1 Le Jouet, de la chambre au musée
Des jouets, il en existe de différentes sortes :
il y a les jouets avec lesquels on joue, et ceux qui sont si précieux
qu'on les expose dans des armoires vitrées ou sur des
étagères. Tous ces jouets appartiennent à un monde
imaginaire, un monde miniaturisé, et sont autant l'apanage des enfants
que des adultes. Tous ces jouets méritent que nous nous attardions un
peu sur leur histoire et découvrions comment leur destinée les a
conduits d'une chambre d'adulte ou d'enfant aux collections d'un musée.
1.1 La première
vie du jouet
Le jouet a été créé et
conçu pour le divertissement et l'amusement. Son possesseur joue avec,
le touche, le manipule, le bouscule... Le jouet tombe, se casse, se
répare... En un mot, le jouet prend vie. Il vit. Cette vie du jouet est
une vie sensorielle, sensitive. Le jouet joue sur les cinq sens, et sur la
matière ... Le jouet est le témoin d'histoires inventées,
par substitution, il devient l'acteur de sa propre histoire.
Le jouet, conçu comme une miniaturisation du monde
adulte, adapté à l'enfant, transpose la réalité
dans un monde fictif, où s'effectue un renversement des
rôles : les enfants se substituent aux adultes et doivent se
comporter comme tels, face à des jouets considérés comme
leurs rejetons. Jusqu'aux années 1960, la société est
basée sur des règles particulièrement strictes,
régies par la différenciation sexuelle. Filles, garçons,
chacun possède ses jouets et ne les mélange pas. Ainsi la petite
fille se voit offrir des objets qui la préparent à son futur
rôle de mère: dînette et ustensiles de cuisine en bois,
table et chaises en étain, meubles de poupée. Le garçon
reçoit chevaux de bois, animaux en étain moulé et peint,
soldats de plomb et divers objets flottants en bois. Les garçons jouent
à la guerre pour rire et s'identifient à de grands héros
nationaux ou imaginaires. Les filles jouent « à la
maman » avec leurs poupées. Les enfants participent en secret
de ce monde de l'adulte dans lequel pourtant ils ne sont ni aptes ni
autorisés à pénétrer. Grâce au jouet, ils se
créent un monde à leur dimension, un monde imaginaire. La chambre
est l'univers des enfants, le jouet le reflet de leurs envies et aspirations
les plus secrètes. L'enfant pétri d'imaginaire, et d'idées
foisonnantes, ne manque d'inventer à ses jouets toute une histoire, un
contexte familial ou historique.
Le détenteur du jouet parait alors à l'image du
Dieu biblique qui en insufflant une âme dans un tas de glaise,
crée un être humain. De même l'homme a façonné
le jouet, lui a donné matière et forme, mais c'est l'enfant ou
son possesseur qui le crée véritablement en l'intégrant
profondément dans sa vie. Le jouet vit de la vie de son possesseur, il
s'en imprègne. Lui appartenir l'amène à devenir un
patrimoine personnel. L'enfant-démiurge a insufflé une
étincelle à son jouet. Etincelle qui dote le jouet d'une
personnalité. Et le jouet va voir accroitre cette aura au fil de son
destin.
Conçu pour être le serviteur de l'enfant, le
jouet est soumis à ses désirs et à ses souhaits. Il ne vit
pas par lui-même. Il ne vit pas encore de lui-même. Cependant, le
jouet exerce une grande influence sur l'enfant. Il est le complément
indispensable à ses jeux. Parfois même il les inspire. Sans jouet,
l'enfant n'a pas de jeux. Le jouet crée et dirige le jeu. Il existe
alors un lien « transmué » de créateur
à créature, les deux protagonistes occupant simultanément
ces deux fonctions. Une transmutation, comme l'alchimiste qui à partir
du plomb, crée de l'or, mais c'est le plomb qui crée
l'alchimiste.
Le jouet est un objet totalement adapté à
l'enfant. Celui-ci vit dans le présent, et le jouet reflète la
culture et la civilisation dont il est issu. Il est la marque d'un
présent infini. Il est un point perpétuel sur l'axe du temps.
Même si le jouet est cassé, oublié dans un grenier ou
jeté, il reste toujours la trace de l'instant où il a
été conçu, l'instant où il a été
créé. Le problème est que cet instant ne coïncide
guère avec la succession d'instants du « présent
réel ». Le temps qui passe fait dévier les goûts
de l'enfant. Lui-même grandit et risque fort d'abandonner sa
création, et d'une certaine manière il hasarde la vie et la mort
de son jouet.
Cependant dans un ordre paradoxal des
événements, la vie du jouet va suivre chez certains une
orientation différente. Eléments de possession,
éléments de patrimoine, héritage parfois, le jouet est
légué de générations en générations.
Il est parfois usité avec précaution, comme si l'enfant savait
d'instinct qu'il tient une créature précieuse entre ses mains, ou
sans doute se plait-il à l'imaginer. Sensible au charme de son jouet,
à cette aura qu'il a inspirée, il le conserve et le traite comme
un objet de valeur, comme un être à part entière.
D'une première vie uniquement sensitive, le jouet
devient par la force des événements et des sensations, un objet
animé, un être doué d'une certaine vie, mais d'une vie
certaine. Le jouet personnifie la vie. Patrimoine personnel,
possédé, détenu, il apparait comme un patrimoine vivant
qui reflète le passé.
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