La définition du bien-être ou du mal-être
est un exercice peut commode car ce concept varie d'un individu à un
autre, d'une communauté à une autre. Malgré les
spécificités régionales dans les composantes du
mal-être définies par les individus pauvres, beaucoup se
recoupent, ce qui peut donner lieu à une catégorisation. On
pourrait s'inspirer des travaux pionniers de Chambers qui retient quant
à lui huit dimensions fondamentales de privations nuisant au
bien-être des individus. Par ailleurs, l'ensemble des études
participatives menées par la Banque Mondiale a donné naissance
à un article de synthèse : Voices of the poor (Narayan, 2000).
Les composantes du bien-être et du mal-être exprimées par
les individus y sont regroupées en 5 dimensions : le bien-être
matériel, le bien-être physique, la sécurité, la
liberté de choix et d'action, et les bonnes relations sociales.
Dans les zones rurales le bien-être matériel
se traduit par la possibilité d'avoir une terre et d'avoir les
ressources nécessaires pour cultiver et avoir une bonne récolte.
En milieu
urbain, les individus insistent sur l'accès au
crédit, la possession d'un capital suffisant pour monter une petite
entreprise, la stabilité de l'emploi. Chambers (1995) inclut dans cette
dimension les biens, les ressources matérielles et les revenus.
La bonne santé physique est
présentée comme primordiale par les pauvres. Non seulement pour
des raisons sociales et de bien-être personnel, mais aussi parce que pour
beaucoup, le corps est la seule ressource dont ils disposent. Or, les mauvaises
conditions de vie et de travail, combinées avec la pauvreté
matérielle, rendent les individus hautement vulnérables à
la maladie, à la mort et plus fréquemment sujet à des
incapacités physiques permanentes.
Une troisième dimension du bien-être est
caractérisée par l'insécurité
décrite par les individus comme synonyme de tranquillité
d'esprit ou de confiance dans leur survie. Le problème de la survie se
pose non seulement en référence aux moyens de subsistance mais
aussi face à la violence et la corruption croissantes, la guerre, les
désastres naturels et l'incertitude des climats qui mettent en jeu la
survie purement physique.
Le quatrième volet recouvre la liberté de
choix et d'action. Cela inclut le pouvoir d'éviter l'exploitation
et les traitements humiliants que les riches ou les personnes de plus de
pouvoir imposent aux pauvres. Cela fait aussi référence à
la capacité de s'instruire, de s'informer, d'avoir accès aux
services de crédit, de vivre dans des endroits décents, de ne
plus vivre à la merci des mauvaises saisons, de pouvoir aider ceux qui
sont plus dans le besoin. L'incapacité d'action, l'impuissance
confrontent les pauvres à des choix contraints. Ils décrivent
l'impuissance ("powerlessness") comme l'incapacité à
contrôler leur environnement à cause de la pauvreté. Ils
insistent sur le sentiment d'angoisse face à l'accès difficiles
aux divers actifs, à un revenu, à un emploi. Subissant le pouvoir
des autres, ils sont faciles à exploiter ou à ignorer. Notamment,
la difficulté à se faire entendre des autorités est
renforcée par le lieu d'habitat souvent éloigné et
isolé. L'isolement constitue une des huit catégories de Chambers.
Il fait référence à l'isolement géographique,
l'isolement en termes de communication (incluant le manque de contacts, les
difficultés d'accès à l'information et
l'analphabétisme), l'isolement vis à vis des supports
économiques et sociaux.
L'isolement social est une cinquième
caractéristique retenue dans le rapport de la Banque Mondiale. Le
bien-être, dans cette dimension, correspond à la qualité
des relations sociales, familiales, communautaires. Il est fonction du respect
dans lequel la société tient les individus, de la place que les
individus peuvent prendre dans la vie sociale. En ce sens, la
possibilité de suivre les traditions et les coutumes de leur culture est
déterminante du bien- être social des individus. Les pauvres
soulignent l'humiliation ressentie à ne pas pouvoir participer aux
rituels et aux fêtes, à ne pas pouvoir échanger des
présents. Chambers parle
d'infériorité sociale, lorsque la
société perçoit un individu comme
génétiquement inférieur, désavantagé (en
fonction de son sexe, de sa caste, de sa race, de son groupe ethnique) ou
inférieur en termes de classe, de groupe social ou d'emploi.
L'infériorité sociale peut être acquise, liée
à l'âge ou encore liée à la naissance.
2-1-2- Approche théorique d'analyse : The
Sustainable Livelihoods Analyse (SLA) ou l'Approche par les Moyens d'Existence
Durables (AMED) 2-1-2-1- Les débats récents sur le concept de
la pauvreté
Le concept de la pauvreté a subi ces dernières
décennies de profondes réexaminations, avec l'effondrement du
mythe de la croissance bénéfique pour tous. Le constat de
paupérisation et de diversification des formes de pauvreté dans
les pays en développement pose avec une acuité nouvelle la
question de la pauvreté.
En effet, la pauvreté est communément
définie en fonction des seuils de revenus ou de consommation. Selon
cette approche, une personne est pauvre lorsque ses revenus sont faibles et
insuffisants pour lui permettre d'accéder aux ressources
économiques (terre, main d'oeuvre etc.). Cette personne devient
vulnérable et s'expose aux catastrophes naturelles et économiques
(insécurité alimentaire). Cette méthode pose
problème parce que premièrement, elle assimile pouvoir d'achat et
satisfaction des besoins et, deuxièmement, elle présuppose que
tous les besoins peuvent être satisfaits par des moyens monétaires
(Kabeer, 1994).
Un autre paramètre couramment employé pour
mesurer la pauvreté est la sécurité alimentaire, ou
plutôt son absence. On parle d'insécurité alimentaire
lorsque les êtres humains n'ont pas un accès suffisant à
des quantités de nourriture adéquates et ne consomment donc pas
les aliments nécessaires à une croissance et un
développement normaux. Ce manque d'accès à la nourriture
peut être dû à sa non disponibilité, à un
pouvoir d'achat insuffisant, à la distribution ou l'utilisation
inadéquate des aliments au niveau des ménages. On peut
procéder à d'autres analyses pour établir quels facteurs
sont à l'origine de l'insécurité alimentaire et quels
facteurs influent sur la capacité des ménages d'y faire face. La
définition des seuils de pauvreté repose de ce fait sur une
décision plus ou moins arbitraire concernant qui est pauvre et qui ne
l'est pas, prise sur la base d'une définition des besoins physiologiques
en énergie alimentaire.
Aussi, la pauvreté n'est-elle pas seulement une
question de disponibilités de revenus et/ou de nourriture. En effet,
Jodha (1988), après son étude dans les ménages de deux
villages du Rajastan, a montré que bien que ces ménages aient vu
leur revenu réel par tête baisser de
plus de 5%, ils ont vu leur situation évoluer
positivement. Leur situation, bien que plus critique en termes de
bien-être économique, s'est améliorée selon les
critères que les villageois ont eux-mêmes définis. Le
paradoxe de Jodha souligne donc l'intérêt de mesurer la
pauvreté en ne considérant pas seulement les revenus, l'analyse
en termes de revenu ne saisissant pas toutes les dimensions du
bien-être.
L'approche basée sur le concept « des besoins de
base » quant à elle suppose que la pauvreté s'exprime par
une incapacité des individus à satisfaire les « besoins de
base » physiques (nourriture, soins de santé, éducation,
habillement etc.) et non physiques (participation, identité etc.)
(Streetent 1977). Le problème majeur posé par cette approche est
la détermination complète des besoins de base et la
spécification objective des niveaux auxquels on peut considérer
que le besoin est satisfait.