Lumière, Paris
Ténèbres (oui et non), Paris, Imprimerie
générale Lahure, 1914
Delvau, Alfred, Les Dessous de Paris. Paris,
Poulet-Malassin, 1860
Diaz, José-Luis, Victor Hugo, Les Misérables,
« la preuve par les abîmes », Paris, Sedes,
1994
Du Camp, Maxime, Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie
dans la seconde moitié du 19ème siècle,
Paris, Hachette et Cie, 1869
Dufief, Pierre-Jean, Paris dans le roman du XIXème
siècle. Paris, Hatier, 1994
Filloux, Jean-Claude, L'Inconscient. Paris, P.U.F,
Que sais-je ?, 1947
Glauser, Alfred, La Poétique de Hugo, Paris, A.
G. Nizet, 1978
Husson-Casta, Isabelle, Le Travail de
l' « obscure clarté » dans le
fantôme de l'Opéra de Gaston Leroux, Paris, Lettres
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* 1 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos (Paris, José Corti, 1997)
p.184
* 2 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959) p.
161
* 3 Gaston Leroux, La Double
Vie de Théophraste Longuet, (Paris, France loisirs, 1980), p.240
* 4 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), p.212
vol.2
* 5 Pierre Brunel,
Dictionnaire des mythes littéraires, (paris, éditions du
Rocher, 1988)
* 6 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.328
* 7 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.301
* 8 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.91
* 9 Ibid, p.119
* 10 Gérard
de Nerval, Le Monstre vert , (Paris, Librio, 1997), p.15
* 11 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.151
* 12 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.159
* 13 Gaston Bachelard, La
Poétique de l'espace, (Paris, P.U.F, 1998), p.37
* 14 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet, (Paris, France loisirs, 1980),
pp.167-168
* 15 Ibid., pp.153-154
* 16 Gaston Leroux, Le Roi
mystère, (Paris, nouvelles éditions Baudinière, 1977)
p.346
* 17 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890.) p.120
* 18 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 3
* 19 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet (Paris, France loisirs, 1980)
p.241
* 20 Ibid., p.240
* 21 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
p.259, vol.1
* 22 Ibid., p.204, vol.2
* 23 Ibid., p.313, vol.3
* 24 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), p.81,
vol.2
* 25 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.166
* 26 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p. 283
* 27 Ibid., p. 283
* 28 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet (Paris, France loisirs,
1980), p.239
* 29 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
pp.120-121
* 30 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
p.123
* 31 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V,III,6
* 32 Pierre Citron, La
Poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau
à Baudelaire, (Paris, les éditions de Minuit, 1961)
* 33 Jean-Noël Blanc,
Polarville : images de la ville dans le roman policier, (Lyon,
Presses universitaires de Lyon, 1991), p.89
* 34 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.8
* 35 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), p.59,
vol.1
* 36 Alexandre Dumas, Les
Mohicans de Paris, (Paris, livre de poche, 1973) pp. 483-484
* 37 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V,II,2.
* 38 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), II,VII,4
* 39 Jean-Noël Blanc,
Polarville : images de la ville dans le roman policier, (Lyon,
Presses universitaires de Lyon, 1991), p. 85
* 40 Gaston Bachelard,
L'Eloge de la raison sensible (paris, Grasset, 1996), p.150
* 41Champfleury, La
Mascarade de la Vie parisienne, (Paris, A. Bourdilliat, 1860), p.466
* 42 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959), p.
39
* 43 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.2
* 44 Ibid., p.118
* 45 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), p.83,
vol.2
* 46 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p. 161
* 47 Ibid, p. 132
* 48 Ibid., p. 164
* 49 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.120
* 50 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet (Paris, France loisirs,
1980), p.219
* 51 Ibid., p.219
* 52 Ibid., p.221
* 53 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p. 91
* 54 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.162
* 55 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p. 94
* 56 Ibid., p.161
* 57 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.151
* 58 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet (Paris, France loisirs,
1980), p.229
* 59 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.94
* 60 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.161
* 61 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet (Paris, France loisirs,
1980), p.220
* 62 Pierre Zaconne, Les
Drames des catacombes, Le Roger Bontemps n° 251 (Paris, P. Collier,
1861-1862), p.338
* 63 Ibid., p.338
* 64 Pierre Zaconne, Les
Drames des catacombes, Le Roger Bontemps n° 251 (Paris, P. Collier,
1861-1862), p.338
* 65 Ibid., p.362
* 66 Pierre Zaconne, Les
Drames des catacombes, Le Roger Bontemps n° 250 (Paris, P. Collier,
1861-1862), p.331
* 67 Ibid., p.332
* 68 Ibid., p.332
* 69 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), p.
298, vol. 2
* 70 Ibid., p. 257, vol.2
* 71 Ibid., p.259, vol.2
* 72 Ibid., p.2 vol.2
* 73 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), pp.
273-274 vol.2
* 74 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), pp. 89-90
* 75 Ibid., p. 114
* 76 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), p.
251, vol.2
* 77 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.162
* 78 Ibid., p.99
* 79 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
p.110, vol.1
* 80 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959), p.
264
* 81 Evoqué par Maxime
Du Camp, Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde
moitié du XIXème siècle, (Paris, Hachette, 1874),
vol.1, p. 8
* 82 Champfleury
(Jules-François-Félix Husson), La Mascarade de la vie
Parisienne, (Paris, A. Bourdilliat et Cie, 1860) p.463
* 83 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V,II, 4
* 84 Ibid., V, III, 2
* 85 Paul Féval,
Les Nuits de Paris, drames et récits modernes, (Paris,
administration des publications populaires, 1851), vol. 1, p. X
* 86 Louis-Sébastien
Mercier, Tableau de Paris, (Paris, Mercure de France, 1994), p.23
* 87 Jean-Noël Blanc,
Polarville : images de la ville dans le roman policier, (Lyon,
Presses universitaires de Lyon, 1991), p.84
* 88 Patrick Wotling, La
Pensée du sous-sol, (Paris, éditions Allia, 1999), p.34
* 89 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos, (Paris, José Corti, 1997)
p.202
* 90 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.131
* 91 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.1
p.89
* 92 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.159
* 93 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos, (Paris, José Corti, 1997),
p.185
* 94 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.321
* 95 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p. 279
* 96 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p. 173
* 97 Pierre Zaconne, Les
Drames des catacombes, Le Roger Bontemps n° 243 (1861-1862),
p.275
* 98 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos, (Paris, José Corti, 1997),
p.192
* 99 Ibid., p.186
* 100 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos, (Paris, José Corti, 1997), p.
256
* 101 Gaston Bachelard, La
Psychanalyse du feu, (Paris, Gallimard, 1983), p. 84
* 102 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos, (Paris, José Corti, 1997),
p.120
* 103 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.278
* 104 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
vol.1, p.92
* 105 Gaston Bachelard, La
Poétique de l'espace, (Paris, P.U.F, 1998), p.37
* 106 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet, (Paris, France loisirs, 1980),
p.267
* 107 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos, (Paris, José Corti, 1997), p.
250
* 108 Pierre Zaconne, Les
Drames des catacombes, Le Roger Bontemps n° 253 (1861-1862),
p.354
* 109 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.82
* 110 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V,II,1
* 111 Alexandre Dumas,
Salvator, (Genève, Edito-service, 1973), vol. 2, p. 280
* 112 Jean-Pierre Bayard,
La Symbolique du monde souterrain et de la caverne, (Paris, Editions
Guy Tredaniel, 1994), p.277
* 113 Ibid, p.277
* 114 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
vol.1, p.93
* 115 Ibid., vol.2, p.279
* 116 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
vol.2, p. 273
* 117 Jean-Pierre Bayard,
La Symbolique du monde souterrain et de la caverne, (Paris, Editions
Guy Tredaniel, 1994), p.259
* 118 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
vol.2, p. 314
* 119 Ibid., vol.2, p. 315
* 120 Pierre Zaconne, Les
Drames des catacombes, Le Roger Bontemps n° 244 (1861-1862),
p.284
* 121 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.200
* 122 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
vol.1, p.258
* 123 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), pp. 9-10
* 124 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
vol.1, p.235
* 125 Pierre Zaconne, Les
Drames des catacombes, Le Roger Bontemps n° 243 (1861-1862),
p.275.
* 126 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos, (Paris, José Corti, 1997),
p.193
* 127 Ibid., p.248
* 128 Patrick Wotling, La
Pensée du sous-sol, (Paris, éditions Allia, 1999), p. 65
* 129 Jean-Noël Blanc,
Polarville : images de la ville dans le roman policier, (Lyon,
Presses universitaires de Lyon, 1991), p.87
* 130 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863),
vol.2, p.268
* 131 Pierre Zaconne, Les
Drames des catacombes, Le Roger Bontemps n° 250 (1861-1862),
p.330
* 132 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V,III,1
* 133 Louis-Sébastien
Mercier, Les Entretiens du Palais-Royal de Paris, (Paris, chez
Buisson, 1786) p.111
* 134 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.266
* 135 Ibid., p.267
* 136 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos, (Paris, José Corti, 1997),
p.260
* 137 Panagiotis Christias,
« Ecce Paris, Ecce homo : l'intestin de
Léviathan », Sociétés, n° 73
(2001) : p.12
* 138 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, I, 20
* 139 Jean-Pierre Bayard,
La Symbolique du monde souterrain et de la caverne, (Paris, Editions
Guy Tredaniel, 1994), pp. 287-288
* 140 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, III, 6
* 141 Pierre Zaconne, Les
Drames des catacombes, Le Roger Bontemps n° 244 (1861-1862),
p.283
* 142 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.1
* 143 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.169
* 144 Alexandre Dumas,
Salvator, (Genève, Edito-service, 1973) vol.3, p.9
* 145 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos (Paris, José Corti, 1997),
p.202
* 146 Ibid, P.206
* 147 Jean-Pierre Bayard,
La Symbolique du monde souterrain et de la caverne, (Paris, Editions
Guy Tredaniel, 1994), p. 265
* 148 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos (Paris, José Corti, 1997),
p.209
* 149 Ibid., p.209
* 150 Gaston Bachelard, La
Poétique de l'espace, (Paris, P.U.F, 1998), p.36
* 151 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890.), pp. 272 -273
* 152 Maxime Du Camp,
Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié
du 19ème siècle, (Paris, Hachette et Cie, 1869),
vol. 1 p.1
* 153 Ibid., vol.1 p. 18
* 154 Louis-Sébastien
Mercier, Tableau de Paris, (Paris, Mercure de France, 1994), p. 13
* 155 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890.), p.91
* 156 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V,III,1
* 157 Jean-Noël Blanc,
Polarville : images de la ville dans le roman policier, (Lyon,
Presses universitaires de Lyon, 1991), p.91
* 158 Louis-Sébastien
Mercier, Tableau de Paris, (Paris, Mercure de France, 1994), p.37
* 159 Honoré de
Balzac, Les Illusions perdues, éd. de M. Picon (Paris,
Gallimard, 1974), p.177
* 160 Théophile
Lavallée, Le Diable à Paris : Paris et les Parisiens, moeurs
et coutumes, (Paris, Paris-Musée, 1992), p. 63
* 161 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), IV, VIII,
6
* 162 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890.), p. 303
* 163 Pierre-Jean Dufief,
Paris dans le roman du XIXème siècle. (Paris, Hatier,
1994)
* 164 Maxime Du Camp,
Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié
du 19ème siècle, (Paris, Hachette et Cie, 1869),
vol.6, p. 348
* 165 Maxime Du Camp,
Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié
du 19ème siècle, (Paris, Hachette et Cie, 1869),
vol. 6, pp. 333-334
* 166 Louis-Sébastien
Mercier, Les Entretiens du Palais-Royal de Paris, (Paris, chez
Buisson, 1786), p. 111
* 167 Pierre-Jean Dubief,
Paris dans le roman du XIXème siècle. (Paris, Hatier,
1994)
* 168 Bernard, Jean-Pierre,
Les deux Paris : les représentations de Paris dans la seconde
moitié du 19ème siècle, (Seyssel, Champ
Vallon, 2001), p.54
* 169 Alexandre Dumas,
Salvator, (Genève, Edito-service, 1973) vol.3 , p.166
* 170 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V,III,1
* 171 Jean-Noël Blanc,
Polarville : images de la ville dans le roman policier, (Lyon,
Presses universitaires de Lyon, 1991) p.177
* 172 Alexandre Dumas,
Salvator, (Genève, Edito-service, 1973) vol.2 p.391
* 173 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet (Paris, France loisirs, 1980)
p.268
* 174 Ibid., p.270
* 175 Ibid., p.270
* 176 Ibid., p.269
* 177 Ibid., p.269
* 178 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet (Paris, France loisirs, 1980).,
p.271
* 179 Honoré de Balzac,
Histoire des treize : Ferragus, La fille aux yeux d'or,
éd. M. Lichté, Paris, Flammarion, 1988, p.209-210.
* 180 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), IV, I, 11
* 181 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2,
p.8-9
* 182 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II,6
* 183 Patrick Wotling, La
Pensée du sous-sol, (Paris, éditions Allia, 1999), p.16
* 184 Ibid., p.72
* 185 Alexandre Dumas,
Salvator, (Genève, Edito-service, 1973) vol.3, p. 148
* 186 Pierre Citron, La
Poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau
à Baudelaire, (Paris, les éditions de Minuit, 1961), p.
243
* 187 Walter Benjamin,
Paris, capitale du 19ème siècle, (Paris, Les
éditions du Cerf, 1989), p. 108
* 188 Alexandre Dumas,
Salvator, (Genève, Edito-service, 1973) vol.3, p. 11
* 189 Pierre Citron, La
Poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau
à Baudelaire, (Paris, les éditions de Minuit, 1961), Vol.1,
p. 243
* 190 Victor Hugo,
Brouillon du discours du 20 juin 1848 à la constituante sur les
ateliers nationaux (Actes et paroles, t. 1, Reliquat), p. 470
* 191 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, I, 1
* 192 Maxime Du Camp,
Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié
du XIXème siècle, (Paris, Hachette, 1874), vol.1, p. 14
* 193 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), III, VII,
2
* 194 Victor Hugo, Notre
Dame de Paris, (Paris, Hachette, 2002), III, 2
* 195 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), IV, X, 4
* 196 Ibid., IV, I, 5
* 197 Alexandre Dumas,
Salvator, (Genève, Edito-service, 1973), p. 216, vol. III
* 198 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V,I,1
* 199 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), IV, VII,
1
* 200 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II,
3
* 201 Gaston Bachelard, La
Terre et les rêveries du repos, (Paris, José Corti, 1997), p.
240
* 202 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.271
* 203 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 2
* 204 Alexandre Dumas,
Salvator, (Genève, Edito-service, 1973) vol 2, p. 9
* 205 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2,
p.270
* 206 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2,
p. 306
* 207 Louis-Sébastien
Mercier, Tableau de Paris, (Paris, Mercure de France, 1994), p. 37
* 208 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 1
* 209 Nouveau tableau de
Paris au 19ème, Paris dans ses causes, (Paris, Librairie
Mme Charles Béchet, 1835), t.8, p.345-366
* 210 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 1
* 211 Alexandre Dumas, Les
Mohicans de Paris,(Paris, Livre de poche, 1973)
* 212 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 1
* 213 Pierre Citron, La
Poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau
à Baudelaire, (Paris, Les éditions de minuit, 1961), v.2, p.
33
* 214 Ibid., v.2, p.19
* 215 Pierre Citron, La
Poésie de Paris dans la littérature française de Rousseau
à Baudelaire, (Paris, Les éditions de minuit, 1961), v.2,
p.20
* 216 Léon Daudet,
Paris Vécu, 1ère série, rive droite,
(Paris, Gallimard, 1930), p. 120-221
* 217 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2,
p. 313
* 218 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2,
p. 210
* 219 Ibid., v.1, p. 209
* 220 Ibid, v.2, p. 309
* 221 Ibid, v.2, p. 210
* 222 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 3
* 223 Ibid., V, III, 1
* 224 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, III, 1
* 225 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.1,
p.321
* 226 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.93
* 227 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.1,
p.277
* 228 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2,
p.304
* 229 Ibid., v.2, p.304
* 230 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.94
* 231 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.311
* 232 Ibid, p. 120
* 233 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.1,
p. 273
* 234 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, I, 4
* 235 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.263
* 236 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2,
P. 234
* 237 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2,
p.251
* 238 Ibid., v.1, p.265
* 239 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890), p.88
* 240 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.252
* 241 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.252
* 242 Ibid., pp. 254-255
* 243 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.1,
p. 37
* 244 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890.), p. 167
* 245 Ibid., p. 169
* 246 Ibid., p. 306
* 247 Gaston Leroux, Le
Fantôme de l'Opéra, (Paris, Le livre de poche, 1959),
p.338
* 248 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890.), p.118
* 249 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 2
* 250 Ibid., V, II, 2
* 251 Victor Hugo, Les
Misérables, (Paris, Librairie Hachette et Cie, 1875), V, II, 2
* 252 Ibid., V, IV, 2
* 253 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890.), p.170
* 254 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.2,
p.268
* 255 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet, (Paris, France loisirs, 1980),
p.243
* 256 Ibid, p.245
* 257 Gaston Leroux, La
Double Vie de Théophraste Longuet, (Paris, France loisirs, 1980),
p.260
* 258 Ibid., p.264
* 259 Ibid., p.248
* 260 Ibid., p.248
* 261 Elie Berthet, Les
Catacombes de Paris, (Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863), v.1,
p.125
* 262 Alexandre Dumas,
Salvator, (Genève, Edito-service, 1973) vol.3, p.9
* 263 Joseph Méry,
Salons et souterrains de Paris, (Paris, Michel Lévy
frères, 1890.), p. 130
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