La psychologie, un genre médiatique devenu rentable( Télécharger le fichier original )par Ariane Gaffuri Celsa-Université de Paris IV-Sorbonne - Master 2 Pro en Information et Communication spécialisé en Journalisme 2008 |
3.2.2 La place du témoin« A l'opposé de la parole de l'expert qui est froide et lointaine, la parole ordinaire est chaude et proche, immédiatement accessible. »89(*) Rémy Rieffel, « Que sont les médias ? », 2005. Quelles sont les motivations, les vertus thérapeutiques ou les dangers pour ces personnes anonymes venues livrer un morceau de leur vie au grand public ? Les témoins auraient différentes raisons de souhaiter s'exprimer dans les médias. Ils sont parfois motivés par le souhait de partager une expérience, de transmettre une connaissance, de régler un problème ou de révéler aux proches un secret trop lourd à porter. Elizabeth a accompli la mission qu'elle s'était donnée. Elle est apparue à l'écran en janvier 2006 dans le cadre de « Ca se discute » sur les femmes battues. Elle voulait, en retraçant une période douloureuse de son histoire, apporter un message d'espoir à toutes celles qui, prises dans l'engrenage, ne voient pas d'issue possible.90(*) Relevant souvent du défi personnel, le passage à la télévision laisse aux participants des impressions mitigées, comme en atteste Marc, directeur artistique, en avril 2006, dix ans après son intervention dans « Ca se discute ». Le thème était alors : « Hommes-femmes, à chacun sa grossesse ». Marc souhaitait défier les idées reçues sur le rôle des jeunes pères, mais il n'a pas pu s'exprimer comme il le souhaitait. Il se souvient avoir éprouvé un sentiment de « forte déception. »91(*) Les participants ne sont pas tous armés pour surmonter leur passage à la télévision, confirme le psychiatre Serge Hefez. Pour lui, une minorité d'entre eux a une capacité de séduction et peut se nourrir de célébrité furtive. Mais la plupart se trouvent en difficulté.92(*) Dans « Ca se discute » le 11 octobre 2004, Pierre raconte son penchant pour l'alcool. Il se souvient avoir tenté d'établir une relation privilégiée avec Jean-Luc Delarue. « On a besoin de lui, mais c'est le danger, car on se rend très vite compte qu'on est un témoin parmi tant d'autres. Le rapport privilégié va durer le temps de l'émission ou du reportage, mais il va ensuite disparaître. »93(*) Le rôle de l'animateur, à l'inverse de celui d'un psychologue dont c'est la fonction, ne consiste pas à apporter un soutien moral aux témoins. Invité d'un talk show,94(*) Christophe évoque un épisode traumatisant de sa petite enfance. Interrogé sur ses sentiments après l'émission il répond qu' « être là sur le plateau à se raconter devant l'animateur et devant les autres invités, c'est comme être dans un immense lieu vide, dans une énorme chambre d'écho [...] On parle, mais on ne sait pas à qui on parle, on sait qu'on parle à des millions de gens, mais aucun lien ne se crée avec eux. On ne parle pas à quelqu'un. » Pour cet homme, cet instant de célébrité où il a ouvert son coeur à la multitude le plonge dans une extrême solitude. La psychologue Evelyne Dubreu estime que les témoins sont souvent des gens qui se sentent isolés moralement. L'émission peut être libératrice, la prise de parole étant positive, à condition qu'il y ait ensuite une prise en charge et que les témoins ne soient pas « lâchés dans la nature ». * 89 Rieffel, Rémy, « Que sont les médias ? », Gallimard, 2005, op. cit., p. 286. * 90 Bouvet Bruno, Conrad Sophie, « La 500e de Delarue, un magazine qui se discute », La Croix, 29 avril 2006. * 91 Ibid. * 92 Richard Cannavo, Marie Desmeuzes, « Télé confessions », Episode 2, « Grands prêtres et dérives », AMIP/INA 2006, op. cit. * 93 Ibid. * 94 « Vie privée, vie publique », émission animée par Mireille Dumas, France 3, 24 mars 2004. |
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